Jurisprudence : CE 3/8 ch.-r., 25-10-2023, n° 470394, mentionné aux tables du recueil Lebon

CE 3/8 ch.-r., 25-10-2023, n° 470394, mentionné aux tables du recueil Lebon

A62011PD

Identifiant européen : ECLI:FR:CECHR:2023:470394.20231025

Identifiant Legifrance : CETATEXT000048263332

Référence

CE 3/8 ch.-r., 25-10-2023, n° 470394, mentionné aux tables du recueil Lebon. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/100847238-ce-38-chr-25102023-n-470394-mentionne-aux-tables-du-recueil-lebon
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Abstract

19-04-02-03-02 Il résulte de la combinaison des articles 150-0 D ter et du 1° de l’article 885 O bis du code général des impôts (CGI), qui doivent être interprétés strictement, que le bénéfice de l’avantage fiscal prévu par l’article 150-0 D ter est réservé aux dirigeants justifiant avoir assuré de manière effective, personnelle et continue la gestion de la société dont ils cèdent les titres lors des cinq années précédant cette cession, et ayant perçu une rémunération normale à ce titre....Le juge de cassation exerce un contrôle de qualification juridique des faits sur le caractère effectif des fonctions exercées par une personne sollicitant le bénéfice de cet avantage fiscal.



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

N° 470394⚖️


Séance du 11 octobre 2023

Lecture du 25 octobre 2023

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 8ème et 3ème chambres réunies)


Vu la procédure suivante :

M. A B a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2014. Par un jugement n° 2004071 du 31 mars 2021, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 21PA02884 du 10 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Paris⚖️ a rejeté l'appel formé par M. B contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 11 janvier et 12 avril 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales🏛 ;

- la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013🏛 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Benjamin Duca-Deneuve, auditeur,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Maître Haas, avocat de M. B ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. B a cédé, le 25 juillet 2014, l'intégralité des 39 870 parts qu'il détenait dans la société par actions simplifiée Concorde, qui avait jusqu'au 11 juillet 2014 le statut de société à responsabilité limitée et dont il était le gérant statutaire. Il a réalisé, en conséquence de cette cession, une plus-value de 5 445 003 euros, sur laquelle il a appliqué, dans la déclaration complémentaire de revenus qu'il a souscrite, un abattement de 500 000 euros en application de l'article 150-0 D ter du code général des impôts🏛 et, pour le surplus et pour 39 869 de ces parts, l'abattement pour durée de détention renforcé de 85 % prévu à l'article 150-0 D du même code. A la suite d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle au titre de l'année 2014, l'administration fiscale, après avoir relevé que M. B avait omis de reporter cette plus-value dans sa déclaration de revenu global et indiqué que son montant était de 5 172 131 euros, a remis en cause l'application de ces deux abattements en estimant que M. B n'était fondé à bénéficier que de l'abattement pour durée de détention renforcé de 85 % pour 499 de ces parts et celui de droit commun de 50 % pour 39 370 de ces parts. M. B a ainsi été assujetti à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, assorties des intérêts de retard et de la pénalité de 10 % prévue par l'article 1758 A du code général des impôts🏛. M. B se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 10 novembre 2022 de la cour administrative d'appel de Paris confirmant le jugement du 31 mars 2021 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions et pénalités.

Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales🏛 : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation () ". Aux termes de l'article R. 57-1 du même livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. L'administration invite, en même temps, le contribuable à faire parvenir son acceptation ou ses observations dans un délai de trente jours à compter de la réception de la proposition () ". Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter, outre la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base des redressements, ceux des motifs pour lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés qui sont nécessaires pour permettre au contribuable de formuler utilement ses observations.

3. Pour juger que la proposition de rectification du 4 mai 2017 envoyée à M. B était suffisamment motivée, la cour administrative d'appel a relevé que cette proposition mentionnait les fondements juridiques de la rectification envisagée, les valeurs d'acquisition et de cession des titres qu'il détenait dans la société Concorde, les dates respectives de ces opérations ainsi que les motifs justifiant la remise en cause des abattements prévus aux articles 150-0 D ter et 150-0 D du code général des impôts que M. B avait appliqués à la plus-value de cession litigieuse. En statuant ainsi, la cour a porté sur la teneur de ce document une appréciation souveraine exempte de dénaturation.

Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne le bénéfice des dispositions de l'article 150-0 D ter du code général des impôts :

4. Aux termes de l'article 150-0 D ter du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 : " I. - 1. Les gains nets mentionnés au 1 de l'article 150-0 D et déterminés dans les conditions prévues au même article retirés de la cession à titre onéreux d'actions, de parts de sociétés ou de droits portant sur ces actions ou parts sont réduits d'un abattement fixe de 500 000 et, pour le surplus éventuel, de l'abattement prévu au 1 quater dudit article 150-0 D lorsque les conditions prévues au 3 du présent I sont remplies. () / 3. Le bénéfice des abattements mentionnés au 1 est subordonné au respect des conditions suivantes : () / 2° Le cédant doit : / a) Avoir exercé au sein de la société dont les titres ou droits sont cédés, de manière continue pendant les cinq années précédant la cession et dans les conditions prévues au 1° de l'article 885 O bis, l'une des fonctions mentionnées à ce même 1° () c) Cesser toute fonction dans la société dont les titres ou droits sont cédés et faire valoir ses droits à la retraite dans les deux années suivant ou précédant la cession ; () ". Le 1° de l'article 885 O bis du même code🏛, dans sa rédaction applicable au litige, prévoit que sont concernées par les dispositions de cet article les personnes qui sont : " soit gérant nommé conformément aux statuts d'une société à responsabilité limitée ou en commandite par actions, soit associé en nom d'une société de personnes, soit président, directeur général, président du conseil de surveillance ou membre du directoire d'une société par actions. / Les fonctions énumérées ci-dessus doivent être effectivement exercées et donner lieu à une rémunération normale. Celle-ci doit représenter plus de la moitié des revenus à raison desquels l'intéressé est soumis à l'impôt sur le revenu dans les catégories des traitements et salaires, bénéfices industriels et commerciaux, bénéfices agricoles, bénéfices non commerciaux, revenus des gérants et associés mentionnés à l'article 62 () ".

5. Il résulte de la combinaison de ces dispositions, qui doivent être interprétées strictement, que le bénéfice de l'avantage fiscal prévu par l'article 150-0 D ter du code général des impôts est réservé aux dirigeants justifiant avoir assuré de manière effective, personnelle et continue la gestion de la société dont ils cèdent les titres lors des cinq années précédant cette cession, et ayant perçu une rémunération normale à ce titre.

6. D'une part, après avoir relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que la gestion de l'activité courante C, consistant en l'exploitation d'une résidence de tourisme, était assurée, non par M. B mais par un tiers, à savoir le gérant des SARL G. PRIM et CDG SUD, dans le cadre de conventions délégant à ces sociétés les activités de recherche de clientèle, de gestion des paiements, d'entretien et de maintenance et de recrutement du personnel, et de la SARL CDG SUD s'agissant du développement commercial, la cour administrative d'appel a pu en déduire, sans entacher son arrêt d'erreur de qualification juridique des faits, que M. B ne pouvait être regardé comme exerçant effectivement les fonctions de gérant de cette société, au sens des dispositions précitées, sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance qu'il entretenait des relations régulières avec le gérant des SARL G. PRIM et CDG SUD pour se tenir informé du fonctionnement de la résidence.

7. D'autre part, en jugeant, après avoir souverainement constaté que la rémunération perçue par M. B C avait été de 7 000 euros en 2012, de 14 000 euros en 2013 et qu'elle avait été nulle en 2014, que cette rémunération, eu égard à son montant, ne pouvait être regardée comme la rémunération normale d'un gérant au sens du 1° de l'article 885 O bis du code général des impôts, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

En ce qui concerne le bénéfice des dispositions de l'article 105-0 D du code général des impôts :

8. Aux termes du 1 de l'article 150-0 D du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 : " Les gains nets mentionnés au 1 de l'article 150-0 A sont constitués par la différence entre le prix effectif de cession des titres ou droits, net des frais et taxes acquittés par le cédant, et leur prix effectif d'acquisition (). / Les gains nets de cession à titre onéreux d'actions () mentionnés au 1 de l'article 150-0 A () sont réduits d'un abattement déterminé dans les conditions prévues, selon le cas, au 1 ter ou au 1 quater du présent article. () ". Aux termes du 1 ter du même article : " L'abattement mentionné au 1 est égal à :/ a) 50 % du montant des gains nets ou des distributions lorsque les actions, parts, droits ou titres sont détenus depuis au moins deux ans et moins de huit ans à la date de la cession ou de la distribution ; / b) 65 % du montant des gains nets ou des distributions lorsque les actions, parts, droits ou titres sont détenus depuis au moins huit ans à la date de la cession ou de la distribution. () ". Aux termes du 1 quater de cet article : " A. - Par dérogation au 1 ter, lorsque les conditions prévues au B sont remplies, les gains nets sont réduits d'un abattement égal à : / 1° 50 % de leur montant lorsque les actions, parts ou droits sont détenus depuis au moins un an et moins de quatre ans à la date de la cession ; / 2° 65 % de leur montant lorsque les actions, parts ou droits sont détenus depuis au moins quatre ans et moins de huit ans à la date de la cession ; / 3° 85 % de leur montant lorsque les actions, parts ou droits sont détenus depuis au moins huit ans à la date de la cession. / B. - L'abattement mentionné au A s'applique : / 1° Lorsque la société émettrice des droits cédés respecte l'ensemble des conditions suivantes : / a) Elle est créée depuis moins de dix ans et n'est pas issue d'une concentration, d'une restructuration, d'une extension ou d'une reprise d'activités préexistantes. Cette condition s'apprécie à la date de souscription ou d'acquisition des droits cédés ; () / 2° Lorsque le gain est réalisé dans les conditions prévues à l'article 150-0 D ter ; () ". Aux termes du 1 quinquies du même article : " Pour l'application de l'abattement mentionné au 1, la durée de détention est décomptée à partir de la date de souscription ou d'acquisition des actions, parts, droits ou titres, et : / 1° En cas de cession d'actions, parts, droits ou titres effectuée par une personne interposée, à partir de la date de souscription ou d'acquisition des actions, parts, droits ou titres par la personne interposée ; () ".

9. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. B a souscrit 499 parts sur 500 C en 1999, puis 39 370 parts en 2010, avant d'acquérir la dernière part en 2014. M. B soutenait devant la cour qu'il convenait de prendre pour point de départ de la durée de détention des 39 370 parts souscrites en 2010 la date d'acquisition des 499 parts souscrites en 1999, dès lors que cette souscription résultait de l'incorporation au capital social de son compte courant d'associé, laquelle aurait selon lui le même effet qu'une augmentation du nominal des titres qu'il détenait précédemment, peu important l'augmentation du nombre total des actions représentant sa participation dans la société, laquelle n'aurait revêtu qu'un caractère formel. En jugeant que cette opération n'était au contraire pas demeurée sans incidence sur la structure du bilan C, dès lors que l'incorporation du compte courant d'associé avait entraîné un désendettement et un accroissement de l'actif net de la société, et que les titres ainsi souscrits en 2010 par M. B par transformation de sa créance sur la société en une participation au capital accru de celle-ci étaient détenus par lui depuis cette opération seulement, pour en déduire que la plus-value de cession de ces titres ne pouvait bénéficier de l'abattement pour durée de détention renforcé de 85 % prévu au 3° du A du 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de M. B est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A B et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 11 octobre 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Pierre Collin, M. Stéphane Verclytte, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Christian Fournier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Benjamin Duca-Deneuve, auditeur-rapporteur.

Rendu le 25 octobre 2023.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Benjamin Duca-Deneuve

La secrétaire :

Signé : Mme Magali Méaulle

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