TROISIÈME SECTION
AFFAIRE LE MEIGNEN CONTRE France
(Requête n° 41544/98)
Recevabilité
STRASBOURG
11 janvier 2000
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant le 11 janvier 2000 en une chambre composée de
Sir Nicolas Bratza, président,
M. J.-P. Costa,
Mme F. Tulkens,
M. W. Fuhrmann,
M. K. Jungwiert,
M. K. Traja,
M. M. Ugrekhelidze, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section ;
Vu l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 5 janvier 1998 par André Le Meignen contre la France et enregistrée le 9 juin 1998 sous le n° de dossier 41544/98 ;
Vu le rapport prévu à l'article 49 du règlement de la Cour ;
Après en avoir délibéré ;
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant est un ressortissant français, né en 1937 et résidant à Versailles. Il est représenté devant la Cour par Me Guilloux, avocat au barreau de Paris.
A. Circonstances particulières de l'affaire
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
En 1989, le requérant et R.D. créèrent une société, LEDA distribution Sarl, dont l'objet était l'exploitation d'un contrat de licence exclusive mondiale pour les produits de joaillerie d'une grande marque française. Le requérant devint gérant de cette société. Un compte fut ouvert à son nom auprès du crédit agricole d'Etain destiné à couvrir les charges de la société en formation.
1. La procédure administrative de contrôle fiscal
Au cours de l'année 1990, la situation fiscale du requérant fit l'objet d'un examen au titre des années 1987, 1988 et 1989. A l'issue des opérations de vérification, deux notifications de redressement lui furent adressées, l'une au titre de l'année 1987, l'autre au titre des années 1988 et 1989.
Par lettres des 11 septembre et 13 novembre 1991, le requérant contesta les redressements notifiés au titre des années 1988 et 1989. Les redressements furent confirmés par l'administration par lettre du 12 décembre 1991 puis par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires en date du 19 janvier 1993.
Par avis du 31 août 1993, les impositions suivantes furent mises en recouvrement : l'administration fiscale estima que les droits en matière d'impôt sur les revenus éludés par le requérant se portaient à 3 727 FRF pour l'année 1987, à 88 616 FRF pour l'année 1988 et à 2 263 948 FRF pour l'année 1989. En application de l'article 1729 du code général des impôts, ladite administration augmenta en outre ces montants des pénalités à hauteur de 40 % pour les sommes dues au titres des deux dernières années, soit 48 920 FRF et 1 092 080 FRF.
2. La contestation des impositions devant les juridictions administratives
Le 4 octobre 1993, le requérant présenta une réclamation auprès de l'administration fiscale en sollicitant le dégrèvement des impositions supplémentaires mises à sa charge au titre des années 1988 et 1989 à raison des crédits taxés d'office dans le cadre de la procédure administrative de contrôle fiscal. Il contesta également l'application aux redressements effectués des pénalités de mauvaise foi sur la base de l'article 1729 du code général des impôts.
Le 22 août 1994, le requérant introduisit un recours devant le juge administratif, ès qualités de juge de l'impôt, contre la décision implicite de rejet de sa réclamation. Dans son mémoire, il souleva la violation de ses droits de la défense dans la mesure où, au moment du contrôle, l'administration fiscale l'avait sommé de produire des documents comptables saisis par l'autorité judiciaire, laquelle avait refusé de retourner les documents en question à ses avocats.
Le 16 octobre 1998, la direction des services fiscaux déposa un mémoire au greffe du tribunal administratif de Versailles auquel le requérant répliqua le 15 juin 1999. La procédure est actuellement pendante devant le tribunal.
3. Les poursuites pénales pour fraude fiscale
Le 24 mars 1993, la commission des infractions fiscales (CIF) se déclara favorable au dépôt d'une plainte pour fraude fiscale contre le requérant.
Le 29 mars 1993, la direction des services fiscaux déposa une plainte avec constitution de partie civile contre le requérant, pour fraude fiscale consistant en la dissimulation volontaire de sommes sujettes à l'impôt sur le revenu au titre des années 1988 et 1989. Selon l'administration fiscale, la minoration des revenus avait atteint la somme de 248 000 FRF en 1988 et 3 840 000 FRF en 1989.
