Jurisprudence : CEDH, 29-11-1991, Req. 43/1990/234/300, Pine Valley Developments Ltd et autres c. Irlande

CEDH, 29-11-1991, Req. 43/1990/234/300, Pine Valley Developments Ltd et autres c. Irlande

A6412AWE

Référence

CEDH, 29-11-1991, Req. 43/1990/234/300, Pine Valley Developments Ltd et autres c. Irlande. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1027970-cedh-29111991-req-431990234300-pine-valley-developments-ltd-et-autres-c-irlande
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Cour européenne des droits de l'homme

29 novembre 1991

Requête n°43/1990/234/300

Pine Valley Developments Ltd et autres c. Irlande



En l'affaire Pine Valley Developments Ltd et autres c. Irlande*,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement***, en une chambre composée des juges dont le nom suit:

M. R. Ryssdal, président, Mme D. Bindschedler-Robert, MM. J. Pinheiro Farinha,
L.-E. Pettiti,
C. Russo,
J. De Meyer, Mme E. Palm, MM. I. Foighel,
J. Blayney, juge ad hoc,

ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 24 mai et 23 octobre 1991,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

Notes du greffier:

* L'affaire porte le n° 43/1990/234/300. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

** Tel que l'a modifié l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990.

*** Les amendements au règlement entrés en vigueur le 1er avril 1989 s'appliquent en l'espèce.

PROCEDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") puis par le gouvernement de l'Irlande ("le Gouvernement"), les 11 juillet et 11 septembre 1990, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 12742/87) dirigée contre l'Irlande et dont deux sociétés enregistrées dans cet Etat, Pine Valley Developments Ltd ("Pine Valley") et Healy Holdings Ltd ("Healy Holdings"), ainsi qu'un ressortissant irlandais, M. Daniel Healy, avaient saisi la Commission le 6 janvier 1987 en vertu de l'article 25 (art. 25).

Demande de la Commission et requête du Gouvernement renvoient aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48). La première vise en outre la déclaration irlandaise reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences des articles 13 et 14 (art. 13, art. 14) de la Convention et 1 du Protocole n° 1 (P1-1). Il en va de même de la seconde, mais elle tend pour l'essentiel à voir constater l'irrecevabilité de l'affaire, sur la base des moyens et exceptions préliminaires du Gouvernement.

2. En réponse à l'invitation prescrite à l'article 33 par. 3 d) du règlement, les requérants ont exprimé le désir de participer à l'instance et désigné leurs conseils (article 30).

3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. B. Walsh, juge élu de nationalité irlandaise (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 27 août 1990, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir Mme D. Bindschedler-Robert, M. J. Pinheiro Farinha, M. L.-E. Pettiti, M. C. Russo, M. J. De Meyer, Mme E. Palm et M. I. Foighel, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43).

M. Walsh s'est récusé le 27 septembre 1990 (article 24 par. 2 du règlement). Par une lettre du 6 novembre, l'agent du Gouvernement a notifié au greffier la désignation de M. John Blayney, juge à la High Court d'Irlande, en qualité de juge ad hoc (articles 43 de la Convention et 23 du règlement) (art. 43).

4. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire du greffier l'agent du Gouvernement, le délégué de la Commission et les représentants des requérants au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38).

Conformément à l'ordonnance ainsi rendue, le greffier a reçu le mémoire du Gouvernement le 14 janvier 1991, celui des requérants les 15 et 16. Par une lettre du 13 mars, le secrétaire de la Commission l'a avisé que le délégué s'exprimerait de vive voix.

5. Le 13 mai 1991, le président a octroyé l'assistance judiciaire à M. Healy (article 4 de l'addendum au règlement).

6. Conformément à sa décision, les débats se sont déroulés en public le 21 mai 1991, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

Mme E. Kilcullen, conseiller juridique adjoint, ministère des Affaires étrangères,
agent, MM. H. Whelehan, Senior Counsel, J. O'Reilly, Senior Counsel,
conseils, J. Gormley, Office of the Attorney General, J. Ryan, ministère de l'Environnement, conseillers;

- pour la Commission

Sir Basil Hall,
délégué;

- pour les requérants

M. P. O'Sullivan, Senior Counsel,
conseil, M. G. Walsh,
solicitor.

La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu'en leurs réponses à ses questions et à celles de deux de ses membres, MM. Whelehan et O'Reilly pour le Gouvernement, Sir Basil Hall pour la Commission et M. O'Sullivan pour les requérants.

7. A l'audience ou peu auparavant, le greffier a reçu: de la Commission, une réponse écrite à une question de la Cour; de la Commission, du Gouvernement et des requérants, plusieurs documents que la Cour les avait invités à produire ou que ces derniers ont déposés spontanément.

En vertu de l'autorisation que le président lui avait accordée en séance, le Gouvernement a présenté, le 10 juin 1991, des observations sur les pièces fournies par les requérants. Il soutenait, notamment, que la Cour devait écarter certaines d'entre elles, communiquées trop tard selon lui. Elle a néanmoins décidé, par la suite, de les accepter: les unes figuraient déjà au dossier de la Commission, de sorte qu'elle y avait accès; les autres concernent l'application de l'article 50 (art. 50) de la Convention, question réservée par le présent arrêt.

EN FAIT

I. Les circonstances de l'espèce

A. Introduction

8. Pine Valley et Healy Holdings avaient pour activités principales l'achat et la mise en valeur de terrains. La première, filiale à 100 % de la seconde, a été rayée du registre du commerce le 26 octobre 1990 et dissoute le 6 novembre, faute d'avoir produit des bilans annuels pendant plus de huit ans. Healy Holdings n'en a pas communiqué non plus depuis 1981; les 14 octobre et 29 novembre 1985, deux créanciers privilégiés lui ont désigné un syndic. Quant au troisième requérant, M. Daniel Healy, administrateur délégué et unique actionnaire effectif (beneficial shareholder) de Healy Holdings, une ordonnance judiciaire anglaise du 19 juillet 1990 l'a déclaré failli.

9. Le 15 novembre 1978, Pine Valley s'était engagée à acquérir un bien-fonds de 21,5 acres à Clondalkin, dans le comté de Dublin, pour 550 000 livres irlandaises (IR £). Elle s'appuyait sur un certificat préalable d'urbanisme (paragraphe 29 ci-dessous) délivré, le 10 mars 1977, pour la construction d'un entrepôt industriel et de bureaux sur le site. Consignée dans le registre d'urbanisme (official planning register, paragraphe 31 ci-dessous), l'autorisation émanait du ministre des Collectivités locales et s'adressait au propriétaire de l'époque, M. Patrick Thornton; celui-ci avait recouru contre la décision, adoptée le 26 avril 1976 par le service d'urbanisme (planning authority) du conseil de comté de Dublin, de ne pas lui décerner un certificat d'urbanisme à part entière, au motif, entre autres, que le terrain se trouvait dans une zone agricole destinée à préserver une ceinture verte.

10. Le 15 septembre 1980, le conseil de comté refusa le permis de construire (paragraphe 29 ci-dessous) que Pine Valley, se fiant au certificat préalable, avait sollicité le 16 juillet. Là-dessus, la société demanda une ordonnance conditionnelle de mandamus qui enjoignît au conseil de le lui délivrer; la High Court en prononça une le 8 décembre 1980, puis la rendit absolue le 27 mai 1981.

11. Le 17 juillet 1981, Pine Valley vendit le domaine à Healy Holdings pour 550 000 IR £.

B. La première affaire Pine Valley

12. Le conseil de comté de Dublin ayant attaqué l'ordonnance de la High Court, la Cour suprême annula, le 5 février 1982, l'octroi du certificat préalable d'urbanisme, pour excès de pouvoir: la disposition légale applicable, à savoir l'article 26 de la loi de 1963 sur l'urbanisme et l'aménagement du territoire dans les collectivités locales (Local Government (Planning and Development) Act), n'habilitait pas le ministre à prendre, à la suite d'un recours contre un refus des services d'urbanisme, une décision contraire, comme en l'espèce, au plan d'aménagement du territoire (paragraphe 9 ci-dessus).

13. En conséquence, le terrain ne put être mis en valeur et se déprécia fortement. En juin 1988, le syndic de Healy Holdings le vendit de gré à gré pour 50 000 IR £.

C. La loi de 1982 sur l'urbanisme et l'aménagement du territoire dans les collectivités locales

14. La loi de 1982 sur l'urbanisme et l'aménagement du territoire dans les collectivités locales ("la loi de 1982") fut promulguée afin d'homologuer les certificats et permis dont la validité pouvait se discuter après l'arrêt de la Cour suprême. Elle entra en vigueur le 28 juillet 1982.

15. Aux termes de son article 6:

"1. Un certificat ou permis accordé sur recours (...) avant le 15 mars 1977 n'est pas invalide, et ne doit pas être censé l'avoir jamais été, du seul fait que les aménagements en cause contrevenaient ou auraient contrevenu de manière appréciable au plan d'aménagement du territoire élaboré par le service d'urbanisme dont émanait la décision attaquée.

2. Si, sans le présent paragraphe, les dispositions du paragraphe 1, ou telles d'entre elles, allaient à l'encontre d'un droit garanti à quelqu'un par la Constitution, elles ne joueraient que sous réserve des restrictions nécessaires pour éviter un tel conflit mais sortiraient, pour le surplus, leur plein et entier effet."

La date du 15 mars 1977 était celle de la création de la commission de l'aménagement du territoire (An Bord Pleanála), que la loi de 1976 sur l'urbanisme et l'aménagement du territoire dans les collectivités locales avait investie des fonctions d'organe de recours confiées auparavant au ministre des Collectivités locales.

