SOC.
CZ
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 décembre 2023
Rejet
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 2166 F-D
Pourvoi n° J 22-20.474
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 20 DÉCEMBRE 2023
La société Oronalys, société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° J 22-20.474 contre l'arrêt rendu le 6 juillet 2022 par la cour d'appel de Bordeaux (chambre sociale, section A), dans le litige l'opposant à M. [G] [K], domicilié [… …], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bouvier, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Oronalys, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de M. [K], après débats en l'audience publique du 8 novembre 2023 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bouvier, conseiller rapporteur, Mme Sommé, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 6 juillet 2022), M. [K] a été engagé en qualité de directeur par la société de droit luxembourgeois Oronalys (la société), à compter du 24 avril 2019.
2. Il a été licencié pour faute grave par lettre du 22 juin 2020.
3. Par requête du 28 septembre 2020, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux et sollicité la condamnation de la société au paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La société fait grief à l'arrêt de déclarer l'exception d'incompétence non fondée et le conseil de prud'hommes de Bordeaux territorialement compétent, alors :
« 1°/ que, selon l'article 21, b), du règlement n° 1215/2012 du Parlement européen et du conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, un employeur domicilié sur le territoire d'un État membre peut être attrait devant la juridiction du lieu où, ou à partir duquel, le travailleur accomplit habituellement son travail, ou devant la juridiction du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail ; qu'en revanche, lorsque le salarié n'accomplit pas ou n'a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, il ne peut attraire l'employeur que devant la juridiction du lieu où se trouve, ou se trouvait, l'établissement qui embauché le travailleur ; qu'en l'espèce, pour dire que M. [K] accomplissait habituellement son travail en France et, ainsi, retenir la compétence territoriale du conseil de prud'hommes de Bordeaux, la cour d'appel a relevé que M. [K] justifie avoir accompli habituellement son travail en France et pouvait donc attraire son employeur devant une juridiction française ; qu'en statuant ainsi quand il ressortait de ses propres constatations qu'il résultait de l'agenda de M. [K] qu'entre mai 2019 et février 2020, M. [K] avait passé 18 jours au Luxembourg (temps de déplacement inclus)", ce dont il s'évinçait que M. [K] n'avait pas accompli son travail dans un même pays, partageant son activité entre la France et le Luxembourg, et qu'il ne pouvait donc attraire la société Oronalys que devant la juridiction du lieu de l'établissement qui l'avait embauché, lequel était situé à [Localité 3] au Luxembourg, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées ;
2°/ que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé par motifs propres, d'une part, que, si la société proteste de l'activité de « commercial » revendiquée par M. [K], c'est néanmoins la mission qui apparaît dans le compte-rendu d'un séminaire ayant d'ailleurs été organisé en France dans le département de l'Hérault durant une semaine en novembre 2019", dont la dernière page mentionne que M. [K] a pour mission d'assurer le suivi des clients des secteurs Centre, Paris, Île-de-France et sud-ouest, d'autre part, que M. [K] verse aux débats plusieurs documents attestant d'une exécution de ses missions quasi exclusivement sur le territoire français et notamment : - le fichier clients de la société d'où il ressort qu'à l'exception de trois clients résidant en Espagne et d'un autre, en Belgique, la totalité de la clientèle composée notamment de médecins homéopathes, est domiciliée en France ; - un tableau du chiffre d'affaires réalisé par lui qui ne concerne que des clients résidant en France" ; que, par motifs adoptés des premiers juges, elle a énoncé que M. [K] démontre au regard des pièces produites aux débats et notamment les fichiers clients qu'il exécutait son contrat de travail sur le territoire national" ; qu'en se déterminant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société Oronalys selon lesquelles les commandes étaient essentiellement passées par Internet et le démarchage effectué par téléphone, circonstances rendant inutile la présence physique du salarié sur le territoire français, unilatéralement décidée par lui et imposée en dépit des stipulations contractuelles prévoyant un lieu d'exécution du travail au Luxembourg, la cour d'appel a violé l'
article 455 du code de procédure civile🏛 ;
3°/ que, lorsque les parties ont fixé le lieu de travail du salarié dans un État membre de l'Union européenne autre que la France et que le salarié se prévaut de la compétence d'un conseil de prud'hommes français, le juge doit rechercher s'il était de la volonté claire des parties que le salarié accomplisse habituellement son travail en France ; qu'en l'espèce, en retenant que M. [K] justifiait avoir accompli habituellement son travail en France sans avoir recherché si, bien que le lieu de travail du directeur avait été fixé au Luxembourg, les parties s'étaient néanmoins clairement accordées pour qu'il transfère de façon stable et durable son lieu de travail en France, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 21, b) du règlement n° 1215/2012 du Parlement européen et du conseil du 12 décembre 2012. »
Réponse de la Cour
5. Aux termes de l'article 21 du
règlement (UE) n° 1215/2012⚖️, du Parlement européen et du Conseil, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, un employeur domicilié sur le territoire d'un État membre peut être attrait :
a) devant les juridictions de l'État membre où il a son domicile ; ou
b) dans un autre État membre :
i) devant la juridiction du lieu où, ou à partir duquel, le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail ; ou
ii) lorsque le travailleur n'accomplit pas ou n'a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, devant la juridiction du lieu où se trouve ou se trouvait l'établissement qui a embauché le travailleur.
6. La notion de « lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail », consacrée à l'article 19, point 2, sous a), du
règlement (CE) n° 44/2001⚖️ du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, qui correspond à l'article 21, paragraphe 1, sous b), i), du règlement n° 1215/2012, doit être interprétée comme visant le lieu où, ou à partir duquel, le travailleur s'acquitte de fait de l'essentiel de ses obligations à l'égard de son employeur (CJUE, arrêt du 25 février 2021, Markt 24, C-804/19, point 40).
7. Ayant constaté qu'aucune des pièces produites par la société ne permettait de retenir que le salarié travaillait habituellement au Luxembourg, que, dans le compte-rendu d'un séminaire organisé en novembre 2019 en France, pays de domiciliation du salarié, ce dernier était désigné comme commercial de la société pour les secteurs Centre, Paris Ile-de-France et Sud-Ouest, que le salarié versait aux débats plusieurs documents attestant d'une exécution de ses missions quasi exclusivement sur le territoire français, dont, notamment, le fichier « clients » de la société dont il ressortait qu'à l'exception de trois clients résidant en Espagne et d'un autre, en Belgique, la totalité de la clientèle était domiciliée en France, un tableau du chiffre d'affaires réalisé par le salarié qui ne concernait que des clients résidant en France, les extraits de son compte bancaire d'avril 2019 à mars 2020 démontrant que la grande majorité des opérations y figurant étaient effectuées en France et son agenda, non contesté, dont il résultait qu'entre mai 2019 et février 2020, le salarié avait passé dix-huit jours au Luxembourg, temps de déplacement inclus, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu retenir que la France était le lieu où le salarié accomplissait habituellement son travail.
8. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Oronalys aux dépens ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par la société Oronalys et la condamne à payer à M. [K] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt décembre deux mille vingt-trois.