Cour de justice des Communautés européennes17 octobre 1989
Affaire n°C-97/87
Dow Chemical Ibérica, SA, et autres
c/
Commission des Communautés européennes
Recueil de Jurisprudence 1989 page 3165
Edition spéciale suédoise 1989 page 0165
Edition spéciale finnoise 1989 page 0165
1. Droit communautaire - Principes - Droits de la défense - Respect dans le cadre des procédures administratives -
(Règlement du Conseil n° 17, art. 14)
2. Droit communautaire - Principes - Droits fondamentaux - Droit des personnes physiques à l'inviolabilité du domicile - Inapplicabilité aux entreprises - Protection contre les interventions arbitraires ou disproportionnées de la puissance publique
(Règlement du Conseil n° 17, art. 14)
3. Concurrence - Procédure administrative - Pouvoirs de vérification de la Commission - Portée - Accès aux locaux des entreprises - Limites - Indication de l'objet et du but de la vérification
(Règlement du Conseil n° 17, art. 14)
4. Concurrence - Procédure administrative - Pouvoirs de vérification de la Commission - Limites - Situations nécessitant l'assistance des autorités nationales
(Règlement du Conseil n° 17, art. 14)
5. Concurrence - Procédure administrative - Pouvoirs de vérification de la Commission - Assistance des autorités nationales - Définition des modalités procédurales par le droit national - Contrôle des instances nationales - Limites
(Règlement du Conseil n° 17, art. 14, § 6)
6. Actes des institutions - Décision - Validité - Appréciation indépendamment d'éventuelles irrégularités dans l'exécution
7. Actes des institutions - Validité - Appréciation en fonction du seul droit communautaire
8. Actes des institutions - Motivation - Obligation - Portée - Décision ordonnant une vérification en application de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17
(Règlement du Conseil n° 17, art. 14, § 3)
9. Concurrence - Procédure administrative - Décision ordonnant une vérification - Adoption sur habilitation - Légalité
(Traité de fusion, art. 17; règlement du Conseil n° 17, art. 14, § 3)
10. Adhésion de nouveaux États membres aux Communautés - Espagne - Concurrence - Absence de dérogation - Applicabilité immédiate de la réglementation communautaire - Limitation de la compétence d'investigation de la Commission aux comportements postérieurs à l'adhésion - Absence
(Acte d'adhésion de l'Espagne, art. 2, § 2; règlement du Conseil n° 17)
1. Le respect des droits de la défense, en tant que principe de caractère fondamental, doit être assuré non seulement dans les procédures administratives susceptibles d'aboutir à des sanctions, mais également dans le cadre de procédures d'enquête préalable, telles les vérifications visées à l'article 14 du règlement n° 17, qui peuvent avoir un caractère déterminant pour l'établissement de preuves du caractère illégal de comportements d'entreprises de nature à engager leur responsabilité.
2. Si la reconnaissance d'un droit fondamental à l'inviolabilité du domicile en ce qui concerne le domicile privé des personnes physiques s'impose dans l'ordre juridique communautaire en tant que principe commun aux droits des États membres, il n'en va pas de même en ce qui concerne les entreprises, car les systèmes juridiques des États membres présentent des divergences non négligeables en ce qui concerne la nature et le degré de protection des locaux commerciaux face aux interventions des autorités publiques. On ne saurait tirer une conclusion différente de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme.
Il n'en demeure pas moins que, dans tous les systèmes juridiques des États membres, les interventions de la puissance publique dans la sphère d'activité privée de toute personne, qu'elle soit physique ou morale, doivent avoir un fondement légal et être justifiées par les raisons prévues par la loi et que ces systèmes prévoient, en conséquence, bien qu'avec des modalités différentes, une protection face à des interventions qui seraient arbitraires ou disproportionnées. L'exigence d'une telle protection doit donc être reconnue comme un principe général du droit communautaire.
3. Il ressort, tant de la finalité du règlement n° 17 que de l'énumération, par son article 14, des pouvoirs dont sont investis les agents de la Commission, que les vérifications peuvent avoir une portée très large.
A cet égard, le droit d'accéder à tous locaux, terrains ou moyens de transport des entreprises présente une importance particulière, dans la mesure où il doit permettre à la Commission de recueillir les preuves des infractions aux règles de concurrence dans les lieux où elles se trouvent normalement, c'est-à-dire dans les locaux commerciaux des entreprises.
