Cour de justice des Communautés européennes13 avril 2000
Affaire n°C-292/97
24 MM. Karlsson, Gustafsson et Torarp ont formé chacun un recours
c/
la décision le concernant devant le länsrätt compétent. Déboutés en première instance, puis en appel devant le Kammarrätten i Jönköping, ils se sont pourvus en cassation devant le Regeringsrätten
61997J0292
Arrêt de la Cour (sixième chambre)
du 13 avril 2000.
Kjell Karlsson e.a..
Demande de décision préjudicielle: Regeringsrätten - Suède.
Prélèvement supplémentaire sur le lait - Régime des quotas laitiers en Suède - Attribution initiale des quotas laitiers - Régime national - Interprétation du règlement (CEE) nº 3950/92 - Principe d'égalité de traitement.
Affaire C-292/97.
Recueil de Jurisprudence
Edition française 2000 page I-2737
Agriculture - Organisation commune des marchés - Lait et produits laitiers - Prélèvement supplémentaire sur le lait - Attribution des quantités de référence exemptes du prélèvement - Attribution initiale dans un État membre ayant adhéré aux Communautés en 1995 - Détermination sur la base de la moyenne des livraisons effectuées pendant les années 1991 à 1993 - Application de coefficients de réduction aux nouveaux producteurs et à ceux ayant augmenté leur production - Exigence d'une période de production ininterrompue - Admissibilité au regard du règlement n° 3950/92 et du principe de non-discrimination
(Traité CE, art. 40, § 3, al. 2 (devenu, après modification, art. 34, § 2, al. 2, CE); Acte d'adhésion de 1994; règlement du Conseil n° 3950/92)
$$Le règlement n° 3950/92, établissant un prélèvement supplémentaire dans le secteur du lait et des produits laitiers, tel que modifié par l'acte relatif aux conditions d'adhésion de la république d'Autriche, de la république de Finlande et du royaume de Suède, ainsi que le principe d'égalité de traitement, consacré plus spécifiquement à l'article 40, paragraphe 3, deuxième alinéa, du traité (devenu, après modification, article 34, paragraphe 2, deuxième alinéa, CE), doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à une réglementation nationale relative à l'attribution initiale des quantités de référence individuelles ("quotas laitiers"), adoptée par un État membre ayant adhéré aux Communautés européennes le 1er janvier 1995, qui:
- détermine les quantités de référence individuelles des producteurs n'ayant pas modifié leur production entre le 1er janvier 1991 et le 31 décembre 1994 sur la base de la moyenne des livraisons effectuées au cours des années 1991 à 1993;
- à la différence des producteurs n'ayant pas modifié leur production entre le 1er janvier 1991 et le 31 décembre 1994 et des producteurs de lait écologiques, applique, pour le calcul des quantités de référence individuelles attribuées aux nouveaux producteurs ayant commencé leur production entre le 1er janvier 1991 et le 31 décembre 1994 et aux producteurs en croissance ayant augmenté pendant la même période une production déjà existante, des coefficients de réduction, de surcroît différents;
- n'octroie une quantité de référence individuelle qu'aux seuls producteurs justifiant d'une production ininterrompue entre le 1er mars 1994 et le 1er janvier 1995, à moins que le producteur ayant involontairement interrompu ses livraisons au cours de cette période puisse se prévaloir de motifs particuliers justifiant l'octroi d'une quantité de référence.
(voir points 41, 61 et disp.)
Dans l'affaire C-292/97,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), par le Regeringsrätten (Suède) et tendant à obtenir, dans les procédures engagées devant cette juridiction par
Kjell Karlsson e.a.,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation du règlement (CEE) n° 3950/92 du Conseil, du 28 décembre 1992, établissant un prélèvement supplémentaire dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO L 405, p. 1), des articles 5 du traité CE (devenu article 10 CE) et 40, paragraphe 3, du traité CE (devenu, après modification, article 34, paragraphe 2, CE), ainsi que du principe d'égalité de traitement,
LA COUR
(sixième chambre),
composée de MM. P. J. G. Kapteyn, faisant fonction de président de la sixième chambre, G. Hirsch (rapporteur) et H. Ragnemalm, juges,
avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,
considérant les observations écrites présentées:
- pour MM. Karlsson et Gustafsson, par MM. J. Borgström et C. M. von Quitzow, en qualité d'avocats à Jönköping,
- pour le gouvernement suédois, par Mme L. Nordling, rättschef au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,
- pour la Commission des Communautés européennes, par Mme A. M. Alves Vieira et M. K. Simonsson, membres du service juridique, en qualité d'agents,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales de MM. Karlsson, Gustafsson et Torarp, représentés par MM. J. Borgström et C. M. von Quitzow ainsi que par M. P. Bentley, QC, du gouvernement suédois, représenté par Mme L. Nordling, et de la Commission, représentée par Mme A. M. Alves Vieira et M. K. Simonsson, à l'audience du 10 décembre 1998,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 26 janvier 1999,
rend le présent
Arrêt
1 Par décision du 27 mai 1997, parvenue à la Cour le 8 août suivant, le Regeringsrätten (Cour administrative suprême) a posé, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), une question relative à l'interprétation du règlement (CEE) n° 3950/92 du Conseil, du 28 décembre 1992, établissant un prélèvement supplémentaire dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO L 405, p. 1), des articles 5 du traité CE (devenu article 10 CE) et 40, paragraphe 3, du traité CE (devenu, après modification, article 34, paragraphe 2, CE), ainsi que du principe d'égalité de traitement.
2 Cette question a été soulevée dans le cadre de trois procédures engagées respectivement par MM. Karlsson et Gustafsson, producteurs de lait, et Torarp, ancien producteur de lait, à l'encontre de décisions par lesquelles la Jordbruksverket (administration suédoise de l'agriculture) a, pour les premiers, soit attribué des quotas laitiers réduits, soit réduit des quotas laitiers déjà attribués et, pour le dernier, refusé de lui attribuer un quota laitier.
Cadre juridique
La réglementation communautaire
3 Afin de maîtriser les excédents structurels sur le marché du lait, les règlements du Conseil, du 31 mars 1984, (CEE) n° 856/84, modifiant le règlement (CEE) n° 804/68 portant organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO L 90, p. 10), et (CEE) n° 857/84, portant règles générales pour l'application du prélèvement visé à l'article 5 quater du règlement (CEE) n° 804/68 (JO L 90, p. 13) ont institué un régime de prélèvements supplémentaires à la charge de tout producteur ou de tout acheteur de lait sur les quantités de lait dépassant une quantité annuelle de référence.
4 Selon l'article 5 quater du règlement (CEE) n° 804/68 du Conseil, du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO L 148, p. 13), tel qu'inséré par le règlement n° 856/84, la somme des quotas laitiers attribués dans chaque État membre aux opérateurs concernés ne pouvait pas dépasser une quantité globale garantie égale à la somme des quantités de lait livrées à des entreprises traitant ou transformant du lait pendant une année de référence. En cas de dépassement du quota attribué, il incombait, soit au producteur, soit à l'acheteur, selon la formule choisie par l'État membre, de payer un prélèvement supplémentaire. Lorsque cette obligation incombait à l'acheteur, celui-ci était tenu, après avoir versé le prélèvement, de le récupérer sur les producteurs ayant dépassé leur quota laitier et ainsi contribué au dépassement du quota laitier de l'acheteur.
5 Les États membres déterminaient le quota laitier revenant à chaque producteur par référence à la quantité de lait ou d'équivalent lait produite par ledit producteur pendant une année de référence entre 1981, 1982 ou 1983, selon le choix de l'État.
6 Autorisés à créer des réserves nationales de quotas laitiers pour faire face aux situations particulières de certains de leurs producteurs, sans toutefois dépasser la quantité globale, les États membres devaient prendre en compte, conformément à l'article 3 du règlement n° 857/84, pour la détermination des quotas laitiers, certaines situations particulières comme celles des producteurs ayant souscrit un plan de développement, des jeunes producteurs ou des producteurs dont la production avait été sensiblement affectée par des événements exceptionnels, limitativement énumérés, survenus au cours de l'année de référence.
7 Conformément à l'article 4 du règlement n° 857/84, les États membres pouvaient également accorder une quantité de référence supplémentaire aux producteurs réalisant un plan de développement de la production laitière répondant à certains critères et aux producteurs exerçant l'activité agricole à titre principal.
8 Le régime de prélèvement supplémentaire, instauré initialement pour une période de cinq ans, du 1er avril 1984 au 31 mars 1989, prolongée ensuite jusqu'au 31 mars 1993, a été reconduit pour sept nouvelles périodes consécutives de douze mois par le règlement n° 3950/92. Ce dernier règlement, qui a abrogé le règlement n° 857/84, a établi les règles de base du régime prorogé en y introduisant diverses modifications en vue, notamment, de le simplifier.
9 Conformément à l'article 4, paragraphe 1, du règlement n° 3950/92, la quantité de référence individuelle disponible sur l'exploitation (ci-après le "quota laitier") est, en principe, égale à celle disponible le 31 mars 1993 et adaptée, le cas échéant, pour chacune des périodes de douze mois concernées, afin que la quantité globale ne soit pas dépassée. Pour le royaume de Suède, qui a adhéré aux Communautés européennes le 1er janvier 1995, l'acte relatif aux conditions d'adhésion de la république d'Autriche, de la république de Finlande et du royaume de Suède et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l'Union européenne (JO 1994, C 241, p. 21, et JO 1995, L 1, p. 1, ci-après l'"acte d'adhésion") a complété cette disposition par un second alinéa, aux termes duquel la date du 31 mars 1993 est remplacée par celle du 31 mars 1996.
10 L'acte d'adhésion a également établi la quantité globale garantie pour le royaume de Suède à 3,3 millions de tonnes pour les livraisons et à 3 000 tonnes pour la vente directe. Aux termes de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 3950/92, tel que modifié par l'acte d'adhésion, cette quantité globale ne peut être dépassée.
11 Les États membres sont autorisés, par l'article 5, premier alinéa, du règlement n° 3950/92, tel que modifié par l'acte d'adhésion, à alimenter la réserve nationale au moyen d'une réduction linéaire de l'ensemble des quantités de référence individuelles, en vue d'accorder des quantités supplémentaires ou spécifiques à des producteurs déterminés, selon des critères objectifs établis en accord avec la Commission.
La réglementation suédoise
12 En vue de l'attribution initiale de quotas laitiers aux producteurs suédois, le royaume de Suède a adopté le Förordning (1994:1714) om mjölkkvoter m.m., (règlement n° 1714 de 1994 sur les quotas laitiers et autres), modifié à compter du 8 février 1995 par le règlement (1995:119) (ci-après le "règlement suédois n° 1714"). Conformément à ce règlement, des quotas laitiers pour les livraisons ont été octroyés pour la période comprise entre le 1er avril 1995 et le 31 mars 1996.
13 Pour qu'un producteur de lait puisse prétendre à un quota laitier pour cette période, l'article 5, premier alinéa, du règlement suédois n° 1714 exigeait qu'il ait livré du lait de manière effective et ininterrompue entre le 1er mars 1994 et le 1er janvier 1995 et qu'il respecte certaines exigences relatives à la protection de l'environnement.
14 Dans l'hypothèse d'une interruption des livraisons pendant cette période, la Jordbruksverket, chargée de veiller au respect de la réglementation en matière de quotas laitiers, pouvait accorder un quota laitier, en vertu de l'article 5, second alinéa, du règlement suédois n° 1714, à condition que l'interruption soit le fait d'une circonstance extérieure à la volonté du producteur et qu'il existe des motifs particuliers de lui allouer un quota laitier en dépit de l'interruption.
15 Aux termes de l'article 6 du règlement suédois n° 1714, le quota laitier de livraison était fixé en fonction de la quantité moyenne de lait livrée au cours des années de référence 1991, 1992 et 1993 (ci-après dénommé "méthode générale"). Toutefois, si cette méthode générale s'appliquait telle quelle aux producteurs n'ayant pas augmenté leur production entre le 1er janvier 1991 et le 31 décembre 1994 (ci-après les "producteurs réguliers"), des règles supplémentaires, voire dérogatoires, régissaient trois catégories particulières de producteurs, à savoir les nouveaux producteurs, les producteurs en croissance et les producteurs écologiques.
16 Les nouveaux producteurs étaient ceux qui n'avaient commencé à effectuer des livraisons qu'après le 1er janvier 1991. En vertu de l'article 10 du règlement suédois n° 1714, leur quota laitier était déterminé sur la base de 7 398 kg de lait par vache et par an, volume ensuite affecté d'une réduction "pour risque propre" de 15 %. Toutefois, à la demande du producteur, son quota laitier pouvait être fixé sur la base des quantités moyennes de livraisons des années 1991 à 1993 en prenant en considération les quantités de lait livrées pendant les mois pendant lesquels il avait livré du lait.
17 Les producteurs en croissance étaient ceux qui, après le 1er janvier 1991, avaient effectué un investissement immobilier en vue d'augmenter la production de lait ou qui, sans un tel investissement, avaient accru le nombre de leurs vaches. Aux termes de l'article 10 bis du règlement suédois n° 1714, ils avaient droit à un quota de base et à un quota additionnel. Le quota de base était calculé selon la méthode générale, compte non tenu des augmentations survenues pendant la période de référence. Ces augmentations, quant à elles, donnaient droit à un quota laitier additionnel calculé, au choix du producteur, soit sur la base de 7 398 kg de lait par nouvelle vache, volume ensuite réduit de 25 % "pour risque propre", soit sur la base d'une quantité de lait pour chaque nouvelle vache correspondant à la quantité moyenne de livraison annuelle par vache pendant la période de référence, quantité également diminuée de 25 % pour risque propre.
18 Les producteurs écologiques, au sens de l'article 7 du règlement suédois n° 1714, pouvaient demander que leur quota laitier soit calculé sur la base de leur production moyenne de lait écologique au cours de l'année 1993 ou 1994. Au cas où un tel producteur souhaitait l'application des règles relatives aux nouveaux producteurs ou aux producteurs en croissance, le quota correspondant lui était attribué conformément aux articles 10 et 10 bis du règlement suédois n° 1714, mais sans aucune réduction pour risque propre.