CAA Toulouse, 4e, 21-12-2023, n° 21TL03190
A55672AG
Référence
► Le délai raisonnable de recours d'un an dit " Czabaj " peut s'appliquer à une autorisation environnementale.
I - Par une requête, enregistrée le 29 juillet 2021 sous le n° 21MA03190 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille et ensuite sous le n° 21TL03190 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, l'association Les Robins des Bois de la Margeride et M. A C, représentés par la SELAS Bret Bremens, demandent à la cour :
1°) d'annuler la décision du 5 août 2013 par laquelle le préfet de la Lozère a autorisé la société à responsabilité limitée Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 17 à défricher 2,706 hectares de parcelles de bois situées sur le territoire des communes de Le Born et Pelouse pour l'installation d'un parc éolien ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Ils soutiennent que :
- ils ont intérêt à agir contre la décision en litige ;
- leur requête n'est pas tardive en l'absence d'affichage de la décision sur le terrain et en mairie et compte tenu de la mention d'un délai de recours contentieux erroné ;
- la décision en litige a été signée par une autorité incompétente ;
- la procédure est viciée en l'absence d'une étude d'incidences Natura 2000 ;
- la décision en litige est insuffisamment motivée ;
- le préfet a méconnu les dispositions de l'article L. 341-5 du code forestier🏛 dès lors que l'opération de défrichement porte atteinte à une zone humide remarquable.
Par un mémoire en défense enregistré le 13 juillet 2022, la société à responsabilité limitée Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 17, représentée par Me Versini-Campinchi, conclut au rejet de la requête et à ce soit mise à la charge de chaque requérant une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête est irrecevable en raison de son caractère tardif, tant au regard du délai de recours de droit commun qu'au regard du délai de recours raisonnable d'un an ;
- les requérants n'ont pas intérêt à agir contre la décision en litige ;
- les moyens invoqués par les requérants ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 novembre 2022, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- à titre principal, la requête est irrecevable en ce qu'elle présente un caractère tardif au regard du délai de recours raisonnable d'un an ;
- la requête est privée de son objet dès lors que la décision contestée a été rapportée par la décision modificative du 26 février 2016 ;
- à titre subsidiaire, les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 8 novembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 23 novembre 2022.
Par un mémoire, enregistré le 13 novembre 2023, la cour a été informée du décès de M. A C, survenu le 5 juillet 2023, et du désistement de son ayant-droit, M. B C, représenté par la SELAS Bret Bremens.
II - Par une requête, enregistrée le 29 juillet 2021 sous le n° 21MA03191 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille et ensuite sous le n° 21TL03191 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, l'association Les Robins des Bois de la Margeride et M. A C, représentés par la SELAS Bret Bremens, demandent à la cour :
1°) d'annuler la décision du 26 février 2016 par laquelle le préfet de la Lozère a modifié sa décision du 5 août 2013 accordant une autorisation de défrichement à la société à responsabilité limitée Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 17 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- ils ont intérêt à agir contre la décision en litige ;
- leur requête n'est pas tardive en l'absence d'affichage de la décision sur le terrain et en mairie et compte tenu de la mention d'un délai de recours contentieux erroné ;
- la décision en litige a été signée par une autorité incompétente ;
- la procédure est viciée en l'absence d'une étude d'incidences Natura 2000 ;
- la décision en litige est insuffisamment motivée ;
- le préfet a méconnu les dispositions de l'article L. 341-5 du code forestier dès lors que l'opération de défrichement porte atteinte à une zone humide remarquable.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juillet 2022, la société à responsabilité limitée Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 17, représentée par Me Versini-Campinchi, conclut au rejet de la requête et à ce soit mise à la charge de chaque requérant une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête est irrecevable en raison de son caractère tardif, tant au regard du délai de recours de droit commun qu'au regard du délai de recours raisonnable d'un an ;
- les requérants n'ont pas intérêt à agir contre la décision en litige ;
- les moyens invoqués par les requérants ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 novembre 2022, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- à titre principal, la requête est irrecevable en ce qu'elle présente un caractère tardif au regard du délai de recours raisonnable d'un an ;
- à titre subsidiaire, les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 8 novembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 23 novembre 2022.
Par un mémoire, enregistré le 13 novembre 2023, la cour a été informée du décès de M. A C, survenu le 5 juillet 2023, et du désistement de son ayant-droit, M. B C, représenté par la SELAS Bret Bremens.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code forestier ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017🏛 ;
- le décret n° 2017-81 du 26 janvier 2017🏛 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jazeron, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Meunier-Garner, rapporteure publique,
- les observations de Me Louis, représentant la société Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 17.
