Cour de justice des Communautés européennes12 mai 1998
Affaire n°C-85/96
María Martínez Sala
c/
Freistaat Bayern
61996J0085
Arrêt de la Cour
du 12 mai 1998.
María Martínez Sala contre Freistaat Bayern.
Demande de décision préjudicielle: Bayerisches Landessozialgericht - Allemagne.
Articles 8 A, 48 et 51 du traité CE - Notion de 'travailleur'- Article 4 du règlement (CEE) nº 1408/71 - Allocation d'éducation - Notion de 'prestation familiale'- Article 7, paragraphe 2, du règlement (CEE) nº 1612/68 - Notion d'"avantage social" - Exigence de possession d'une carte ou d'un titre de séjour.
Affaire C-85/96.
Recueil de Jurisprudence 1998 page I-2691
1 Sécurité sociale des travailleurs migrants - Réglementation communautaire - Champ d'application matériel - Allocation d'éducation destinée à compenser les charges de famille du bénéficiaire, octroyée sur la base de critères objectifs et légalement définis - Inclusion
(Règlement du Conseil n° 1408/71, art. 4, § 1, h))
2 Libre circulation des personnes - Travailleurs - Égalité de traitement - Avantages sociaux - Notion - Allocation d'éducation destinée à compenser les charges de famille du bénéficiaire, octroyée sur la base de critères objectifs et légalement définis - Inclusion
(Règlement du Conseil n° 1612/68, art. 7, § 2)
3 Libre circulation des personnes - Travailleurs - Notion de travailleur - Contenu variable selon le domaine d'application envisagé - Travailleur au sens de l'article 48 du traité et du règlement n° 1612/68 - Notion - Travailleur au sens du règlement n° 1408/71 - Notion
(Traité CE, art. 48 et 51; règlements du Conseil n° 1612/68 et n° 1408/71, art. 1er, a), et 2)
4 Citoyenneté de l'Union européenne - Dispositions du traité - Champ d'application personnel - Ressortissant d'un État membre résidant légalement sur le territoire d'un autre État membre - Inclusion - Effet - Jouissance des droits associés au statut de citoyen de l'Union européenne
(Traité CE, art. 6 et 8, § 2)
5 Droit communautaire - Principes - Égalité de traitement - Discrimination en raison de la nationalité - Allocation d'éducation - Conditions d'octroi - Réglementation nationale exigeant des seuls ressortissants des autres États membres la production d'une carte de séjour - Inadmissibilité
(Traité CE, art. 6)
1 Une prestation telle qu'une allocation d'éducation, qui est accordée automatiquement aux personnes répondant à certains critères objectifs, en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels, et qui vise à compenser les charges de famille, relève du domaine de l'application ratione materiae du droit communautaire en tant que prestation familiale au sens de l'article 4, paragraphe 1, sous h), du règlement n° 1408/71.
2 Une prestation telle qu'une allocation d'éducation, qui est accordée automatiquement aux personnes répondant à certains critères objectifs, en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels, et qui vise à compenser les charges de famille, relève du domaine de l'application ratione materiae du droit communautaire en tant qu'avantage social au sens de l'article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68.
En effet, la notion d'avantage social recouvre tous les avantages qui, liés ou non à un contrat d'emploi, sont généralement reconnus aux travailleurs nationaux en raison, principalement, de leur qualité objective de travailleurs ou du simple fait de leur résidence ordinaire sur le territoire national, et dont l'extension aux travailleurs ressortissants d'autres États membres apparaît dès lors comme de nature à faciliter leur mobilité à l'intérieur de la Communauté.
3 La notion de travailleur en droit communautaire n'est pas univoque mais varie selon le domaine d'application envisagé. Ainsi la notion de travailleur utilisée dans le cadre de l'article 48 du traité et du règlement n° 1612/68 ne coïncide pas nécessairement avec celle qui a cours dans le domaine de l'article 51 du traité et du règlement n° 1408/71.
Doit être considérée comme un travailleur au sens de l'article 48 du traité et du règlement n° 1612/68 la personne qui accomplit, pendant un certain temps, en faveur d'une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle perçoit une rémunération.
Par contre, la qualité de travailleur au sens du règlement n° 1408/71 est attribuée à toute personne qui est assurée, ne serait-ce que contre un seul risque, au titre d'une assurance obligatoire ou facultative auprès d'un régime général ou particulier de sécurité sociale mentionné à l'article 1er, sous a), du règlement n° 1408/71, et ce indépendamment de l'existence d'une relation de travail.
4 Un ressortissant d'un État membre, résidant légalement sur le territoire d'un autre État membre, relève du domaine d'application ratione personae des dispositions du traité consacrées à la citoyenneté européenne et peut se prévaloir des droits prévus par le traité que l'article 8, paragraphe 2, attache au statut de citoyen de l'Union, dont celui, prévu à l'article 6, de ne pas subir de discrimination en raison de la nationalité dans le champ d'application ratione materiae du traité.
5 Le droit communautaire s'oppose à ce qu'un État membre exige des ressortissants des autres États membres autorisés à résider sur son territoire qu'ils produisent une carte de séjour en bonne et due forme, délivrée par l'administration nationale, pour bénéficier d'une allocation d'éducation, alors que les nationaux sont uniquement tenus d'avoir leur domicile ou leur lieu de résidence ordinaire dans cet État membre.
En effet, aux fins de l'octroi d'une telle prestation, la carte de séjour ne saurait acquérir une valeur constitutive, alors que, aux fins de la reconnaissance du droit de séjour, elle n'acquiert qu'une valeur déclaratoire et probante.
Dans l'affaire C-85/96,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par le Bayerisches Landessozialgericht (Allemagne) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
María Martínez Sala
Freistaat Bayern,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 1er, 2, 3, paragraphe 1, et 4, paragraphe 1, sous h), du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983 (JO L 230, p. 6), tel que modifié par le règlement (CEE) n° 3427/89 du Conseil, du 30 octobre 1989 (JO L 331, p. 1), ainsi que de l'article 7, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2),
LA COUR,
composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, C. Gulmann, H. Ragnemalm et M. Wathelet, présidents de chambre, G. F. Mancini, J. C. Moitinho de Almeida, P. J. G. Kapteyn, J. L. Murray, D. A. O. Edward (rapporteur), J.-P. Puissochet, G. Hirsch, P. Jann et L. Sevón, juges,
avocat général: M. A. La Pergola,
greffier: M. H. A. Rühl, administrateur principal,
considérant les observations écrites présentées:
- pour Mme Martínez Sala, par M. Antonio Pérez Garrido, "Leiter der Rechtsstelle" à l'ambassade espagnole à Bonn,
- pour le gouvernement allemand, par MM. Ernst Röder, Ministerialrat au ministère fédéral de l'Économie, et Bernd Kloke, Oberregierungsrat au même ministère, en qualité d'agents,
- pour le gouvernement espagnol, par M. D. Luis Pérez de Ayala Becerril, abogado del Estado, du service juridique de l'État, en qualité d'agent,
- pour la Commission des Communautés européennes, par MM. Peter Hillenkamp, conseiller juridique, et Klaus-Dieter Borchardt, membre du service juridique, en qualité d'agents,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales de Mme Martínez Sala, représentée par M. Antonio Pérez Garrido, du gouvernement allemand, représenté par M. Ernst Röder, du gouvernement espagnol, représenté par M. D. Luis Pérez de Ayala Becerril, du gouvernement français, représenté par M. Claude Chavance, secrétaire des affaires étrangères à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par M. Stephen Richards, barrister, et de la Commission, représentée par M. Klaus-Dieter Borchardt, à l'audience du 15 avril 1997,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 1er juillet 1997,
rend le présent
Arrêt
1 Par ordonnance du 2 février 1996, parvenue à la Cour le 20 mars suivant, le Bayerisches Landessozialgericht a posé, en application de l'article 177 du traité CE, quatre questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 1er, 2, 3, paragraphe 1, et 4, paragraphe 1, sous h), du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983 (JO L 230, p. 6), tel que modifié par le règlement (CEE) n° 3427/89 du Conseil, du 30 octobre 1989 (JO L 331, p. 1), ainsi qu'à l'interprétation de l'article 7, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2).
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Mme Martínez Sala au Freistaat Bayern au sujet du refus de ce dernier de lui octroyer une allocation d'éducation pour son enfant.
Le droit communautaire
3 Le règlement n° 1612/68 prévoit, en son article 7, paragraphe 2, que le travailleur ressortissant d'un État membre bénéficie, sur le territoire des autres États membres, des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux.
4 Conformément à l'article 1er, sous a), i), du règlement n° 1408/71, le terme "travailleur" désigne, aux fins de l'application de ce règlement, toute personne "qui est assurée au titre d'une assurance obligatoire ou facultative continuée contre une ou plusieurs éventualités correspondant aux branches d'un régime de sécurité sociale s'appliquant aux travailleurs salariés ou non salariés". L'article 2 prévoit que le règlement s'applique "aux travailleurs salariés ou non salariés qui sont ou ont été soumis à la législation de l'un ou de plusieurs États membres".
5 Selon l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71, "Les personnes qui résident sur le territoire de l'un des États membres et auxquelles les dispositions du présent règlement sont applicables sont soumises aux obligations et sont admises au bénéfice de la législation de tout État membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de celui-ci, sous réserve de dispositions particulières contenues dans le présent règlement."
6 Aux termes de son article 4, paragraphe 1, sous h), le règlement n° 1408/71 s'applique "à toutes les législations relatives aux... prestations familiales". Selon son article 1er, sous u), i), sont des "prestations familiales" "toutes les prestations en nature ou en espèces destinées à compenser les charges de famille dans le cadre d'une législation prévue à l'article 4, paragraphe 1, sous h), à l'exclusion des allocations spéciales de naissance mentionnées à l'annexe II".
7 Selon l'annexe I, point I - "Travailleurs salariés et/ou travailleurs non salariés [article 1er, sous a), ii) et iii), du règlement]" -, C ("Allemagne"), du règlement n° 1408/71,
"Si une institution allemande est l'institution compétente pour l'octroi des prestations familiales, conformément au titre III, chapitre 7, du règlement, est considérée au sens de l'article 1er, sous a), ii), du règlement:
a) comme travailleur salarié, la personne assurée à titre obligatoire contre le risque de chômage ou la personne qui obtient, à la suite de cette assurance, des prestations en espèces de l'assurance maladie ou des prestations analogues;
b) comme travailleur non salarié, la personne qui exerce une activité non salariée et qui est tenue:
- de s'assurer ou de cotiser pour le risque vieillesse dans un régime de travailleurs non salariés
- de s'assurer dans le cadre de l'assurance pension obligatoire."
La réglementation allemande et la convention européenne d'assistance sociale et médicale
8 En Allemagne, l'allocation d'éducation est une prestation non contributive qui s'inscrit dans un ensemble de mesures en matière de politique familiale et qui est octroyée en application du Bundeserziehungsgeldgesetz du 6 décembre 1985 (loi relative à l'octroi de l'allocation et du congé d'éducation, BGBl. I, p. 2154, ci-après le "BErzGG").
9 Dans sa version du 25 juillet 1989 (BGBl. I, p. 1550), modifiée par la loi du 17 décembre 1990 (BGBl. I, p. 2823), le BErzGG prévoit, en son article 1er, paragraphe 1, que peut prétendre à l'allocation d'éducation toute personne: 1) ayant son domicile ou son lieu de résidence ordinaire sur le territoire relevant de cette loi, 2) ayant dans son ménage un enfant dont elle a la charge, 3) assurant la garde et l'éducation de cet enfant et 4) n'exerçant pas d'activité ou d'activité professionnelle à plein temps.
10 Sous la lettre a) de l'article 1er, paragraphe 1, le BErzGG énonce que "tout étranger qui veut bénéficier de l'allocation doit posséder une autorisation de séjour (Aufenthaltsberechtigung) ou un titre de séjour (Aufenthaltserlaubnis)". La juridiction de renvoi relève que, selon une jurisprudence constante du Bundessozialgericht, seul celui qui produit un document de l'Office des étrangers attestant en bonne et due forme le droit de séjour dès le début de la période de prestation est "en possession" d'une autorisation de séjour; la simple attestation qu'une demande de titre de séjour a été introduite et que le séjour est donc autorisé ne suffit pas pour que la personne concernée soit considérée comme étant en possession d'une autorisation de séjour au sens de la disposition précitée.
11 Selon l'article 1er de la convention européenne d'assistance sociale et médicale, adoptée par le Conseil de l'Europe le 11 décembre 1953 et en vigueur depuis 1956 en Allemagne et depuis 1983 en Espagne, "chacune des Parties Contractantes s'engage à faire bénéficier les ressortissants des autres Parties Contractantes, en séjour régulier sur toute partie de son territoire auquel s'applique la présente Convention et qui sont privés de ressources suffisantes, à l'égal de ses propres ressortissants et aux mêmes conditions, de l'assistance sociale et médicale prévue par la législation en vigueur dans la partie du territoire considéré."