Cour de justice des Communautés européennes27 janvier 2000
Affaire n°C-164/98
OY et United International Pictures y Cía SRC
c/
Commission des Communautés européennes
61998J0164
Arrêt de la Cour (sixième chambre)
du 27 janvier 2000.
DIR International Film Srl, Nostradamus Enterprises Ltd, Union PN Srl, United International Pictures BV, United International Pictures AB, United International Pictures APS, United International Pictures A/S, United International Pictures EPE, United International Pictures OY et United International Pictures y Cía SRC contre Commission des Communautés européennes.
Programme MEDIA - Conditions d'octroi de prêts - Pouvoir d'appréciation - Motivation.
Affaire C-164/98P.
Recueil de jurisprudence
édition française 2000 page I-0447
1 Culture - Programmes communautaires - Programme MEDIA - Demandes de financement pour la distribution de films - Conditions d'éligibilité - Pouvoir d'appréciation de la Commission - Exigence d'un accord entre trois distributeurs différents pour exploiter un film en salle - Notion de "distributeurs différents" - Interprétation - Prise en considération du contexte et du sens habituel des termes - Distributeurs ne coopérant pas auparavant de manière substantielle et permanente
(Décision du Conseil 90/685)
2 Culture - Programmes communautaires - Programme MEDIA - Octroi d'une aide - Condition - Compatibilité de l'aide avec l'article 85 du traité (devenu article 81 CE)
(Traité CE, art. 85, 86 et 93 (devenus art. 81 CE, 82 CE et 88 CE))
3 Recours en annulation - Compétence du juge communautaire - Interprétation de la motivation d'un acte administratif - Limites
(Traité CE, art. 173 (devenu, après modification, art. 230 CE) et 174 (devenu art. 231 CE))
1 Dans le cadre de la mise en oeuvre du programme d'action pour encourager le développement de l'industrie audiovisuelle européenne (MEDIA), régi par la décision du Conseil 90/685, les lignes directrices de l'organisme qui assiste la Commission dans la mise en oeuvre financière de ce programme - le European Film Distribution Office (EFDO) -, fixent les conditions d'éligibilité du concours financier communautaire.
La circonstance que ces conditions d'éligibilité de l'EFDO existent et qu'elles aient été approuvées par la Commission ne saurait suffire à exclure tout pouvoir d'appréciation dans le chef de la Commission pour apprécier le caractère éligible des demandes de financement.
S'agissant de demandes de financement pour la distribution de films, le point III.1, sous a), des lignes directrices exigeait qu'au moins trois distributeurs différents représentant au moins trois États différents de l'Union européenne, ou des États avec lesquels des contacts de coopération ont été passés, se mettent d'accord pour exploiter un film en salle et qu'ils fassent parvenir leurs demandes pour la même date limite.
En l'absence de toute définition de la notion de "distributeurs différents" dans les lignes directrices, la détermination de la signification et de la portée de ces termes doit être établie en considération du contexte général dans lequel ils sont utilisés et conformément à leur sens habituel en langage courant.
C'est donc à bon droit que le Tribunal a considéré que la Commission pouvait interpréter et appliquer la condition relative à l'exigence de trois distributeurs différents par référence aux objectifs poursuivis par le programme MEDIA tels qu'ils ressortent de la communication de la Commission sur la politique audiovisuelle et de la décision 90/685 et, partant, exiger que, pour que les demandes de financement pour la distribution de films soient éligibles, elles soient présentées par au moins trois distributeurs qui ne coopéraient pas auparavant de manière substantielle et permanente.
(voir points 22-27)
2 Les mêmes règles de cohérence qui exigent que la Commission ne puisse autoriser une aide d'État au terme de la procédure de l'article 93 du traité (devenu article 88 CE), sans vérifier que le bénéficiaire de celle-ci ne se trouve pas en situation de contrevenir aux articles 85 et 86 du traité (devenus articles 81 CE et 82 CE), exigent, dans le cadre de la mise en oeuvre du programme MEDIA, régi par la décision du Conseil 90/685, qu'une aide communautaire ne soit pas accordée à une entreprise commune sans que la compatibilité de celle-ci avec l'article 85 du traité soit examinée.
(voir points 29, 30)
3 Dans le cadre du contrôle de la légalité visé à l'article 173 du traité (devenu, après modification, article 230 CE), la Cour et le Tribunal sont compétents pour se prononcer sur les recours pour incompétence, violation des formes substantielles, violation du traité ou de toute règle de droit relative à son application, ou détournement de pouvoir. L'article 174 du traité (devenu article 231 CE) prévoit que, si le recours est fondé, l'acte contesté est déclaré nul et non avenu. La Cour et le Tribunal ne peuvent donc, en toute hypothèse, substituer leur propre motivation à celle de l'auteur de l'acte attaqué.
Si, dans le cadre d'un recours en annulation, le Tribunal peut être amené à interpréter la motivation d'un acte attaqué d'une manière différente de son auteur, voire même, dans certaines circonstances, à rejeter la motivation formelle retenue par celui-ci, il ne peut le faire lorsqu'aucun élément matériel ne le justifie.
Doit donc être annulé l'arrêt du Tribunal dans lequel, en raison d'une dénaturation du contenu de la décision attaquée, le Tribunal a substitué sa propre motivation à celle de l'auteur de l'acte.
(voir points 38, 42, 48-49)
Dans l'affaire C-164/98 P,
DIR International Film Srl, établie à Rome (Italie),
Nostradamus Enterprises Ltd, établie à Londres (Royaume-Uni),
Union PN Srl, établie à Rome,
United International Pictures BV, établie à Amsterdam (Pays-Bas),
United International Pictures AB, établie à Stockholm (Suède),
United International Pictures APS, établie à Copenhague (Danemark),
United International Pictures A/S, établie à Oslo (Norvège),
United International Pictures EPE, établie à Athènes (Grèce),
United International Pictures OY, établie à Helsinki (Finlande)
United International Pictures y Cía SRC, établie à Madrid (Espagne),
représentées par Mes A. Vandencasteele et O. Speltdoorn, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me E. Arendt, 8-10, rue Mathias Hardt,
parties requérantes,
ayant pour objet un pourvoi formé contre l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes (première chambre) du 19 février 1998, DIR International Film e.a./Commission (T-369/94 et T-85/95, Rec. p. II-357), et tendant à l'annulation de cet arrêt, l'autre partie à la procédure étant: Commission des Communautés européennes, représentée par Mme K. Banks, membre du service juridique, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du même service, Centre Wagner, Kirchberg, partie défenderesse en première instance,
LA COUR
(sixième chambre),
composée de MM. R. Schintgen, président de la deuxième chambre, faisant fonction de président de la sixième chambre, G. Hirsch (rapporteur) et H. Ragnemalm, juges,
avocat général: M. S. Alber,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 6 mai 1999,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 1er juillet 1999,
rend le présent
Arrêt
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 27 avril 1998, DIR International Film Srl, Nostradamus Enterprises Ltd, Union PN Srl, United International Pictures BV, United International Pictures AB, United International Pictures APS, United International Pictures A/S, United International Pictures EPE, United International Pictures OY et United International Pictures y Cía SRC ont, en vertu de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du Tribunal de première instance du 19 février 1998, DIR International Film e.a./Commission (T-369/94 et T-85/95, Rec. p. II-357, ci-après l'"arrêt attaqué"), par lequel celui-ci a, notamment, rejeté leur recours tendant à l'annulation de la décision du European Film Distribution Office - Europaïsches Filmbüro eV (ci-après l'"EFDO"), communiquée aux requérantes par lettre du 10 janvier 1995, qui a rejeté leur demande de financement (ci-après la "décision litigieuse").
Cadre juridique, faits et procédure
2 Le cadre juridique et les faits qui sont à l'origine du litige sont exposés dans l'arrêt attaqué dans les termes suivants:
"1 Le Conseil a adopté, le 21 décembre 1990, une décision 90/685/CEE concernant la mise en oeuvre d'un programme d'action pour encourager le développement de l'industrie audiovisuelle européenne (MEDIA) (1991-1995) (JO L 380, p. 37, ci-après 'décision 90/685'), MEDIA étant l'acronyme de 'mesures pour encourager le développement de l'industrie audiovisuelle'. Il y constate, tout d'abord, que le renforcement de la capacité audiovisuelle de l'Europe a été considéré par le Conseil européen comme étant de la plus haute importance (premier considérant). Il précise, ensuite, avoir pris note de la communication de la Commission accompagnée de deux propositions de décision du Conseil, relatives à un programme d'action pour encourager le développement de l'industrie audiovisuelle européenne 'MEDIA'1991-1995 [COM(90) 132 final, du 4 mai 1990, non publiée au Journal officiel des Communautés européennes, ci-après 'communication sur la politique audiovisuelle'] (huitième considérant). Il souligne, par ailleurs, que l'industrie audiovisuelle européenne devrait surmonter la fragmentation des marchés et adapter ses structures de production et de distribution, trop étroites et insuffisamment rentables (quatorzième considérant) et qu'il convient d'accorder, dans ce contexte, une attention particulière aux petites et moyennes entreprises (quinzième considérant).
2 L'article 2 de la décision 90/685 énumère les objectifs du programme MEDIA comme suit:
- contribuer à créer un contexte favorable dans lequel les entreprises de la Communauté jouent un rôle moteur à côté de celles des autres pays européens,
- stimuler et renforcer la capacité d'offre compétitive des produits audiovisuels européens en tenant compte notamment du rôle et des besoins des petites et moyennes entreprises, des intérêts légitimes de tous les professionnels participant à la création originale de ces produits et de la situation des pays à moindre capacité de production audiovisuelle et/ou à aire géographique et linguistique restreinte en Europe,
- multiplier les échanges intra-européens de films et de programmes audiovisuels et exploiter au maximum les différents moyens de distribution existants ou à créer en Europe, en vue d'une plus grande rentabilité des investissements, d'une diffusion plus large et d'un impact public accru,
- accroître la place des entreprises européennes de production et de distribution sur les marchés mondiaux,
- favoriser l'accès aux nouvelles technologies, en particulier européennes, de la communication dans la production et la distribution d'oeuvres audiovisuelles, ainsi que l'utilisation de ces technologies,
- favoriser une approche globale de l'audiovisuel permettant de prendre en compte l'interdépendance de ses différents secteurs,
- assurer la complémentarité des efforts déployés au niveau européen par rapport à ceux entrepris au niveau national,
- contribuer, en particulier par l'amélioration des compétences des professionnels de l'audiovisuel dans la Communauté en matière de gestion économique et commerciale, à créer, en liaison avec les institutions existant dans les États membres, les conditions permettant aux entreprises du secteur de tirer pleinement parti de la dimension du marché unique.
3 Par ailleurs, la Commission a constaté dans sa communication sur la politique audiovisuelle (p. 9) que [l'EFDO], association enregistrée à Hambourg (Allemagne), 'contribue à créer des réseaux de codistribution en favorisant la coopération entre des sociétés qui, chacune, opérait auparavant isolément sur son territoire national'.
4 L'article 7, paragraphe 1, de la décision 90/685 dispose que la Commission est responsable de la mise en oeuvre du programme MEDIA. Selon le point 1.1 de l'annexe I à la décision 90/685, l'un des mécanismes à employer dans la mise en oeuvre du programme MEDIA est de développer de manière significative l'action entreprise par l'EFDO dans le soutien à la distribution transnationale de films européens dans les salles de cinéma.
5 Dans ce cadre, la Commission a conclu des accords avec l'EFDO, portant sur la mise en oeuvre financière du programme MEDIA. Une copie de l'accord pour l'année 1994, pertinente en l'espèce, a été versée au dossier (ci-après 'accord de 1994').
6 L'article 3, paragraphe 2, dudit accord fait référence aux modalités de collaboration décrites en annexe 3, qui font partie intégrante de l'accord. Ces modalités de collaboration ont également été versées au dossier par la Commission. Elles prévoient notamment l'obtention d'un accord préalable des représentants de la Commission lorsqu'il s'agit de toute question affectant la mise en oeuvre du programme MEDIA et notamment lorsqu'il s'agit 'de façon générale, de toute négociation susceptible d'avoir des répercussions sur les relations entre la Commission et des pouvoirs politiques et/ou des organisations professionnelles'[paragraphe 1, sous g)].
7 Le fonctionnement de l'EFDO est en outre soumis aux lignes directrices adoptées par lui-même et approuvées, de manière non précisée, par la Commission. La version du 15 février 1994 desdites lignes directrices a également été versée au dossier. Selon ces lignes directrices, l'EFDO gère un fonds qui accorde à des distributeurs de films des prêts à hauteur de 50 % des coûts prévisionnels de distribution, sans intérêts et remboursables seulement si le film amortit les coûts prévisionnels dans le pays pour lequel le prêt est accordé. Le prêt sert à réduire le risque relatif à la distribution de films et aide à assurer l'exploitation de films qui, en l'absence d'un tel financement, auraient peu de chance d'être diffusés en salle. Les décisions sur les demandes de prêt sont prises par le comité de sélection de l'EFDO.
...
12 Le point VI.3 des lignes directrices permet, enfin, un rejet d'une demande de concours sans motivation si l'EFDO a connaissance, directement ou indirectement, de tout fait laissant à penser que le prêt ne sera pas ou ne pourra pas être dûment remboursé.
13 La première et la troisième requérante, DIR International Film Srl et Union PN Srl, sont les producteurs du film italien 'Maniaci Sentimentali' et la deuxième requérante, Nostradamus Enterprises Ltd, est le producteur du film 'Nostradamus', une coproduction anglo-allemande. La quatrième requérante, United International Pictures BV (ci-après 'UIP'), une filiale commune des sociétés Paramount Communications Inc. (une société américaine), MCA Inc. (une société japonaise) et Metro-Goldwyn-Mayer Inc. (une société française), dans laquelle elles étaient associées à parts égales à la date d'introduction des recours, a pour activité principale la distribution de longs métrages à travers le monde, exception faite des États-Unis, de Porto Rico et du Canada. (...) United International Pictures AB (Suède), United International Pictures APS (Danemark), United International Pictures A/S (Norvège), United International Pictures EPE (Grèce), United International Pictures OY (Finlande) et United International Pictures y Cía SRC (Espagne) sont des filiales de UIP et font office de distributeurs locaux dans leur pays respectif (ci-après 'filiales').