Le 15 décembre 1993, le requérant, entendu sur ordre du parquet, refusa de s'exprimer sur les faits reprochés et demanda " à être mis en examen ".
Le requérant fut poursuivi pour fraude fiscale sur citation directe du procureur de la République devant le tribunal correctionnel de Versailles, par exploit en date du 12 juin 1995.
Parallèlement, le 3 juillet 1995, le tribunal correctionnel de Versailles tint une audience dans le cadre d'une affaire d'escroquerie pour laquelle le requérant avait été mis en examen (à une date non connue).
Dans le cadre de la mise en examen du requérant pour fraude fiscale, les conseils du requérant, à l'audience du 11 septembre 1995, soulevèrent la nullité de la procédure devant la CIF en excipant des dispositions de l'article 6 de la Convention. Ils invoquèrent également une exception tirée de la violation de l'article 47 du livre des procédures fiscales (voir infra droit interne pertinent).
Le 28 septembre 1995, le tribunal rendit son jugement et rejeta les exceptions soulevées, rappelant que la CIF était un organe administratif indépendant et que, dès lors, l'article 6 ne s'appliquait pas devant une commission administrative n'intervenant qu'en amont d'éventuelles poursuites pénales. En outre, sur les garanties inscrites à l'article L 47 précité, le tribunal précisa que le requérant avait pu s'expliquer à de nombreuses reprises devant le vérificateur, qu'il avait été reçu deux fois par le supérieur hiérarchique de ce dernier et que l'administration avait pris en compte ses explications et ainsi défalqué une somme de trois millions de francs. Enfin, il ajouta que le requérant avait été assisté de ses avocats dès le début de la procédure, régulièrement avisé de la saisine de la CIF, par lettre du 31 décembre 1992 dont il avait signé l'accusé de réception le 5 janvier 1993, et à laquelle il avait transmis un mémoire en défense.
Sur le fond, le tribunal, après avoir conclu que le requérant était dans l'incapacité de fournir des explications quant aux revenus d'origine indéterminée invoqués par l'administration fiscale à l'appui de sa plainte, condamna le requérant à six mois d'emprisonnement et à une amende de 100 000 FRF. Il considéra notamment, que " (...) ces sommes s'expliquent uniquement par les faits d'escroquerie dont le tribunal vient de déclarer coupable le prévenu [soit le 28 septembre 1995 également, après audience du 3 juillet 1995, à quatre ans d'emprisonnement]. Le fruit d'une infraction pénale, en l'espèce l'argent collecté dans le cadre de l'escroquerie mise en uvre correspond sur le plan fiscal à des revenus d'origine indéterminée que le contribuable est bien en peine de justifier puisque précisément ils ont une origine frauduleuse. La cohérence entre la procédure pénale et la procédure fiscale est flagrante (...) ".
Le 2 octobre 1995, le requérant interjeta appel du jugement et présenta devant la cour d'appel de Versailles, outre les exceptions de nullité soulevées devant le tribunal, celle relative à la violation de son droit à un procès équitable en raison de ce que la composition dudit tribunal était identique à celle de la juridiction ayant statué sur le délit de droit commun qui lui était reproché (escroquerie, banqueroute). Il précisa qu'à tout le moins, la garantie d'impartialité voulait que la juridiction d'appel statuât dans une autre composition.
Par arrêt du 1er mars 1996, la cour d'appel de Versailles confirma le jugement du 28 septembre 1995 concernant le délit de droit commun mais réforma la peine en la portant à deux ans d'emprisonnement dont vingt-deux mois avec sursis.
Le 29 mars 1996, la même cour d'appel confirma le jugement du 28 septembre 1995 relatif à la condamnation du requérant pour fraude fiscale en retenant son intention frauduleuse et le systématisme de la confusion entre opérations personnelles et professionnelles sur le compte de la société LEDA en formation. Elle réforma cependant la peine et la porta à douze mois d'emprisonnement avec sursis.
La cour d'appel rejeta l'ensemble des exceptions soulevées par le requérant. Au sujet de la première, elle considéra que les droits de la défense du requérant avaient été préservés, aussi bien à un stade antérieur à l'avis de la CIF que devant la commission elle-même, où la procédure est écrite et prévoit le dépôt d'observations du contribuable pour répondre au rapport de l'administration. Elle précisa encore, qu'à moins de revendiquer la création d'un débat oral devant la CIF tel que le laissait suggérer le requérant, il n'était pas nécessaire de modifier la nature de l'intervention de cet organe " qui ne juge pas, ne qualifie pas, ne sanctionne pas ".
Sur l'exception tirée du défaut d'impartialité du tribunal, la cour estima que les deux procédures en cause ne concernaient pas la même affaire et que les juges devaient procéder à des examens matériels et intentionnels différents pour des objets et causes différentes dans chacune des affaires. Elle précisa encore que " le juge correctionnel, puis celui d'appel, n'avait et n'a encore jamais apprécié la culpabilité du requérant dans l'affaire de fraude fiscale " et que le droit français n'interdisait pas à un juge, de degré identique, qui a connu du cas d'un prévenu dans le jugement d'une infraction antérieure, de participer au jugement d'une infraction nouvelle.
Par arrêt du 10 juillet 1997, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant. Elle estima que les magistrats du tribunal correctionnel et de la cour d'appel de Versailles étaient libres de se forger en toute objectivité une opinion sur l'affaire de fraude fiscale - les faits seraient-ils connexes à ceux du délit d'escroquerie - et rejeta également les moyens tirés du non-respect du contradictoire devant la CIF et de la violation de la présomption d'innocence.
B. Droit et pratique internes pertinents
Code général des impôts
Article 1729
" Lorsque la déclaration ou l'acte mentionnés à l'article 1728 [comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'un des impôts, droits, taxes, redevances ou sommes établis ou recouvrés par la direction générale des impôts] font apparaître une base d'imposition ou des éléments servant à la liquidation de l'impôt insuffisants, inexacts ou incomplets, le montant des droits mis à la charge du contribuable est assorti de l'intérêt de retard visé à l'article 1727 et d'une majoration de 40 % si la mauvaise foi de l'intéressé est établie ou 80 % s'il s'est rendu coupable de manuvres frauduleuses ou d'abus de droit au sens de l'article L 64 du livre des procédures fiscales. "
Article 1741
" Sans préjudice des dispositions particulières relatées dans la présente codification, quiconque s'est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au payement total ou partiel des impôts visés dans la présente codification, soit qu'il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits, soit qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt, soit qu'il ait organisé son insolvabilité ou mis obstacle par d'autres manuvres au recouvrement de l'impôt, soit en agissant de toute autre manière frauduleuse, est passible, indépendamment des sanctions fiscales applicables, d'une amende de 250 000 FRF et d'un emprisonnement de cinq ans (...) "
Livre des procédures fiscales
Article L 47
" Un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle d'une personne physique au regard de l'impôt sur le revenu ou une vérification de comptabilité ne peut être engagée sans que le contribuable en ait été informé par l'envoi ou la remise d'un avis de vérification.
Cet avis doit préciser les années soumises à vérification et mentionner expressément, sous peine de nullité de la procédure, que le contribuable a la faculté de se faire assister par un conseil de son choix.
L'avis envoyé ou remis au contribuable avant l'engagement d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle peut comporter une demande des relevés de compte.
En cas de contrôle inopiné tendant à la constatation matérielle des éléments physiques de l'exploitation ou de l'existence et de l'état des documents comptables, l'avis de vérification de comptabilité est remis au début des opérations de constatations matérielles. L'examen au fond des documents comptables ne peut commencer qu'à l'issue d'un délai raisonnable permettant au contribuable de se faire assister par un conseil. "
Article L 228
" Sous peine d'irrecevabilité, les plaintes tendant à l'application de sanctions pénales en matière d'impôts directs, de taxes sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre d'affaires, de droits d'enregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre sont déposées par l'administration sur avis conforme de la commission des infractions fiscales.
La commission examine les affaires qui lui sont soumises par le ministre chargé des finances. Le contribuable est avisé de la saisine de la commission qui l'invite à lui communiquer, dans un délai de trente jours, les informations qu'il jugerait nécessaires.
Le ministre est lié par les avis de la commission.
Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions de fonctionnement de la commission. "
Jurisprudence
" (...) Les poursuites pénales du chef de fraude fiscale, qui visent à réprimer des comportements délictueux tendant à la soustraction à l'impôt, ont une nature et un objet différents de celles opérées par l'administration dans le cadre du contrôle fiscal et tendant au recouvrement des impositions éludées. (...) " (Crim. 20 juin 1996 : Bull. crim. n° 268.)
GRIEFS
1. Le requérant se plaint de la violation de son droit à un procès équitable lors du déroulement de la phase administrative de la procédure pour fraude fiscale devant la commission des infractions fiscales. Il fait valoir que le principe de l'égalité des armes aurait à tout le moins nécessité des explications orales devant ladite commission dont l'avis rendu peut s'avérer déterminant pour la suite de la procédure. Il précise également qu'à la différence de l'affaire Miailhe c. France (arrêt du 26 septembre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1339, § 45), il n'a pas bénéficié des garanties attachées à l'instruction puisque c'est par voie de citation directe que le procureur prit la décision de le faire comparaître devant le tribunal correctionnel.
2. Le requérant considère que la garantie d'un tribunal impartial a été méconnue lorsqu'il a été jugé le 28 septembre 1995 par le tribunal correctionnel, puis le 29 mars 1996 par la cour d'appel de Versailles pour les faits de fraude fiscale, au motif que la composition de ces juridictions était identique à celles ayant statué dans le cadre des infractions de droit commun qui lui étaient reprochées. Il souligne que la motivation du jugement rendu sur le délit de fraude fiscale repose sur l'appréciation de culpabilité précédemment faite pour faits d'escroquerie. Les juges, dans ces conditions, ne pouvaient qu'aborder l'affaire de fraude fiscale avec préjugé alors que s'ouvrait à eux une instance pénale distincte. Le requérant invoque l'article 6 §§ 1 et 2 de la Convention.
3. Le requérant estime qu'en statuant sur la fraude fiscale sans attendre que le juge administratif ne se prononce sur le bien-fondé des griefs retenus par l'administration, le juge pénal a méconnu son droit à la présomption d'innocence et plus largement les garanties du procès équitable. Il invoque également l'article 6 §§ 1 et 2 de la Convention.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint de n'avoir pu exercer ses droits de la défense au cours de la procédure devant la commission des infractions fiscales. Il invoque l'article 6 § 1 de la Convention dont les dispositions pertinentes se lisent ainsi :
" Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) indépendant et impartial (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...). "
La Cour rappelle tout d'abord que dans son arrêt Miailhe (n° 2) c. France, elle conclut à l'applicabilité de l'article 6 § 1 de la Convention à des procédures se déroulant devant la CIF (arrêt Miailhe précité, pp. 1334-1335, §§ 35-37).
S'agissant par ailleurs de la question de savoir si le déroulement de la procédure devant la CIF satisfaisait aux exigences d'une procédure contradictoire respectueuse des droits de la défense au regard de l'article 6 de la Convention, la Cour estima qu'un contrôle des éventuelles irrégularités pouvant apparaître lors de la phase administrative de la procédure était assuré dès lors qu'il pouvait y être porté remède devant les juges du fond (ibidem § 43). En particulier, la Cour nota que les exceptions de nullité soulevées par M. Miailhe et touchant à la régularité de la procédure suivie devant la CIF avaient été examinées par le juge pénal depuis l'abandon du postulat de l'indépendance des contentieux répressifs et administratifs en la matière depuis 1988. Elle considéra également que le requérant avait dès lors pu contester la réalité du délit reproché devant les juges du fond, lesquels, de surcroît, avaient apprécié souverainement les faits de la fraude incriminée sur la base de l'avis de la CIF liant le ministre chargé des finances (ibidem §§ 44 et 45). Sur la crainte d'un déséquilibre entre les parties dans la procédure devant aboutir à l'avis de la CIF, la Cour s'exprima comme suit :
" L'absence de débat contradictoire préalablement à l'avis de la CIF peut, dans certains cas, susciter la crainte de voir le contribuable placé dans une position plus difficile. Il reste qu'il ne s'agit que de l'intervention préalable d'un organe consultatif. Dans le cas d'espèce, il y a eu une instruction et non une citation directe. De plus, la procédure déclenchée sur plainte de l'administration a comporté un double degré de juridiction, ce qui a permis à M. Miailhe, qui disposait encore d'un pourvoi en cassation, de discuter contradictoirement les pièces à charge et les accusations portées contre lui.
