Cour de Cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 7 Mai 1987
Rejet
N° de pourvoi 87-80.822
Président M. Ledoux
Demandeur ... Régis et autres
Rapporteur M. ...
Avocat général M. Clerget
Avocat la SCP Waquet
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
REJET des pourvois formés par ... Régis, ... Claude, ... Nicolas, contre un arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris, en date du 29 janvier 1987, qui a constaté que les faits pour lesquels ils ont été renvoyés devant la cour d'assises de Paris, par arrêt du 16 mai 1986, entrent dans le champ d'application de l'article 706-16 du Code de procédure pénale et que le premier alinéa de l'article 706-25 dudit Code doit recevoir application
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire personnel régulièrement produit par Régis ... ;
Vu le mémoire produit commun aux deux autres demandeurs ;
Sur le premier moyen de cassation proposé au nom de Claude ... et de Nicolas Halfen (sans intérêt) ;
Sur le moyen unique de cassation proposé par Schleicher et pris de la violation de la Constitution, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du Pacte de New York, de la Déclaration universelle des droits de l'homme, et des principes généraux du droit ;
Attendu que le demandeur soutient que la loi du 30 décembre 1986 qui prévoit en son article 2 que, lorsqu'un accusé est renvoyé devant la cour d'assises, la chambre d'accusation peut être à nouveau saisie afin de constater que les faits entrent dans le champ d'application de l'article 706-16 du Code de procédure pénale et que le premier alinéa de l'article 706-25 dudit Code doit recevoir application, c'est-à-dire que la cour d'assises doit être composée conformément aux dispositions de l'article 698-6 du même Code, serait contraire à la Constitution, aux conventions internationales, et aux principes généraux du droit, aux motifs qu'elle permettrait de revenir sur l'autorité de la chose jugée et porterait atteinte au principe de l'égalité des citoyens ;
Attendu que les dispositions critiquées sont de nature législative, que l'appréciation de la constitutionnalité d'une loi échappe à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire ;
Attendu que l'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'aux décisions sur le fond, que l'arrêt de la chambre d'accusation en ce qu'il prononce le renvoi des accusés devant la cour d'assises n'a pas ce caractère ;
Attendu que les dispositions susvisées de la loi du 30 décembre 1986 répondent, au regard du principe de l'égalité, aux exigences de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de même qu'à celles des articles 14 et 26 du Pacte de New York, 7 et 10 de la Déclaration universelle des droits de l'homme dès lors que l'attribution de compétence, qui en résulte, embrasse toutes les infractions entrant dans le champ d'application de l'article 706-16 du Code précité et tous les accusés tombant sous le coup de ce texte sans aucune distinction, et que les droits de la défense peuvent s'exercer sans discrimination ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation proposé au nom de Claude ... et de Nicolas ..., pris de la violation des articles 7 et 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, de l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, des articles 6 et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 4 du Code pénal, de l'article 706-16 du Code de procédure pénale, de l'article 10 de la loi du 9 septembre 1986, ensemble fausse application de l'article 706-25 du Code de procédure pénale
" en ce que l'arrêt attaqué a décidé que les faits pour lesquels Claude ... et Nicolas ... ont été poursuivis entraient dans le champ d'application de l'article 706-16 du Code de procédure pénale et que le premier alinéa de l'article 706-25 du Code de procédure pénale devait recevoir application pour la procédure concernant Claude ... et Nicolas ... ;
" alors, d'une part, que l'article 706-16 du Code de procédure pénale définit des infractions de nature criminelle, à savoir des actes terroristes à partir d'infractions déjà existantes mais en y ajoutant un dol spécial, soit la relation de ces infractions avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ; qu'en application de la règle fondamentale de la non-rétroactivité de la loi pénale, les faits commis en 1983, et qui sont reprochés aux accusés, ne peuvent recevoir cette qualification nouvelle ;
" alors, d'autre part -et en toutes hypothèses- que l'article 10 de la loi du 9 septembre 1986 dispose expressément que la loi nouvelle ne sera applicable qu'aux faits commis postérieurement à son entrée en vigueur ; que dès lors l'arrêt attaqué ne pouvait, sans violer ce texte, soumettre au régime prévu par la loi du 9 septembre 1986 des faits commis en 1983 ;
" et alors enfin que l'article 2 de la loi du 30 décembre 1986, qui ne modifie en rien la règle posée par l'article 10 de la loi du 9 septembre 1986, se borne à énoncer que " l'article 706-25 du Code de procédure pénale est applicable aux procédures en cours ", ce qui signifie que la cour d'assises composée selon les dispositions de l'article 698-6 du Code de procédure pénale peut connaître d'affaires en cours, mais ce qui ne lui permet pas pour autant, en raison de la prohibition absolue énoncée par l'article 10 précité, qui n'a pas été abrogé, même implicitement, de connaître de faits antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi du 9 septembre 1986 " ;