Ce droit d'accès serait dépourvu d'utilité si les agents de la Commission devaient se limiter à demander la production de documents ou de dossiers qu'ils seraient à même d'identifier au préalable de façon précise. Il implique, au contraire, la faculté de rechercher des éléments d'information divers qui ne sont pas encore connus ou pleinement identifiés. Sans une telle faculté, il serait impossible à la Commission de recueillir les éléments d'information nécessaires à la vérification lorsqu'elle se heurterait à un refus de collaboration ou encore à une attitude d'obstruction de la part des entreprises concernées.
L' exercice des larges pouvoirs d'investigation dont dispose la Commission est cependant soumis à des conditions de nature à garantir le respect des droits des entreprises. A cet égard, l'obligation pour la Commission d'indiquer l'objet et le but d'une vérification constitue une exigence fondamentale en vue non seulement de faire apparaître le caractère justifié de l'intervention envisagée à l'intérieur des entreprises concernées, mais aussi de mettre celles-ci en mesure de saisir la portée de leur devoir de collaboration tout en préservant leurs droits de défense.
4. Dans l'hypothèse de vérifications effectuées avec la collaboration des entreprises concernées en vertu d'une obligation découlant d'une décision de vérification, les agents de la Commission ont, entre autres, la faculté de se faire présenter les documents qu'ils demandent, d'entrer dans les locaux qu'ils désignent et de se faire montrer le contenu des meubles qu'ils indiquent. En revanche, ils ne peuvent pas forcer l'accès à des locaux ou à des meubles ou contraindre le personnel de l'entreprise à leur fournir un tel accès, ni entreprendre des fouilles sans l'autorisation des responsables de l'entreprise qui, le cas échéant, peut être donnée implicitement, notamment par l'assistance prêtée aux agents de la Commission.
Par contre, lorsque la Commission se heurte à l'opposition des entreprises concernées, ses agents peuvent, en application de l'article 14, paragraphe 6, du règlement n° 17, rechercher, sans la collaboration des entreprises, tous les éléments d'information nécessaires à la vérification avec le concours des autorités nationales, qui sont tenues de leur fournir l'assistance nécessaire à l'accomplissement de leur mission. Si cette assistance n'est exigée que dans le cas où l'entreprise manifeste son opposition, il convient d'ajouter qu'elle peut également être demandée à titre préventif, en vue de surmonter l'opposition éventuelle de l'entreprise.
5. Il résulte de l'article 14, paragraphe 6, du règlement n° 17 que c'est à chaque État membre qu'il appartient de régler les conditions dans lesquelles est fournie l'assistance des autorités nationales aux agents de la Commission. A cet égard, les États membres sont tenus d'assurer l'efficacité de l'action de la Commission tout en respectant les principes généraux du droit communautaire. Dans ces limites, c'est le droit national qui définit les modalités procédurales appropriées pour garantir le respect des droits des entreprises.
Ces règles nationales de procédure doivent être respectées par la Commission, qui doit, en outre, veiller à ce que l'instance compétente en vertu du droit national dispose de tous les éléments nécessaires pour lui permettre d'exercer le contrôle qui lui est propre.
Cette instance - qu'elle soit judiciaire ou non - ne saurait, à cette occasion, substituer sa propre appréciation du caractère nécessaire des vérifications ordonnées à celle de la Commission, dont les évaluations de fait et de droit ne sont soumises qu'au contrôle de légalité de la Cour. En revanche, il entre dans les pouvoirs de l'instance nationale d'examiner, après avoir constaté l'authenticité de la décision de vérification, si les mesures de contrainte envisagées ne sont pas arbitraires ou excessives par rapport à l'objet de la vérification et de veiller au respect des règles du droit national dans le déroulement de ces mesures.
6. La validité d'une décision ne saurait être affectée par des actes postérieurs à son adoption, de sorte que d'éventuelles irrégularités commises lors de son exécution sont sans pertinence lorsqu'il s'agit d'apprécier ladite validité.
7. La validité des actes arrêtés par les institutions ne saurait être appréciée qu'en fonction du droit communautaire; dès lors, l'invocation d'atteintes portées soit aux droits fondamentaux tels qu'ils sont formulés par la constitution d'un État membre, soit aux principes d'une structure constitutionnelle nationale, ne saurait affecter la validité d'un acte communautaire ou son effet sur le territoire de cet État.
8. L'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 définit les éléments essentiels de motivation de la décision qui ordonne une vérification. L'exigence pour la Commission d'indiquer l'objet et le but de celle-ci constitue une garantie fondamentale des droits de la défense des entreprises concernées. Il s'ensuit que la portée de l'obligation de motivation des décisions de vérification ne peut pas être restreinte en fonction de considérations tenant à l'efficacité de l'investigation. A cet égard, s'il est vrai que la Commission n'est tenue ni de communiquer au destinataire d'une telle décision toutes les informations dont elle dispose à propos d'infractions présumées, telles la délimitation précise du marché en cause ou la période au cours de laquelle ces infractions auraient été commises, ni de procéder à une qualification juridique rigoureuse de ces infractions, elle doit, en revanche, indiquer clairement les présomptions qu'elle entend vérifier.
9. Ne porte pas atteinte au principe de la collégialité inscrit à l'article 17 du traité de fusion la décision par laquelle la Commission habilite son membre chargé des questions de concurrence à prendre, au nom et sous la responsabilité de la Commission, des décisions au titre de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17.
10. L'Acte d'adhésion de l'Espagne ne prévoyant aucune dérogation en ce qui concerne le règlement n° 17, celui-ci était applicable dans le nouvel État membre dès l'adhésion, en vertu de la règle générale consacrée par l'article 2, paragraphe 2, dudit acte. Les entreprises établies en Espagne pouvaient donc être soumises à des vérifications à partir du 1er janvier 1986.
L' objet des vérifications effectuées par la Commission après cette date auprès des entreprises établies dans le nouvel État membre ne saurait être limité qu'en fonction du domaine d'application des règles communautaires de concurrence. Aucune règle ne limite, à cet égard, la compétence d'investigation de la Commission aux seuls comportements qui auraient eu lieu après l'adhésion.
Dans les affaires jointes 97, 98 et 99/87,
Dow Chemical Ibérica, SA, société de droit espagnol, ayant son siège social à Axpe-Erandio (Espagne),
Alcudia, Empresa para la Industria Química, SA, société de droit espagnol, ayant son siège social à Madrid, et
Empresa Nacional del Petróleo, SA, société de droit espagnol, ayant son siège social à Madrid,
toutes représentées par Me José Pérez Santos, avocat au barreau de Madrid, ayant élu domicile à Luxembourg chez Me Ernest Arendt, 4, avenue Marie-Thérèse,
parties requérantes,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Norbert Koch, conseiller juridique, et Luis Miguel Pais Antunes et Daniel Calleja y Crespo, membres de son service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg chez M. Georgios Kremlis, membre de son service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,
partie défenderesse,
ayant pour objet l'annulation des décisions de la Commission, adoptées dans les affaires IV/31.865 - PVC et IV/31.866 - polyéthylène, du 15 janvier 1987 (C(87)19/1, 2 et 3), concernant une vérification au sens de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962 (JO 13, p. 204),
LA COUR,
composée de M. O. Due, président, Sir Gordon Slynn, MM. C. N. Kakouris, F. A. Schockweiler et M. Zuleeg, présidents de chambre, T. Koopmans, G. F. Mancini, R. Joliet, T. F. O'Higgins, J. C. Moitinho de Almeida, G. C. Rodríguez Iglesias, F. Grévisse et M. Díez de Velasco, juges,
avocat général : M. J. Mischo
greffier : Mme B. Pastor, administrateur
vu le rapport d'audience et à la suite de la procédure orale du 8 décembre 1988,
ayant entendu les conclusions de l'avocat général présentées à l'audience du 21 février 1989,
rend le présent
Arrêt
1 Par requêtes déposées au greffe de la Cour le 2 avril 1987, les sociétés Dow Chemical Ibérica, SA (ci-après "Dow Ibérica "), Alcudia, Empresa para la Industria Química, SA (ci-après "Alcudia "), et Empresa Nacional del Petróleo, SA (ci-après "EMP "), ont introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, des recours visant à l'annulation des décisions de la Commission, prises dans les affaires IV/31.865 - PVC et IV/31.866 - polyéthylène, du 15 janvier 1987 (C(87)19/1, 2 et 3), concernant une vérification au sens de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 13, p. 204).
2 Disposant d'informations lui permettant de présumer l'existence d'accords ou de pratiques concertées concernant la fixation de prix et de quotas de livraison de PVC et de polyéthylène entre certains producteurs et fournisseurs de ces substances dans la Communauté, la Commission a décidé de procéder à une vérification auprès de plusieurs entreprises, dont les requérantes, et a adopté à l'égard de celles-ci les décisions litigieuses.
3 Les 20 et 21 janvier suivants, la Commission a procédé aux vérifications en question. Après avoir pris connaissance des décisions litigieuses et après avoir été informés, par les fonctionnaires de la Commission, des droits et obligations des entreprises concernées, les représentants des requérantes se sont estimés tenus de se soumettre à l'inspection, de sorte qu'ils ne se sont pas opposés à ce que les fonctionnaires de la Commission prennent, examinent et photocopient des dossiers et leur ont prêté l'assistance nécessaire à cette fin.