Cour de justice des Communautés européennes
28 septembre 1994
Affaire n°C-57/93
Anna Adriaantje Vroege
c/
NCIV Instituut voor Volkshuisvesting BV et Stichting Pensioenfonds NCIV
61993J0057
Arrêt de la Cour
du 28 septembre 1994.
Anna Adriaantje Vroege contre NCIV Instituut voor Volkshuisvesting BV et Stichting Pensioenfonds NCIV.
Demande de décision préjudicielle: Kantongerecht Utrecht - Pays-Bas.
Egalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins - Droit à l'affiliation à un régime de pensions professionnel - Limitation des effets dans le temps de l'arrêt C-262/88, Barber.
Affaire C-57/93.
Recueil de Jurisprudence 1994 page I-4541
1. Politique sociale ° Travailleurs masculins et travailleurs féminins ° Égalité de rémunération ° Rémunération ° Notion ° Droit à l'affiliation à un régime professionnel privé de pensions ° Inclusion ° Exclusion des femmes mariées du droit à l'affiliation ° Inadmissibilité ° Exclusion des travailleurs à temps partiel ° Effectif des travailleurs à temps partiel composé principalement de femmes ° Inadmissibilité en l'absence de justifications objectives
(Traité CEE, art. 119)
2. Politique sociale ° Travailleurs masculins et travailleurs féminins ° Égalité de rémunération ° Article 119 du traité ° Applicabilité au droit à l'affiliation à un régime professionnel privé de pensions ° Constatation dans l'arrêt du 13 mai 1986, 170/84 ° Limitation des effets dans le temps ° Absence ° Possibilité d'exiger rétroactivement l'égalité de traitement depuis la reconnaissance par la Cour de l'effet direct de l'article 119, le 8 avril 1976
(Traité CEE, art. 119)
3. Politique sociale ° Travailleurs masculins et travailleurs féminins ° Égalité de rémunération ° Protocole n° 2 sur l'article 119, annexé au traité sur l'Union européenne ° Champ d'application ° Droit à l'affiliation à un régime professionnel de sécurité sociale ° Exclusion
(Traité CE, protocole n° 2 sur l'art. 119)
1. Relève de la notion de rémunération au sens de l'article 119 du traité, avec cette conséquence qu'il est soumis à l'interdiction de discrimination en considération du sexe édictée par cet article, le droit à l'affiliation à un régime de pensions professionnel, dont les règles n'ont pas été fixées directement par la loi, mais résultent d'une concertation entre partenaires sociaux, les pouvoirs publics s'étant limités, à la demande des organisations patronales et syndicales considérées comme représentatives, à déclarer le régime obligatoire à l'ensemble du secteur professionnel.
Il s'ensuit que contrevient à l'article 119 du traité un régime de pensions professionnel qui, en excluant l'affiliation des femmes mariées, opère une discrimination directement fondée sur le sexe. Lorsque l'exclusion concerne des travailleurs à temps partiel, cette disposition n'est violée que si l'exclusion frappe un nombre beaucoup plus élevé de femmes que d'hommes, à moins que l'employeur n'établisse qu'elle s'explique par des facteurs objectivement justifiés et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.
2. La limitation dans le temps des effets de l'arrêt du 17 mai 1990, Barber, C-262/88, ne concerne que les types de discriminations que, en raison des exceptions transitoires prévues par le droit communautaire susceptible d'être appliqué en matière de pensions professionnelles, les employeurs et les régimes de pensions ont pu raisonnablement considérer comme tolérées. N'en fait pas partie la discrimination en matière d'affiliation aux régimes de pensions professionnels dont le caractère inadmissible au regard de l'article 119 du traité a été affirmé dans l'arrêt du 13 mai 1986, Bilka, 170/84, qui lui-même ne comporte aucune limitation dans le temps de ses effets. En l'absence d'une telle limitation, dont l'introduction ultérieure demeure en tout état de cause exclue, l'effet direct de l'article 119 du traité peut être invoqué afin d'exiger rétroactivement l'égalité de traitement quant au droit à l'affiliation à un régime de pensions professionnel, et ce depuis le 8 avril 1976, date de l'arrêt Defrenne, 43/75, qui a reconnu pour la première fois l'effet direct dudit article.
3. Le protocole n° 2 sur l'article 119 du traité, annexé au traité sur l'Union européenne, concerne l'ensemble des prestations servies par un régime professionnel de sécurité sociale, mais non le droit à l'affiliation à un tel régime.
