Cour de Cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 18 Novembre 1986
Cassation et Cassation partielle
N° de pourvoi 85-93.308
Président M. Zambeaux, Conseiller le plus ancien faisant fonctions
Demandeur B, S, UFC
Rapporteur M. Z
Avocat général M. Robert
Avocat la Société civile professionnelle Lyon-Caen, Fabiani et Liard.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
CASSATION et CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par B, S, l'UF des C, (UFC) contre deux arrêts de la Cour d'appel de Paris, 11e Chambre, en date des 11 février 1983 et 20 mai 1985 qui ont, dans la procédure suivie contre eux du chef de diffamation publique envers particulier, le premier, déclaré irrecevable leur offre de preuve des faits diffamatoires, le second, les a condamnés B à 4 000 francs d'amende, S à 2 000 francs d'amende ainsi qu'à des réparations civiles et a déclaré l'UFC civilement responsable
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Attendu qu'il appert des arrêts attaqués et des pièces de procédure que de L de L, médecin, a fait citer directement, par exploit du 2 août 1982, B, en sa qualité de directeur de la publication du journal " Que choisir ", S, dessinateur, et l'UF des C (UFC), comme civilement responsable, pour diffamation en raison de la publication, dans le numéro 174, daté de juin 1982, du journal précité, d'un article intitulé " maigrir sur ordonnance ", sous-titré " 26 médecins testés " et de dessins illustrant ledit article ;
Que la poursuite reprochait aux prévenus d'avoir, dans ce texte, rapporté les résultats d'une enquête menée par trois personnes qui s'étaient présentées au plaignant, alors qu'elles n'en avaient aucun besoin, afin de se faire prescrire un traitement amaigrissant, avaient enregistré clandestinement les propos tenus par le médecin et avaient obtenu des ordonnances et prescriptions, le tout communiqué ensuite à la rédaction du journal ; que l'article incriminé comportait des appréciations, énoncées dans la citation, considérées par le demandeur comme diffamatoires ainsi que les dessins les accompagnant ;
Que, dans le délai prévu par l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881, les deux prévenus et le civilement responsable ont offert la preuve de la vérité des faits articulés dans la citation par le versement aux débats d'ordonnances délivrées par L de L aux trois personnes en cause, ainsi que de divers autres documents ou articles de presse et par l'audition de dix témoins dont les trois bénéficiaires des ordonnances et prescriptions précitées ; que la partie civile avait à son tour offert la preuve contraire ;
Que, par jugement avant dire droit du 4 novembre 1982, le Tribunal correctionnel a décidé que l'offre de preuve n'était pas recevable et, en conséquence, que la contre-preuve était sans objet ;
Que sur appel interjeté par les prévenus et le civilement responsable la Cour d'appel, par arrêt du 11 février 1983, a confirmé le jugement entrepris ;
Attendu qu'à la suite du débat au fond le tribunal correctionnel, suivant jugement du 15 décembre 1983, a relaxé les deux prévenus du chef de diffamation publique envers particuliers et a condamné B pour infraction à l'article 369 du Code pénal ;
Que, sur appels, tant du Ministère public que de toutes les parties, la Cour d'appel, par l'arrêt également attaqué du 20 mai 1985, infirmant le jugement entrepris, a relaxé B du chef d'atteinte à la vie privée mais l'a condamné pour diffamation publique envers particuliers à 4 000 francs d'amende ainsi que S à 2 000 francs d'amende prononçant des réparations civiles et déclarant l'UFC civilement responsable ;
En cet état
Sur le premier moyen de cassation dirigé contre l'arrêt du 11 février 1983 et pris de la violation des articles 35 et 55 de la loi du 29 juillet 1881, 378 du Code pénal, 427, 591 et 593 du Code de procédure pénale, violation des droits de la défense, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt avant dire droit du 11 février 1983 a déclaré irrecevable l'offre de preuve de la vérité des faits diffamatoires notifiée par B et S au plaignant de L de L ;
" aux motifs que la preuve de la vérité des faits offerte par les prévenus repose sur la production de documents et l'audition de témoins ayant été obtenue par des moyens déloyaux ; qu'en trompant le médecin sur l'objet réel de la consultation et en utilisant clandestinement un appareil d'enregistrement, dont les données étaient destinées à être divulguées, les enquêtrices ont trompé la confiance du praticien et porté atteinte au secret attaché à la profession médicale ; que de même, ne peuvent être admises comme moyen de preuve les ordonnances et feuilles de prescription obtenues par de tels procédés ; que pareillement, si les prévenus sollicitent outre l'audition desdites enquêtrices, celle de six autres témoins dont la loyauté ne peut être mise en doute et dont les dépositions seraient de nature à apporter d'utiles informations techniques, il s'avère que ces témoins ne pourraient être entendus que sur les faits précisés dans les huit points articulés à l'appui de l'offre de preuve qui ainsi qu'il vient d'être dit sont tous irrecevables en preuve ;
" alors que, si en vertu du principe fondamental de la loyauté dans la recherche de la preuve, doivent être nécessairement déclarées irrecevables les preuves obtenues par des procédés délictueux ou encore résultant de l'emploi par les autorités de police ou de justice de méthodes ayant pour objet d'éluder les garanties procédurales de la défense, il ne saurait en être de même du simple artifice utilisé par des particuliers, en l'espèce des enquêtrices d'une association de consommateurs, et consistant pour ces dernières à se faire passer auprès de médecins pour des patientes afin de pouvoir tester en toute objectivité et dans un but d'information du public la compétence et la conscience professionnelles desdits médecins ;
