Jurisprudence : CA Aix-en-Provence, 21-12-2023, n° 20/07539, Infirmation

CA Aix-en-Provence, 21-12-2023, n° 20/07539, Infirmation

A71792A7

Référence

CA Aix-en-Provence, 21-12-2023, n° 20/07539, Infirmation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/102871691-ca-aixenprovence-21122023-n-2007539-infirmation
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COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-1


ARRÊT AU FOND

DU 21 DECEMBRE 2023


N° 2023/ 205


Rôle N° RG 20/07539 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BGEQF


Société SEA FLEURS LTD


C/


S.A.S. PETROGARDE

S.A.S. EAZYBUNKER


[R] [Z]


Copie exécutoire délivrée

le :

à :


Me PAYEN


Me Arnaud LUCIEN


Décision déférée à la Cour :


Jugement du Tribunal de Commerce de MARSEILLE en date du 05 Novembre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 2019F00705.



APPELANTE


Société SEA FLEURS LTD Société domiciliée aux îles vierges britanniques Aa Ab A Ac Ad Ae Af Ag Ah - TORTOLA BRITISH VIRGIN ISL

représentée par Me Caroline PAYEN de la SCP DRUJON D'ASTROS & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, et assistée de Me Thierry CLERC, avocat au barreau de ROUEN, plaidant


INTIMEES


Société PETROGARDE S.A.S., prise en la personne de son représentant légal en exercice

dont le siège est sis [Adresse 1]

représentée par Me Arnaud LUCIEN, avocat au barreau de TOULON


Société EAZYBUNKER S.A.S., prise en la personne de son représentant légal en exercice

dont le siège est sis [Adresse 6] (ITALIE)

assignée le 26/10/2020 - essai le 18/11/2020 - refus le 14/12/2020,

défaillante


PARTIE INTERVENANTE


Monsieur [R] [Z]

liquidateur de La société EAZYBUNKER

demeurant [… …]

défaillant


*-*-*-*-*



COMPOSITION DE LA COUR


L'affaire a été débattue le 12 Octobre 2023 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile🏛, Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillera fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.


La Cour était composée de :


Madame Valérie GERARD, Président de chambre

Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère

Mme Marie-Amélie VINCENT, Conseillère


qui en ont délibéré.


Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 21 Décembre 2023.


ARRÊT


Défaut,


Prononcé par mise à disposition au greffe le 21 Décembre 2023,


Signé par Madame Valérie GERARD, Président de chambre et Madame Valérie VIOLET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


***



EXPOSE DU LITIGE


La société Petrogarde, spécialisée dans la fourniture de produits combustibles, a été sollicitée par la société Eazybunker, intermédiaire commercial, afin d'approvisionner en gazole le navire Afthonia pour le compte de la société Sea Fleurs lors de son escale à [Localité 4] en mai 2018.


Après livraison le 19 mai 2018, une facture de gazole a ainsi été émise par la société Petrogarde à hauteur de 103 375,64 euros.


Le 8 juin 2018, au vu de la facture et du relevé d'identité bancaire transmis par la société Eazybunker, la société Sea Fleurs a procédé au paiement.


Il s'est avéré que le paiement n'est pas parvenu à la société Petrogarde mais à une autre société à la suite d'une escroquerie.


La société Petrogarde a porté plainte et a maintenu ses demandes de paiement de la facture de gazole auprès des sociétés Sea Fleurs et Eazybunker.


Aucun règlement n'étant intervenu, par acte du 2 avril 2019, la société Petrogarde a fait citer la société Sea Fleurs et la société Eazybunker pour voir, à titre principal, condamner la société Sea Fleurs à lui payer la somme de 103 375,64 euros correspondant à la facture, et à titre subsidiaire, voir condamner la société Eazybunker au paiement de la même somme en règlement du préjudice subi.


Par jugement réputé contradictoire en date du 5 novembre 2019 le tribunal de commerce de Marseille a :


- Condamné la société Sea Fleurs à payer à la société Petrogarde la somme de 103 375,64 euros en principal avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

- Condamné la société Sea Fleurs à payer à la société Petrogarde la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles occasionnés par la présente procédure, outre aux dépens de l'instance,

- Rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du jugement.