Le domaine de l'affiliation demeure ainsi régi par l'arrêt du 13 mai 1986, Bilka, 170/84, aux termes duquel violerait l'article 119 du traité une entreprise qui, sans justification objective et étrangère à toute discrimination fondée sur le sexe, établirait une différence de traitement entre hommes et femmes par exclusion d'une catégorie d'employés d'un régime de pensions d'entreprise.
Dans l'affaire C-57/93,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CEE, par le Kantongerecht te Utrecht (Pays-Bas) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
Anna Adriaantje Vroege
1) NCIV Instituut voor Volkshuisvesting BV,
2) Stichting Pensioenfonds NCIV,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 119 du traité CEE au regard du droit à l'affiliation aux régimes de pensions professionnels, de l'arrêt de la Cour du 17 mai 1990, Barber (C-262/88, Rec. p. I-1889), ainsi que du protocole n° 2 sur l'article 119 du traité instituant la Communauté européenne, annexé au traité sur l'Union européenne du 7 février 1992,
LA COUR,
composée de MM. O. Due, président, G. F. Mancini (rapporteur), J. C. Moitinho de Almeida, M. Diez de Velasco et D. A. O. Edward, présidents de chambre, C. N. Kakouris, R. Joliet, F. A. Schockweiler, G. C. Rodríguez Iglesias, F. Grévisse, M. Zuleeg, P. J. G. Kapteyn et J. L. Murray, juges,
avocat général: M. W. Van Gerven,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,
considérant les observations écrites présentées:
° pour Mme Vroege, par Me T. P. J. de Graaf, avocat au barreau d'Utrecht,
° pour le gouvernement allemand, par MM. E. Roeder, Ministerialrat au ministère fédéral de l'Économie, et C.-D. Quassowski, Regierungsdirektor au même ministère, en qualité d'agents,
° pour le gouvernement belge, par M. J. Devadder, directeur d'administration au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,
° pour le gouvernement du Royaume-Uni, par MM. J. E. Collins, Assistant Treasury Solicitor, en qualité d'agent, assisté de M. N. Paines, barrister,
° pour la Commission des Communautés européennes, par Mme K. Banks et M. B. J. Drijber, membres du service juridique, en qualité d'agents,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales de Mme Vroege, représentée par Me M. Greebe, avocat au barreau d'Utrecht, de NCIV Instituut voor Volkshuisvesting BV et de la Stichting Pensioenfonds NCIV, représentés par Me E. Lutjens, avocat au barreau d'Utrecht, du gouvernement allemand, du gouvernement du Royaume-Uni et de la Commission à l'audience du 26 avril 1994,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 7 juin 1994,
rend le présent
Arrêt
1 Par jugement du 17 février 1993, parvenu à la Cour le 2 mars suivant, le Kantongerecht te Utrecht a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, quatre questions préjudicielles sur l'interprétation de l'article 119 du même traité, au regard du droit à l'affiliation aux régimes de pensions professionnels, de l'arrêt de la Cour du 17 mai 1990, Barber (C-262/88, Rec. p. I-1889, ci-après l'"arrêt Barber"), ainsi que du protocole n° 2 sur l'article 119 du traité instituant la Communauté européenne annexé au traité sur l'Union européenne du 7 février 1992 (ci-après le "protocole n° 2").
2 Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige opposant Mme Vroege à NCIV Instituut voor Volkshuisvesting BV et à la Stichting Pensioenfonds NCIV, à propos de son affiliation à ce dernier.
3 Depuis le 1er mai 1975, Mme Vroege travaille à temps partiel (25,9 heures par semaine) auprès de NCIV Instituut voor Volkshuisvesting BV (ci-après la "NCIV").
4 Selon l'article 20 de la collectieve arbeidsovereenkomst (convention collective de travail), qui s'applique au sein de la NCIV, les travailleurs au service de cette institution sont affiliés à un régime de pensions professionnel, la Stichting Pensioenfonds NCIV, qui leur donne droit à une pension de retraite, à une pension d'invalidité et à une pension pour veuves et orphelins.
5 Avant le 1er janvier 1991, le règlement de pension de la NCIV prévoyait que seuls pouvaient être affiliés au régime les travailleurs de sexe masculin ainsi que les travailleurs de sexe féminin non mariés ayant un contrat de travail à durée indéterminée et prestant au moins 80 % de l'horaire de travail complet.
6 Ayant toujours travaillé moins que 80 % de l'horaire complet, Mme Vroege n'a pas été admise à cotiser au régime et n'a donc pas pu constituer des droits à pension.
7 Le 1er janvier 1991, un nouveau règlement de pension est entré en vigueur, prévoyant que peuvent s'affilier les travailleurs des deux sexes qui ont atteint l'âge de 25 ans et qui prestent un minimum de 25 % du temps normal de travail.
8 L'article 23, paragraphe 5, du règlement donne en outre la possibilité aux travailleurs de sexe féminin qui n'étaient pas affiliés avant le 1er janvier 1991 de racheter des années supplémentaires d'affiliation, à condition, toutefois, d'avoir atteint l'âge de 50 ans au 31 décembre 1990. De plus, le nombre d'années pouvant être rachetées est plafonné au nombre d'années écoulées entre la date à laquelle l'affiliée a atteint l'âge de 50 ans et le 1er janvier 1991.
9 N'ayant pas atteint l'âge de 50 ans au 31 décembre 1990, Mme Vroege n'a pas pu se prévaloir de cette disposition transitoire et n'a donc pu commencer à constituer des droits à pension qu'à partir du 1er janvier 1991. Aussi a-t-elle contesté le nouveau règlement de pension, au motif que, vu qu'il ne lui reconnaît pas le droit de s'affilier au régime de pensions pour les périodes d'emploi antérieures au 1er janvier 1991, il comporte une discrimination incompatible avec l'article 119 du traité. Elle réclame dès lors une affiliation rétroactive à partir du 8 avril 1976, date de l'arrêt Defrenne (43/75, Rec. p. 455), dans lequel la Cour a reconnu pour la première fois l'effet direct de l'article 119.
10 Saisi du recours de Mme Vroege, le Kantongerecht te Utrecht a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice les questions préjudicielles suivantes:
"1) Le droit à l'égalité des rémunérations, tel que visé à l'article 119 du traité CEE, inclut-il également un droit à participer à un régime professionnel de pensions?
2) En cas de réponse affirmative à la question précédente, la limitation dans le temps que la Cour a établie dans l'arrêt Barber pour une disposition en matière de pensions telle que celle qui faisait l'objet de cette affaire (' contracted out schemes', régimes conventionnellement exclus) s'applique-t-elle également à un droit à participer à un régime professionnel de pensions tel que celui dont il est question dans la présente affaire?
3) Y a-t-il lieu de lier à l'applicabilité éventuelle du principe de l'égalité des rémunérations visé à l'article 119 du traité CEE une limitation dans le temps des droits à participer à un régime professionnel de pensions, tel que celui dont il est question dans la présente affaire, et, dans l'affirmative, à quelle date faut-il fixer cette limitation?
4) Le protocole sur l'article 119 du traité instituant la Communauté européenne, annexé au traité de Maastricht (' protocole Barber'), ainsi que (le projet de loi portant modification de) l'article transitoire III du projet de loi 20 890 visant à mettre en oeuvre la quatrième directive ont-ils des conséquences pour l'appréciation de la présente affaire, qui a été introduite par requête du 11 novembre 1991 déposée au greffe du Kantongerecht de céans, compte tenu notamment de cette date d'introduction?"
Sur la première question
11 Par la première question, la juridiction nationale demande si le droit à l'affiliation à un régime de pensions professionnel entre dans le champ d'application de l'article 119 du traité et relève donc de l'interdiction de discrimination édictée par cet article.
12 Il convient de rappeler à cet égard que, dans l'arrêt du 13 mai 1986, Bilka (170/84, Rec. p. 1607), la Cour a déjà reconnu que, dans la mesure où un régime de pensions, bien qu'adopté en conformité avec les dispositions prévues par la législation nationale, trouve son origine dans un accord avec les travailleurs ou leurs représentants et dans la mesure où les pouvoirs publics n'interviennent pas dans son financement, un tel régime ne constitue pas un régime de sécurité sociale directement réglé par la loi et soustrait, de ce fait, au champ d'application de l'article 119, et que les prestations servies aux employés en vertu de ce régime constituent un avantage payé par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier, au sens de l'article 119, deuxième alinéa (points 20 et 22).
13 Ces principes ont été confirmés par l'arrêt Barber à propos des régimes de pensions professionnels "conventionnellement exclus" de droit britannique et par l'arrêt du 6 octobre 1993, Ten Oever (C-109/91, Rec. p. I-4879).
14 Dans ce dernier arrêt, la Cour a reconnu l'applicabilité de l'article 119 à des prestations dues en vertu d'un régime professionnel de droit néerlandais semblable à celui qui est en cause dans la présente affaire, en soulignant en particulier le fait que les règles du régime n'ont pas été fixées directement par la loi, mais qu'elles sont le résultat d'une concertation entre partenaires sociaux, les pouvoirs publics s'étant limités, à la demande des organisations patronales et syndicales considérées comme représentatives, à déclarer le régime obligatoire à l'ensemble du secteur professionnel (point 10).
15 Il résulte en outre de l'arrêt Bilka, précité, que relèvent du champ d'application de l'article 119 non seulement le droit aux prestations servies par un régime de pensions professionnel, mais également le droit à être affilié à ce régime.
16 Cette décision était motivée (point 27) par la considération que si, comme il ressort de l'arrêt du 31 mars 1981, Jenkins (96/80, Rec. p. 911), une pratique salariale consistant à fixer une rémunération horaire moins élevée pour le travail à temps partiel que pour le travail à temps plein peut, dans certains cas, concrétiser une discrimination entre travailleurs masculins et travailleurs féminins, il en va de même du refus du bénéfice d'une pension d'entreprise opposé aux travailleurs à temps partiel. En effet, puisqu'une telle pension relève de la notion de rémunération au sens du deuxième alinéa de l'article 119, la rémunération globale payée par l'employeur aux travailleurs à temps plein est plus élevée, à parité d'heures travaillées, que celle payée aux travailleurs à temps partiel.
17 Il en découle qu'un régime de pensions professionnel qui exclut l'affiliation des femmes mariées comporte une discrimination directement fondée sur le sexe, contraire à l'article 119 du traité. Quand l'exclusion concerne des travailleurs à temps partiel, cette disposition n'est violée que si elle frappe un nombre beaucoup plus élevé de femmes que d'hommes, à moins que l'employeur n'établisse qu'elle s'explique par des facteurs objectivement justifiés et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe (voir arrêt Bilka, précité).
18 Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question préjudicielle que le droit à l'affiliation à un régime de pensions professionnel entre dans le champ d'application de l'article 119 du traité et relève donc de l'interdiction de discrimination édictée par cet article.
Sur les deuxième et troisième questions
19 Par ces questions, la juridiction nationale demande, d'une part, si la limitation des effets dans le temps de l'arrêt Barber s'applique également au droit à l'affiliation à un régime de pensions professionnel tel que celui en cause au principal et, d'autre part, si, en tout état de cause, il n'y aurait pas lieu de prévoir une limitation du même genre en l'espèce.
20 Pour répondre à ces questions, il y a lieu de rappeler le contexte dans lequel la limitation des effets dans le temps de l'arrêt Barber a été décidée.
21 Conformément à une jurisprudence constante, selon laquelle la Cour peut, à titre exceptionnel, par application d'un principe général de sécurité juridique inhérent à l'ordre juridique communautaire, compte tenu des troubles graves que son arrêt pourrait entraîner pour le passé dans des relations juridiques établies de bonne foi, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d'invoquer une disposition qu'elle a interprétée en vue de remettre en cause ces relations juridiques (voir arrêt Defrenne, précité), la Cour s'est attachée à vérifier l'existence des deux critères essentiels pour qu'une telle limitation puisse être décidée, à savoir la bonne foi des milieux intéressés et le risque de troubles graves.
22 En ce qui concerne le premier critère, elle a d'abord constaté (point 42) que l'article 9, sous a), de la directive 86/378/CEE du Conseil, du 24 juillet 1986, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale (JO L 225, p. 40), prévoyait la possibilité de différer la mise en application obligatoire du principe de l'égalité de traitement en ce qui concerne la fixation de l'âge de la retraite pour l'octroi des pensions de vieillesse, à l'instar de l'exception prévue par l'article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (JO 1979, L 6, p. 24).
23 La Cour a ensuite considéré que, au vu de ces dispositions, les États membres et les milieux intéressés avaient pu raisonnablement estimer que l'article 119 ne s'appliquait pas à des pensions versées par des régimes conventionnellement exclus et que des exceptions au principe d'égalité entre travailleurs masculins et travailleurs féminins continuaient d'être admises en cette matière (point 43).
24 Il convient d'observer à cet égard que, dans l'arrêt du 14 décembre 1993, Moroni (C-110/91, Rec. p. I-6591), la Cour, tout en rappelant et confirmant les principes énoncés dans les arrêts Defrenne, Bilka et Barber, précités, a relevé que ce dernier traitait pour la première fois la question relative à l'appréciation de l'inégalité de traitement résultant de la fixation d'âges de la retraite différents selon le sexe au regard de l'article 119 (point 16).
25 S'agissant du critère des troubles graves, la Cour a par ailleurs considéré, dans l'arrêt Barber, que, si tout travailleur masculin intéressé pouvait, à l'instar de M. Barber, faire valoir rétroactivement le droit à l'égalité de traitement dans les cas de discriminations qui avaient pu jusqu'alors être considérées comme admises sur la base des exceptions prévues par la directive 86/378, précitée, l'équilibre financier de nombreux régimes professionnels risquerait d'être rétroactivement bouleversé (point 44).
26 Dans ces conditions, la Cour a décidé que l'effet direct de l'article 119 du traité ne peut être invoqué, afin d'exiger l'égalité de traitement en matière de pensions professionnelles, que pour les prestations dues au titre de périodes d'emploi postérieures au 17 mai 1990, exception faite pour les travailleurs ou leurs ayants droit qui ont, avant cette date, engagé une action en justice ou introduit une réclamation équivalente selon le droit national applicable (point 45 de l'arrêt Barber, tel que précisé dans l'arrêt Ten Oever, précité).
27 De ce qui précède, il découle, en particulier, que la limitation des effets dans le temps de l'arrêt Barber ne concerne que les types de discriminations que, en raison des exceptions transitoires prévues par le droit communautaire susceptible d'être appliqué en matière de pensions professionnelles, les employeurs et les régimes de pensions ont pu raisonnablement considérer comme tolérées.
28 Or, force est de constater que, en ce qui concerne le droit à l'affiliation aux régimes professionnels, aucun élément ne permet d'estimer que les milieux professionnels concernés ont pu se méprendre quant à l'applicabilité de l'article 119.
29 En effet, depuis l'arrêt Bilka, précité, il est évident qu'une telle violation de la règle d'égalité dans la reconnaissance dudit droit tombe sous le coup de l'article 119.
30 De surcroît, puisque l'arrêt Bilka n'a prévu aucune limitation dans le temps, l'effet direct de l'article 119 peut être invoqué afin d'exiger rétroactivement l'égalité de traitement quant au droit à l'affiliation à un régime de pensions professionnel, et ce depuis le 8 avril 1976, date de l'arrêt Defrenne, précité, qui a reconnu pour la première fois l'effet direct dudit article.
31 Enfin, en ce qui concerne spécifiquement la dernière partie de la question, il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence de la Cour, une éventuelle limitation des effets dans le temps d'un arrêt préjudiciel d'interprétation ne peut être admise que dans l'arrêt même qui statue sur l'interprétation sollicitée (voir, notamment, arrêt du 16 juillet 1992, Legros e.a., C-163/90, Rec. p. I-4625, point 30). Par conséquent, si la Cour avait estimé nécessaire de limiter dans le temps la règle selon laquelle le droit à l'affiliation à un régime de pensions professionnel relève de l'article 119, elle aurait dû le faire dans l'arrêt Bilka, précité.
32 Il y a lieu dès lors de répondre aux deuxième et troisième questions que la limitation des effets dans le temps de l'arrêt Barber ne s'applique pas au droit à l'affiliation à un régime de pensions professionnel et que, à cet égard, aucune limitation analogue ne peut être envisagée.
Sur la quatrième question
33 Par la quatrième question, la juridiction nationale souhaite savoir quelle incidence pourrait avoir, dans le contexte de la présente affaire, le projet de loi nationale visant à mettre en oeuvre la directive 86/378, précitée, d'une part, et le protocole n° 2, d'autre part.
34 S'agissant du projet de loi nationale, il suffit de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il n'appartient pas à la Cour d'interpréter le droit national ni d'apprécier ses effets dans le cadre de la procédure de l'article 177 (voir, notamment, arrêt du 3 février 1977, Benedetti/Munari, 52/76, Rec. p. 163, point 25).
35 Quant au protocole n° 2, qui, en vertu de l'article 239 du traité, fait partie intégrante de ce dernier, il est ainsi rédigé:
"Aux fins de l'application de l'article 119, des prestations en vertu d'un régime professionnel de sécurité sociale ne seront pas considérées comme rémunération si et dans la mesure où elles peuvent être attribuées aux périodes d'emploi antérieures au 17 mai 1990, exception faite pour les travailleurs ou leurs ayants droit qui ont, avant cette date, engagé une action en justice ou introduit une réclamation équivalente selon le droit national applicable."
36 Il ressort du dossier ainsi que des débats ayant eu lieu devant la Cour que le problème à résoudre est en substance celui de savoir si ce protocole vise seulement à préciser la limitation des effets dans le temps de l'arrêt Barber, telle qu'elle a été rappelée ci-dessus, ou s'il a une portée plus vaste.
37 Selon le gouvernement du Royaume-Uni, la formulation large du protocole indique que celui-ci s'applique à toutes les discriminations fondées sur le sexe pouvant exister dans le cadre des régimes de pensions professionnels, y compris celles relatives au droit à l'affiliation à ces derniers.
38 La requérante au principal, le gouvernement allemand et la Commission soutiennent au contraire que, en dépit des termes très généraux dans lesquels il est rédigé, le protocole doit être lu en liaison avec l'arrêt Barber et ne saurait avoir une portée plus vaste que la limitation de ses effets dans le temps.
39 Il y a lieu de constater à cet égard que, par la généralité de ses termes, le protocole précité est applicable aux prestations servies par un régime de pensions professionnel.
40 Toutefois, cette constatation comporte un tempérament. Elle concerne les prestations, d'ailleurs seules mentionnées par le protocole n° 2, et non pas le droit à l'affiliation à un régime professionnel de sécurité sociale.
41 En effet, le protocole présente un lien évident avec l'arrêt Barber, précité, puisqu'il se réfère à la même date du 17 mai 1990. Cet arrêt condamne une discrimination entre homme et femme qui résulte d'une condition d'âge variable selon le sexe pour obtenir une pension de retraite à la suite d'un licenciement pour cause économique. Des interprétations divergentes ont été données de l'arrêt Barber qui limite, à compter de sa date, c'est-à-dire du 17 mai 1990, l'effet de l'interprétation qu'il donne de l'article 119 du traité. Ces divergences ont été levées par l'arrêt Ten Oever, précité, qui est antérieur à l'entrée en vigueur du traité sur l'Union européenne. Tout en l'étendant à l'ensemble des prestations versées par un régime professionnel de sécurité sociale et en l'incorporant au traité, le protocole n° 2 a retenu en substance la même interprétation de l'arrêt Barber que celle de l'arrêt Ten Oever, mais n'a, pas plus que l'arrêt Barber, abordé ni donc réglé les conditions d'affiliation à ces régimes professionnels.
42 Le domaine de l'affiliation demeure ainsi régi par l'arrêt Bilka, précité, qui relève la violation de l'article 119 du traité par une entreprise qui, sans justification objective et étrangère à toute discrimination fondée sur le sexe, établirait une différence de traitement entre hommes et femmes par l'exclusion d'une catégorie d'employés d'un régime de pensions d'entreprise. Il convient de rappeler que l'arrêt Bilka ne limite d'ailleurs pas, dans le temps, les effets de l'interprétation qu'il donne de l'article 119 du traité.
43 Il y a lieu dès lors de répondre à la quatrième question que le protocole n° 2 n'a aucune incidence sur le droit à l'affiliation à un régime de pensions professionnel, qui demeure régi par l'arrêt Bilka.
Sur les dépens
44 Les frais exposés par les gouvernements allemand, belge et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
statuant sur les questions à elle soumises par le Kantongerecht te Utrecht, par jugement du 17 février 1993, dit pour droit:
1) Le droit à l'affiliation à un régime de pensions professionnel entre dans le champ d'application de l'article 119 du traité CEE et relève donc de l'interdiction de discrimination édictée par cet article.
2) La limitation des effets dans le temps de l'arrêt du 17 mai 1990, Barber (C-262/88), ne s'applique pas au droit à l'affiliation à un régime de pensions professionnel et aucune limitation analogue ne peut être envisagée à cet égard.
3) Le protocole n° 2 sur l'article 119 du traité instituant la Communauté européenne, annexé au traité sur l'Union européenne, n'a aucune incidence sur le droit à l'affiliation à un régime de pensions professionnel, qui demeure régi par l'arrêt du 13 mai 1986, Bilka (170/84).