Jurisprudence : CEDH, 24-02-1994, Req. 00012547/86, BENDENOUN c/ France

CEDH, 24-02-1994, Req. 00012547/86, BENDENOUN c/ France

A2994AUG

Référence

CEDH, 24-02-1994, Req. 00012547/86, BENDENOUN c/ France. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1008376-cedh-24021994-req-0001254786-bendenoun-c-france
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COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME 

AFFAIRE BENDENOUN c. France

Numéro de requête : 00012547/86

24-02-1994


En l'affaire Bendenoun c. France*,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composé des juges dont le nom suit:

MM. R. Ryssdal, président,
F. Gölcüklü,
L.-E. Pettiti,
R. Macdonald,
S.K. Martens,
I. Foighel,
A.N. Loizou,
M.A. Lopes Rocha,
L. Wildhaber,

ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 24 septembre 1993 et 26 janvier 1994,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

_______________
* Note du greffier: l'affaire porte le n° 3/1993/398/476. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
_______________

PROCEDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 19 février 1993, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 12547/86) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Michel Bendenoun, avait saisi la Commission le 9 septembre 1986 en vertu de l'article 25 (art. 25).

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration française reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences des articles 6 par. 1 de la Convention et 1 du Protocole n° 1 (art. 6-1, P1-1).

2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement, le requérant a manifesté le désir de participer à l'instance et désigné ses conseils (article 30).

3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. L.-E. Pettiti, juge élu de nationalité française (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 27 février 1993, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. F. Gölcüklü, R. Macdonald, C. Russo, S.K. Martens, I. Foighel, M.A. Lopes Rocha et L. Wildhaber, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43).

4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire du greffier l'agent du gouvernement français ("le Gouvernement"), les avocats du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le mémoire du requérant le 7 juin 1993 et celui du Gouvernement le 16. Le 27 août, le secrétaire adjoint de la Commission l'a informé que le délégué s'exprimerait à l'audience.

Le 20 septembre, la Commission a produit les pièces de la procédure suivie devant elle; le greffier l'y avait invitée sur les instructions du président.

5. Ainsi qu'en avait décidé ce dernier, les débats se sont déroulés en public le 21 septembre 1993, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

M. B. Gain, sous-directeur des droits de l'homme à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères,
agent,
Mmes E. Florent, conseillère de tribunal administratif détachée à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères,
M. Merlin-Desmartis, conseillère de tribunal administratif détachée à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères,
M. E. Bourgoin, inspecteur principal des impôts, direction générale des impôts, ministère du Budget,
conseils;

- pour la Commission

M. S. Trechsel, délégué;

- pour le requérant

Mes J. Bornet, avocat,
E. Vuylsteke, avocat,
conseils.

La Cour a entendu en leurs déclarations M. Gain, M. Trechsel, Me Bornet et Me Vuylsteke, ainsi que des réponses à ses questions.

Le Gouvernement a déposé divers documents lors de l'audience.

6. M. Russo se trouvant empêché de participer à la délibération du 26 janvier 1994, M. A.N. Loizou, suppléant, l'a remplacé en qualité de membre de la chambre (articles 22 par. 1 et 24 par. 1).

EN FAIT

I. Les circonstances de l'espèce

7. Citoyen français, M. Michel Bendenoun a son domicile à Zurich (Suisse) et exerce la profession de courtier-numismate.

Le 1er juillet 1973, il créa une société anonyme de droit français, ARTSBY 1881, dont le siège se trouvait à Strasbourg et qui entendait se livrer au commerce de monnaies anciennes, d'objets d'art et de pierres précieuses. Il en possédait l'essentiel du capital social (993 actions sur 1 000) et y remplissait les fonctions de président-directeur général.

Ses activités lui valurent trois procédures - douanière, fiscale et pénale - qui cheminèrent plus ou moins parallèlement.

A. La procédure douanière

8. Entre le 3 juin et le 26 septembre 1975, la Direction nationale des enquêtes douanières (rayon de Belfort) effectua un contrôle des importations d'ARTSBY 1881; elle agissait au vu de renseignements fournis par un informateur anonyme. L'enquête comporta principalement des interrogatoires de M. Bendenoun et des saisies de documents (3-6 juin), l'interrogatoire de clients (6 juin), l'audition des salariés et anciens salariés ainsi que d'un expert (8-17 septembre) et l'interpellation de l'intéressé à Metz (26 septembre).

9. Les éléments ainsi recueillis entraînèrent l'ouverture de poursuites contre le requérant pour diverses infractions douanières et de change. Une transaction intervint cependant le 6 janvier 1978: M. Bendenoun reconnaissait lesdites infractions et payait une amende de 300 000 francs français (f) tandis que les douanes lui restituaient les objets saisis.

10. Au cours de la procédure en cause, le requérant eut accès à toutes les pièces du dossier douanier, soit vingt-quatre procès-verbaux et trois cent cinquante-trois documents.

La liste des procès-verbaux s'établissait ainsi:

- n° 73/1: interpellation de M. Bendenoun (Strasbourg, 3 juin 1975);

- n° 73/2: visites dans les locaux d'ARTSBY 1881 et au domicile de
M. Bendenoun, avec audition de ce dernier (Strasbourg, 3 juin);

- n° 73/3: interpellation d'un salarié d'ARTSBY 1881 (Strasbourg, 3 juin);

- n° 73/4: interpellation d'un salarié d'ARTSBY 1881 (Strasbourg, 3 juin);

- n° 73/5: pose de scellés sur un coffre bancaire (Strasbourg, 3 juin);

- n° 73/6: interpellation d'une salariée d'ARTSBY 1881 (Strasbourg, 3 juin);

- n° 73/7: ouverture du coffre bancaire (Strasbourg, 4 juin);

- n° 73/8: saisie de monnaies anciennes, d'espèces et d'une voiture (Strasbourg, 4 juin);

- n° 73/9: audition de M. Bendenoun (Strasbourg, 4 juin);

- n° 73/10: audition de M. Bendenoun (Strasbourg, 6 juin);

- n° 73/11: audition de M. Bendenoun (Strasbourg, 6 juin);

- n° 73/12: audition d'un client d'ARTSBY 1881 (Pfastatt, 6 juin);

- n° 73/13: audition d'un client d'ARTSBY 1881 (Colmar, 6 juin);

- n° 73/14: audition d'une salariée d'ARTSBY 1881 (Strasbourg, 8 septembre);

- n° 73/15: audition d'un client d'ARTSBY 1881 (Strasbourg, 8 septembre);

- n° 73/16: audition d'une ancienne salariée d'ARTSBY 1881 (Strasbourg, 10 septembre);

- n° 73/17: audition d'une ancienne salariée d'ARTSBY 1881 (Strasbourg, 10 septembre);

- n° 73/18: audition d'un expert-numismate (Paris, 15 septembre);

- n° 73/19: audition d'un ancien représentant d'ARTSBY 1881 (Strasbourg, 17 septembre);

- n° 73/20: audition d'un ancien président d'ARTSBY 1881 (Strasbourg, 24 septembre);

- n° 73/21: interpellation et audition de M. Bendenoun (Metz, 26 septembre);

- n° 73/22: audition d'un représentant d'ARTSBY 1881 (Metz, 26 septembre);

- n° 73/23: audition de M. Bendenoun (Metz, 26 septembre);

- n° 73/24: audition d'un témoin (Metz, 26 septembre).

M. Bendenoun avait reçu une copie de huit d'entre eux (nos 73/1, 73/2, 73/8, 73/9, 73/10, 73/11, 73/21 et 73/23).

Quant aux trois cent cinquante-trois documents, ils se composaient d'un cahier intitulé "Contrôle des factures" (scellé n° 1), saisi le 3 juin 1975 dans les locaux d'ARTSBY 1881, et de factures et certificats d'expertise (scellés nos 2 à 353), saisis le même jour au domicile du requérant.

11. A une date antérieure, selon le Gouvernement, au 31 août 1976, les douanes communiquèrent au fisc leur dossier par application de l'article 1987 du code général des impôts (devenu, le 1er janvier 1982, l'article L 83 du livre des procédures fiscales).

B. La procédure fiscale

1. Devant l'administration des impôts

12. Du 31 août au 28 septembre 1976, la direction des services fiscaux du Bas-Rhin procéda au contrôle de la comptabilité d'ARTSBY 1881.

13. Le 30 novembre 1976, le vérificateur envoya au président-directeur général de la société deux notifications de redressement, l'une pour l'impôt sur les sociétés et l'autre pour la taxe sur la valeur ajoutée. Elles décrivaient en détail sa méthode de reconstitution des recettes non comptabilisées; il les confirma le 4 avril 1977 après avoir reçu les observations de l'intéressé.

Le même jour, il expédia en outre à ce dernier une notification de redressement relative à l'impôt sur le revenu; il la confirma le 11 mai 1977.

Le redressement se montait, pour le requérant, à 841 366 f, dont 422 534 f de pénalités. Pour la société, les impositions supplémentaires et les pénalités s'élevaient à 157 752 f et 309 738 f du chef de la taxe sur la valeur ajoutée, à 270 312 f et 260 660 f en ce qui concerne l'impôt sur les sociétés.

14. Le vérificateur établit alors un rapport de dix-neuf pages en conclusion duquel il demandait l'ouverture de poursuites pénales contre le requérant, lesquelles furent engagées le 30 novembre 1977 (paragraphe 25 ci-dessous).

15. Le 6 décembre 1977, ARTSBY 1881, représentée par son président-directeur général, formula deux réclamations auprès du directeur régional des impôts de Strasbourg, au titre de l'impôt sur les sociétés et de la taxe sur la valeur ajoutée. M. Bendenoun en introduisit une troisième, en son nom propre, relative à l'impôt sur le revenu.

Le directeur régional rejeta les deux premières le 20 avril 1978 et la troisième le 3 avril 1979.

2. Devant les juridictions administratives

a) Le tribunal administratif de Strasbourg

16. Le 16 juin 1978, M. Bendenoun adressa au tribunal administratif de Strasbourg, pour le compte d'ARTSBY 1881, deux requêtes concernant l'impôt sur les sociétés et la taxe sur la valeur ajoutée.

Le 7 juin 1979, il saisit la même juridiction, en son nom propre cette fois, d'une autre requête contestant l'imposition supplémentaire de son revenu.

17. En annexe à ses deux mémoires du 5 avril 1979, le directeur régional des impôts produisit quatre procès-verbaux établis par les douanes (nos 73/9, 73/10, 73/16 et 73/17 - paragraphe 10 ci-dessus) et deux lettres d'ARTSBY 1881, du 30 mai 1975 et de juin 1976.

18. Le 29 mai 1979, le conseil du requérant envoya au président du tribunal deux lettres rédigées en termes identiques:
"Par notification du 17 avril 1979, vous avez bien voulu me transmettre le mémoire en défense de M. le directeur régional des impôts, du 5 avril 1979.

Ce mémoire se réfère à plusieurs reprises à un dossier ouvert à l'encontre de M. Michel Bendenoun, P.-D.G. [président-directeur général] de la société ARTSBY, par l'administration des douanes.

Il est produit en annexe au mémoire de l'administration six documents issus de ce dossier.

Or, il apparaît indispensable que la totalité du dossier soit communiquée au tribunal et au soussigné.

En effet, l'enquête des douanes a été extrêmement volumineuse, et un certain nombre de procès-verbaux, dont l'administration s'abstient d'évoquer l'existence, ont un intérêt direct pour le présent litige.

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