Tribunal de première instance des Communautés européennes12 décembre 1996
Affaire n°T-88/92
Groupement d'achat Édouard Leclerc
c/
Commission des Communautés européennes
61992A0088
Arrêt du Tribunal de première instance (deuxième chambre élargie)
du 12 décembre 1996.
Groupement d'achat Édouard Leclerc
contre
Commission des Communautés européennes.
Système de distribution sélective - Produits cosmétiques de luxe.
Affaire T-88/92.
Recueil de Jurisprudence 1996 page II-1961
1. Procédure - Intervention - Exception d'irrecevabilité non soulevée par la partie défenderesse - Irrecevabilité
[Statut (CE) de la Cour de justice, art. 37, alinéa 3; règlement de procédure du Tribunal, art. 116, § 3]
2. Recours en annulation - Personnes physiques ou morales - Actes les concernant directement et individuellement - Décision de la Commission accordant une exemption à un système de distribution sélective - Entreprise tierce regroupant des commerçants ayant demandé, sans succès, leur admission au réseau et ayant participé à la procédure administrative devant la Commission - Recevabilité du recours
(Traité CE, art. 85, § 1 et 3, et 173, alinéa 4; règlement du Conseil n° 17, art. 19, § 3)
3. Concurrence - Ententes - Système de distribution sélective - Admissibilité - Conditions - Appréciation objective et prise en compte de l'intérêt du consommateur - Secteurs économiques permettant la mise en place d'un système de distribution sélective - Cosmétiques et parfums de luxe
(Traité CE, art. 85, § 1)
4. Concurrence - Ententes - Système de distribution sélective - Admissibilité - Conditions - Critères objectifs de sélection des revendeurs - Appréciation par la Commission - Contrôle juridictionnel - Limites - Application des critères dans des cas concrets - Compétence des juridictions et des autorités nationales - Possibilité pour les particuliers d'introduire une plainte devant la Commission
(Traité CE, art. 85, § 1, et 173; règlement n° 17, art. 3)
5. Concurrence - Ententes - Système de distribution sélective - Admissibilité - Conditions - Cosmétiques et parfums de luxe - Critères objectifs de sélection des revendeurs - Critères concernant la capacité professionnelle - Appréciation
(Traité CE, art. 85, § 1)
6. Concurrence - Ententes - Système de distribution sélective - Admissibilité - Conditions - Cosmétiques et parfums de luxe - Critères objectifs de sélection des revendeurs - Critères concernant la localisation et l'installation du point de vente - Appréciation
(Traité CE, art. 85, § 1)
7. Concurrence - Ententes - Système de distribution sélective - Admissibilité - Conditions - Cosmétiques et parfums de luxe - Critères objectifs de sélection des revendeurs - Critère de l'enseigne - Appréciation
(Traité CE, art. 85, § 1)
8. Concurrence - Ententes - Système de distribution sélective - Systèmes "simples" - Utilisation de tels systèmes pour la commercialisation d'un même produit par tous les fabricants sur le marché - Admissibilité - Conditions - Absence de barrières à l'entrée sur le marché à l'encontre de nouveaux concurrents aptes à vendre les produits - Maintien d'une concurrence efficace, notamment en matière de prix
(Traité CE, art. 85, § 1)
1. Une partie intervenante n'a pas qualité pour soulever une exception d'irrecevabilité non formulée dans les conclusions de la partie défenderesse.
2. Dans le cadre d'une décision qui accorde une exemption à un système de distribution sélective, une société coopérative regroupant des commerçants détaillants, concurrents potentiels des distributeurs agréés, qui a demandé, sans succès, qu'au moins certains de ses membres soient admis dans le réseau et qui a participé à la procédure administrative prévue par l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, doit être considérée comme individuellement et directement concernée par la décision d'exemption.
3. Les systèmes de distribution sélective constituent un élément de concurrence conforme à l'article 85, paragraphe 1, du traité s'il est satisfait à quatre conditions, à savoir: premièrement, que les propriétés du produit en cause nécessitent un système de distribution sélective, en ce sens qu'un tel système constitue une exigence légitime, eu égard à la nature des produits concernés, et notamment à leur haute qualité ou technicité, pour en préserver la qualité et en assurer le bon usage; deuxièmement, que le choix des revendeurs s'opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif fixés d'une manière uniforme à l'égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire; troisièmement, que le système en cause vise à atteindre un résultat de nature à améliorer la concurrence et donc à contrebalancer la limitation de la concurrence inhérente aux systèmes de distribution sélective, notamment en matière de prix; et, quatrièmement, que les critères imposés n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire. La question de savoir si ces conditions sont remplies doit être appréciée d'une façon objective, en tenant compte de l'intérêt du consommateur.
Des systèmes de distribution sélective qui trouvent leur justification dans la nature spécifique des produits ou les exigences de leur distribution peuvent être mis en place dans d'autres secteurs que celui de la production de biens de consommation durables, de haute qualité ou technicité, sans enfreindre l'article 85, paragraphe 1, du traité.
Les cosmétiques de luxe, et notamment les parfums de luxe, sont des produits sophistiqués et de haute qualité, dotés d'une "image de luxe" distinctive, qui est importante aux yeux des consommateurs. Les propriétés de ces produits ne peuvent être limitées à leurs caractéristiques matérielles, mais englobent également la perception spécifique qu'en ont les consommateurs, et plus particulièrement leur "image de luxe", qui relève ainsi de leur nature même.
Il est dans l'intérêt des consommateurs recherchant de tels produits que ceux-ci soient présentés dans de bonnes conditions dans les points de vente, et que soit ainsi préservée leur image de luxe.
Il s'ensuit que, dans le secteur des cosmétiques de luxe, et notamment des parfums de luxe, des critères qualitatifs de sélection des détaillants qui ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer la vente de ces produits dans de bonnes conditions de présentation ne sont pas, en principe, visés par l'article 85, paragraphe 1, du traité, pour autant que ces critères soient objectifs, fixés d'une manière uniforme à l'égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués d'une façon non discriminatoire.
4. Le contrôle juridictionnel par le Tribunal, au titre de l'article 173 du traité, d'une décision par laquelle la Commission constate que les critères de sélection d'un système de distribution sélective remplissent les conditions requises pour être considérés comme licites au regard de l'article 85, paragraphe 1, du traité, se limite à vérifier si les constatations de la Commission sont entachées d'un défaut de motivation, d'une erreur manifeste de fait ou de droit, d'une erreur manifeste d'appréciation ou d'un détournement de pouvoir. Il n'appartient pas au juge communautaire de se prononcer sur l'application de ces critères dans des cas concrets.
En revanche, il appartient aux juridictions ou aux autorités nationales compétentes, saisies du recours d'un candidat qui s'est vu refuser l'accès au réseau, de statuer à la lumière, le cas échéant, de la jurisprudence de la Cour et du Tribunal, sur la question de savoir si les critères en cause ont été appliqués dans un cas concret d'une manière discriminatoire ou disproportionnée, entraînant ainsi une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Il leur incombe notamment de veiller à ce que les critères en cause ne soient pas utilisés pour empêcher l'accès au réseau de nouveaux opérateurs capables de distribuer les produits en cause dans des conditions qui ne sont pas dévalorisantes.
Par ailleurs, un candidat qui s'est vu refuser l'accès au réseau a la possibilité d'introduire une plainte devant la Commission au titre de l'article 3 du règlement n° 17, notamment en cas d'utilisation systématique des conditions d'admission dans un sens incompatible avec le droit communautaire.
5. Dans le cadre d'un système de distribution sélective dans le secteur des cosmétiques de luxe, la présence dans le point de vente d'une personne capable de donner au consommateur des conseils ou des renseignements appropriés constitue en principe une exigence légitime pour la vente desdits produits, qui fait partie intégrante d'une bonne présentation de ceux-ci.
6. Dans le cadre d'un système de distribution sélective dans le secteur des cosmétiques de luxe, un critère relatif à l'environnement dans lequel est situé un point de vente de ces produits n'est pas en soi visé par l'article 85, paragraphe 1, du traité, dans la mesure où il a pour objet d'assurer que de tels produits ne soient pas vendus en des lieux totalement inadaptés à de telles ventes.
En revanche, des conditions concernant l'aspect extérieur du point de vente, telles la façade, les vitrines et la décoration de celui-ci, se prêtent à une application discriminatoire à l'encontre d'un point de vente - tel qu'un hypermarché - qui n'a pas la même façade qu'un commerce traditionnel, notamment une façade comportant des vitrines, mais qui a aménagé un emplacement ou un espace situé à l'intérieur d'un magasin d'une façon appropriée à la vente des cosmétiques de luxe. En outre, des vitrines à l'extérieur n'apparaissent pas nécessaires pour la bonne présentation des produits dans le contexte d'un emplacement ou d'un espace aménagé à l'intérieur d'un magasin "multiproduits".
En ce qui concerne les conditions concernant l'intérieur du point de vente, telle la vente d'autres marchandises dans celui-ci, elles ne sauraient pas suffire pour exclure d'un réseau un hypermarché, en ce sens que la vente des marchandises typiquement trouvées dans un hypermarché n'est pas en soi de nature à nuire à l' "image de luxe" des produits en cause, pourvu que l'emplacement ou l'espace consacré à la vente des cosmétiques de luxe soit aménagé de façon à ce que ces produits soient présentés dans des conditions valorisantes.
