Cour de Cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 11 Février 1992
Rejet
N° de pourvoi 91-86.067
Président M. Le Gunehec
Demandeur X et autres
Rapporteur M. ...
Avocat général M. Amiel
Avocats la SCP Waquet, Farge et Hazan, M. ...
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
REJET des pourvois formés par X, Y, Z inculpés de complicité d'abus de blanc-seing et de complicité de tentative d'escroquerie, contre l'arrêt n° 450-91 de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Colmar, en date du 26 septembre 1991 qui, saisie en application de l'article 171 du Code de procédure pénale, a annulé un acte du juge d'instruction et a dit n'y avoir lieu à annulation d'autres actes.
LA COUR,.
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle du 16 décembre 1991 joignant les pourvois en raison de la connexité et prescrivant leur examen immédiat ;
Sur le premier moyen de cassation propre à X et pris de la violation des articles 51, 80, 86, 88, 89 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale
" en ce que l'arrêt attaqué a refusé de prononcer la nullité du procès-verbal d'audition de la partie civile en date du 14 avril 1987 (pièce cotée D29), et de toute la procédure subséquente ;
" alors que saisi d'une plainte avec constitution de partie civile, le juge d'instruction est radicalement incompétent pour procéder à des actes d'instruction avant d'avoir transmis la plainte au Parquet aux fins de réquisitions ; qu'en l'espèce, loin de s'être borné à permettre à la partie civile de préciser les termes de sa plainte - laquelle était au demeurant très claire - le juge d'instruction a procédé à une véritable audition de celle-ci, de sorte qu'en refusant de prononcer la nullité de cet acte d'instruction accompli sans que le magistrat instructeur ait préalablement sollicité les réquisitions nécessaires du Parquet, la chambre d'accusation a méconnu le caractère substantiel et d'ordre public des articles 51, 80 et 86 du Code de procédure pénale " ;
Et sur le premier moyen de cassation commun à Y et Z et pris de la violation des articles 60, 405 et 407 du Code pénal, 51, 80 et suivants, 86, 171 et suivants, 186, 591 et 593 du Code de procédure pénale
" en ce que la chambre d'accusation a dit n'y avoir lieu à annuler l'audition complémentaire de la partie civile (D29) du 14 avril 1987 et les actes d'instruction subséquents même en l'état du réquisitoire du Parquet limité à l'abus de blanc-seing (D30) ;
" aux motifs que, sur le reproche fait au magistrat instructeur d'avoir, le 14 avril 1987, procédé à un interrogatoire au fond de la partie civile avant même d'avoir été saisi par un réquisitoire du procureur de la République, il y a lieu d'observer que la plainte ayant été déposée le 24 mars 1987 (D2), il était loisible au doyen des juges d'instruction de consigner le 14 avril 1987 (D29) les déclarations complémentaires de la partie civile ; que si, avant tout réquisitoire du procureur de la République, le juge d'instruction saisi d'une plainte avec constitution de partie civile n'a pas le pouvoir de commencer l'information, notamment en entendant la partie civile au fond, il lui est en revanche loisible de recueillir, même à sa demande, les déclarations de celle-ci tendant à une formulation plus correcte de sa plainte ou à en livrer les ambiguïtés, dans le souci de s'assurer des limites exactes dans lesquelles l'action publique a été mise en mouvement et de mettre le ministère public en situation de prendre utilement ses réquisitions ; que si, à cette occasion, la partie civile entend étendre son action par une plainte additionnelle, il appartient au juge de prendre ses déclarations au procès-verbal ; que l'examen du procès-verbal litigieux permet à la Cour de s'assurer que le juge d'instruction s'est borné à acter les déclarations complémentaires et spontanées de la partie civile et n'a pas envisagé le fond ; qu'il s'ensuit que le procès-verbal est à
valider ; que le juge d'instruction n'a pas débordé sa saisine en informant du chef de tentative d'escroquerie comme il l'a fait, alors que c'est la plainte avec constitution de partie civile, initiale ou additionnelle, qui détermine l'étendue de la mise en mouvement de l'action publique ; que le juge s'est cantonné dans les limites qui lui étaient ainsi tracées et qu'il importe peu qu'en l'espèce le réquisitoire introductif du procureur de la République (D30) ne se soit attaché qu'à l'abus de blanc-seing dénoncé (arrêt p 3 et 4) ;
" 1°) alors que, d'une part, le juge d'instruction ne peut provoquer l'extension d'une plainte initiale de la partie civile à des faits non compris dans celle-ci sous couvert de clarification de ladite plainte ;
" 2°) alors que, d'autre part, le juge d'instruction saisi par la plainte initiale (D2) et les réquisitions du Parquet (D30) des faits qualifiés d'abus de blanc-seing ne pouvait, sans préalablement provoquer les réquisitions du Parquet, instruire sur des faits nouveaux qualifiés de complicité de tentative d'escroquerie " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte des pièces de la procédure que la société B a, le 24 mars 1987, porté plainte avec constitution de partie civile devant le juge d'instruction de Mulhouse contre personne non dénommée pour des faits qualifiés abus de blanc-seing et tentative d'escroquerie ; que le juge d'instruction, après avoir fixé le montant de la consignation, a convoqué le représentant légal de cette société et, le 14 avril 1987, a dressé procès-verbal de sa constitution, a constaté le paiement de la consignation au greffe et a en outre, en annexe de son procès-verbal, consigné les déclarations complémentaires que lui a faites la partie civile ; qu'il a communiqué la procédure au procureur de la République le 24 avril 1987 ; que ce magistrat l'a, le même jour, requis d'informer du chef d'abus de blanc-seing ; que le juge d'instruction a procédé à diverses inculpations tant pour abus de blanc-seing que pour complicité de tentative d'escroquerie ;
