Jurisprudence : CEDH, 29-11-1993, Req. 86/1991/338/411, Miailhe c. France

CEDH, 29-11-1993, Req. 86/1991/338/411, Miailhe c. France

A6546AWD

Référence

CEDH, 29-11-1993, Req. 86/1991/338/411, Miailhe c. France. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1029592-cedh-29111993-req-861991338411-miailhe-c-france
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Cour européenne des droits de l'homme

29 novembre 1993

Requête n°86/1991/338/411

Miailhe c. France



En l'affaire Miailhe c. France*,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Bernhardt, président,
Thór Vilhjálmsson,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti,
C. Russo,
N. Valticos, Mme E. Palm, MM. J.M. Morenilla,
M.A. Lopes Rocha,
L. Wildhaber,

ainsi que de M. M.-A. Eissen, greffier,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 29 octobre et 25 novembre 1993,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:



Notes du greffier

* L'affaire porte le n° 86/1991/338/411. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

** Tel que l'a modifié l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990.

PROCEDURE ET FAITS

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 13 décembre 1991, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 12661/87) dirigée contre la République française et dont trois ressortissants de cet Etat, M. William Miailhe, qui possède aussi la nationalité philippine, sa mère Victoria, née Desbarats, et son épouse Brigitte, née Damade, avaient saisi la Commission le 11 décembre 1986 en vertu de l'article 25 (art. 25).

2. Par un arrêt du 25 février 1993 ("l'arrêt au principal"), la Cour a relevé une infraction à l'article 8 (art. 8) de la Convention: les visites domiciliaires et saisies opérées par les douanes avaient méconnu le droit des requérants au respect de leur vie privée et de leur correspondance (série A n° 256-C, pp. 87-91, paras. 28-40 et point 2 du dispositif).

Seule reste à trancher la question de l'application de l'article 50 (art. 50) en l'espèce. Quant aux faits de la cause, la Cour renvoie aux paragraphes 6 à 15 de l'arrêt précité (ibidem, pp. 78-83).

3. La question de l'octroi d'une satisfaction équitable ne se trouvant pas en état, bien que les poursuites pénales engagées contre les époux Miailhe eussent déjà pris fin, l'arrêt au principal l'a réservée en entier. La Cour y a invité le Gouvernement et les requérants à lui adresser par écrit, dans les trois mois, leurs observations et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, p. 91, par. 44 et point 4 du dispositif).

4. Le greffier a reçu le mémoire des requérants le 25 mai 1993, celui du Gouvernement le 14 septembre et les observations du délégué de la Commission le 21 octobre.

5. A la délibération du 25 novembre 1993, Mme E. Palm, suppléante, a remplacé M. L. Wildhaber, empêché (articles 22 par. 1 et 24 par. 1 du règlement). La Cour a décidé que dans les circonstances de la cause il n'y avait pas lieu de tenir audience.

EN DROIT


6. Aux termes de l'article 50 (art. 50),

"Si la décision de la Cour déclare qu'une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d'une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s'il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable."

A. Dommage

1. Préjudice matériel

7. M. Miailhe réclame 300 000 francs français (f) pour un préjudice matériel comportant trois volets: le blocage, pendant huit ans, de ses comptes bancaires et parts sociales en raison d'inscriptions de saisies-arrêts prises par l'administration, et l'impossibilité de contracter les emprunts hypothécaires nécessaires au financement de son exploitation viticole; les frais de secrétariat engagés pour la remise en ordre de ses bureaux puis des documents restitués par les douanes; les frais de déplacement entre Manille et la France, spécialement pour répondre aux convocations du juge d'instruction.

De leur côté, Mme Victoria Miailhe et Mme Brigitte Miailhe sollicitent chacune 20 000 f correspondant, d'abord, à la privation de documents indispensables pour la vie courante; en deuxième lieu, à leur participation aux travaux et frais de reconstitution des dossiers; enfin, aux frais de voyages accomplis pour les besoins de la procédure pénale.