1. La société Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 17 a sollicité le 28 mars 2013 auprès des services de la préfecture de la Lozère une autorisation de défrichement portant sur une superficie totale de 2,706 hectares de parcelles de bois situées sur le territoire des communes de Le Born et Pelouse dans le cadre d'un projet d'installation d'un parc éolien. Par une décision du 5 août 2013, le préfet de la Lozère lui a accordé cette autorisation de défrichement. La société pétitionnaire a obtenu, le 18 août 2015, quatre permis de construire l'autorisant à édifier huit aérogénérateurs et deux postes de livraison électrique sur le territoire de ces communes, puis, le 25 août suivant, l'autorisation d'exploiter le parc éolien au titre de la législation relative aux installations classées pour la protection de l'environnement. Par une décision du 26 février 2016, prenant acte de modifications apportées au projet par la société Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 17, le préfet de la Lozère a modifié l'autorisation de défrichement initiale délivrée le 5 août 2013 en ramenant la superficie des parcelles à défricher à 0,744 hectare. L'association Les Robins des Bois de la Margeride et M. C ont demandé, par leur requête n° 21TL03190, l'annulation de la décision du 5 août 2013 et, par leur requête n° 21TL03191, l'annulation de la décision du 26 février 2016. Ces deux requêtes, introduites par les mêmes requérants, portent sur les travaux de défrichement liés au même projet éolien et présentent à juger les mêmes questions. Il y a donc lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur le désistement de M. B C en sa qualité d'ayant-droit de M. A C :
2. Par deux mémoires, enregistrés le 13 novembre 2023, M. B C, agissant en sa qualité d'ayant-droit de M. A C, déclare se désister purement et simplement des requêtes nos 21TL03190 et 21TL03191. Ces désistements étant purs et simples, rien ne s'oppose à ce qu'il en soit donné acte.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. L'article L. 341-4 du code forestier🏛, applicable à la date d'édiction des décisions en litige, dispose que : " L'autorisation de défrichement fait l'objet, par les soins du bénéficiaire, d'un affichage sur le terrain de manière visible de l'extérieur ainsi qu'à la mairie de situation du terrain. L'affichage a lieu quinze jours au moins avant le début des opérations de défrichement ; il est maintenu à la mairie pendant deux mois et sur le terrain pendant la durée des opérations de défrichement. () Le demandeur dépose à la mairie de situation du terrain le plan cadastral des parcelles à défricher, qui peut être consulté pendant la durée des opérations de défrichement. Mention en est faite sur les affiches apposées en mairie et sur le terrain. ".
4. L'article 15 de l'ordonnance susvisée du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale prévoit que : " 1° Les autorisations délivrées au titre du () chapitre II du titre Ier du livre V du code de l'environnement dans leur rédaction antérieure à la présente ordonnance, (), avant le 1er mars 2017, () sont considérées comme des autorisations environnementales relevant du chapitre unique du titre VIII du livre Ier de ce code, avec les autorisations, enregistrements, déclarations, () énumérés par le I de l'article L. 181-2 du même code🏛 que les projets ainsi autorisés ont le cas échéant nécessités ; les dispositions de ce chapitre leur sont dès lors applicables, notamment lorsque ces autorisations sont contrôlées, modifiées, abrogées, retirées, renouvelées, transférées, contestées () ". L'article L. 181-2 du code de l'environnement précise que : " I. - L'autorisation environnementale tient lieu, y compris pour l'application des autres législations, des autorisations, enregistrements, déclarations, () suivants, lorsque le projet d'activités, installations, ouvrages et travaux relevant de l'article L. 181-1 y est soumis ou les nécessite : / () / 11° Autorisation de défrichement en application des articles L. 214-13, L. 341-3, L. 372-4, L. 374-1 et L. 375-4 du code forestier🏛🏛🏛🏛🏛 ; / () ".
5. L'autorisation de défrichement initiale délivrée par le préfet de la Lozère à la société Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 17 le 5 août 2013 et l'autorisation de défrichement modificative délivrée à la même société le 26 février 2016 ont été rendues nécessaires par le projet de parc éolien autorisé le 25 août 2015 sur le territoire des communes de Le Born et Pelouse au titre du chapitre II du titre Ier du livre V du code de l'environnement. Par suite et en application des dispositions législatives mentionnées au point précédent, les deux décisions préfectorales en litige doivent être considérées comme des autorisations environnementales relevant du chapitre unique du titre VIII du livre Ier du code de l'environnement.
6. L'article R. 181-50 du code de l'environnement🏛 dispose que : " Les décisions mentionnées aux articles L. 181-12 à L. 181-15 peuvent être déférées à la juridiction administrative : / () / 2° Par les tiers intéressés en raison des inconvénients ou des dangers pour les intérêts mentionnés à l'article L. 181-3, dans un délai de quatre mois à compter de : / a) L'affichage en mairie dans les conditions prévues au 2° de l'article R. 181-44 ; / b) La publication de la décision sur le site internet de la préfecture prévue au 4° du même article. / Le délai court à compter de la dernière formalité accomplie. Si l'affichage constitue cette dernière formalité, le délai court à compter du premier jour d'affichage de la décision. / () ".