16. En son article 2, la loi de 1982 régissait aussi la durée de validité de certains permis. Par exemple, un certificat préalable octroyé le 10 mars 1977, comme en l'espèce, expirait le 10 mars 1984. D'après l'article 4, les services d'urbanisme pouvaient toutefois proroger le délai à condition, entre autres, que des travaux importants eussent déjà été exécutés avant son échéance.

17. Pendant le débat du Seanad Éireann (Sénat d'Irlande) sur la loi de 1982, le ministre d'Etat à l'environnement s'entendit poser la question suivante:

"Sauf erreur, la Cour suprême a déclaré nuls certains certificats d'urbanisme. Je reconnais la nécessité d'une réforme, mais à qui incombera-t-il de dire, au titre du paragraphe 2, s'il y a risque d'atteinte aux droits conférés à un individu par la Constitution? Faudra-t-il saisir à nouveau la Cour suprême? Qu'en est-il? Le ministre pourrait-il nous préciser ses intentions?"

Il répondit ainsi:

"Ce point se trancherait en justice. Le rédacteur parlementaire a inséré le paragraphe 2, avec l'accord de l'Attorney General, afin de sauvegarder les droits des parties à tout procès en instance et de faire en sorte que nul tribunal ne perde sa compétence pour statuer sur une question soulevée devant lui. Ce paragraphe vise aussi à régler le cas d'une atteinte inconstitutionnelle à un droit de propriété." (Compte rendu officiel des débats du 22 juillet 1982 au Sénat d'Irlande, colonnes 1411 à 1435)

18. Le 4 août 1982, Pine Valley demanda au conseil de comté de Dublin le permis de construire (paragraphe 29 ci-dessous) en se fondant sur le certificat préalable délivré en 1977; elle ne mentionnait pas la loi de 1982. Elle essuya un refus le 10 décembre, au motif que dans la première affaire Pine Valley la Cour suprême avait constaté l'invalidité dudit certificat et pour quatre autres raisons d'ordre technique. Elle n'attaqua pas cette décision devant la commission de l'aménagement du territoire, ni sur un autre terrain juridique: selon les requérants, un recours n'eût servi de rien car la commission ne devait s'occuper que des impératifs de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire (paragraphe 30 ci-dessous) et ne pouvait donner une interprétation authentique de l'article 6 de la loi de 1982.

19. Quelques mois après le refus du conseil, les requérants mirent en branle la seconde affaire Pine Valley (paragraphes 20-27 ci-dessous). Alors qu'elle se trouvait pendante, deux démarches furent entreprises en leur nom.

D'abord, le 27 avril 1983, leur architecte écrivit à la commission d'aménagement du territoire; affirmant que Pine Valley ne pouvait bénéficier de l'article 6 par. 1 de la loi de 1982, il sollicitait un réexamen de la situation "injuste" de ses clients. La commission répondit, le 2 mai, qu'elle regrettait de ne pouvoir y remédier.

En second lieu, par une lettre du 7 septembre 1984 les solicitors des requérants invitèrent la commission à se prononcer sur le recours dont le ministre des Collectivités locales avait connu à l'origine, en mars 1977 (paragraphe 9 ci-dessus), selon des modalités déclarées non valides par la suite. Elle répondit, le 23 novembre, qu'il n'appelait plus une décision de sa part. Les solicitors l'ayant priée d'en préciser les raisons, elle répondit sans plus, le 8 janvier 1985, que l'avis juridique recueilli par elle était confidentiel et qu'elle devait se borner à indiquer sa position.

D. La seconde affaire Pine Valley

1. Le jugement de la High Court

20. Le 11 mars 1983, Pine Valley intenta contre le ministre de l'Environnement, en sa qualité de successeur du ministre des Collectivités locales, une action - à laquelle Healy Holdings et M. Healy se joignirent le 25 janvier 1985 - en dommages-intérêts pour manquement à des obligations légales, représentation erronée et négligente des faits et négligence. Ultérieurement, les demandeurs modifièrent leurs conclusions de manière à réclamer à l'Etat une indemnité pour atteinte à leurs droits de propriété, garantis par la Constitution.

Avec le consentement des parties, la High Court décida le 28 janvier 1985 qu'il y avait lieu de débattre d'abord du point de savoir si les demandeurs avaient un motif d'action et qu'il lui faudrait se prononcer à cet égard sur les questions de droit suivantes:

a) les demandeurs disposaient-ils contre le ministre de l'Environnement, à raison de l'octroi à M. Thornton d'un certificat préalable d'urbanisme fondé sur un avis juridique, d'une action en dommages-intérêts pour - manquement à ses obligations légales; - négligence; et/ou - représentation erronée et négligente des faits?

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