8. D'après le Gouvernement, le manquement relevé dans l'arrêt au principal n'a exercé aucune influence sur les saisies-arrêts, les voyages et la privation de documents d'ordre personnel. Si certains frais de classement peuvent s'imposer, ils vont de pair avec toute saisie, quelle que soit la procédure suivie. Du reste, les intéressés pouvaient à tout moment revendiquer la restitution ou la photocopie de chacune des pièces en question.

9. Le délégué de la Commission, lui, ne se prononce pas.

10. La Cour n'aperçoit pas de lien de causalité entre l'absence d'autorisation judiciaire des visites domiciliaires et des saisies, qu'elle a jugée contraire à l'article 8 (art. 8), et les dommages matériels dont se plaignent les requérants. Elle écarte donc cette partie de leurs prétentions.

2. Préjudice moral

11. Pour tort moral, M. Miailhe demande 300 000 f et Mmes Miailhe 100 000 f chacune. Le premier invoque la perte de ses fonctions consulaires, les secondes leur situation sociale au moment des faits et le grand âge de la mère du requérant, dont les souvenirs personnels auraient été violés sans préavis ni ménagement.

12. Le Gouvernement excipe de l'absence d'un lien de causalité entre la violation de l'article 8 (art. 8) et le préjudice allégué. En ce qui concerne M. Miailhe, il souligne que ni le bien-fondé ni la durée des poursuites douanières ne se trouvaient en cause devant les organes de la Convention et que le requérant était consul honoraire - et non point consul - des Philippines à Bordeaux. Au sujet de Mmes Miailhe, il affirme qu'une autorisation judiciaire des visites domiciliaires, si elle avait existé, n'aurait impliqué ni un avertissement préalable ni une énumération des documents à saisir.

13. Quant au délégué de la Commission, le constat de violation lui paraît de nature à constituer une compensation suffisante.

14. La Cour considère que les requérants ont dû éprouver un tort moral auquel ledit constat ne remédie pas à lui seul. Statuant en équité comme le veut l'article 50 (art. 50), elle alloue de ce chef 50 000 f à M. Miailhe, 25 000 f à Mme Victoria Miailhe et 25 000 à Mme Brigitte Miailhe.

B. Frais et dépens

15. Les requérants sollicitent aussi chacun le remboursement d'un tiers des frais et dépens exposés d'abord devant les juridictions françaises, puis devant les organes de la Convention (Me Goguel: 250 000 f; Me Baudin: 90 000 f; Me Boerner: 16 000 f; Me Régnier: 9 637 f).

16. Le Gouvernement soutient que les premiers n'ont aucun lien avec la violation relevée par la Cour; pour les seconds, il s'en rapporte à la jurisprudence de celle-ci.

17. Pour sa part, le délégué de la Commission préconise une indemnisation raisonnable.

18. La Cour note que M. et Mmes Miailhe ne fournissent pas de listes détaillées ni de justificatifs. Elle estime cependant devoir retenir, en équité, les dépenses engagées à Strasbourg et une partie de celles qui visaient à obtenir la cessation et la réparation du manquement aux exigences de l'article 8 (art. 8). Sur la base des critères qu'elle applique en la matière, elle alloue globalement à chacun des requérants 60 000 f.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITÉ,

1. Dit que l'Etat défendeur doit verser dans les trois mois,

a) pour dommage moral, 50 000 (cinquante mille) francs français à M. Miailhe, 25 000 (vingt-cinq mille) à Mme Victoria Miailhe et 25 000 (vingt-cinq mille) à Mme Brigitte Miailhe;

b) pour frais et dépens, 60 000 (soixante mille) à chacun des trois requérants;

2. Rejette les prétentions des intéressés pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis communiqué par écrit le 29 novembre 1993 en application de l'article 55 par. 2, second alinéa, du règlement.

Signé: Rudolf BERNHARDT Président

Signé: Marc-André EISSEN Greffier

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