" que, d'une part, en effet, le secret professionnel n'impose d'obligation de discrétion qu'aux professionnels qui s'y trouvent assujettis en vertu des dispositions de l'article 378 du Code pénal et nullement aux bénéficiaires qui demeurent libres de divulguer comme bon leur semble des faits confidentiels les concernant ; que dès lors, l'utilisation par des patients, dans le cadre d'une procédure, d'informations médicales les concernant ne saurait en aucune manière constituer une atteinte au secret médical, rendant irrecevables pour avoir été obtenus de manière délictueuse les éléments de preuve tirés de ces informations et les ordonnances délivrées au cours des consultations médicales qu'ont eues lesdites patientes ;
" que, d'autre part, le stratagème ainsi utilisé étant insusceptible d'exercer la moindre contrainte sur les décisions prises par les praticiens testés tant en ce qui concerne la position du diagnostic que le libre choix des prescriptions médicales adéquates et ne les privant nullement de leur libre arbitre, ne pouvait davantage être considéré comme un procédé déloyal de recherche d'éléments de preuve ayant porté atteinte aux droits ou à la dignité desdits praticiens ;
" qu'enfin, l'enregistrement par les trois enquêtrices de l'UFC de la consultation que leur délivrait le Docteur X de L fait à l'insu de celui-ci, et dont la Cour a elle-même considéré dans son arrêt sur le fond du 20 mai 1985 qu'il ne constituait pas une atteinte à la vie privée prévue et punie par l'article 368 du Code pénal, ne pouvait là encore être considéré comme un procédé déloyal de recherche de la preuve d'autant que les enregistrements ainsi obtenus qui ne figuraient pas parmi les documents notifiés au titre de l'offre de preuve n'étaient nullement destinés à être diffusés mais simplement à permettre aux enquêtrices une meilleure mémorisation du contenu des consultations " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que, selon l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881 la vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée, sauf lorsque l'imputation concerne la vie privée de la personne ou lorsqu'elle se réfère à des faits qui remontent à plus de dix ans ou encore à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision ;
Que les imputations articulées à l'égard d'un médecin au sujet des diagnostics posés et des traitements prescrits ne sauraient concerner sa vie privée ;
Attendu que, pour déclarer irrecevables les offres de preuve de la vérité des faits diffamatoires articulés dans la citation les juges du fond énoncent que l'article incriminé est " entièrement fondé sur les résultats d'une enquête menée comme il y est dit en préface, par trois " cobayes " dûment sélectionnés qui se sont succédé dans le cabinet de 26 médecins pour enregistrer sur bandes les consultations qui leur étaient données ; l'enquête, est-il encore précisé, résulte d'un dépouillement méthodique des données recueillies sur les bandes d'enregistrement " ; qu'ils relèvent que l'auteur tire de cette enquête des appréciations sévères sur les pratiques de certains médecins consultés, notamment du plaignant, et observent que l'offre de preuve repose sur la production de documents et l'audition de témoins ; qu'ils énoncent que parmi les témoins dénoncés figurent les trois enquêtrices " qui en trompant le médecin sur l'objet réel de la consultation et en utilisant un appareil d'enregistrement dont les données étaient destinées à être divulguées ont trompé la confiance du praticien et attenté au secret attaché à la profession médicale " ; que les juges déduisent de ces énonciations que l'audition des enquêtrices ne saurait être admise non plus que la production des documents obtenus par elles ; qu'ils estiment qu'il n'y a pas davantage lieu d'ordonner l'audition des autres témoins proposés ni la production des autres documents puisque ceux-ci ne devaient s'expliquer ou porter que sur les procédés et prescriptions " dénoncés par des moyens déloyaux " ;
Mais attendu, d'une part, que la circonstance que des propos de caractère professionnel proférés par le médecin ont été enregistrés à son insu, en dehors de toute enquête judiciaire, ce qui, ainsi que le constate la Cour d'appel, ne caractérise aucune infraction pénale, et alors d'ailleurs que les bandes d'enregistrement ou leur transcription ne figurent pas parmi les documents offerts en preuve, n'est pas de nature à faire écarter l'audition des témoins auxquels lesdits propos ont été tenus ;
Que, d'autre part, le fait que " les enquêtrices " aient eu seulement en vue de s'informer sur l'activité des médecins visités, sans vouloir réellement se soumettre aux traitements prescrits, n'est pas de nature à discréditer par avance leur témoignage ni les documents obtenus dont il appartient aux juges du fond d'apprécier souverainement la valeur ;
Qu'enfin rien n'interdit à celui qui consulte un médecin de faire connaître à autrui le diagnostic qui a été posé par le praticien ainsi que le traitement préconisé ; qu'une telle révélation, pas plus que la communication ou publication des ordonnances ou prescriptions, ne saurait en l'espèce, constituer une atteinte au secret professionnel ;
D'où il suit qu'en statuant comme elle l'a fait la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; que la cassation ainsi encourue de l'arrêt avant dire droit du 11 février 1983 entraîne nécessairement celle de l'arrêt subséquent du 20 mai 1985 en ce qu'il a condamné pour diffamation publique envers particulier B et S ;
Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur les deuxième et troisième moyens proposés devenus sans objet
CASSE ET ANNULE en toutes ses dispositions l'arrêt de la Cour d'appel de Paris (11e chambre) du 11 février 1983 ;
Par voie de conséquence, CASSE ET ANNULE l'arrêt de la même Cour du 20 mai 1985 en ce qu'il a condamné B et S pour diffamation publique envers particuliers et a déclaré l'UF des C civilement responsable, toutes autres dispositions dudit arrêt étant expressément maintenues ;
Et, pour qu'il soit statué à nouveau, conformément à la loi, dans les limites des cassations prononcées
RENVOIE la cause et les parties devant la Cour d'appel d'Amiens