En conclusion, les instances litigieuses, considérées dans son ensemble, ont revêtu un caractère équitable (...) " (arrêt Miailhe précité, §§ 45 et 46).
La Cour estime que ce raisonnement s'applique en l'espèce, le requérant ayant pu contester la réalité de l'infraction reprochée, dans le cadre de débats contradictoires devant le tribunal correctionnel puis devant la cour d'appel de Versailles, sous le contrôle ultime de la Cour de cassation.
La Cour relève également que les faits de l'espèce ne permettent pas d'établir clairement que des documents précis auraient été dissimulés et écartés du débat contradictoire devant les juges du fond. Le requérant ne montre pas en quoi il pouvait, de manière plausible, soutenir que tel ou tel document sur lequel son adversaire se serait appuyé lui aurait permis de rassembler des preuves qu'il aurait pu utiliser à sa décharge. Ce n'est donc pas d'un défaut de communication des documents de la part de l'administration fiscale pendant les phases de la procédure que se plaint le requérant, ni d'une méconnaissance du contenu des documents sur lesquels les différentes autorités se basèrent pour examiner l'affaire, mais bien plus de l'absence, en général, de débat oral devant la CIF.
Le requérant ne contestant pas que les juridictions nationales ont fondé leur conviction sur les seules pièces versées au débat, peu importe qu'il ait été cité directement devant les instances judiciaires, technique de poursuite visant à la simplification de la procédure, dès lors qu'il eut pleinement l'occasion de discuter des accusations portées contre lui. En effet, outre qu'un délai important s'écoula entre le dépôt de la plainte par les services fiscaux et la citation du requérant, ce qui lui permit de préparer sa défense, rien n'empêchait ce dernier de demander à la juridiction de jugement qu'elle ordonne des mesures d'informations supplémentaires. Mais surtout, le requérant disposa à tous les degrés de juridiction de la possibilité de discuter contradictoirement des pièces à charge, possibilité à laquelle les juges du fond prêtèrent une attention particulière - preuve en est le déroulement de l'instance pénale elle-même - mais également la vérification scrupuleuse par ces derniers des conditions de mise en uvre des droits de la défense de l'intéressé au cours de la phase administrative de la procédure.
Dans ces conditions, la Cour considère que la procédure, dans son ensemble, a revêtu un caractère équitable. Le grief doit dès lors être rejeté pour défaut manifeste de fondement, par application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2. Le requérant allègue que sa cause n'a pas été entendue par un tribunal " impartial ", les juges l'ayant condamné pour fraude fiscale s'avérant être les mêmes que ceux qui l'avaient auparavant condamné pour un délit de droit commun. Il invoque l'article 6 §§ 1 et 2 de la Convention qui disposent :
" 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...) indépendant et impartial (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...).
2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ".
En ce qui concerne l'impartialité d'un tribunal, la Cour rappelle tout d'abord que si elle " se définit d'ordinaire par l'absence de préjugé ou de parti pris, elle peut, notamment sous l'angle de l'article 6 § 1 de la Convention, s'apprécier de diverses manières. On peut distinguer sous ce rapport entre une démarche subjective, essayant de déterminer ce que tel juge pensait dans son for intérieur en telle circonstance, et une démarche objective amenant à rechercher s'il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime " (arrêt Sainte-Marie c. France du 16 décembre 1992, série A n° 253-A, p. 23, § 50). En l'espèce, seule l'impartialité objective est mise en cause par le requérant qui voit dans la composition identique des juridictions l'ayant condamné, d'une part pour escroquerie et banqueroute, d'autre part pour fraude fiscale, une raison légitime de douter.
La Cour rappelle par ailleurs que la présomption d'innocence concerne l'état d'esprit et l'attitude du juge appelé à statuer sur une accusation pénale portée devant lui, en lui interdisant notamment de partir de la conviction ou de la supposition que l'accusé est coupable. Ainsi, au moment de prendre leur décision, les juges ne doivent arriver à une condamnation que sur la base de preuves directes ou indirectes suffisamment fortes, aux yeux de la loi, pour établir la culpabilité de l'intéressé (Barberà, Messegué et Jabardo c. Espagne, rapport Commission du 16 octobre 1986, § 104 ; Cour eur. D.H., arrêt du 6 décembre 1988, série A n° 146, p. 49).
La Cour relève d'emblée que le requérant a fait l'objet de deux procédures distinctes même si elles furent menées parallèlement.
Elle note que les juridictions nationales condamnèrent le requérant pour deux infractions distinctes avec une impartialité qui ne fut à aucun moment mise en doute au regard du droit national (voir supra l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 29 mars 1996 et l'arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 1997).
Si la Cour constate, à la lecture des décisions rendues dans l'affaire de fraude fiscale, des éléments de connexité de faits avec celle d'escroquerie, elle ne voit cependant pas de raisons de considérer les appréhensions du requérant comme objectivement justifiées. Elle note en effet que sa condamnation pour fraude fiscale est fondée sur des éléments matériels tirés de la non-déclaration de revenus d'origine indéterminée, qui eurent valeur de preuve au regard de la loi, et sur son intention frauduleuse. La technicité de la motivation dans les deux affaires ne saurait, selon la Cour, dissimuler la réalité de la dualité des poursuites pénales engagées contre le requérant et ne saurait être interprétée comme affectant l'impartialité des juridictions ayant statué sur la fraude fiscale, ni comporter des appréciations de culpabilité qui méconnaîtraient le principe de la présomption d'innocence.
Dans ces conditions, la Cour estime que ce grief doit également être rejeté pour défaut manifeste de fondement, par application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
3. Le requérant allègue une violation du droit à la présomption d'innocence en ce que le juge pénal s'est prononcé sur le délit de fraude fiscale qui lui était reproché, alors que le contentieux administratif de redressement fiscal était encore pendant. Il considère que le juge pénal aurait dû surseoir à statuer en attendant la décision du juge de l'impôt.
La Cour rappelle que la présomption d'innocence se trouve méconnue si une décision judiciaire concernant un prévenu reflète le sentiment qu'il est coupable, alors que sa culpabilité n'a pas été préalablement légalement établie (arrêt Allenet de Ribemont c. France du 10 février 1995, série A n° 308, p. 16, § 35).
La Cour observe qu'à la suite d'une vérification de compatibilité par l'administration fiscale, le requérant fit l'objet d'un redressement fiscal et les droits rappelés furent majorés des pénalités prévues par l'article 1729 du code général des impôts. Par la suite, le requérant fut mis en examen pour fraude fiscale et les autorités judiciaires le condamnèrent sur le fondement de l'article 1741 du code général des impôts (voir p. 6 ci-dessus).
Il résulte de la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation que les éléments constitutifs du délit de fraude fiscale tel qu'envisagé par l'article 1741 du code général des impôts, à savoir dans le cas d'espèce, la minoration " volontaire " de certains revenus du requérant dans sa déclaration, diffèrent de ceux de l'infraction fiscale des articles 1728 et 1729 du code général des impôts consistant en le seul défaut de déclaration desdites sommes dans les délais légaux. En conséquence, le juge pénal et le juge administratif statuant sur deux infractions différentes, aucune question ne se pose sous l'angle de l'article 6 § 2 de la Convention (voir mutatis mutandis n° 36855/97 et 41731/98, F. Ponsetti et C. Chesnel c. France, troisième section, déc. 14.9.99).
Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté comme manifestement mal fondé, par application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour , à l'unanimité,
DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE.
S. Dollé, Greffière
N. Bratza, Président