Jurisprudence : CJCE, 24-10-1996, aff. C-32/95, Commission des Communautés européennes c/ Lisrestal - Organização Gestão de Restaurantes Colectivos Ldª, Gabinete Técnico de Informática Ldª (GTI), Lisnico - Serviço Marítimo Internacional Ldª, Rebocalis - Rebocagem e Assistência Marítima Ldª et Gaslimpo - Sociedade de Desgasificação de Navios SA

CJCE, 24-10-1996, aff. C-32/95, Commission des Communautés européennes c/ Lisrestal - Organização Gestão de Restaurantes Colectivos Ldª, Gabinete Técnico de Informática Ldª (GTI), Lisnico - Serviço Marítimo Internacional Ldª, Rebocalis - Rebocagem e Assistência Marítima Ldª et Gaslimpo - Sociedade de Desgasificação de Navios SA

A0082AWX

Référence

CJCE, 24-10-1996, aff. C-32/95, Commission des Communautés européennes c/ Lisrestal - Organização Gestão de Restaurantes Colectivos Ldª, Gabinete Técnico de Informática Ldª (GTI), Lisnico - Serviço Marítimo Internacional Ldª, Rebocalis - Rebocagem e Assistência Marítima Ldª et Gaslimpo - Sociedade de Desgasificação de Navios SA. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1006495-cjce-24101996-aff-c3295-commission-des-communautes-europeennes-c-lisrestal-organizacao-gestao-de-res
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Cour de justice des Communautés européennes

24 octobre 1996

Affaire n°C-32/95

Commission des Communautés européennes
c/
Lisrestal - Organização Gestão de Restaurantes Colectivos Ldª, Gabinete Técnico de Informática Ldª (GTI), Lisnico - Serviço Marítimo Internacional Ldª, Rebocalis - Rebocagem e Assistência Marítima Ldª et Gaslimpo - Sociedade de Desgasificação de Navios SA



61995J0032

Arrêt de la Cour (sixième chambre)
du 24 octobre 1996.

Commission des Communautés européennes contre Lisrestal - Organização Gestão de Restaurantes Colectivos Ldª, Gabinete Técnico de Informática Ldª (GTI), Lisnico - Serviço Marítimo Internacional Ldª, Rebocalis - Rebocagem e Assistência Marítima Ldª et Gaslimpo - Sociedade de Desgasificação de Navios SA.

Fonds social européen - Décision de réduction d'un concours financier initialement accordé - Violation des droits de la défense - Droit des intéressés d'être entendus.

Affaire C-32/95P.

Recueil de Jurisprudence 1996 page I-5373

Politique sociale ° Fonds social européen ° Concours au financement d'actions de formation professionnelle ° Décision de réduction d'un concours initialement octroyé ° Droits de la défense des entreprises concernées ° Portée

Le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l'encontre d'une personne et susceptible d'aboutir à un acte faisant grief à celle-ci constitue un principe fondamental de droit communautaire et doit être assuré, même en l'absence de toute réglementation concernant la procédure en cause. Ce principe exige que toute personne à l'encontre de laquelle une décision faisant grief peut être prise soit mise en mesure de faire connaître utilement son point de vue au sujet des éléments retenus à sa charge pour fonder la décision litigieuse.

Tel est le cas des bénéficiaires d'un concours octroyé par le Fonds social européen pour une action de formation professionnelle menée dans un État membre, lorsque la Commission envisage de réduire le concours initialement octroyé, en raison du fait qu'il n'est pas utilisé dans les conditions fixées par la décision d'agrément. Le fait que l'État membre concerné joue un rôle central dans le système de gestion du Fonds et qu'il soit le destinataire d'une éventuelle décision de réduction n'exclut pas, en effet, que s'établisse un lien direct entre la Commission et le bénéficiaire, lequel fait l'objet des contrôles par les services de la Commission visant à faire constater les éventuelles irrégularités et subit directement les conséquences économiques de la réduction, en ce qu'il est responsable à titre principal du remboursement des sommes indûment versées.

Est en conséquence intervenue en violation des droits de la défense du bénéficiaire une décision de réduction arrêtée alors que celui-ci n'avait pas été entendu par la Commission avant l'adoption de la décision, et cela indépendamment des difficultés pratiques éventuelles d'une consultation directe des bénéficiaires par la Commission.

Dans l'affaire C-32/95 P,

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme Ana Maria Alves Vieira et M. Nicholas Khan, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du même service, Centre Wagner, Kirchberg,

partie requérante,

ayant pour objet un pourvoi formé contre l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 6 décembre 1994, Lisrestal e.a./Commission (T-450/93, Rec. p. II-1177), et tendant à l'annulation partielle de cet arrêt,

les autres parties à la procédure étant:

Lisrestal ° Organização Gestão de Restaurantes Colectivos Ld.a, société de droit portugais, établie à Almada (Portugal),

Gabinete Técnico de Informática Ld.a (GTI), société de droit portugais, établie à Lisbonne,

Lisnico ° Serviço Marítimo Internacional Ld.a, société de droit portugais, établie à Almada,

Rebocalis ° Rebocagem e Assistência Marítima Ld.a, société de droit portugais, établie à Almada, et

Gaslimpo ° Sociedade de Desgasificação de Navios SA, société de droit portugais, établie à Almada,

représentées par Me Manuel Rodrigues, avocat au barreau de Lisbonne, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Ângelo Alves Azevedo, 61, rue de Gasperich,

LA COUR (sixième chambre),

composée de MM. C. N. Kakouris, faisant fonction de président de la sixième chambre, P. J. G. Kapteyn et H. Ragnemalm (rapporteur), juges,

avocat général: M. A. La Pergola,

greffier: M. R. Grass,

vu le rapport du juge rapporteur,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 6 juin 1996,

rend le présent

Arrêt

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 10 février 1995, la Commission des Communautés européennes a, en vertu de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du 6 décembre 1994, Lisrestal e.a./Commission (T-450/93, Rec. p. II-1177, ci-après l'"arrêt entrepris"), par lequel le Tribunal de première instance a annulé la décision de la Commission portant réduction d'un concours financier du Fonds social européen (ci-après le "FSE"), initialement accordé à Lisrestal Ld.a, GTI Ld.a, Rebocalis Ld.a, Lisnico Ld.a et Gaslimpo SA (ci-après les "défenderesses") et qui exigeait de leur part le remboursement d'une première avance de 138 271 804 ESC.

2 Il ressort de l'arrêt entrepris que, en 1986, les défenderesses ainsi que les entreprises Proex Ld.a et Gelfiche, toutes établies au Portugal (ci-après les "entreprises bénéficiaires"), ont introduit auprès du FSE, par l'intermédiaire du Departamento para os Assuntos do Fundo Social Europeu (autorité nationale compétente auprès du ministre de l'Emploi et de la Sécurité sociale portugais, ci-après le "DAFSE"), une demande de concours pour un projet d'actions de formation professionnelle, au sens de l'article 3, paragraphe 1, de la décision 83/516/CEE du Conseil, du 17 octobre 1983, concernant les missions du Fonds social européen (JO L 289 p. 38), dans le district de Setúbal (Portugal) (point 7).

3 Le concours du FSE a été sollicité en vue de permettre la réalisation d'actions de formation professionnelle destinées à améliorer les possibilités d'emploi pour 1 687 jeunes, âgés de moins de 25 ans, ayant des qualifications insuffisantes et/ou inadaptées après la fin de leur scolarité obligatoire (point 8).

4 Le 31 mars 1987, le projet d'actions a été agréé par la décision C(87) 670 de la Commission pour un montant global de 630 642 227 ESC, dont 346 853 225 ESC à financer par le FSE et 283 789 002 ESC par l'Orçamento da Segurança Social/Instituto de Gestão Financeira da Segurança Social (budget de la sécurité sociale/institut de gestion financière de la sécurité sociale, ci-après l'"OSS/IGFSS") (point 9).

5 Conformément à l'article 5, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 2950/83 du Conseil, du 17 octobre 1983, portant application de la décision 83/516/CEE (JO L 289, p. 1), le FSE a versé une avance de 50 % du concours octroyé aux entreprises bénéficiaires, soit 173 426 612 ESC (point 10). Le 31 octobre 1988, ces mêmes entreprises ont introduit, par l'intermédiaire du DAFSE, une demande de versement du solde, soit 127 483 930 ESC. Cette demande était accompagnée de pièces justificatives et d'un rapport sur les actions réalisées (point 11).

6 Le 25 novembre 1988, le secteur "contrôle" du FSE a suggéré de procéder à un réexamen du dossier en raison du manque de clarté des coûts et des actions présentés dans la facturation (point 12). Ces contrôles, effectués entre le 29 janvier et le 2 février 1990 auprès de deux des défenderesses, Lisrestal et GTI, ont permis de constater diverses irrégularités dans la gestion financière du concours. Ces irrégularités consistaient notamment en la mise en sous-traitance intégrale des actions auprès d'organismes ne disposant pas des infrastructures et de l'expérience nécessaires. Des simulations de contrats et l'établissement de fausses factures ont en outre été présumés. C'est pourquoi les contrôleurs ont proposé de demander le remboursement de l'avance communautaire versée aux défenderesses (point 13).

7 Le 19 octobre 1990, le DAFSE a émis des "certificats" à l'attention des défenderesses, dans lesquels il exposait qu'une mission de contrôle communautaire avait été effectuée en vue de vérifier la régularité et la légalité de ces actions, mais qu'il ne pouvait fournir d'autres éclaircissements, la Commission n'ayant pas encore pris une décision définitive au sujet desdites actions (point 14).

8 Par lettre du 14 juin 1991, le chef d'unité compétent à la direction générale Emploi, relations industrielles et affaires sociales (DG V) a transmis au DAFSE les conclusions des contrôleurs en indiquant qu'un montant de 536 879 559 ESC était considéré par le FSE comme ayant été consacré à des dépenses non éligibles (point 16). Par la même lettre, le DAFSE était informé que le montant du concours du FSE était plafonné à 35 154 808 ESC et que 138 271 804 ESC devraient être remboursés, compte tenu du montant de 173 426 612 ESC qui avait été versé à titre de première avance. La Commission a imparti au DAFSE un délai de 30 jours pour présenter ses observations (point 17).

9 Par lettre du 8 juillet 1991, le DAFSE a informé le FSE qu'il n'avait d'observation à formuler à l'égard ni des rapports des contrôleurs de mission du FSE ni de sa lettre du 14 juin 1991 et qu'il acceptait la décision prise (point 18).

10 Le 3 mars 1992, la Commission a fait parvenir au DAFSE un ordre de remboursement (point 20).

11 Par lettres des 24 avril 1992 et 7 mai 1992, le DAFSE a informé les défenderesses de la décision de la Commission, portant réduction du concours qui avait été octroyé, en leur communiquant les montants à restituer au FSE et à l'OSS/IGFSS (point 21).

12 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 juin 1992, les défenderesses ont introduit un recours tendant à l'annulation de la décision du FSE ordonnant le remboursement des fonds perçus (ci-après la "décision litigieuse") et à la condamnation de la Commission à verser l'intégralité des sommes réclamées.

13 A l'appui de ces demandes, les défenderesses ont invoqué en substance quatre moyens. Le premier moyen était tiré de l'inexistence des services du FSE ou, à tout le moins, de leur incompétence pour prendre la décision litigieuse, le deuxième d'une violation des droits de la défense, le troisième d'une insuffisance de motivation et le quatrième d'une erreur manifeste d'appréciation.

14 Dans l'arrêt entrepris, le Tribunal a rejeté le premier moyen. Il a également rejeté les conclusions des défenderesses tendant à la condamnation de la Commission à verser le solde du concours du FSE comme étant irrecevable. Enfin, en ce qui concerne les deuxième et troisième moyens, qui sont les seuls à faire l'objet du présent pourvoi, le Tribunal a jugé:

"42 Le Tribunal rappelle qu'il est de jurisprudence constante que le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l'encontre d'une personne et susceptible d'aboutir à un acte faisant grief à celle-ci constitue un principe fondamental de droit communautaire et doit être assuré, même en l'absence de toute réglementation concernant la procédure en cause (voir notamment les arrêts de la Cour du 12 février 1992, Pays-Bas e.a./Commission, C-48/90 et C-66/90, Rec. p. I-565, point 44, et du 29 juin 1994, Fiskano/Commission, C-135/92, Rec. p. I-2885). Ce principe exige que toute personne à l'encontre de laquelle une décision faisant grief peut être prise soit mise en mesure de faire connaître utilement son point de vue au sujet des éléments retenus à sa charge par la Commission pour fonder la décision litigieuse.

43 En vue d'examiner si les droits de la défense des requérantes ont été violés en l'espèce, il convient d'analyser si, eu égard au rôle joué par l'État membre, dans la procédure en cause, en tant qu'interlocuteur unique du FSE, la décision attaquée est susceptible de concerner directement les requérantes et de leur faire grief.

44 A cet égard, force est de constater que la décision attaquée prive les entreprises bénéficiaires d'une partie du concours initialement octroyé, sans que le règlement n° 2950/83 n'octroie à l'État membre concerné un quelconque pouvoir d'appréciation propre (voir, en dernier lieu, l'ordonnance du Tribunal du 20 juin 1994, Frinil e.a./Commission, T-446/93, non publiée au Recueil, point 29).

45 Il convient de relever, en outre, que c'est par l'ordre de recouvrement du 3 mars 1992 que la Commission a entendu définitivement réduire le concours accordé, ainsi qu'elle l'avait annoncé dans sa lettre de la DG V au DAFSE du 14 juin 1991. Il est certes exact que la décision de la Commission, incorporée dans la lettre précitée, a été adressée aux seules autorités portugaises. Elle a cependant nommément désigné et explicitement visé les requérantes en tant que bénéficiaires directes du concours octroyé. Le Tribunal estime, dès lors, que les requérantes sont directement et individuellement concernées par la décision de réduction attaquée.

46 Le bien-fondé de cette analyse est corroboré, d'une part, par le fait qu'il est de jurisprudence constante que les recours introduits par les entreprises bénéficiaires de concours financiers octroyés par le FSE sont recevables à agir contre les décisions les privant d'un tel concours (voir les arrêts de la Cour du 7 mai 1991, Interhotel/Commission, C-291/89, Rec. p. I-2257, point 13, et du 4 juin 1992, Infortec/Commission, C-157/90, Rec. p. I-3525, point 17), ce qui suppose non seulement qu'elles sont individuellement concernées par de telles décisions, mais également qu'elles sont concernées directement par elles.

47 Le bien-fondé de cette analyse est corroboré, d'autre part, par les dispositions du règlement n° 2950/83, dont il résulte que, en dépit du fait que l'État membre est le seul interlocuteur du FSE, un lien direct s'établit entre la Commission et le bénéficiaire du concours. En effet, l'article 6 du règlement précité, dispose, d'une part, qu'il appartient à la Commission de suspendre, réduire ou supprimer le concours du FSE, lorsque ce concours n'est pas utilisé dans les conditions fixées par la décision d'agrément, l'État membre concerné étant seulement invité à présenter ses observations, et, d'autre part, que les sommes versées qui n'ont pas été utilisées dans les conditions fixées par la décision d'agrément donnent lieu à répétition et que l'État membre intéressé n'est que subsidiairement responsable du remboursement des sommes indûment versées pour des actions auxquelles s'applique la garantie visée à l'article 2, paragraphe 2, de la décision 83/516.

48 Les requérantes subissent ainsi directement les conséquences économiques de la décision de réduction qui leur fait grief en ce qu'elles sont responsables à titre principal du remboursement des sommes indûment versées (arrêt Pays-Bas e.a./Commission, précité, point 50). A cet égard, la Commission a d'ailleurs reconnu à l'audience qu'elle pouvait, le cas échéant, intenter devant le juge national une action en recouvrement des sommes litigieuses dirigée contre les requérantes.

49 Il résulte de ce qui précède que la Commission, qui assume seule, à l'égard des requérantes, la responsabilité juridique de l'acte attaqué, ne pouvait adopter la décision litigieuse sans avoir préalablement mis celles-ci en mesure, ou s'être assurée qu'elles avaient été mises en mesure, de faire connaître utilement leur point de vue sur la réduction du concours envisagée.

50 Or, il est constant entre les parties que, d'une part, les requérantes n'ont reçu communication ni des rapports d'enquête de la Commission ni des griefs que celle-ci formulait à leur encontre, pas plus qu'elles n'ont été entendues par la Commission avant que celle-ci n'adopte la décision litigieuse, et que, d'autre part, le DAFSE, après avoir été invité par la Commission, par lettre du 14 juin 1991, à présenter ses observations, a signifié à la Commission, par lettre du 8 juillet 1991, sans avoir entendu préalablement les requérantes, sa volonté d'accepter la décision que la Commission s'apprêtait à adopter à l'égard de celles-ci.

51 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la décision litigieuse est intervenue en violation des droits de la défense des requérantes."

15 Après avoir également constaté que ni la décision litigieuse ni les rapports de mission ne répondaient aux exigences de motivation de l'article 190 du traité (point 52), le Tribunal a annulé la décision litigieuse.

16 Dans son pourvoi, la Commission demande, en premier lieu, à la Cour d'annuler les points 2 et 3 du dispositif de l'arrêt entrepris, par lesquels le Tribunal a annulé la décision litigieuse et l'a condamnée à payer les dépens, en deuxième lieu, de renvoyer l'affaire devant le Tribunal pour qu'il statue sur le quatrième moyen invoqué par les défenderesses dans leur requête devant le Tribunal et tiré d'une erreur manifeste d'appréciation, et, en troisième lieu, de réserver les dépens.

17 A l'appui de son pourvoi, la Commission soutient que le Tribunal a commis des erreurs de droit en déclarant, dans l'arrêt entrepris, que

° la procédure suivie pour adopter la décision litigieuse a violé les droits de la défense des défenderesses,

° la décision de la Commission est entachée d'une absence de motivation et ne respecte pas les obligations de l'article 190 du traité.

18 Dans son premier moyen, la Commission reproche au Tribunal d'avoir commis une erreur de droit en jugeant qu'elle ne pouvait prendre la décision litigieuse sans avoir préalablement donné aux défenderesses la possibilité de faire connaître utilement leur point de vue sur la réduction du concours financier. Elle invoque à cet égard trois arguments.

19 Premièrement, la Commission soutient qu'aucun droit d'audition préalable ne saurait être reconnu aux défenderesses en raison de la manière dont l'administration et la gestion du FSE sont structurées. Deuxièmement, la décision litigieuse n'infligerait aucune sanction aux défenderesses. Troisièmement, l'administration du FSE rendrait en pratique extrêmement difficile la consultation directe des bénéficiaires de ce Fonds par la Commission.

20 Par ailleurs, la Commission fait valoir que, en tout état de cause, les défenderesses ont déjà été informées, par une lettre reçue du DAFSE le 19 octobre 1990, des doutes et des soupçons qu'elle entretenait quant au respect des conditions d'octroi prévues par la décision d'agrément.

Sur l'existence d'un droit d'être entendu en faveur des défenderesses

21 Il convient de rappeler que le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l'encontre d'une personne et susceptible d'aboutir à un acte faisant grief constitue un principe fondamental de droit communautaire qui doit être assuré même en l'absence de toute réglementation concernant la procédure (voir, notamment, arrêts du 29 juin 1994, Fiskano/Commission, C-135/92, Rec. p. I-2885, point 39, et du 12 février 1992, Pays-Bas e.a./Commission, C-48/90 et C-66/90, Rec. p. I-565, point 44). Ce principe exige que les destinataires de décisions, qui affectent de manière sensible leurs intérêts, soient mis en mesure de faire connaître utilement leur point de vue.

22 Dans son premier argument, la Commission soutient que les défenderesses n'étaient pas concernées par la procédure ayant abouti à la décision litigieuse et qu'elles ne sont donc pas admises à invoquer le principe qui précède. A la différence de l'État membre en cause, les défenderesses ne joueraient pas un rôle central et important dans la procédure de financement et de surveillance des actions de formation; de plus, elles n'auraient de relations directes qu'avec l'État membre, lequel serait l'interlocuteur unique du FSE. Les relations financières s'établiraient ainsi, d'une part, entre la Commission et l'État membre concerné et, d'autre part, entre cet État membre et l'institution bénéficiaire du concours financier conformément à l'arrêt du 15 mars 1984, EISS/Commission (310/81, Rec. p. 1341, point 15).

23 Une telle argumentation ne saurait être retenue.

24 Il convient de constater que la procédure qui a abouti à la décision litigieuse a été ouverte à l'encontre des défenderesses au sens de la jurisprudence citée au point 21 du présent arrêt. En effet, malgré le rôle central joué par l'État membre concerné dans le système mis en place par le règlement n° 2950/83, les défenderesses ont été directement mises en cause dans le cadre de la procédure d'enquête qui a abouti à la décision litigieuse.

25 A cet égard, il convient d'observer que, le 25 novembre 1988, le secteur "contrôle" du FSE a suggéré de procéder à un réexamen du dossier au moyen de contrôles effectués auprès de deux des défenderesses, à savoir Lisrestal et GTI. Ce sont ces contrôles qui ont permis de constater diverses irrégularités dans la gestion financière du concours et qui ont été à l'origine de la décision litigieuse.

26 Par ailleurs, comme l'a établi le Tribunal au point 45 de l'arrêt entrepris, la décision litigieuse, bien qu'adressée aux seules autorités portugaises, désigne nommément et explicitement les défenderesses en tant que bénéficiaires directes du concours octroyé.

27 Cette position est corroborée par l'article 6, paragraphe 2, du règlement n° 2950/83, qui prévoit que les sommes versées qui n'ont pas été utilisées dans les conditions fixées par la décision d'agrément donnent lieu à répétition et que l'État membre intéressé n'est que subsidiairement responsable du remboursement des sommes indûment versées lorsqu'il s'agit d'actions dont il garantit la bonne fin en vertu de l'article 2, paragraphe 2, de la décision 83/516.

28 C'est donc à bon droit que le Tribunal a, au point 47 de l'arrêt entrepris, constaté qu'il ressort des dispositions du règlement n° 2950/83 que, en dépit du fait que l'État membre est le seul interlocuteur du FSE, un lien direct s'établit entre la Commission et le bénéficiaire du concours.

29 Il convient d'ajouter que, s'il est vrai qu'une décision de suspension, de réduction ou de suppression d'un concours communautaire peut parfois refléter une appréciation et une évaluation effectuées par les autorités nationales compétentes, il n'en reste pas moins vrai que c'est la Commission qui, conformément à l'article 6, paragraphe 1, du règlement n° 2950/83, prend la décision finale et assume seule, à l'égard des bénéficiaires, la responsabilité juridique d'une telle décision.

30 Par ailleurs, la circonstance que, en vertu de cette disposition, l'État membre concerné doit être préalablement consulté avant que la Commission adopte une décision de suspension, de réduction ou de suppression ne permet pas de conclure à la non-application d'un principe de droit communautaire aussi fondamental que celui qui garantit à toute personne le droit d'être entendue avant qu'une décision susceptible de lui faire grief soit adoptée.

31 Dans son deuxième argument, la Commission fait valoir que la décision litigieuse n'inflige aucune sanction ni pénalité aux défenderesses. Elle ne serait que le corollaire administratif de la décision dans laquelle la Commission a agréé le concours financier et a énoncé les critères auxquels il était soumis.

32 Une telle argumentation ne saurait être retenue.

33 Comme le Tribunal l'a établi, la décision litigieuse prive les défenderesses de l'intégralité du concours qui leur avait été initialement octroyé. Elles subissent ainsi directement les conséquences économiques de la décision litigieuse qui affecte leur patrimoine en ce qu'elles sont tenues, à titre principal, au remboursement des sommes indûment versées, et ce dans un délai de quinze jours à compter de la réception des lettres des 24 avril 1992 et 7 mai 1992, qui leur ont été adressées par le DAFSE et qui les informaient de l'adoption de la décision litigieuse par la Commission.

34 Force est donc de constater que la décision affecte, de manière sensible, les intérêts des défenderesses.

35 Dans son troisième argument, la Commission soutient que, en pratique, l'administration du FSE rend extrêmement difficile la consultation directe des bénéficiaires de ce dernier par la Commission. Dès la demande de concours initiale, la Commission confierait entièrement à l'État membre le soin d'administrer les projets approuvés. Admettre que, en l'espèce, elle aurait dû consulter les défenderesses modifierait le système d'administration du FSE en vigueur.

36 Une telle argumentation ne peut pas non plus être retenue.

37 Tout d'abord, un argument d'ordre pratique ne saurait, à lui seul, justifier la violation d'un principe fondamental comme le respect des droits de la défense.

38 Ensuite, il ressort de l'article 5, paragraphe 5, du règlement n° 2950/83 que la Commission a connaissance de l'identité des entreprises bénéficiaires puisqu'elle est tenue d'informer toutes les parties intéressées au moment du versement du paiement.

Sur la mise en oeuvre du droit d'être entendu par la Commission

39 La Commission estime que c'est à tort que le Tribunal n'a pas tenu compte du fait que les défenderesses auraient déjà eu connaissance des doutes et des soupçons justifiés que la Commission nourrissait au sujet du respect des conditions d'octroi prévues par la décision d'agrément. En effet, les défenderesses auraient reçu du DAFSE une lettre datée du 19 octobre 1990 qui aurait exposé ces doutes et ces soupçons. Si elles avaient eu des arguments de fond susceptibles de les dissiper, elles auraient pu les faire connaître au DAFSE, qui les aurait transmis à la Commission.

40 Il convient de rappeler que la Cour ne peut examiner un tel moyen que dans la mesure où il tend à contester l'appréciation portée par le Tribunal sur la teneur et le libellé des lettres du 19 octobre 1990 (arrêt du 16 juin 1994, SFEI e.a./Commission, C-39/93 P, Rec. p. I-2681, point 26).

41 Or, il apparaît clairement que ces lettres ne contiennent aucune explication concernant les doutes et les soupçons entretenus par la Commission à cette époque. Le DAFSE y a seulement informé les défenderesses qu'une mission de contrôle communautaire avait été effectuée en vue de vérifier la régularité et la légalité de ces actions et précisé que la Commission n'avait pas encore arrêté de décision définitive.

42 Il en résulte que les lettres du 19 octobre 1990 n'étaient pas de nature à informer les défenderesses des doutes et des soupçons entretenus par la Commission.

43 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que le Tribunal pouvait conclure que la décision litigieuse est intervenue en violation des droits de la défense des défenderesses.

44 Le premier moyen doit donc être rejeté comme étant non fondé.

45 Étant donné que la violation des droits de la défense ainsi constatée entraîne l'annulation de la décision litigieuse, il n'y a pas lieu d'examiner le deuxième moyen invoqué par la Commission tiré d'une absence de motivation.

46 Au vu de ce qui précède, le pourvoi doit être rejeté dans son ensemble.

Sur les dépens

47 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 118, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La Commission ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens de la présente instance.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre)

déclare et arrête:

1) Le pourvoi est rejeté.

2) La partie requérante est condamnée aux dépens.

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