En ce qui concerne les critères relatifs aux autres activités des magasins, des considérations tenant à l'importance de celles-ci sont disproportionnées dans la mesure où elles n'ont en soi aucun rapport avec l'exigence légitime de la préservation de l'image de luxe des produits concernés. Par ailleurs, elles sont discriminatoires dans la mesure où elles tendent à favoriser la candidature d'une parfumerie spécialisée au détriment de celle d'un magasin "multiproduits" disposant d'un emplacement spécialisé aménagé de manière à satisfaire aux conditions qualitatives appropriées pour la vente des cosmétiques de luxe.
7. Dans le cadre d'un système de distribution sélective dans le secteur des cosmétiques de luxe, un critère qui a pour seul objet de veiller à ce que l'enseigne du détaillant ne soit pas de nature à dévaloriser l'image de luxe de ces produits constitue en principe une exigence légitime de la distribution de tels produits et ne relève donc pas nécessairement de l'article 85, paragraphe 1, du traité. En effet, il est à craindre que, en l'absence d'un tel critère, l'image de luxe des cosmétiques de luxe, et donc leur nature même, soit atteinte par la vente de ces produits par des détaillants dont l'enseigne est manifestement dévalorisante aux yeux des consommateurs. Le critère ne peut toutefois être appliqué de façon injustifiée ou disproportionnée.
8. Si des systèmes de distribution sélective dits "simples" sont susceptibles de constituer un élément de concurrence conforme à l'article 85, paragraphe 1, du traité, une restriction ou une élimination de la concurrence peut néanmoins se produire lorsque l'existence d'un certain nombre de tels systèmes ne laisse aucune place à d'autres formes de distribution axées sur une politique concurrentielle de nature différente ou aboutit à une rigidité dans la structure des prix qui n'est pas contrebalancée par d'autres facteurs de concurrence entre produits d'une même marque et par l'existence d'une concurrence effective entre marques différentes. Par conséquent, l'existence d'un grand nombre de tels systèmes de distribution sélective pour un produit déterminé ne permet pas, à elle seule, de conclure que la concurrence est restreinte ou faussée au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, mais il faut encore que le marché concerné soit tellement rigide et structuré qu'il n'existe plus de concurrence efficace en matière de prix.
A cet égard, l'article 85, paragraphe 1, du traité ne saurait être automatiquement applicable du seul fait que tous les fabricants dans le secteur concerné ont fait le même choix quant à leurs méthodes de distribution. Si, pris individuellement, certains critères de sélection d'un fabricant ne relèvent pas de l'article 85, paragraphe 1, du traité, l'effet cumulatif des autres réseaux n'est de nature à altérer cette conclusion que s'il est démontré, premièrement, qu'il existe des barrières à l'entrée sur le marché à l'encontre de nouveaux concurrents aptes à vendre les produits en question, de sorte que les systèmes de distribution sélective en cause ont pour effet de figer la distribution au profit de certains canaux existants, ou, deuxièmement, qu'il n'y a pas de concurrence efficace, notamment en matière de prix, compte tenu de la nature des produits en cause.
dans l'affaire T-88/92,
Groupement d'achat Édouard Leclerc, société de droit français, établie à Paris, représenté par Mes Mario Amadio et Gilbert Parléani, avocats au barreau de Paris, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Philippe Hoss, 15, Côte d'Eich,
partie requérante,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée initialement par M. Bernd Langeheine, puis par M. Berend Jan Drijber, membres du service juridique, en qualité d'agents, assistés de Me Hervé Lehman, avocat au barreau de Paris, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,
partie défenderesse,
soutenue par
Parfums Givenchy SA, société de droit français, établie à Levallois-Perret (France), représentée par Me François Bizet, avocat au barreau de Paris, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Aloyse May, 31, Grand-rue,
Fédération des industries de la parfumerie, union de syndicats régie par le droit français, ayant son siège à Paris, représentée par Me Robert Collin, avocat au barreau de Paris, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Ernest Arendt, 8-10, rue Mathias Hardt,
Comité de liaison des syndicats européens de l'industrie de la parfumerie et des cosmétiques, association internationale sans but lucratif régie par le droit belge, ayant son siège à Bruxelles, représentée par M. Stephen Kon, solicitor, et Me Mélanie Thill-Tayara, avocat au barreau de Paris, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Mes Winandy et Err, 60, avenue Gaston Diderich,