* * *


Par acte du 7 août 2020 la société Sea Fleurs a interjeté appel du jugement.


* * *


Par ordonnance du 16 janvier 2023 le conseiller de la mise en état a constaté que la société Eazybunker avait été radiée du registre du commerce italien du fait de sa dissolution et a enjoint à la société Sea Fleurs de régulariser la procédure et de procéder à la mise en cause du liquidateur, Monsieur [R] [Z], dans le délai de deux mois à compter de l'ordonnance.



Par acte du 27 juin 2022 Monsieur [R] [Z], liquidateur de la société Eazybunker, a été appelé en la cause.


* * *


Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 28 août 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Sea Fleurs Ltd demande à la cour de :


Vu les articles 378, 479, 555, 688 du code de procédure civile🏛🏛🏛🏛,

Vu les articles 1231-1, 1240, 1342-2, 1342-3 et 1347 du code civil🏛🏛🏛🏛🏛,

Vu le Règlement européen 1393/2007,

Vu la Convention de la Haye🏛 du 15 novembre 1965,


Prononcer la nullité des assignations délivrées à la société Sea Fleurs et la société Eazybunker le 2 avril 2019 et du jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille le 5 novembre 2019,


Subsidiairement, sur le fond, réformant le jugement dont appel,


Condamner la société Petrogarde et la société Eazybunker, représentée par son représentant légal [R] [Z] à régler à la société Sea Fleurs la somme de 103 375, 64 euros à titre de dommages et intérêts,

Dire que cette somme se compensera avec celle qui pourrait être due à la société Petrogarde,

Condamner la société Petrogarde au paiement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛 et la condamner en tous les dépens.


La société Sea Fleurs fait valoir en premier lieu que compte-tenu de la domiciliation des sociétés défenderesses le tribunal de commerce aurait dû s'assurer de la délivrance effective des actes d'assignation, ce qu'il n'a pas fait, de sorte que les actes d'assignation sont nuls et que de ce fait, le jugement l'est également en application de l'article 688 du code de procédure civile.

Sur le fond, la société Sea Fleurs soutient qu'elle n'a commis aucune faute dans le paiement alors même que la société Petrogarde et la société Eazybunker ne justifient pas avoir pris les précautions nécessaires pour protéger leur messagerie et éviter tout piratage.

Elle fait donc valoir le caractère libératoire du paiement effectué au visa des articles 1342-2 et 1342-3 du code civil dans la mesure où il a été effectué de bonne foi à un créancier apparent.

Elle ajoute qu'en tout état de cause, la société Petrogarde est seule responsable du piratage dont elle a été victime.

Enfin, la société Sea Fleurs fait également valoir la faute commise par la société Eazybunker, qui lui a transmis des coordonnées inexactes de la société Petrogarde et elle sollicite subsidiairement sa condamnation au visa de l'article 1231-1 du code civil.


* * *


Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 5 novembre 2021, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Petrogarde (SAS) demande à la cour de :


Vu les articles 479 et 688 du code de procédure civile,

Vu les articles 1342-2 alinéa 1er et 1340 du code civil🏛,


Débouter la société Sea Fleurs de sa demande de nullité du jugement du 5 novembre 2019.


A titre principal,


Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Marseille en ce qu'il a condamné la société Sea Fleurs au paiement de la somme de «103 3758.64 euros (sic)» avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation.


A titre subsidiaire,


Condamner la société Eazybunker au paiement de la somme de «103 3758.64 euros (sic)» avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation,

Condamner tout succombant au paiement de la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.


La société Petrogarde réplique que les conditions de l'article 688 du code de procédure civile sont remplies dès lors que l'acte d'assignation a été transmis valablement au regard de la législation applicable, que le tribunal de commerce a rendu son jugement plus de six mois après l'envoi de l'assignation et qu'aucun justificatif de remise de l'acte n'a été communiqué par l'autorité. Elle conteste ainsi la nullité des assignations et du jugement.

Sur le fond, la société Petrogarde fait valoir que le paiement est nul s'il n'a pas été fait au créancier ou à son représentant et que selon l'adage «qui paie mal paye deux fois», la société Sea Fleurs sera tenue de payer deux fois.

