Jurisprudence : CEDH, 23-10-1990, Req. 22/1989/182/240, Moreira de Azevedo

CEDH, 23-10-1990, Req. 22/1989/182/240, Moreira de Azevedo

A6339AWP

Référence

CEDH, 23-10-1990, Req. 22/1989/182/240, Moreira de Azevedo. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1027896-cedh-23101990-req-221989182240-moreira-de-azevedo
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Cour européenne des droits de l'homme

23 octobre 1990

Requête n°22/1989/182/240

Moreira de Azevedo



En l'affaire Moreira de Azevedo*,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement**, en une chambre composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Ryssdal, président,
J. Cremona J. Pinheiro Farinha,
A. Spielmann,
J. De Meyer,
S.K. Martens, Mme E. Palm,

ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 25 mai et 26 septembre 1990,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:


Notes du greffier

* L'affaire porte le n° 22/1989/182/240. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

** Les amendements au règlement entrés en vigueur le 1er avril 1989 s'appliquent en l'espèce.

PROCEDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 12 octobre 1989, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 11296/84) dirigée contre la République du Portugal et dont un ressortissant de cet Etat, M. Manuel Moreira de Azevedo, avait saisi la Commission le 16 novembre 1984 en vertu de l'article 25 (art. 25).

2. La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration portugaise reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).

3. En réponse à l'invitation prescrite à l'article 33 par. 3 d) du règlement, le requérant a manifesté le désir de participer à l'instance et a désigné ses conseils (article 30).

4. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. J. Pinheiro Farinha, juge élu de nationalité portugaise (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 25 novembre 1989, celui-ci en a désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir M. J. Cremona, M. A. Spielmann, M. J. De Meyer, M. S.K. Martens et Mme E. Palm, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43).

5. Ayant assumé la présidence de la Chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire du greffier l'agent du gouvernement portugais ("le Gouvernement"), le délégué de la Commission et un représentant du requérant au sujet de la nécessité d'une procédure écrite (article 37 par. 1). Conformément à l'ordonnance ainsi rendue le 9 janvier 1990, le greffier a reçu le mémoire du requérant le 12 mars et celui du Gouvernement le 16. Le 27, le secrétaire de la Commission l'a informé que le délégué s'exprimerait pendant la procédure orale.

6. Le 16 janvier 1990, le président avait fixé au 23 mai la date d'ouverture de celle-ci après avoir recueilli l'opinion des comparants par les soins du greffier (article 38); il avait en outre autorisé les conseils du requérant à plaider en portugais (article 27 paras. 2 et 3).

7. Le 2 mars, la Commission a fourni au greffier plusieurs documents qu'il lui avait demandés sur les instructions du président.

8. Les prétentions du requérant au titre de l'article 50 (art. 50) de la Convention sont parvenues au greffe le 11 mai.

9. Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

M. I. Cabral Barreto, Procureur général adjoint de la République,
agent, M. A. Maduro, juge à la Cour des comptes, Mme A. Miranda Rodrigues, professeur de droit à l'Université catholique de Porto, conseils;

- pour la Commission

M. A. Weitzel,
délégué;

- pour le requérant

Me J. Loureiro, avocat, Me M. Malvar, avocat,
conseils.

La Cour a entendu en leurs plaidoiries et déclarations, ainsi qu'en leurs réponses à ses questions et à celles de trois de ses membres, M. Cabral Barreto, M. Maduro et Mme Miranda Rodrigues pour le Gouvernement, M. Weitzel pour la Commission et Me Loureiro pour le requérant. Les représentants respectifs du Gouvernement et du requérant ont produit certaines pièces à l'occasion de l'audience.

10. Le 28 mai, le greffier a reçu de l'agent du Gouvernement un message télécopié relatif à la question de l'application de l'article 50 (art. 50).

EN FAIT

I. Les circonstances de l'espèce

11. Citoyen portugais domicilié à Vila Nova de Famalicão, M. Manuel Moreira de Azevedo est chauffeur d'autobus.

12. Le 23 janvier 1977, l'un de ses beaux-frères, M. Bernardo Gonçalves de Sousa, le blessa à la tête d'un coup de feu à la suite d'une altercation familiale. Conduite d'urgence à l'hôpital São João de Porto, la victime y resta jusqu'au 2 février 1977.

13. Le jour même, la police arrêta le suspect et porta les faits à la connaissance du procureur de la République, lequel invita le juge d'instruction près le tribunal de première instance de Vila Nova de Famalicão à procéder à un interrogatoire.

A. La procédure d'instruction

1. L'enquête préliminaire (inquérito preliminar - 23 janvier 1977-21 mai 1980)

14. Faute d'indices suffisants pour conclure à l'existence d'une tentative d'homicide volontaire, le juge d'instruction ordonna, le 24 janvier 1977, la libération provisoire de M. Gonçalves de Sousa, moyennant le versement d'une caution de 10 000 escudos. Il décida en outre de transmettre le dossier au ministère public pour la poursuite de l'enquête.

15. Le 17 février, un médecin légiste examina le requérant et sollicita la communication du rapport établi par l'hôpital de São João de Porto.

16. Le rapport lui ayant été fourni le 21 mars, le ministère public fixa au 28 la date du contrôle médical. A cette dernière date, le médecin légiste estima que les lésions résultant de l'agression avaient causé à M. Moreira de Azevedo une incapacité de travail de 90 jours. Le 28 avril, il considéra que ce dernier avait encore besoin de 30 jours de congé. Le 26 mai il constata la guérison, mais prescrivit d'autres examens spécialisés.

17. Le 2 juin 1977, le requérant déclara intervenir en qualité d'auxiliaire (assistente) du ministère public dans la procédure d'instruction préparatoire. Le magistrat instructeur accueillit sa demande le 18.

18. Les 18 octobre et 7 novembre, un oto-rhino-laryngologiste et un ophtalmologue examinèrent l'intéressé.

19. Sur la recommandation du second eut lieu, le 24 octobre 1978, un examen neurologique. Suivirent, le 11 juin 1979, un électro-encéphalogramme et, le 23 août, un nouveau contrôle médical ordonné par le ministère public.

20. Le 3 octobre 1979, ce dernier décida, à la demande du médecin légiste, une deuxième analyse neurologique.

21. La faculté de médecine de Porto l'ayant informé qu'elle ne pourrait examiner le patient avant 1981, le ministère public confia cette tâche au médecin légiste; il l'invitait en particulier à se prononcer sur "l'intention de donner la mort" qu'aurait eue M. Gonçalves de Sousa.

22. Dans un rapport du 8 mai 1980, le praticien conclut que M. Moreira de Azevedo était guéri, que la période d'incapacité de travail correspondait à celle déjà retenue et qu'il y avait bien eu intention homicide.

23. Au vu du rapport, le ministère public transmit le dossier au juge le 21 mai 1980 en le priant d'ouvrir l'instruction préparatoire.

2. L'instruction préparatoire (instrução preparatória - 26 mai 1980-5 juillet 1984)

24. Le 26 mai 1980, le juge demanda au Conseil de médecine légale (Conselho médico-legal) d'étudier les divers rapports médicaux (article 200 du code de procédure pénale), mais en vain.

Transféré au tribunal d'instruction criminelle (tribunal de instrução criminal) de Santo Tirso, le dossier fut enregistré au greffe le 1er juillet 1982.

25. Le 8 mars 1982, le requérant écrivit au juge de Vila Nova de Famalicão pour réclamer un nouvel examen par le médecin légiste et dénoncer la durée de la procédure.

26. Le 6 juillet 1982, le juge du tribunal d'instruction criminelle de Santo Tirso sollicita l'avis du ministère public sur l'applicabilité d'une loi d'amnistie.

27. Dans une missive du 13 octobre 1982, M. Moreira de Azevedo se plaignit de ce que sa lettre du 8 mars (paragraphe 25 ci-dessus) ne figurait pas au dossier; il réitérait sa démarche.

28. Le 19 octobre 1982, le juge du tribunal d'instruction criminelle de Santo Tirso enjoignit à son tour au Conseil de médecine légale d'étudier les rapports médicaux et, le 4 novembre, demanda au médecin légiste des précisions sur son rapport du 8 mai 1980.

29. Le 19 novembre 1982, ce dernier préconisa un nouvel examen neurologique, que le juge ordonna le 23.

30. Entre-temps, par une lettre du 13 novembre 1982 parvenue au tribunal d'instruction criminelle le 2 février 1983, le Conseil de médecine légale avait exprimé le souhait que le médecin légiste spécifiât le nombre de jours d'incapacité de travail et la nature des séquelles de l'agression. Le 23 février 1983, le praticien décrivit les lésions et indiqua que le requérant avait subi une incapacité de travail de 120 jours et souffrait toujours d'une infirmité: perte d'une partie de la boîte crânienne et surdité de l'oreille gauche.

31. Un neurologue examina M. Moreira de Azevedo le 8 mars 1983 et envoya son rapport au juge le 5 juillet.

32. Le 21 mars 1984, le magistrat réclama au médecin légiste son rapport. Reçu le 5 avril 1984, le document fut adressé au Conseil de médecine légale le même jour.

33. Cet organisme en approuva les conclusions le 26 avril 1984, en ajoutant que l'agression avait provoqué une infirmité et une incapacité totale.

34. Le 14 mai 1984, le juge fixa au 24 l'interrogatoire du requérant et de l'inculpé. Le premier fut effectivement entendu à cette date mais le second, souffrant, ne comparut pas.

35. Le 25 mai, le plaignant demanda l'audition de cinq témoins.

36. Le 28, le juge décida que l'inculpé serait interrogé le 7 juin 1984. Ce dernier s'étant absenté pour une durée indéterminée, l'huissier de justice ne put toutefois lui signifier l'ordonnance.

37. Le 5 juin 1984, M. Moreira de Azevedo présenta un rapport des services publics de la santé, daté du 15 avril 1981 et établi à la suite d'une expertise médicale; le document concluait à l'existence d'une incapacité de 64 %.

38. Le 6 juin 1984, le juge décerna un mandat d'amener à l'encontre de l'inculpé et, le 14, ouït les témoins indiqués par le requérant.

39. Le 1er juillet 1984, l'officier de police compétent l'informa que M. Gonçalves de Sousa avait disparu.

40. Le 5 juillet 1984, le juge clôtura l'instruction préparatoire et transmit le dossier au ministère public. Le 10 juillet, ce dernier demanda l'ouverture de l'instruction contradictoire et formula ses réquisitions (acusação). Il réclama l'arrestation de l'inculpé, car des poursuites pour tentative d'homicide volontaire ne permettaient pas une mesure de liberté provisoire.

3. L'instruction contradictoire (instrução contraditória - 16 juillet 1984-27 juillet 1984)

41. Le 16 juillet 1984, le juge déclara ouverte l'instruction contradictoire et ordonna l'arrestation de l'inculpé, mais celui-ci demeura introuvable.

42. Le 27 juillet, il clôtura l'instruction et transmit le dossier au ministère public, qui prit ses réquisitions le 8 octobre 1984.

43. Renvoyé en jugement le 16 novembre 1984, l'inculpé fut, le 26, arrêté puis placé en détention provisoire.

44. Le 12 décembre, le tribunal fixa au 5 février 1985 la date de l'audience.

45. Le 21 décembre, le requérant sollicita l'interrogatoire de deux témoins.

B. La procédure de jugement

1. Le procès en première instance

46. Le 5 février 1985, au début de l'audience, le conseil du requérant demanda oralement au tribunal de première instance de Vila Nova de Famalicão, en vertu de l'article 34 par. 3 du code de procédure pénale, de renvoyer à la procédure ultérieure d'exécution du jugement ("liquidação em execução de sentença") la fixation éventuelle du taux de l'indemnité.

47. Le 18 février 1985, le tribunal relaxa le prévenu du chef de tentative d'homicide, mais le condamna pour coups et blessures à quatorze mois d'emprisonnement et au versement à la victime de dommages-intérêts, d'un montant à déterminer lors de la procédure d'exécution du jugement.

48. Le requérant et le condamné interjetèrent appel.

2. L'arrêt de la cour d'appel de Porto, du 30 octobre 1985

49. Le 30 octobre 1985, la cour d'appel (tribunal de relação) de Porto accueillit le recours de M. Gonçalves de Sousa tout en déclarant l'action pénale éteinte par prescription (cinq ans).

3. L'arrêt de la Cour suprême, du 7 mai 1986

50. M. Moreira de Azevedo saisit alors la Cour suprême (Supremo Tribunal de Justiça) qui, le 7 mai 1986, confirma l'arrêt attaqué. La lettre de notification fut envoyée le lendemain au requérant, qui fut censé l'avoir reçue le troisième jour après l'envoi (article 1 par. 3 du décret-loi n° 121/76).

II. Le droit interne pertinent

A. L'exercice de l'action pénale

51. Au Portugal, l'exercice de l'action pénale relève en principe du ministère public. Aux termes de l'article 1er du décret-loi n° 35007 du 13 octobre 1945, "L'action pénale est publique; son exercice appartient au ministère public avec les restrictions prévues aux articles suivants". Ces restrictions concernent les cas où des autorités policières ou administratives ou d'autres organes de l'Etat peuvent intenter l'action pénale, mais elles ne valent en général que pour de simples contraventions. Le décret-loi n° 605/75 du 3 novembre 1975 indique également, dans son article 1er, que "sauf dans les cas prévus par la loi, la procédure est diligentée par le ministère public qui, selon les cas, ouvre l'enquête préliminaire ou transmet le dossier au juge d'instruction".

52. Dans certaines hypothèses, des personnes privées peuvent participer à la procédure pénale en qualité d'assistentes. Le décret-loi n° 35007 dispose en son article 4:

"Peuvent intervenir dans la procédure comme assistentes:

1° Ceux sans l'accusation ou la plainte de qui le ministère public ne peut exercer l'action pénale;

2° Les victimes, titulaires des intérêts que la loi pénale a spécialement voulu protéger par l'incrimination;

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