Jurisprudence : CJCE, 16-07-1992, aff. C-163/90, Administration des douanes et droits indirects c/ Léopold Legros et autres

CJCE, 16-07-1992, aff. C-163/90, Administration des douanes et droits indirects c/ Léopold Legros et autres

A1722AWP

Référence

CJCE, 16-07-1992, aff. C-163/90, Administration des douanes et droits indirects c/ Léopold Legros et autres. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1008081-cjce-16071992-aff-c16390-administration-des-douanes-et-droits-indirects-c-leopold-legros-et-autres
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Cour de justice des Communautés européennes

16 juillet 1992

Affaire n°C-163/90

Administration des douanes et droits indirects
c/
Léopold Legros et autres



61990J0163

Arrêt de la Cour
du 16 juillet 1992.

Administration des douanes et droits indirects contre Léopold Legros et autres.

Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Saint-Denis (La Réunion) - France.

Libre circulation des marchandises - Régime fiscal des départements français d'outre-mer.

Affaire C-163/90.

Recueil de Jurisprudence 1992 page I-4625

1. Libre circulation des marchandises - Droits de douane - Taxes d'effet équivalent - Notion - Taxe ad valorem perçue par un État membre sur les marchandises importées d'autres États membres en raison de leur introduction dans une région de son territoire - Inclusion - Perception à l'identique sur les marchandises de provenance nationale - Absence d'incidence

(Traité CEE, art. 9, 12 et 13)

2. Accords internationaux - Accord CEE-Suède - Élimination des obstacles aux échanges par la suppression des droits de douane et des taxes d'effet équivalent - Implications - Interprétation de l'article 6 de l'accord calquée sur celle des articles 9, 12 et 13 du traité - Perception par un État membre d'une taxe ad valorem sur les marchandises importées de Suède en raison de leur introduction dans une région de son territoire - Inadmissibilité - Perception à l'identique sur les marchandises de provenance nationale - Absence d'incidence

(Traité CEE, art. 9, 12 et 13; accord CEE-Suède, art. 6)

3. Questions préjudicielles - Interprétation - Effets dans le temps des arrêts d'interprétation - Effet rétroactif - Limites - Sécurité juridique - Pouvoir d'appréciation de la Cour

(Traité CEE, art. 177)

1. L'octroi de mer appliqué dans les départements français d'outre-mer et dont le régime est celui d'une taxe proportionnelle à la valeur en douane des biens perçue par un État membre sur les marchandises importées d'un autre État membre en raison de leur introduction dans une région du territoire du premier État membre constitue une taxe d'effet équivalent à un droit de douane à l'importation, interdite par les articles 9, 12 et 13 du traité, en dépit du fait qu'il frappe également les marchandises introduites dans cette région en provenance d'une autre partie de ce même État.

En effet, la justification de l'interdiction de tout droit de douane applicable aux marchandises circulant entre les États membres réside dans l'entrave que les charges pécuniaires, appliquées en raison du franchissement des frontières, constituent pour la circulation des marchandises et une taxe perçue à une frontière régionale en raison de l'introduction de produits dans une région d'un État membre constitue une entrave au moins aussi grave à la libre circulation des marchandises qu'une taxe perçue à la frontière nationale en raison de l'introduction des produits dans l'ensemble du territoire d'un État membre. L'atteinte portée par une telle taxe régionale à l'unicité du territoire douanier communautaire n'est pas modifiée par la circonstance qu'elle frappe également les marchandises en provenance des autres parties du territoire de l'État membre en cause.

2. L'accord entre la Communauté économique européenne et la Suède a pour objectif de consolider et d'étendre les relations économiques existant entre les parties et, à cet effet, d'éliminer les obstacles pour l'essentiel de leurs échanges en conformité avec les dispositions de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) relatives à l'établissement de zones de libre-échange. Dans ce cadre, la suppression tant des droits de douane à l'importation que des taxes d'effet équivalent, qui leur sont étroitement liées, joue un rôle primordial. L'accord précité serait de ce fait privé d'une partie importante de son effet utile si la notion de taxe d'effet équivalent, figurant dans son article 6 qui interdit la perception de ces taxes, devait être interprétée comme ayant une portée plus restrictive que celle du même terme figurant dans le traité CEE.

Dès lors, l'article 6 de l'accord doit être interprété comme interdisant la perception par un État membre, sur des marchandises importées de Suède, d'une taxe, tel l'octroi de mer appliqué dans les départements français d'outre-mer, qui est proportionnelle à la valeur en douane des biens et est perçue en raison de l'introduction de ceux-ci dans une région de cet État membre, en dépit du fait que la taxe frappe également les marchandises introduites dans cette région en provenance d'une autre partie du territoire de l'État membre concerné.

3. Dans l'exercice de la compétence d'interprétation que lui confère l'article 177 du traité, ce n'est qu'à titre exceptionnel, et uniquement dans l'arrêt même qui statue sur l'interprétation sollicitée, que la Cour peut, par application d'un principe général de sécurité juridique inhérent à l'ordre juridique communautaire, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d'invoquer, en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi, une disposition qu'elle a interprétée. Doit, à cet égard, être pris en considération le fait que, si les conséquences pratiques de toute décision juridictionnelle doivent être pesées avec soin, on ne saurait cependant aller jusqu'à infléchir l'objectivité du droit et compromettre son application future en raison des répercussions qu'une décision de justice peut entraîner pour le passé.

Étant donné que les spécificités des départements français d'outre-mer et les particularités de l'octroi de mer qui y est perçu ont créé un état d'incertitude quant à la légitimité de cette taxe au regard du droit communautaire, incertitude qui, au niveau des institutions communautaires, s'est traduite par un comportement ayant pu donner à penser aux autorités françaises que la perception de la taxe était conforme au droit communautaire, des considérations impérieuses de sécurité juridique s'opposent à une remise en cause de rapports juridiques ayant épuisé leurs effets dans le passé, qui bouleverserait rétroactivement le système de financement des collectivités locales concernées.

C'est pourquoi il y a lieu pour la Cour de décider que ni les dispositions du traité CEE ni l'article 6 de l'accord entre la Communauté et la Suède ne peuvent être invoqués à l'appui de demandes visant à obtenir la restitution de montants payés au titre d'une taxe du type de l'octroi de mer avant la date de l'arrêt constatant l'inadmissibilité d'une telle taxation au regard du droit communautaire, sauf par les demandeurs ayant, avant cette date, introduit un recours en justice ou soulevé une réclamation équivalente, étant précisé que la limitation des effets dans le temps dudit arrêt ne s'applique pas aux demandes de restitution de montants payés postérieurement à son prononcé pour des importations effectuées antérieurement.

Dans l'affaire C-163/90,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CEE, par la cour d'appel de Saint-Denis (Réunion) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Administration des douanes et droits indirects,

Léopold Legros,

Louise Alidor, épouse Brun,

Armand-Joseph Payet,

Henri-Michel Techer,

Intervenante volontaire:

La région Réunion,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation du traité CEE, et notamment ses articles 9, 13 et 95,

LA COUR,

composée de MM. O. Due, président, R. Joliet, F. A. Schockweiler, F. Grévisse et P. J. G. Kapteyn, présidents de chambre, G. F. Mancini, C. N. Kakouris, J. C. Moitinho de Almeida, G. C. Rodríguez Iglesias, M. Díez de Velasco, M. Zuleeg, J. L. Murray et D. A. O. Edward, juges,

avocat général: M. F. G. Jacobs

greffier: M. D. Triantafyllou, administrateur

considérant les observations écrites présentées:

- pour MM. Legros, Payet, Techer et Mme Alidor, par Me Philippe Rivière, avocat au barreau de Saint-Denis (Réunion);

- pour la région Réunion, par Me Pierre Soler-Couteaux, professeur agrégé à la faculté Robert Schuman, avocat au barreau de Strasbourg;

- pour le gouvernement de la République française, par M. Philippe Pouzoulet, en qualité d'agent, assisté de M. Géraud de Bergues, agent suppléant;

- pour la Commission des Communautés européennes, par M. Joern Sack, conseiller juridique, en qualité d'agent;

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de la région Réunion, représentée par Me Llorens, avocat au barreau de Strasbourg, du gouvernement français, du Conseil des Communautés européennes, représenté par M. Torrens, en qualité d'agent, et de la Commission, à l'audience du 31 mars 1992,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions aux audiences des 21 novembre 1991 et 20 mai 1992,

rend le présent

Arrêt

1 Par arrêt du 21 février 1990, parvenu à la Cour le 1er mars suivant, la cour d'appel de Saint-Denis (Réunion) a posé, en application de l'article 177 du traité CEE, trois questions préjudicielles sur l'interprétation de ce traité, et notamment ses articles 9, 13 et 95, ainsi que sur l'article 6 de l'accord de libre-échange conclu entre la Communauté et le royaume de Suède.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant l'administration des douanes et droits indirects à MM. Léopold Legros, Armand-Joseph Payet, et Henri-Michel Techer et Mme Louise Alidor, épouse Brun (ci-après "intimés"), au sujet d'une demande formée par ces derniers en restitution de certaines sommes payées par eux à l'administration des douanes et droits indirects.