Elle ajoute que le grief relatif au non-respect des règles de sécurité n'est pas opportun dès lors qu'elle n'a pas fait l'objet elle-même du piratage, et qu'en revanche, la société Sea Fleurs aurait dû vérifier l'adresse électronique et le compte bancaire qui lui ont été communiqués, en provenance d'une société irlandaise alors qu'elle est une société française.


* * *


La société Eazybunker (SAS) n'a pas constitué avocat.



MOTIFS


Sur la nullité des assignations et du jugement :


En application de l'article 688 du code de procédure civile et de la Convention de la Haye du 15 novembre 1965, dont l'application n'est pas contestée à l'égard de la société Sea Fleurs s'agissant d'une société domiciliée sur les Îles Vierges britanniques, le juge ne peut statuer au fond qu'à certaines conditions lorsqu'il est en présence d'une partie domiciliée à l'étranger et qui n'a pas eu connaissance en temps utile de l'acte d'assignation.


Ainsi, le juge doit s'assurer que les conditions suivantes sont réunies :


- l'acte a été transmis selon les modes prévus par les règlements européens ou les traités internationaux applicables ou, à défaut de ceux-ci, selon les prescriptions des articles 684 à 687 (article 688 1°),

- un délai d'au moins six mois s'est écoulé depuis l'envoi de l'acte (article 688 2°),

- aucun justificatif de remise de l'acte n'a pu être obtenu nonobstant les démarches effectuées auprès des autorités compétentes de l'Etat où l'acte doit être remis (article 688 3°).


A ce titre, le juge peut prescrire d'office toutes diligences complémentaires, notamment donner commission rogatoire à toute autorité compétente aux fins de s'assurer que le destinataire a eu connaissance de l'acte et de l'informer des conséquences d'une abstention de sa part (article 688 3°).


En l'espèce, il est justifié que l'acte de signification de l'assignation délivrée à la société Sea Fleurs devant le tribunal de commerce de Marseille a été valablement notifié à l'autorité compétente, à savoir «The Registrar of the suprême court c/o Ai Aj Ak Al Court P.O Box 418 Read Town Torola British Virgin Islands», conformément à la Convention de la Haye, et qu'elle en a accusé réception le 13 mai 2019, nonobstant la seule référence faite au Règlement CE n°1393/2007⚖️ par le jugement contesté s'agissant de la société Sea Fleurs.


Il est également justifié qu'un délai de six mois s'est écoulé entre l'envoi de l'acte le 2 avril 2019 et le jugement rendu le 5 novembre 2019, date à laquelle le juge a statué.


En revanche, les premiers juges n'ont pas caractérisé les «démarches effectuées auprès des autorités compétentes de l'Etat où l'acte doit être remis» en vue d'obtenir un justificatif de la remise de l'acte d'assignation, la seule remise de l'acte aux autorités compétentes étant insuffisante à caractériser les diligences accomplies par l'huissier significateur, et à défaut desquelles le juge peut prescrire d'office des diligences complémentaires.


Pour autant, s'agissant d'un acte d'huissier de justice dont la nullité est régie par les dispositions qui gouvernent la nullité des actes de procédure, et s'agissant d'une irrégularité de forme, il appartient à la partie qui invoque la nullité de l'acte de prouver le grief que lui cause l'irrégularité.


En l'espèce, la société Sea Fleurs, en s'abstenant d'établir le grief résultant du non-respect de cette formalité, est dès lors mal fondée à invoquer la nullité de l'acte d'assignation délivrée à son égard devant la juridiction de première instance et ne peut davantage faire valoir la nullité de l'acte signifié à la société Eazybunker.


Le moyen tiré de la nullité des actes d'assignation et de la nullité du jugement est dès lors rejeté.


Sur le paiement :


Aux termes des articles 1342-2 et 1342-3 du code civil le paiement doit être fait au créancier ou à la personne désignée pour le recevoir. Le paiement fait de bonne foi à un créancier apparent est valable.


