Cour de Cassation
Chambre mixte
Audience publique du 28 Février 1986
Cassation
N° de pourvoi 84-60.724
PPdt Mme ...
Demandeur Cie Multinationale Air Afrique
Défendeur Syndicat national des Pilotes de ligne Orly Sud, Meyrieux, Julie, X
Rapp M. ...
AvGén M. ...
Av demandeur Me ...
Av défendeur SCP Nicolas Masse-Dessen Georges
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, statuant en Chambre mixte, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par la Compagnie Multinationale Air Afrique, dont le siège est à Paris,
en cassation d'un jugement rendu le 12 septembre 1984 par le tribunal d'instance du 8ème arrondissement de Paris, au profit de
1°) Le Syndicat National des Pilotes de Ligne ORLY SUD n° 37, dont le siège est à Orly Sud 213, Orly Aérogare (Val-de-Marne);
2°) Monsieur Alain V,
3°) Monsieur Christian X,
4°) Monsieur Roland U,
ces trois derniers domiciliés au Syndicat National des Pilotes de Ligne ORLY SUD n° 37, Orly Aérogare 213 (Val-de-Marne),
défendeurs à la cassation
Madame Le Premier W a, par ordonnance du 31 décembre 1985, renvoyé l'examen du pourvoi devant une chambre mixte composée de la Première chambre civile, de la Chambre sociale et de la Chambre criminelle
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation, dont le second est ainsi conçu
"Le moyen fait grief au jugement attaqué d'avoir débouté la compagnie Air Afrique de sa contestation, d'avoir dit que la section syndicale du Syndicat National des Pilotes de Ligne de la succursale d'Air Afrique à Paris, composée de Messieurs V, X et U, est légalement constituée, d'avoir dit valable la désignation de Monsieur V en qualité de délégué syndical, et d'avoir condamné la compagnie Air Afrique à payer au Syndicat National des Pilotes de Lignes la somme de 1000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile ; aux motifs qu'il convient de rechercher si la loi du 28 octobre 1982 s'applique à la succursale d'Air Afrique en France, que l'ensemble des textes relatifs aux représentants du personnel sont des lois de police d'application territoriale, qu'ils s'imposent à toute personne physique ou morale exploitant une entreprise en France, même pour leurs salariés détachés à l'étranger, qu'ils sont aussi obligatoires pour les étrangers employant des salariés en France, que la succursale d'Air Afrique à Paris constitue une entreprise ;
alors, de première part, que si les textes français relatifs à la représentation syndicale dans les entreprises (articles L 412-1 et suivants du Code du travail), qui constituent des lois de police, ont vocation, en vertu de l'article 3 du Code civil qui énonce que "les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire", à s'appliquer à un établissement situé en France d'une société étrangère, les personnels navigants techniques de la compagnie Air Afrique - société étrangère dont le siège est à Abidjan, Côte d'Ivoire -, engagés en vertu de contrats régis par une loi étrangère, exercent leur activité dans des avions immatriculés en Côte d'Ivoire sous pavillon ivoirien et n'ont aucune fonction sur le territoire français, de sorte qu'a méconnu les dispositions de l'article 3 du Code civil le jugement attaqué qui a fait application à l'espèce des textes précités du Code du travail français pour autoriser le syndicat français, dit Syndicat National des Pilotes de Ligne, à désigner un délégué syndical et à constituer une section syndicale au sein de la compagnie Air Afrique, parmi les personnels navigants techniques de celle-ci ;
alors, de deuxième part, que, selon le droit français, des délégués syndicaux et des membres d'une section syndicale ne peuvent être désignés que pour un établissement dans lequel ils travaillent, de sorte qu'a méconnu les dispositions des articles L 412-1 et suivants du Code du travail le jugement attaqué qui a autorisé le syndicat français dit Syndicat National des Pilotes de Ligne à désigner, pour l'établissement situé en France de la compagnie multinationale aérienne Air Afrique, un délégué syndical et des membres d'une section syndicale pris parmi les personnels navigants techniques de la compagnie Air Afrique qui, engagés en vertu de contrats régis par une loi étrangère, exercent leur activité dans des avions immatriculés en Côte d'Ivoire sous pavillon ivoirien et n'ont aucune fonction sur le territoire français ; alors, de troisième part, que les lois de police étant d'application territoriale, le jugement attaqué ne pouvait admettre le syndicat français dit Syndicat National des Pilotes de Ligne à désigner, pour l'établissement situé en France de la compagnie multinationale aérienne Air Afrique, un délégué syndical et des membres d'une section syndicale pris parmi les personnels navigants techniques de la compagnie Air Afrique, sans, en méconnaissance des dispositions de l'article 455 du Nouveau Code de procédure civile, s'expliquer sur le moyen des écritures de la société exposante faisant valoir
1°) que les activités en France de l'établissement situé en territoire français de la compagnie Air Afrique sont purement commerciales, 2°) que, sa compétence étant exclusivement commerciale, le représentant général de la compagnie Air Afrique, directeur de l'établissement ouvert en France, n'a aucune autorité sur le personnel navigant qui est directement recruté et géré par le siège (situé à Abidjan, Côte d'Ivoire), 3°) que la convention d'établissement signée en France, entre la représentation générale de la compagnie Air Afrique et le personnel relevant de son autorité, spécifie d'ailleurs expressément qu'elle ne concerne que le personnel au sol, 4°) que les personnels navigants techniques de la compagnie Air Afrique, quelle que soit leur nationalité, leur race ou la base à partir de laquelle les nécessités d'exploitation les amènent à prendre service à bord des appareils, sont régis dans leurs rapports de droit avec la compagnie Air Afrique, société multinationale, dont le siège est à Abidjan (Côte d'Ivoire), par la loi ivoirienne qui est la loi du pavillon des avions, à bords desquels s'exécutent exclusivement leur contrat de travail ;
alors, de quatrième part, que le jugement attaqué ne pouvait admettre le syndicat français dit Syndicat National des Pilotes de Ligne à désigner, pour l'établissement situé en France de la compagnie multinationale aérienne Air Afrique, un délégué syndical et des membres d'une section syndicale pris parmi les personnels navigants techniques de la compagnie Air Afrique sans, en méconnaissance des dispositions de l'article 455 du Nouveau Code de procédure civile, s'expliquer sur le moyen des écritures de la société exposante qui, citant l'arrêt du 7 juillet 1983 de la Cour d'appel de Paris, faisait valoir "que le Syndicat National des Pilotes de Ligne n'est pas recevable à s'immiscer dans les rapports de droit entre une société étrangère de droit étranger, ayant son siège à l'étranger, et un de ses employés, fût-il français, d'autant que le contrat qui les lie, conclu à l'étranger, reçoit son exécution également à l'étranger sous le régime de la loi ivoirienne", après avoir relevé que "le Code du travail de la République de Côte d'Ivoire reconnaît et garantit le libre exercice du droit syndical, encore faut-il que les syndicats soient légalement constitués, conformément à ses dispositions () Il appartient au personnel navigant de la Compagnie, de toute origine, de rédiger et de déposer les statuts de tout syndicat qu'il désire former, en se conformant à la loi et à la réglementation sociale applicable en République de Côte d'Ivoire, s'il entend disposer d'une assistance syndicale valable, dans ses discussions avec la Compagnie dont le siège est à Paris n'a aucune compétence vis-à-vis du personnel navigant" ;
Et alors, de cinquième part, que les textes français relatifs à la représentation syndicale dans l'entreprise (article L 412-1 et suivants de Code du travail) constituant des lois de police d'application territoriale, le jugement attaqué en a méconnu la portée en énonçant, sans distinguer quant à la durée et les conditions du détachement, qu'"ils s'imposent à toute personne physique ou moral exploitant une entreprise en France, même pour leurs salariés détachés à l'étranger", alors qu'en fait aucun personnel navigant technique d'Air Afrique n'est dans la situation de salarié détaché à l'étranger puisqu'il y est directement recruté et géré" ;
Sur le second moyen
Vu l'article L 412-14 du Code du travail ;
Attendu que, selon ce texte, les délégués syndicaux ne peuvent être désignés que dans l'établissement où ils travaillent ;
Attendu que pour rejeter la contestation par la compagnie Air Afrique de la désignation, faite en 1984, par le Syndicat National des Pilotes de Ligne, d'Alain V comme délégué syndical dans sa succursale de Paris, le Tribunal d'instance s'est borné à rappeler que les textes du Code du travail français relatifs à la représentation du personnel sont des lois de police d'application territoriale et s'imposaient donc à Air Afrique pour sa succursale de Paris ;
Attendu, cependant, que le personnel navigant technique exerçait exclusivement son activité sur des appareils ayant la nationalité ivoirienne en vertu de la Convention de Chicago du 7 décembre 1944, ce dont il résultait que ces navigants n'appartenaient pas au personnel de la succursale parisienne d'Air Afrique ;
Que, dès lors, le tribunal a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi
CASSE et ANNULE le jugement rendu le 12 septembre 1984, entre les parties, par le Tribunal d'instance du 8ème arrondissement de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal d'instance du 16ème arrondissement de Paris, à ce désigné par délibération spéciale prise en la chambre du Conseil ;