3 Il ressort du dossier que les intimés ont acheté auprès d'un concessionnaire en France métropolitaine trois voitures fabriquées en Allemagne et une originaire de Suède. Ces voitures ont bénéficié, lors de leur introduction sur le territoire douanier français, d'un régime de suspension des droits. Toujours revêtues d'une plaque de transit, elles ont été transférées sur le territoire de la région Réunion sous un régime de transit communautaire interne pour ce qui concerne les voitures allemandes, et de transit communautaire externe pour ce qui concerne la voiture suédoise. Le régime de suspension des droits a duré jusqu'à leur arrivée à la Réunion, où se sont déroulées les opérations de dédouanement. Lors de ce dédouanement, l'administration des douanes et droits indirects a exigé que chacun des intimés paie une somme à titre d'"octroi de mer" applicable lors de l'introduction des marchandises dans la région Réunion.

4 Il est constant que l'octroi de mer est perçu dans les départements français d'outre-mer (ci-après "DOM") sur la base de certains décrets de 1947 et d'une loi de 1984. Il frappe en principe toutes les marchandises, sauf certains produits de première nécessité, de toutes origines, dont la France métropolitaine et même les autres DOM, du fait de leur introduction dans le DOM concerné. En revanche, les produits du DOM concerné échappent à l'octroi de mer et à toute taxe équivalente interne. L'assiette de la taxe est la valeur en douane des marchandises sur le lieu de leur introduction dans le DOM concerné. Les produits assujettis à l'octroi de mer supportent quatre taux principaux de taxation; en outre, les régions sont autorisées à percevoir, dans les mêmes conditions, un droit additionnel au taux maximal de 1 %. La recette provenant de l'octroi de mer sert essentiellement à financer, selon les règles de l'autonomie régionale, les budgets des collectivités locales.

5 Les intimés, estimant que l'application de l'octroi de mer aux marchandises importées à la Réunion et produites dans un autre État membre ou dans le royaume de Suède est contraire au droit communautaire, ont saisi les juridictions compétentes pour obtenir la restitution des montants acquittés. C'est dans ces circonstances que la cour d'appel de Saint-Denis a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour des questions préjudicielles suivantes:

"1) Les articles 3, 9 et 13, et, à défaut, 95, deuxième alinéa, du Traité de Rome doivent-ils être interprétés comme interdisant la perception, par l'un des États membres ou ses collectivités publiques, d'une taxe proportionnelle à la valeur des biens, distincte de la TVA, perçue à raison de l'introduction des biens dans une partie seulement du territoire de cet État et frappant également les marchandises étrangères et les marchandises nationales autres que celles originaires de la partie du territoire considérée?

2) Plus spécialement:

a) les articles 9 et 13 du Traité de Rome doivent-ils être interprétés en ce sens qu'une taxe peut recevoir la qualification de taxe d'effet équivalent à un droit de douane, alors qu'elle est perçue sur la valeur des marchandises étrangères et nationales à l'occasion de leur mise à la consommation, sans considération directe ou indirecte du franchissement d'une frontière étatique, ou bien ces dispositions exigent-elles au contraire que le franchissement d'une frontière étatique soit, de droit ou de fait, le ou l'un des faits générateurs de la taxation?

b) en application de l'article 95, deuxième alinéa, du Traité de Rome:

- l'origine régionale de productions ou de catégories de productions, en ce qu'elle exclut nécessairement les producteurs étrangers des dispositions plus favorables, peut-elle constituer le critère licite d'une différenciation fiscale établie par un État membre, ou bien cette différenciation doit-elle être fondée également ou exclusivement sur la nature des productions en cause?

- les avantages fiscaux consentis aux productions des Départements français d'outre-mer, et particulièrement à celles de la Réunion, qui résultent de leur exonération des taxes d'octroi de mer, peuvent-ils être considérés comme poursuivant des objectifs de politique économique compatible avec les exigences du Traité et du droit dérivé?

3) L'accord de libre-échange en vigueur entre la Communauté et la Suède doit-il être interprété comme interdisant la perception par l'un des États membres ou ses collectivités publiques d'une taxe proportionnelle à la valeur des biens, distincte de la TVA, perçue lors de la mise en libre pratique des biens importés de Suède à raison de leur introduction dans une partie du territoire de cet État et frappant également les marchandises communautaires autres que celles originaires de la partie du territoire considérée?"

6 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, de la réglementation communautaire en cause, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites présentées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur les règles du droit communautaire applicables aux départements français d'outre-mer

7 Il convient, à titre liminaire, de rappeler le statut des DOM à l'égard du droit communautaire. Il est constant que, aux termes de la Constitution française, les DOM font partie intégrante de la République française. En tant que tels, ils sont compris dans le territoire douanier de la Communauté, conformément à l'article 1er du règlement (CEE) n° 2151/84 du Conseil, du 23 juillet 1984, relatif au territoire douanier de la Communauté (JO L 197, p. 1). Toutefois, l'application du traité CEE dans les DOM fait l'objet de règles spéciales énoncées à l'article 227, paragraphe 2, de ce traité, qui est rédigé comme suit:

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