Attendu que, pour refuser d'annuler le procès-verbal du 14 avril et la procédure subséquente, la chambre d'accusation énonce que, si le juge d'instruction ne peut accomplir d'actes d'instruction avant les réquisitions du procureur de la République, l'examen du procès-verbal litigieux lui permet de constater que " le juge d'instruction s'est borné à acter des déclarations que la partie civile a tenu à lui faire spontanément, à seule fin de préciser et de compléter les énonciations de la plainte rédigée par son conseil, et sans que, à aucun moment, le magistrat instructeur ne lui ait posé de question tenant à la manifestation de la vérité, en particulier aux fins de lui permettre d'apprécier la crédibilité de ses déclarations ou de mettre d'ores et déjà au point le plan des futures investigations " ;
Attendu qu'en décidant ainsi, la chambre d'accusation a justifié sa décision ; que, d'une part, rien n'interdisait à la partie civile de compléter devant le juge d'instruction sa plainte initiale, avant sa communication au procureur de la République conformément aux dispositions de l'article 86 du Code de procédure pénale ; que, d'autre part, lorsque l'action publique est mise en mouvement par une plainte avec constitution de partie civile, cette plainte saisit le juge des faits dénoncés et il n'importe que le réquisitoire introductif n'ait visé qu'une des qualifications proposées par le plaignant ;
D'où il suit que les moyens ne peuvent être admis ;
Sur le second moyen de cassation propre à X et pris de la violation des articles 368 et 378 du Code pénal, 173, 427 et 593 du Code de procédure pénale, 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs et manque de base légale, ensemble, violation des droits de la défense et violation du secret professionnel
" en ce que l'arrêt attaqué a refusé d'ordonner le retrait des pièces de la procédure, d'un enregistrement sur bande magnétique réalisé par la partie civile, A, à l'insu de X et retraçant des propos tenus par ce dernier lors d'une conversation qui s'était déroulée à son cabinet ;
" aux motifs que l'enregistrement a été réalisé plusieurs années avant toute enquête de justice ou de police sur les faits, objet de l'information ; qu'il ne se rapporte qu'à des propos d'ordre strictement professionnel ; que A n'a jamais été le client de X et qu'en tout état de cause, dans les relations entre avocat et particulier, le secret professionnel ne s'impose qu'à l'avocat ;
" alors, d'une part, que l'article 368 du Code pénal, réprime notamment le fait d'enregistrer au moyen d'un appareil quelconque des paroles prononcées dans un lieu privé par une personne sans le consentement de celle-ci, quels que soient les résultats techniques de l'enregistrement ; que le juge répressif ne pouvant former sa conviction à l'aide d'une pièce constitutive d'une infraction pénale, la chambre d'accusation, en refusant de l'écarter des débats, a méconnu les textes et principes susvisés qui ont pour objet d'assurer la loyauté en matière de recherche des preuves ;
" alors, d'autre part, que dès l'instant où l'arrêt attaqué considère que X représentait et agissait pour les intérêts de l'un de ses clients, ces conversations étaient nécessairement couvertes par le secret professionnel dont le caractère d'ordre public devait conduire la chambre d'accusation à écarter ces enregistrements du dossier de la procédure " ;
Attendu que la partie civile a remis au juge d'instruction un enregistrement sur bande magnétique de propos d'ordre professionnel, tenus par l'avocat X lors d'une conversation ayant eu lieu dans son cabinet avec la partie civile et qui ont été recueillis à son insu ; que le juge d'instruction a fait procéder à la transcription de cet enregistrement et l'a annexée à la procédure ;
Attendu qu'il est vainement fait grief à l'arrêt attaqué de ne pas avoir ordonné le retrait de la transcription d'un enregistrement qui, selon la chambre d'accusation, ne caractérisait aucune infraction pénale, dès lors que le juge d'instruction ne peut refuser d'annexer à la procédure des documents produits par les parties à l'appui de leur défense, auraient-ils été obtenus par des procédés déloyaux ; que la transcription, ordonnée en l'espèce par le juge et rendue nécessaire pour la consultation de l'enregistrement saisi, ne constitue qu'un indice de preuve pouvant être contradictoirement discuté par les parties ;
Qu'ainsi le moyen doit être écarté ;
Sur le second moyen de cassation propre à Z et à Y et pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 80 et suivants, 186, 591 et 593 du Code de procédure pénale
" en ce que la chambre d'accusation n'a pas répondu au grief soulevé devant elle par la défense sur la partialité du juge d'instruction ;
" alors qu'en l'état de la participation active, incessante et constante aux opérations d'instruction de A qui n'avait plus qualité pour figurer dans la procédure pénale, il appartenait à la chambre d'accusation de rechercher, au besoin d'office, si la conduite de l'instruction garantissait aux inculpés un procès équitable " ;
Attendu que la chambre d'accusation, saisie par le juge d'instruction en application de l'article 171 du Code de procédure pénale, ne peut statuer que sur la validité des actes qui lui sont déférés ; qu'elle n'a, ni à la demande des parties, ni d'office, à statuer sur des questions étrangères à sa saisine ;
Que le moyen ne peut donc être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois