Jurisprudence : CJCE, 21-02-1991, aff. C-143/88, Zuckerfabrik Süderdithmarschen AG c/ Hauptzollamt Itzehoe et Zuckerfabrik Soest GmbH contre Hauptzollamt Paderborn

CJCE, 21-02-1991, aff. C-143/88, Zuckerfabrik Süderdithmarschen AG c/ Hauptzollamt Itzehoe et Zuckerfabrik Soest GmbH contre Hauptzollamt Paderborn

A4510AWX

Référence

CJCE, 21-02-1991, aff. C-143/88, Zuckerfabrik Süderdithmarschen AG c/ Hauptzollamt Itzehoe et Zuckerfabrik Soest GmbH contre Hauptzollamt Paderborn. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1010689-cjce-21021991-aff-c14388-zuckerfabrik-suderdithmarschen-ag-c-hauptzollamt-itzehoe-et-zuckerfabrik-so
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Cour de justice des Communautés européennes

21 février 1991

Affaire n°C-143/88

Zuckerfabrik Süderdithmarschen AG
c/
Hauptzollamt Itzehoe et Zuckerfabrik Soest GmbH contre Hauptzollamt Paderborn


Recueil de Jurisprudence 1991 page I-0415

Edition spéciale suédoise 1991 page 0019

1. Actes des institutions - Règlements - Contestation incidente devant le juge national de la légalité d'un règlement à l'occasion d'un recours dirigé contre une mesure nationale de mise en oeuvre - Octroi du sursis à l'exécution de la mesure nationale - Admissibilité - Conditions - "Fumus boni juris" - Saisine de la Cour par la voie du renvoi préjudiciel en appréciation de validité - Préjudice grave et irréparable - Prise en compte de l'intérêt de la Communauté

(Traité CEE, art. 177, 185 et 189, alinéa 2)

2. Ressources propres des Communautés européennes - Cotisations et autres droits prévus dans le cadre de l'organisation commune des marchés dans le secteur du sucre - Notion - Cotisation de résorption spéciale - Inclusion

(Traité CEE, art. 201; règlement du Conseil n° 1914/87; décision du Conseil 85/257, art. 2)

3. Actes des institutions - Application dans le temps - Principe de non-rétroactivité - Exceptions - Conditions - Cas d'espèce

(Règlement du Conseil n° 1914/87)

4. Agriculture - Organisation commune des marchés - Sucre - Cotisation de résorption spéciale - Traduction du principe d'autofinancement intégral de l'organisation commune par les producteurs - Création de charges financières déraisonnables - Absence - Atteinte au droit de propriété et au libre exercice des activités professionnelles - Absence

(Règlement du Conseil n° 1914/87)

5. Agriculture - Organisation commune des marchés - Discrimination entre producteurs ou consommateurs - Cotisation de résorption spéciale dans le secteur du sucre - Charge frappant plus lourdement la production de sucre au-delà du quota A - Différence de traitement objectivement justifiée - Absence de discrimination

(Traité CEE, art. 40, § 3, alinéa 2; règlement du Conseil n° 1914/87)

P4 /

1. L'article 189 du traité n'exclut pas le pouvoir, pour les juridictions nationales, d'accorder un sursis à l'exécution d'un acte administratif national pris sur la base d'un règlement communautaire.

En effet, en premier lieu, dans le cadre du recours en annulation, l'article 185 du traité donne à la partie requérante la faculté de demander le sursis à l'exécution de l'acte attaqué et à la Cour la compétence pour l'octroyer. La cohérence du système de protection juridictionnelle provisoire exige dès lors que, dans le cadre d'un renvoi préjudiciel à opérer par le juge national, celui-ci puisse également ordonner le sursis à l'exécution d'un acte administratif national fondé sur un règlement communautaire dont la légalité est contestée et dont seule la Cour peut constater l'invalidité.

En second lieu, pour assurer l'effet utile de l'article 177 du traité, la Cour a déjà reconnu aux juridictions nationales l'ayant saisie de questions préjudicielles en interprétation, en vue de trancher un problème de compatibilité entre une loi nationale et une règle communautaire, la possibilité de suspendre l'application de cette loi. La protection provisoire qui est assurée aux justiciables devant les juridictions nationales ne saurait varier, selon qu'ils contestent la compatibilité de dispositions de droit national avec le droit communautaire ou la validité d'actes communautaires de droit dérivé, dès lors que, dans les deux cas, la contestation est fondée sur le droit communautaire lui-même.

Pour que la juridiction nationale puisse accorder un tel sursis, il faut qu'elle ait des doutes sérieux sur la validité de l'acte communautaire et que, pour le cas où la Cour ne serait pas déjà saisie de la question de validité de l'acte contesté, elle la lui renvoie elle-même; qu'il y ait urgence, le requérant étant menacé d'un préjudice grave et irréparable, et que soit dûment pris en compte l'intérêt de la Communauté. Cette prise en compte impose à la juridiction nationale de vérifier si l'acte communautaire qui est en cause ne se trouverait pas, à défaut d'application immédiate, privé de tout effet utile. Elle suppose, en outre, que cette juridiction ait la possibilité, lorsque le sursis à exécution est susceptible d'entraîner un risque financier pour la Communauté, d'exiger du requérant des garanties suffisantes.

2. La cotisation de résorption spéciale dans le secteur du sucre, instaurée par le règlement n° 1914/87, doit être comprise parmi les "cotisations et autres droits prévus dans le cadre de l'organisation commune des marchés dans le secteur du sucre", au sens de la décision 85/257 du Conseil, relative au système de ressources propres des Communautés, car elle présente un caractère complémentaire par rapport aux cotisations qui existaient déjà lors de l'adoption de ladite décision. Même si elle avait eu le caractère d'une taxe de financement, au sens de la décision 85/257, le recours à la procédure de l'article 201 du traité pour son institution n'aurait pas été nécessaire. En effet, mesure de droit budgétaire, cette décision a pour objet de définir les ressources propres inscrites au budget des Communautés et non les institutions communautaires compétentes pour établir des droits, taxes, prélèvements, cotisations et autres formes de recettes.

3. Si, en règle générale, le principe de la sécurité des situations juridiques s'oppose à ce que la portée dans le temps d'un acte communautaire voie son point de départ fixé à une date antérieure à sa publication, il peut en être autrement, à titre exceptionnel, lorsque le but à atteindre l'exige et lorsque la confiance légitime des intéressés est dûment respectée.

Tel était précisément le cas de l'instauration, dans le cadre de l'organisation commune des marchés dans le secteur du sucre, par le règlement n° 1914/87, du 2 juillet 1987, d'une cotisation de résorption spéciale pour la campagne annuelle de commercialisation clôturée le 30 juin précédent.

En effet, pour que fût respecté le principe du financement intégral de l'organisation commune par les producteurs eux-mêmes, ceux-ci devaient supporter toutes les charges de la campagne en cours, y compris celles résultant d'événements exceptionnels dont l'impact ne pouvait être établi avec exactitude qu'après la clôture de celle-ci. En outre, les producteurs avaient été informés de ce qu'il leur faudrait apporter un financement complémentaire pour cette campagne.

4. L'organisation commune des marchés dans le secteur du sucre est fondée sur le principe de l'autofinancement intégral par les producteurs. C'est en application de ce principe et pour faire face à une augmentation exceptionnelle des dépenses, trouvant son origine dans les fluctuations du marché mondial, sur lequel les producteurs de la Communauté doivent écouler une partie de leur production, et ayant correspondu à un coût élevé des restitutions à l'exportation, qu'a été instituée la cotisation de résorption spéciale pour la campagne 1986/1987. Contrepartie des avantages que comporte ladite organisation commune, cette cotisation n'a pas entraîné des charges financières déraisonnables pour les producteurs, puisque ceux-ci étaient en droit d'en exiger le remboursement par leurs fournisseurs de betteraves ou de cannes, pour la majeure partie. Par sa nature, elle ne saurait être considérée comme une atteinte au droit de propriété. Enfin, tant sa raison d'être que ses caractéristiques interdisent de la qualifier d'intervention démesurée et intolérable portant atteinte à la substance du droit des producteurs concernés au libre exercice de leurs activités économiques.

5. La cotisation de résorption spéciale pour la campagne 1986/1987, instaurée dans le cadre de l'organisation commune des marchés dans le secteur du sucre, avait pour objet de résorber les pertes exceptionnelles provoquées par l'octroi de restitutions à l'exportation élevées, destinées à favoriser l'écoulement des excédents communautaires sur les marchés des pays tiers. Le fait que cette cotisation ait imposé des charges proportionnellement plus élevées pour le sucre produit au-delà du quota A ne saurait être considéré comme une discrimination prohibée par l'article 40, paragraphe 3, deuxième alinéa, du traité. En effet, toute quantité de sucre produite au-delà du quota A est génératrice d'excédents. Ces excédents ne pouvant avoir comme débouché normal que l'exportation vers les pays tiers, ils entraînent l'octroi de restitutions onéreuses pour le budget communautaire.

Dans les affaires jointes C-143/88 et C-92/89,

ayant pour objet des demandes adressées à la Cour, en application de l'article 177 du traité CEE, par le Finanzgericht Hamburg (République fédérale d'Allemagne) et le Finanzgericht Duesseldorf (République fédérale d'Allemagne) et tendant à obtenir, dans les litiges pendants devant ces juridictions entre

Zuckerfabrik Suederdithmarschen AG

et

Hauptzollamt Itzehoe

et entre

Zuckerfabrik Soest GmbH

et

Hauptzollamt Paderborn,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 189 du traité (affaire C-143/88), ainsi que sur la validité du règlement (CEE) n° 1914/87 du Conseil, du 2 juillet 1987, instaurant une cotisation de résorption spéciale dans le secteur du sucre pour la campagne de commercialisation 1986/1987 (JO L 183, p. 5) (affaires C-143/88 et C-92/89),

LA COUR,

composée de MM. O. Due, président, G. F. Mancini, J. C. Moitinho de Almeida, G. C. Rodríguez Iglesias et M. Díez de Velasco, présidents de chambre, Sir Gordon Slynn, MM. C. N. Kakouris, R. Joliet, F. A. Schockweiler, F. Grévisse et M. Zuleeg, juges,

avocat général : M. C. O. Lenz

greffier : M. H. A. Ruehl, administrateur principal

considérant les observations écrites présentées :

- pour la Zuckerfabrik Suederdithmarschen et pour la Zuckerfabrik Soest, par Mes Ehle, Schiller et associés, avocats au barreau de Cologne,

- pour le gouvernement italien, par M. le professeur L. Ferrari Bravo, chef du service du contentieux diplomatique du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, assisté de M. I. M. Braguglia, avvocato dello Stato,

- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mlle J. A. Gensmantel, Treasory Solicitor, en qualité d'agent,

- pour le Conseil des Communautés européennes, par M. A. Braeutigam, membre du service juridique, en qualité d'agent,

- pour la Commission des Communautés européennes, par MM. D. Booss et G. zur Hausen, conseillers juridiques, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de la Zuckerfabrik Suederdithmarschen et de la Zuckerfabrik Soest, représentées par Mes D. Ehle et J. Sedemund, avocats au barreau de Cologne, du gouvernement italien, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par M. C. Bellamy, en qualité d'agent, du Conseil et de la Commission, à l'audience du 20 mars 1990,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 8 novembre 1990,

rend le présent

Arrêt

1 Par ordonnance du 31 mars 1988, parvenue à la Cour le 20 mai 1988, le Finanzgericht Hamburg a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, deux questions relatives, d'une part, à la compétence des juridictions nationales, statuant dans le cadre d'un référé, pour suspendre l'exécution d'un acte national fondé sur un règlement communautaire, et, d'autre part, à la validité du règlement (CEE) n° 1914/87 du Conseil, du 2 juillet 1987, instaurant une cotisation de résorption spéciale dans le secteur du sucre pour la campagne de commercialisation 1986/1987 (JO L 183, p. 5).

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant la société Zuckerfabrik Suederdithmarschen, qui fabrique du sucre, au Hauptzollamt Itzehoe (bureau principal des douanes d'Itzehoe). Par décision du 19 octobre 1987, le Hauptzollamt Itzehoe a exigé de la Zuckerfabrik Suederdithmarschen le paiement d'une somme de 1 982 942,66 DM au titre de la cotisation de résorption spéciale pour la campagne de commercialisation du sucre 1986/1987.

3 Cette cotisation qui a été instaurée par le règlement n° 1914/87, précité, adopté sur la base de l'article 43 du traité, a pour objet de résorber intégralement les pertes subies par la Communauté dans le secteur du sucre pendant la campagne qui a pris cours le 1er juillet 1986 et s'est achevée le 30 juin 1987. Ces pertes avaient été provoquées par les restitutions à l'exportation particulièrement élevées, que la Communauté avait dû financer pendant cette campagne, en vue d'assurer l'écoulement dans les pays tiers des excédents de la production communautaire de sucre.

4 La Zuckerfabrik Suederdithmarschen a introduit contre la décision du Hauptzollamt Itzehoe une réclamation qui a été rejetée. La Zuckerfabrik a alors saisi le Finanzgericht Hamburg d'une demande de sursis à l'exécution de cette décision. Elle a également formé un recours en annulation de cette décision devant la même juridiction. A l'appui de ces deux actions, la Zuckerfabrik a allégué que le règlement n° 1914/87, sur lequel la décision du Hauptzollamt était fondée, était invalide.

5 Le Finanzgericht Hamburg a fait droit à la demande de sursis à l'exécution de la décision du Hauptzollamt Itzehoe et a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

"1) a) L'article 189, deuxième alinéa, du traité CEE doit-il être interprété en ce sens que la portée générale des règlements dans les États membres n'exclut pas le pouvoir, pour les juridictions nationales, de suspendre, dans le cadre de la protection juridictionnelle provisoire, les effets d'un acte administratif pris sur la base d'un règlement, en attendant qu'il soit statué sur le litige au principal?

2) Le règlement n° 1914/87 du Conseil, du 2 juillet 1987, instaurant une cotisation de résorption spéciale dans le secteur du sucre pour la campagne de commercialisation 1986/1987, est-il valide? En particulier, ledit règlement est-il invalide pour violation du principe de la non-rétroactivité des règlements imposant des charges?"

6 Par une autre ordonnance, le Finanzgericht Hamburg a décidé de surseoir à statuer dans la procédure au fond, JUSQU'à ce que la Cour se soit prononcée sur ces deux questions préjudicielles.

7 Par ailleurs, par ordonnance du 19 octobre 1988, parvenue à la Cour le 20 mars 1989, le Finanzgericht Duesseldorf a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, cinq questions qui sont relatives également à la validité de ce même règlement n° 1914/87 du Conseil.

8 Ces cinq questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant la Zuckerfabrik Soest GmbH, qui fabrique aussi du sucre, au Hauptzollamt Paderborn (bureau principal des douanes de Paderborn). Par décision du 20 octobre 1987, le Hauptzollamt Paderborn a exigé de la Zuckerfabrik Soest le paiement d'une somme de 1 675 013,71 DM au titre de ladite cotisation de résorption.

9 La Zuckerfabrik Soest a introduit contre cette décision une réclamation qui a été rejetée. La Zuckerfabrik Soest a alors saisi le Finanzgericht Duesseldorf d'une demande de sursis à l'exécution de la décision du Hauptzollamt Paderborn. Elle a en outre formé un recours en annulation de cette décision devant la même juridiction. A l'appui de cette demande et de ce recours, la Zuckerfabrik Soest a allégué, tout comme la Zuckerfabrik Suederdithmarschen dans l'autre instance, que le règlement instaurant la cotisation de résorption spéciale sur lequel la décision du Hauptzollamt Paderborn était fondée était invalide.

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