Au cas d'espèce, il apparaît que la société Sea Fleurs a pu légitimement croire, en procédant le 8 juin 2018 au paiement de la somme de 103 375,64 euros, qu'elle avait affaire à son créancier la société Petrogarde eu égard aux circonstances de la transaction.


En effet, il ne ressort d'aucune pièce produite aux débats, et notamment des mails échangés par les parties, que la société Sea Fleurs ait été en contact direct avec la société Petrogarde à quelque moment que ce soit de la transaction, celle-ci ayant été effectuée par l'intermédiaire de la société Eazybunker.


Ainsi, il ne lui appartenait pas de vérifier la validité de l'adresse mail «[Courriel 3]» au lieu de «[Courriel 2]» dès lors que ce mail frauduleux a été adressé le 22 mai 2018, non pas à la société Sea Fleurs mais à la société Eazybunker (pièce 2 de l'appelante), et que celle-ci s'est chargée de répercuter à la société Sea Fleurs, par le biais d'[D] [Y], les documents joints à ce message électronique, à savoir la facture et un relevé d'identité bancaire, les 23 mai et 4 juin 2018.


En outre, sauf à l'établissement bancaire de relever l'anomalie ressortant des références bancaires portées sur ce relevé d'identité bancaire, le seul examen du code « banque », du code «guichet » et de l'IBAN associés à la mention du titulaire (SAS Petrogarde) ne pouvait permettre à la société Sea Fleurs Ltd de déceler une escroquerie commise au préjudice de la société Petrogarde.


En conséquence, au regard de l'absence de déloyauté démontrée de la part de la société Sea Fleurs et au regard des circonstances du paiement effectué auprès du créancier apparent, il y a lieu de juger que le paiement effectué par la société Sea Fleurs le 8 juin 2018 doit être considéré comme libératoire.


Le jugement sera dès lors infirmé en ce qu'il a condamné la société Sea Fleurs à payer à la société Petrogarde la somme de 103 375,64 euros en principal avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, et la société Petrogarde doit être déboutée de sa demande principale à son égard.


La société Petrogarde sollicite à titre subsidiaire la condamnation de la société Eazybunker en invoquant un manquement à son obligation de vigilance pour avoir transmis un relevé d'identité frauduleux alors qu'il lui appartient en sa qualité d'intermédiaire de sécuriser les transactions entre les clients qu'elle met en relation.


Pour autant, outre l'absence de fondement juridique à l'appui de cette demande, il apparaît que la société Petrogarde ne caractérise pas la faute commise par la société Eazybunker, notamment par la connaissance qu'aurait pu avoir cette dernière de la véritable adresse mail de la société Petrogarde et de ses identifiants bancaires en l'absence de toute pièce permettant de caractériser une antériorité dans leurs relations d'affaires.


En outre, la société Petrogarde n'établit pas que sa plainte, déposée le 27 juin 2018, ait permis de caractériser une faute de la part de la société Eazybunker ou de toute autre entité, les parties ne justifiant d'aucune suite donnée à cette plainte.


Dès lors, étant rappelé qu'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention, il y a lieu de débouter la société Petrogarde de sa demande subsidiaire à l'encontre de la société Eazybunker.


Sur les frais et dépens :


La société Petrogarde, partie succombante à titre principal, conservera la charge des entiers dépens de première instance et d'appel, et sera tenue de payer à la société Sea Fleurs la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.



PAR CES MOTIFS


La Cour,


REJETTE l'exception de nullité des actes d'assignation et du jugement soulevée par la société Sea Fleurs ;


INFIRME le jugement rendu le 5 novembre 2019 par le tribunal de commerce de Marseille ;


Statuant à nouveau,


DEBOUTE la société PETROGARDE de sa demande principale en paiement de la somme de 103 375,64 euros avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation à l'égard de la société SEA FLEURS ;


DEBOUTE la société PETROGARDE de sa demande subsidiaire en paiement de la somme de 103 375,64 euros avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation à l'égard de la société EAZYBUNKER ;


CONDAMNE la société PETROGARDE aux dépens de première instance et d'appel ;


CONDAMNE la société PETROGARDE à payer à la société SEA FLEURS la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.


LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,

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