Cour de justice des Communautés européennes22 mars 2001
Affaire n°C-17/99
République française
c/
Commission des Communautés européennes
61999J0017
Arrêt de la Cour (cinquième chambre)
du 22 mars 2001.
République française contre Commission des Communautés européennes.
Aides d'Etat - Aides au sauvetage et à la restructuration - Procédure d'examen des aides d'Etat - Omission d'adresser à l'Etat membre une injonction de communiquer les informations nécessaires.
Affaire C-17/99.
Recueil de jurisprudence 2001 page 0000
1 Actes des institutions - Motivation - Obligation - Portée - Décision de la Commission en matière d'aides d'État - Contrôle juridictionnel
(Traité CE, art. 190 (devenu art. 253 CE) et art. 92 (devenu, après modification, art. 87 CE))
2 Aides accordées par les États - Interdiction - Dérogations - Aides pouvant être considérées comme compatibles avec le marché commun - Aides à la restructuration d'une entreprise en difficulté - Conditions - Absence d'un plan cohérent de restructuration au moment de l'octroi de l'aide - Conséquences
(Traité CE, art. 92, § 3, c) (devenu, après modification, art. 87, § 3, c), CE) et art. 93, § 2 (devenu art. 88, § 2, CE))
1 L'obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l'acte litigieux. La motivation exigée par l'article 190 du traité (devenu article 253 CE) doit être adaptée à la nature de l'acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l'institution, auteur de l'acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d'exercer son contrôle. Cette exigence doit être appréciée en fonction des circonstances de l'espèce, notamment du contenu de l'acte, de la nature des motifs invoqués et de l'intérêt que les destinataires ou d'autres personnes concernées directement et individuellement par l'acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n'est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d'un acte satisfait aux exigences de l'article 190 du traité doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée.
Il ne saurait être question d'examiner, au titre du contrôle du respect de l'obligation de motivation d'une décision en matière d'aides d'État, la légalité au fond des motifs ainsi invoqués par la Commission pour justifier la décision attaquée. Cet examen relève du contrôle de la violation de l'article 92 du traité (devenu, après modification, article 87 CE).
(voir points 35-36, 38)
2 Il ressort des lignes directrices communautaires pour les aides d'État au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficulté, que, pour être déclarées compatibles avec l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité (devenu, après modification, article 87, paragraphe 3, sous c), CE), les aides à des entreprises en difficulté doivent être liées à un plan de restructuration visant à réduire ou à réorienter leurs activités. Ce plan, qui doit être présenté à la Commission avec toutes les précisions nécessaires, doit permettre de rétablir dans un délai raisonnable la viabilité à long terme de l'entreprise, sur la base d'hypothèses réalistes en ce qui concerne ses conditions d'exploitation futures, tout en limitant autant que possible les conséquences défavorables pour les concurrents et en garantissant la proportionnalité des aides aux coûts et aux avantages de la restructuration. Il incombe à l'entreprise concernée de mettre en oeuvre intégralement le plan de restructuration tel qu'il a été accepté par la Commission, cette mise en oeuvre et le bon déroulement dudit plan intervenant sous le contrôle de cette dernière, à laquelle des rapports annuels détaillés devront être présentés.
Par conséquent, en l'absence d'un plan de restructuration crédible, la Commission est fondée à refuser l'autorisation des aides en cause en application desdites lignes directrices.
(voir points 45, 49)
Dans l'affaire C-17/99,
République française, représentée par Mme K. Rispal-Bellanger et M. F. Million, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par M. G. Rozet, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse,
ayant pour objet l'annulation de la décision 1999/378/CE de la Commission, du 4 novembre 1998, concernant l'aide de la France en faveur de Nouvelle Filature Lainière de Roubaix (JO 1999, L 145, p. 18),
LA COUR
(cinquième chambre),
composée de MM. A. La Pergola, président de chambre, M. Wathelet (rapporteur), L. Sevón, S. von Bahr et C. W. A. Timmermans, juges,
avocat général: M. S. Alber,
greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 23 novembre 2000,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 11 janvier 2001,
rend le présent
Arrêt
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 25 janvier 1999, la République française a, en vertu de l'article 173, premier alinéa, du traité CE (devenu, après modification, article 230, premier alinéa, CE), demandé l'annulation de la décision 1999/378/CE de la Commission, du 4 novembre 1998, concernant l'aide de la France en faveur de Nouvelle Filature Lainière de Roubaix (JO 1999, L 145, p. 18, ci-après la "décision attaquée").
Le cadre juridique
2 À la date de l'adoption de la décision attaquée, la Commission appréciait les aides d'État au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficulté à la lumière des lignes directrices communautaires publiées au Journal officiel des Communautés européennes en 1994 (JO C 368, p. 12, ci-après les "lignes directrices").
3 Aux termes du point 3.2.1 des lignes directrices:
"Les aides à la restructuration posent des problèmes particuliers en matière de concurrence étant donné qu'elles peuvent aboutir à transférer une part inéquitable de la charge d'une adaptation structurelle et des problèmes sociaux et industriels qui en découlent à d'autres producteurs qui ne bénéficient pas d'une aide, ainsi qu'à d'autres États membres. Le principe général devrait donc être de n'autoriser une aide à la restructuration que dans les cas où l'on peut démontrer qu'il est dans l'intérêt de la Communauté qu'elle le soit. Cela ne sera possible que si elle satisfait à des critères stricts et que si l'on a pleinement tenu compte des distorsions éventuelles qu'elle pourrait entraîner."
4 Conformément au point 3.2.2 des lignes directrices, il faut, pour que la Commission puisse approuver une aide, que le plan de restructuration remplisse les conditions générales concernant notamment le retour à la viabilité à long terme de l'entreprise, la prévention des distorsions de concurrence indues et le caractère proportionné de l'aide aux coûts et aux avantages de la restructuration.
5 S'agissant tout d'abord du retour à la viabilité, le point 3.2.2, A, premier alinéa, des lignes directrices prévoit:
"La condition sine qua non de tous les plans de restructuration est qu'ils doivent permettre de rétablir dans un délai raisonnable la viabilité à long terme de l'entreprise, sur la base d'hypothèses réalistes en ce qui concerne ses conditions d'exploitation futures. [...]"
6 Ensuite, afin de prévenir des distorsions de concurrence indues, des mesures doivent être prises "pour atténuer autant que possible les conséquences défavorables pour les concurrents". En particulier, le point 3.2.2, B, deuxième alinéa, des lignes directrices précise:
"Lorsqu'une évaluation objective de la situation de l'offre et de la demande montre qu'il existe une surcapacité structurelle sur un marché en cause de la Communauté européenne sur lequel le bénéficiaire de l'aide poursuit des activités, le plan de restructuration doit contribuer, en proportion de l'aide reçue, à la restructuration du secteur desservant ce marché dans la Communauté européenne, par une réduction ou une fermeture irréversibles des capacités de production. [...]"
7 Enfin, pour ce qui est de la proportionnalité de l'aide aux coûts et aux avantages de la restructuration, le point 3.2.2, C, premier alinéa, des lignes directrices énonce:
"Le montant et l'intensité de l'aide doivent être limités au strict minimum nécessaire pour permettre la restructuration et doivent être en rapport avec les avantages escomptés du point de vue communautaire. Pour ces raisons, les bénéficiaires de l'aide doivent normalement contribuer de manière importante au plan de restructuration sur leurs propres ressources ou par un financement extérieur obtenu aux conditions du marché. Pour limiter les distorsions de concurrence, il convient d'éviter que l'aide ne soit accordée sous une forme qui amène l'entreprise à disposer de liquidités excédentaires qu'elle pourrait consacrer à des activités agressives susceptibles de provoquer des distorsions sur le marché et qui ne seraient pas liées au processus de restructuration. L'aide ne doit pas servir non plus à financer de nouveaux investissements qui ne sont pas nécessaires pour la restructuration. [...]"
Les faits du litige
8 Au cours des mois de mai et de septembre 1996, la Commission a été saisie de plusieurs plaintes à l'encontre d'aides octroyées ou potentiellement octroyées par le gouvernement français en faveur de la société Nouvelle filature lainière de Roubaix dans le cadre du redressement judiciaire du groupe SA Filature lainière de Roubaix (ci-après les "aides litigieuses"). Ces plaintes mettaient en cause un moratoire de huit ans, accordé à celui-ci par le comité interministériel de restructuration industrielle, pour le paiement de sa dette sociale et fiscale, d'un montant de 82 000 000 FRF, ainsi qu'une demande d'intervention de la part dudit comité pour éviter le dépôt de bilan de cette société.
9 En réponse à une demande d'information de la Commission, les autorités françaises ont informé cette dernière, par lettres des 18 juin et 15 juillet 1996, que le groupe SA Filature lainière de Roubaix avait traversé, à partir du début des années 90, une période de graves difficultés d'exploitation ayant conduit à d'importantes tensions de trésorerie et à des retards de paiement de sa dette sociale et fiscale. Repris en 1993 par M. Verbeke, ce groupe a présenté un plan de restructuration prévoyant le paiement intégral du montant de ladite dette, sous réserve d'un étalement des remboursements sur une période de huit ans. Toutefois, de nouvelles difficultés économiques et financières sont survenues à partir de 1995. Incapables de faire face à leurs échéances, les dirigeants du groupe ont déposé une déclaration de cessation des paiements auprès du tribunal de commerce de Roubaix (France) qui a ouvert la procédure de redressement judiciaire le 30 avril 1996.
10 Après avoir constaté que la situation économique et sociale dudit groupe ne rendait pas possible un plan de redressement et après avoir procédé à un appel d'offres en vue de la cession de celui-ci, le tribunal de commerce de Roubaix a ordonné, par jugement du 17 septembre 1996, la cession du groupe à M. Chapurlat au prix de 4 278 866 FRF, le repreneur s'étant engagé à poursuivre les contrats de travail de 225 salariés sur les 587 qui constituaient l'effectif du personnel et à payer une somme de 50 000 FRF par emploi supprimé dans l'année suivant la date d'entrée en jouissance. En outre, ledit tribunal a autorisé le licenciement de 362 salariés et désigné un liquidateur en raison de la dissolution de plein droit du groupe SA Filature lainière de Roubaix découlant de son jugement.
11 En septembre 1996, les autorités françaises ont notifié à la Commission la mesure d'aide à la restructuration qu'elles envisageaient en faveur de la nouvelle société créée par M. Chapurlat, sous le nom de "Nouvelle filature lainière de Roubaix", dont le capital social s'élevait à la somme de 510 000 FRF. Cette mesure d'aide pour un montant total de 40 000 000 FRF se décomposait en un prêt participatif d'un montant de 18 000 000 FRF et en une subvention d'un montant de 22 000 000 FRF.
12 À la demande de la Commission, le gouvernement français a par la suite fourni des informations complémentaires relatives à ladite mesure d'aide.
13 Par lettre du 18 août 1997, la Commission a notifié au gouvernement français sa décision d'ouvrir la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 2, CE). Cette décision comportait une description détaillée des faits ainsi qu'une appréciation provisoire de ceux-ci par la Commission au regard des lignes directrices. Cette dernière y faisait également état de l'insuffisance des informations fournies en vue d'une appréciation finale et, en particulier, d'une autorisation des aides litigieuses. Dans cette perspective, l'absence d'un plan de restructuration répondant aux exigences communautaires était explicitement soulignée par la Commission. En conclusion, celle-ci invitait formellement les autorités françaises à lui adresser "toute autre information qu'elles jugeraient utile pour l'appréciation de l'aide en cause".
14 La République française a formulé ses observations dans une lettre du 24 septembre 1997 et a fourni des informations complémentaires par lettres des 8 mai, 21 juillet, 16 et 30 octobre 1998, lesquelles font notamment ressortir que, en 1997, la société Nouvelle filature lainière de Roubaix a subi une perte d'exploitation de 897 497 FRF.
15 La procédure de l'article 93, paragraphe 2, du traité a été clôturée par l'adoption de la décision attaquée, dont le dispositif est libellé comme suit:
"Article premier
L'aide sous forme de prime d'investissement accordée par la France en faveur de Nouvelle Filature Lainière de Roubaix pour un montant de 7,77 millions de FRF peut être considérée comme compatible avec le marché commun sur la base de l'article 92, paragraphe 3, point c), du traité.
Article 2
L'aide sous forme de prime d'investissement accordée par la France en faveur de Nouvelle Filature Lainière de Roubaix pour un montant de 14,23 millions de FRF est incompatible avec le marché commun.
Article 3
1. Le prêt participatif de 18 millions de FRF constitue une aide dans la mesure où le taux appliqué à ce prêt par la France est inférieur au taux de référence de 8,28 % applicable au moment de l'octroi du prêt.
2. L'aide visée au paragraphe 1 accordée par la France en faveur de Nouvelle Filature Lainière de Roubaix est incompatible avec le marché commun.