7. Les modalités de publicité d'une décision administrative sont régies par les règles en vigueur à la date d'édiction de cette décision. Ni l'article L. 341-4 du code forestier rappelé au point 2 du présent arrêt, ni aucun autre texte applicable à la date d'édiction des décisions en litige, n'imposaient leur publication sur le site internet de la préfecture. Par voie de conséquence, le déclenchement du délai de recours contentieux ne se trouvait pas subordonné en l'espèce à la publication des décisions sur ce site internet, mais seulement à leur affichage en mairie.
8. Il résulte de l'instruction et notamment des procès-verbaux de constats d'huissier produits par la société Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 17 que les deux décisions en litige ont été affichées simultanément et de manière continue, d'une part, en deux points du terrain d'assiette de l'opération de défrichement, visibles depuis la voirie, et, d'autre part, sur les panneaux d'affichage installés sur les façades des mairies de Le Born et Pelouse, au plus tard à partir du 15 février 2019 et au moins jusqu'au 16 avril suivant. Il ressort cependant de ces mêmes pièces que, contrairement à ce que prévoient les dispositions précitées de l'article L. 341-4 du code forestier, les affiches ainsi apposées n'indiquaient pas que le plan cadastral des parcelles à défricher avait été déposé en mairie où il pouvait être consulté pendant la durée de l'opération en cause. L'absence de cette mention a fait obstacle au déclenchement du délai de recours contentieux de quatre mois ouvert aux tiers intéressés par l'article R. 181-50 du code de l'environnement, lequel ne peut donc être opposé en l'espèce à l'association requérante.
9. Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce qu'une autorisation environnementale puisse être contestée indéfiniment par les tiers. Dans le cas où l'accomplissement des mesures de publicité imposées par les dispositions législatives ou règlementaires en vigueur, par ailleurs suffisant pour avoir permis aux tiers d'apprécier l'importance et la consistance de l'opération projetée, n'a pas fait courir le délai de recours normalement applicable faute de mentionner une information qui n'était pas nécessaire à cette appréciation, le recours contentieux contre une telle autorisation doit néanmoins, pour être recevable, être présenté dans un délai raisonnable suivant la réalisation de la plus tardive des mesures de publicité. En règle générale et sauf circonstance particulière dont se prévaudrait le requérant, un délai excédant un an ne peut être regardé comme raisonnable.
10. Il résulte de ce qui a été exposé au point 8 du présent arrêt que les deux décisions en litige ont fait l'objet des mesures d'affichage prévues par les dispositions qui leur étaient applicables. Il résulte par ailleurs de l'instruction que les décisions ainsi affichées mentionnaient précisément les numéros des parcelles cadastrales concernées par les opérations de défrichement sur chacune des deux communes, la surface totale de chacune de ces parcelles et la surface sur laquelle lesdites opérations étaient autorisées. Les tiers ont ainsi été mis à même d'apprécier l'importance et la consistance des travaux projetés et les recours contre ces décisions devaient, par suite, être présentés dans un délai raisonnable à compter du premier jour de leur affichage le 15 février 2019. Les requêtes nos 21TL03190 et 21TL03191 n'ayant été enregistrées que le 29 juillet 2021, soit plus de deux ans après cette date, sans que l'association requérante ne se prévale d'une circonstance particulière susceptible de justifier un tel délai, ces deux requêtes ne peuvent être regardées comme ayant été introduites dans un délai raisonnable.
11. Il résulte de ce qui précède que les fins de non-recevoir opposées par le ministre et par la société pétitionnaire, tirées de la tardiveté des requêtes nos 21TL03190 et 21TL03191 au regard du délai de recours raisonnable, doivent être accueillies. Il s'ensuit que les conclusions de l'association Les Robins des Bois de la Margeride tendant à l'annulation des décisions du préfet de la Lozère des 5 août 2013 et 26 février 2016 ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que soient mises à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans les présentes instances, les sommes demandées par l'association requérante au titre des frais non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la société Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 17 à ce titre.
Article 1er : Il est donné acte du désistement de M. B C, ayant-droit de M. A C, dans les instances nos 21TL03190 et 21TL03191.
Article 2 : Les requêtes nos 21TL03190 et 21TL03191 de l'association Les Robins des Bois de la Margeride sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions de la société Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 17 sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Les Robins des Bois de la Margeride, à M. B C, au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et à la société à responsabilité limitée Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 17.
Copie en sera adressée au préfet de la Lozère.
Délibéré après l'audience du 7 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Haïli, président assesseur,
M. Jazeron, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2023.
Le rapporteur,
F. JazeronLe président,
D. Chabert
La greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Nos 21TL03190, 21TL03191