Sur le troisième moyen de cassation proposé au nom de Claude ... et de Nicolas ..., pris de la violation de l'article 706-16 du Code de procédure pénale, ensemble violation de l'article 593 du même Code, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale
" en ce que l'arrêt attaqué a décidé que les faits pour lesquels Claude ... et Nicolas ... ont été renvoyés devant la cour d'assises de Paris suivant arrêt du 16 mai 1986 entraient dans le champ d'application de l'article 706-16 du Code de procédure pénale ;
" alors que l'arrêt attaqué n'a pas caractérisé de façon certaine la relation qui existerait entre les faits reprochés aux accusés et une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ; que d'une part l'arrêt, qui se borne à relever que l'ensemble des comportements criminels visés par l'accusation est en relation évidente avec l'activité du groupement, dit Action Directe, n'a pas vérifié si, à l'époque des faits, en 1983, ce groupement constituait une entreprise collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur et qu'ainsi il est dépourvu de base légale ; que d'autre part ayant constaté que " la fusillade du 31 mai 1983 " ne constituait pas " une opération offensive préméditée ", l'arrêt attaqué ne pouvait, sans contradiction, y voir un acte terroriste qui suppose le but, déterminé à l'avance, de troubler l'ordre public par l'intimidation ou la terreur " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il appert des pièces de la procédure que Régis Schleicher, Claude Halfen, Mohand ... et Nicolas ... ont été renvoyés devant la cour d'assises de Paris par arrêt du 16 mai 1986, les trois premiers sous l'accusation de meurtres, tentatives de meurtres, vol avec port d'arme et tentative de vol avec port d'arme, le dernier sous l'accusation de complicité de meurtres et de tentatives de meurtres, vol avec port d'arme et tentative de vol avec port d'armes ; que la cour d'assises ayant, le 8 décembre 1986, ordonné le renvoi de l'affaire à une autre session le ministère public a saisi la chambre d'accusation par application de l'article 2 de la loi du 30 décembre 1986 ;
Attendu que pour écarter les conclusions reprises aux moyens et constater que les faits pour lesquels les susnommés ont été mis en accusation entrent dans le champ d'application des articles 706-16 et 706-25 du Code de procédure pénale, issus de la loi du 9 septembre 1986, les juges énoncent que le législateur n'a pas modifié les éléments constitutifs des infractions énumérées à l'article 706-16, qu'il n'a pas créé d'infractions nouvelles ni même de circonstance aggravante commune à l'ensemble de ces infractions, qu'il s'est borné à fixer des règles de compétence ;
Que les juges observent que la loi du 9 septembre 1986 est une loi de procédure et non une loi de fond ; que si l'article 10 restreignait l'application de ladite loi aux faits commis postérieurement à son entrée en vigueur, la loi du 30 décembre 1986 est intervenue pour déroger à ce texte et pour rendre les articles 706-16 et 706-25 du Code précité applicables aux procédures en cours ;
Que les juges soulignent que si l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales reconnaît à toute personne le droit à ce que sa cause soit entendue par un Tribunal indépendant et impartial établi par la loi, il n'y est aucunement affirmé que le Tribunal doive conserver une composition intangible ;
Que les juges relèvent que l'ensemble des comportements criminels visés par l'accusation serait en relation évidente avec l'activité du groupement " Action Directe ", entreprise collective dont la stratégie aurait pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation et la terreur ; qu'ils précisent, s'agissant de la fusillade du 31 mai 1983 revendiquée par ledit groupement et dont la juridiction de jugement aura à connaître, que des membres de l'organisation transportant sur la voie publique des sacs suspects auraient été l'objet d'une tentative d'interpellation par la police, qu'ils auraient réagi avec détermination et violence à la manière d'un commando, n'hésitant pas à tuer ou à agresser toute personne leur faisant obstacle, que le combat aurait été mené par les accusés et deux autres individus avec résolution et solidarité ;
Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations, exemptes d'insuffisance et de contradiction, la chambre d'accusation a fait l'exacte application de la loi et a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
Qu'en effet, d'une part, l'article 706-16 du Code de procédure pénale n'institue pas de nouvelles incriminations mais désigne les infractions qui, lorsqu'il est constaté qu'elles sont en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur, seront poursuivies, instruites et jugées selon les dispositions du titre quinzième du Code précité ;
Que, d'autre part, sauf dispositions contraires expresses, toute loi de procédure et de compétence est d'effet immédiat ; qu'ainsi, lorsque le législateur, après avoir restreint l'application d'une loi de procédure aux faits commis postérieurement à son entrée en vigueur, décide que certains articles seront applicables aux procédures en cours, ces articles s'appliquent aux faits commis avant la promulgation de ladite loi ;
D'où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois