Cour de Cassation
Chambre commerciale
Audience publique du 10 Juillet 1989
Rejet .
N° de pourvoi 88-11.977
Président M. Baudoin
Demandeur Consorts Z
Défendeur ministre de l'Économie et autre
Rapporteur M. Y
Avocat général M. Montanier
Avocats MM. X, X .
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Attendu, selon le jugement déféré (tribunal de grande instance de Brest, 6 janvier 1988), que M. Z exploitait un commerce en son nom personnel, et qu'en 1981 et 1982, il a placé sur son compte bancaire des sommes provenant de la trésorerie de son exploitation ; qu'en 1982, il a déclaré ces sommes au titre de l'impôt sur les grandes fortunes comme constituant des biens non professionnels, mais a déduit, au titre des dettes, le montant arbitré par lui de l'impôt sur le revenu dû sur les sommes en cause qu'il considérait comme une appréhension anticipée de bénéfices ; que l'administration des Impôts n'a pas admis cette déduction et a mis en recouvrement le supplément d'imposition estimé dû ; qu'en 1983, M. Z a encore déclaré le montant des sommes prises sur la trésorerie du commerce comme biens non professionnels et a déduit une somme d'égal montant comme correspondant à une dette afférente à une avance sur les bénéfices à déterminer à la fin de l'exercice comptable ; que l'administration des Impôts a également refusé cette déduction et a rappelé l'impôt estimé dû ; que M. Z a contesté les décisions administratives devant le Tribunal et qu'après son décès, Mme Z, en son nom personnel et en qualité d'administrateur légal de ses enfants mineurs (les consorts Z), a repris l'instance ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches
Attendu que les consorts Z font grief au jugement d'avoir rejeté leur opposition aux avis de mise en recouvrement pour les motifs reproduits en annexe, alors, selon le pourvoi, que, d'une part, suivant l'article 885-N du Code général des impôts, les biens nécessaires à l'exercice par le contribuable de sa profession commerciale sont considérés comme des biens professionnels n'entrant pas dans le champ d'application de l'impôt sur les grandes fortunes ; que les liquidités de trésorerie retirées au cours d'un exercice social par l'exploitant en nom propre d'un commerce, en vue de placements temporaires, constituent une créance de l'entreprise sur le patrimoine du contribuable tant que lesdits retraits ne sont pas considérés par l'exploitant comme définitivement entrés dans son patrimoine personnel lors de la régularisation du bilan de son entreprise au 31 mars de chaque année ; qu'en décidant le contraire, le Tribunal a violé le texte précité ; et alors que, d'autre part, il appartient à l'Administration d'apporter la preuve que les avoirs de l'assujetti entraient dans l'assiette de l'impôt sur les grandes fortunes au sens de l'article 885-E du Code général des impôts ; qu'en ne précisant pas en quoi les liquidités provisoirement retirées du compte de son entreprise jusqu'à régularisation du bilan de l'exercice annuel établi au 31 mars seraient avant cette date détachables de l'exercice par le contribuable de son activité professionnelle, le Tribunal a inversé la charge de la preuve incombant à l'Administration qui avait contesté la qualification de biens professionnels desdites sommes pour les seuls besoins de l'établissement de la base de l'impôt sur les grandes fortunes au 1er janvier précédent, sans égard pour les conditions réelles d'exercice de l'activité commerciale du contribuable ; qu'en statuant comme il l'a fait, le Tribunal a méconnu la charge de la preuve au regard de l'article 885-N du Code général des impôts ;
Mais attendu que les liquidités provenant de l'exploitation d'un commerce à titre personnel ne perdent pas le caractère de biens professionnels, au sens de l'article 885-N du Code général des impôts, lorsqu'elles sont placées en cours d'exercice, dès lors qu'elles doivent être regardées comme restant utilisées pour les besoins de l'exploitation ; que, cependant, lorsque ces liquidités sont considérées par le contribuable comme ayant été appréhendées en vue d'un placement à caractère privé, il ne peut être admis qu'il existe une créance et une dette réciproques au sein du patrimoine unique de l'exploitant, le régime des biens professionnels en matière d'impôt sur les grandes fortunes n'impliquant pas une telle dérogation aux règles du droit civil ; que, par ces motifs de pur droit substitués à ceux énoncés par le Tribunal, se trouve justifié du chef critiqué le jugement qui a relevé que M. Z avait déclaré le montant des sommes litigieuses comme constituant un bien à caractère privé ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en sa première branche et se trouve inopérant en sa seconde ;
Sur le second moyen
Attendu que les consorts Z font grief au jugement d'avoir, pour statuer ainsi qu'il a fait, décidé, pour les motifs reproduits en annexe, que M. Z n'était pas autorisé à déduire le montant de l'impôt sur le revenu qu'il avait calculé, pour la période du 1er avril au 31 décembre, sur le montant des liquidités placées par lui, alors, selon le pourvoi, que l'assiette de l'impôt sur les grandes fortunes est constituée par la valeur nette, au 1er janvier de l'année, de l'ensemble des biens imposables appartenant aux personnes visées à l'article 885-A, selon les mêmes règles et sous les mêmes sanctions que les droits de mutations par décès, suivant l'article 885-D ; qu'il suit de là que la charge d'impôt sur le revenu afférente aux liquidités réintégrées dans l'assiette de l'impôt sur les grandes fortunes est immédiatement déductible à titre de passif ; qu'en décidant le contraire, les juges ont violé les textes précités ;
Mais attendu que, selon les termes du litige, tel que délimité par les prétentions de M. Z, le jugement a retenu exactement qu'en vertu de l'article 38-2, du Code général des impôts, ce n'est que le dernier jour de l'exercice comptable et fiscal que le bénéfice réalisé peut être déterminé pour servir de base à l'impôt sur le revenu ; qu'après avoir relevé que l'exercice comptable choisi par M. Z courait du 1er avril au 31 mars, le Tribunal en a déduit à bon droit que les sommes placées entre, d'un côté, le 1er avril et le 31 décembre 1981, et, d'un autre côté, le 1er avril et le 31 décembre 1982, ne pouvaient donner lieu à aucune déduction d'impôt sur le revenu au titre de l'impôt sur les grandes fortunes respectivement pour les années 1982 et 1983 ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi