EXPOSE DU LITIGE :
Mme [Aa] [T] a été engagée par la société de droit russe Joint stock company Aeroflot-Russian Airlines, devenue Public Joint Stock Company Aeroflot - Russian Airlines (dite Aeroflot), suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 18 février 1991, en qualité d'agent de réservation.
A compter du 1er décembre 2012, la salariée a été affectée sur le site de l'aéroport [7] où elle occupait la fonction d'assistante chef des ventes. Un avenant à son contrat de travail daté du 1er décembre 2012 prévoyait qu'elle travaille de 09 heures à 17 heures.
Du 4 mars au 4 septembre 2014, Mme [Aa] [T] a été placée en arrêt de travail pour maladie. À son retour, la salariée a été affectée au guichet de l'aéroport de [7] selon les horaires suivants : de 16 heures à 23h30.
Du 26 septembre 2014 au 8 novembre 2015, la salariée a de nouveau été placée en arrêt de travail pour maladie.
Le 15 janvier 2015, l'Inspection du travail a écrit à la société Aeroflot pour lui signaler que le passage d'horaires de jour à des horaires de nuit constituait une modification substantielle du contrat de travail nécessitant l'accord de la salariée, qui n'avait pas été demandé.
Le 9 novembre 2015, Mme [Aa] [T] a repris son activité suivant un horaire de jour.
Dans le dernier état des relations contractuelles régies par la convention collective des travailleurs au sol du transport aérien, la salariée percevait une rémunération mensuelle brute de 3 536,63 euros (moyenne sur les 12 derniers mois).
Du 27 décembre 2016 au 17 février 2017, la salariée a été placée en arrêt de travail pour maladie, puis du 28 février 2017 au 5 mars 2018.
Le 4 janvier 2018, Mme [Aa] [T] a été reconnue invalide de catégorie 2, ce qui l'empêchait d'exercer toute activité professionnelle.
Le 5 mars 2018, au terme d'une visite de reprise, la salariée a été déclarée inapte à son poste de travail.
Le 7 avril 2018, la salariée s'est vu notifier un licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement, libellé dans les termes suivants :
" Après un dernier examen de la situation, nous vous informons que nous sommes contraints de procéder à votre licenciement en raison de votre inaptitude totale et définitive à votre poste de travail et de l'impossibilité de vous reclasser.
Je vous rappelle, ci-après, le déroulement des événements ayant conduit à la prise de cette décision.
Le 18.02.1991, vous avez été embauchée au sein de notre société vous exercez aujourd'hui les fonctions d'Assiistante Chef des ventes.
Le 28 février 2017, vous avez été admise au Service des Urgences de l'hôpital [9] et avait déclaré avoir été victime d'un accident du travail, qui n'a d'ailleurs pas été reconnu ni par la CPAM, ni par la commission de recours amiable que vous aviez saisie.
Depuis cette date, vous avez été en arrêt de travail sans discontinuité, vos arrêts étant prolongés au mois le mois.
Par lettre du 1er février 2018, vous nous avez informé que la CPAM vous a classée en invalidité 2ème catégorie et vous nous demandiez d'organiser une visite de reprise auprès de la Médecine du travail à la date présumée de votre retour le 28 février 2018.
C'est dans ces conditions que le 5 mars 2018, vous avez été reçue par le médecin du travail pour une visite de reprise. À l'issue de cette visite, le médecin du travail vous a déclaré inapte à votre poste en une seule visite, conformément aux dispositions de l'
article R. 4624-42 du code du travail🏛.
Dans son avis d'inaptitude, médecin du travail concluait également qu'il n'y avait aucun reclassement possible et, conformément aux dispositions des
articles L. 1226-2-1 et
L. 1226-12 et L. 1226-20 du code du travail🏛, nous dispensait de l'obligation de reclassement.
Nous vous rappelons que cet avis d'inaptitude consécutif à une étude de votre poste et de vos conditions de travail réalisée en septembre 2016, d'un échange entre le médecin du travail et la société, le 5 mars 2018.
Pour information, la fiche entreprise a été mise à jour le 26 septembre 2016.
En application de l'
article L. 1226-2 du code du travail🏛, les délégués du personnel ont été informés et consultés sur l'absence et la dispense de tout reclassement, lors d'une réunion qui s'est tenue le 16 mars 2018.
Par courrier du 17 mars 2018, compte tenu de l'absence et et la dispense de tout reclassement, nous vous avons informé de notre impossibilité de vous proposer un poste de reclassement.
Nous avons le regret de vous informer de notre décision de procéder à votre licenciement pour inaptitude totale et définitive à votre poste constatée par le médecin du travail et impossibilité de vous reclasser".
Le 3 août 2018, Mme [Aa] [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny pour voir dire son licenciement nul, solliciter un rappel de salaire au titre de l'année 2018 et des dommages-intérêts pour harcèlement moral, discrimination, manquement à l'obligation de sécurité et à l'exécution loyale du contrat de travail.
Le 6 février 2020, le conseil de prud'hommes de Bobigny, dans sa section Encadrement, a statué comme suit :
- requalifie le licenciement de Mme [Aa] [T] en un licenciement sans cause réelle et sérieuse
- condamne la société Aeroflot à verser à Mme [Aa] [T] les sommes suivantes :
* 67 483 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
* 10 655,28 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
* 1 065,52 euros au titre des congés payés afférents
* 1 575,83 euros à titre de rappel de salaire
* 157,58 euros au titre des congés payés afférents
* 1 500 euros au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛Rappelle que les créances salariales porteront intérêt au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation et que les créances à caractère indemnitaire porteront intérêt de droit à compter du prononcé du présent jugement
- déboute Mme [Aa] [T] du surplus de ses demandes
- déboute la société Aeroflot de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamne aux dépens.
MOTIFS DE LA DECISION :
1/ Sur le harcèlement moral, la discrimination, le manquement à l'obligation de sécurité et d'exécution de bonne foi du contrat de travail de l'employeur.
Selon l'
article L. 1132-1 du code du travail🏛, dans sa version applicable au litige aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'
article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008🏛 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou en raison de son état de santé ou de son handicap.
L'article L. 2141-5 dispose : " Il est interdit l'employeur de prendre en considération l'appartenance un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrter ses décisions en mati re notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d'avancement, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux, de mesures de disciplines et de rupture du contrat de travail '.
En application de l'article L. 1134-1, lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance de ces dispositions, il appartient au salarié qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de présenter au juge des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que les mesures prises sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Par ailleurs en application des
articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail🏛🏛, lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Mme [Aa] [T], qui est d'origine ukrainienne, fait valoir qu'à compter de l'invasion de la Crimée par la Russie, à la fin du mois de février 2014, elle a fait l'objet de pressions de la part de sa hiérarchie et qu'il lui a été demandé, toute la journée du 3 mars 2014, de démissionner "pour retourner auprès de son peuple". Si l'intimée n'est pas en mesure de produire de témoignages des mesures d'intimidation dont elle a été victime à cette date, elle explique qu'elle a dû être placée en arrêt de travail en raison du stress subi à cette occasion.
Lorsqu'elle a repris son activité en septembre 2014, alors qu'elle occupait un poste d'assistante Chef de ventes, au statut cadre, dans les bureaux de l'espace dit "Le Dôme" à Roissy, sur un horaire de 9h00 à 17h00, elle a été informée qu'elle serait désormais affectée à un emploi aux guichets de l'aéroport de 16 h à 23h30. Mme [Aa] [T] estime qu'elle s'est donc vu imposer, unilatéralement, par l'employeur une rétrogradation à des fonctions qu'elle avait exercées lors de son embauche et que cette suppression de ses responsabilités et prérogatives s'est accompagnée d'un changement de ses horaires de travail qui portait atteinte au droit au respect de sa vie familiale et à ses conditions de vie puisqu'elle ne disposait pas de moyen de transport lui permettant de regagner son domicile à une heure tardive, n'étant pas titulaire d'un permis de conduire. De surcroît, la salariée affirme avoir été en butte à l'hostilité de la Direction et des autres salariés, qui ne lui adressaient plus la parole.
La dégradation de ses conditions de travail a conduit à un nouvel arrêt de travail du 26 septembre 2014 au 8 novembre 2015. L'intimée a signalé à l'Inspection du travail les modifications de son contrat de travail qui lui avaient été imposées par l'employeur.
Mme [Aa] [T] signale, également, que durant ses arrêts pour maladie, l'employeur n'a pas satisfait à ses obligations légales en lui adressant dans les délais les documents utiles ou en lui versant les sommes qu'elle lui devait au titre du complément de rémunération et de la prévoyance.
L'Inspection du travail a écrit à l'employeur, le 15 janvier 2015, pour lui reprocher d'avoir modifié unilatéralement le contrat de travail de la salariée en lui imposant des horaires tardifs et d'avoir tardé à lui remettre l'attestation de sécurité sociale (pièce 4). Le 11 février 2015, l'Inspection du travail a rappelé à l'ordre Aeroflot sur la manière dont elle pratiquait la subrogation à la sécurité sociale (pièce 5). Le 19 mai 2015, l'Inspection du travail a reçu des représentants de la société Aeroflot et a pris acte, dans un courrier du 21 mai 2015, de l'ensemble des engagements de la société de régulariser la situation de Mme [Aa] [T], tant en ce qui concernait les prestations dues au titre de sa maladie que s'agissant de ses horaires de travail (pièce 7).
Cependant, lors de la reprise de son activité, si l'intimée se voyait bien appliquer un horaire de jour, elle devait subir des humiliations constantes de sa hiérarchie qui ne cessait de dénigrer son travail, comme en témoigne, une de ses collègues, MAbe [Z],qui déclare :
« Moi-même je suis en état de burn-out et hospitalisée à cause d'un harcèlement moral par
AEROFLOT. Mme [T] travaillait dans le bureau et s'est retrouvée au guichet alors qu'elle ne connaissait pas le poste, ce sont deux emplois très différents. J'ai constaté qu'elle a subi beaucoup de manque de respect de la direction et de ses collègues de travail qui la traitaient publiquement (devant les passagers) d'incompétente, en permanence elle était insultée. L'adjoint du Directeur la méprisait et la traitait comme un déchet.
Un exemple parmi tant d'autres : un jour où j'étais en repos, on m'a appelée pour que je vienne travailler en urgence. Quand je suis arrivée, on m'a demandé de prendre la place de Madame [T] qui est restée toute la journée debout sans possibilité de travailler. J'ai été très gênée, j'ai vu qu'elle était dans tous ses états et elle pleurait. Régulièrement on lui disait qu'elle est incapable de faire son travail, qu'elle était bonne à rien et on lui demandait quand elle va démissionner ' Je trouve qu'on était horrible avec elle et toujours mal traitée. » (pièce 14)
Eu égard à cet environnement professionnel, la salariée a de nouveau été placée en arrêt de travail du 27 décembre 2016 au 17 février 2017 et,10 jours après sa reprise, elle a été victime d'une crise d'angoisse à son poste de travail après avoir été traitée d'incapable et menacée de licenciement pour faute (pièce 15). Dans la soirée, elle a fait un malaise à son domicile qui a nécessité son hospitalisation en psychiatrie (pièce 16) durant plusieurs semaines et un arrêt de travail ininterrompu jusqu'à la reconnaissance de son inaptitude.
La salariée intimée signale, encore, que l'employeur s'est abstenu d'organiser la visite de reprise obligatoire après chacun de ses arrêts maladie, ce qui caractérise un manquement à son obligation de sécurité et qu'elle n'a pu bénéficier du maintien de la prévoyance postérieurement à son licenciement puisque l'employeur n'avait pas procédé au versement des cotisations, ni effectué les formalités permettant la portabilité de la prévoyance.
La salariée intimée soutient que la dégradation intentionnelle de ses conditions de travail par l'employeur est intervenue en raison de considérations liées à son origine et en raison du conflit opposant la Russie à l'Ukraine.
En l'état de ces éléments et, notamment, des modifications apportées au contrat de travail de la salariée, qui ont eu un retentissement sur son état de santé et de l'attitude de sa hiérarchie à son égard, à compter du déclenchement du conflit opposant la Russie et l'Ukraine sur l'annexion de la Crimée, il convient de considérer que celle-ci présente au juge des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte fondée sur ses origines et d'un harcèlement moral. Il incombe, donc, à l'employeur de prouver que les mesures prises sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination et à tout harcèlement moral.
La société appelante rappelle que si Mme [Aa] [T] prétend avoir été discriminée en raison de son origine, la salariée est de nationalité française et elle dispose d'un passeport russe (pièce 11). Elle ajoute que l'intimée est dans l'incapacité de justifier des pressions dont elle aurait fait l'objet pour la contraindre à démissionner et dont l'employeur dément l'existence.
L'employeur explique que le changement d'affectation de la salariée, à son retour d'arrêt pour maladie, a été décidé compte tenu des difficultés rencontrées au comptoir de vente dans l'aéroport de [7] face à l'afflux de passagers. La société appelante souligne, d'ailleurs, que Mme [Aa] [T] a conservé son statut de cadre, son coefficient et sa rémunération et que c'est à sa demande que ses horaires de travail ont été modifiés.
La société appelante observe que Mme [Aa] [T] ne s'est jamais plainte de ses conditions de travail antérieurement à son arrêt du 4 mars 2014 et que, par la suite, elle n'a pas saisi les instances représentatives du personnel et/ou le médecin du travail pour dénoncer une situation de harcèlement moral.
L'employeur relève que la seule attestation que l'intimée verse aux débats au soutien de ses accusations émane de Mme [Ab], dont la rigueur et l'honnêteté intellectuelle sont discutables puisque cette salariée affirme avoir elle-même été hospitalisée en raison d'un harcèlement moral et d'un burn out imputable à la compagnie Aeroflot, alors qu'elle a été placée en arrêt de travail à la suite d'un accident du travail en mars 2018 et qu'elle n'a jamais alerté qui que ce soit sur une quelconque dégradation de ses conditions de travail.
Cependant, la cour retient qu'aucune pièce ne vient établir la nécessité dans laquelle se serait trouvé l'employeur de modifier l'affectation de la salariée, en la nommant agent d'accueil au guichet et ce d'autant que ce changement d'emploi constituait une rétrogradation sur un poste qu'elle avait occupé avant sa promotion comme "assistante chef des ventes", autrement dit une modification du contrat de travail de la salariée par une diminution de ses responsabilités et de ses prérogatives, qui nécessitait son accord exprès. La volonté de pénaliser la salariée est, également, caractérisée par la modification qui a été apportée à ses horaires de travail avec une heure de sortie très tardive, parfaitement incompatible avec les conditions de vie de l'intimée, qui n'était pas titulaire d'un permis de conduire et ne pouvait utiliser les transports en commun après 23h30. A cet égard, la cour constate que lorsque la société appelante prétend que la salariée ne s'est jamais plainte de ses conditions de travail, elle ne fait pas cas du courrier que cette dernière a adressé à l'Inspection du travail pour dénoncer sa situation. En outre, l'Inspection du travail a, elle-
même, dû écrire à quatre reprises à la société appelante et organiser une rencontre pour la contraindre à appliquer à la salariée un horaire de travail compatible avec sa vie personnelle. Mme [Aa] [T] justifie que les agissements répétés de l'employeur ont eu un retentissement sur son état de santé.
Dans ces conditions, il échet de constater que la société appelante ne remplit pas la preuve qui lui incombe pour écarter la présomption de discrimination et de harcèlement moral retenue au regard des éléments étayés produits par Mme [Aa] [T]. Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a débouté la salariée de ses demandes de ce chef et il lui sera alloué une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral du fait du harcèlement et de la discrimination subis de la part de l'employeur ainsi qu'en raison du non-respect par celui-ci de son obligation de sécurité et de l'obligation d'exécuter loyalement le contrat de travail.
2/ Sur le licenciement pour inaptitude
La salariée ayant été déclarée inapte avec la mention selon laquelle son maintien dans l'entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé et dans la continuité des arrêts de travail pour maladie qui lui ont été délivrés pour des troubles anxio-dépressifs en lien avec les faits de harcèlement moral et de discrimination subis le licenciement sera dit nul et le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté Mme [Aa] [T] de sa demande de ce chef.
Au titre de l'indemnité pour licenciement nul, conformément à l'
article L. 1235-3-1 du code du travail🏛, l'article L. 1235-3 n'est pas applicable lorsqu'il est constaté que le licenciement est entaché par une des nullités prévues au deuxième alinéa de cet article, dont le harcèlement moral. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, il est en droit de revendiquer une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Au regard de son âge au moment du licenciement, 60 ans, de son ancienneté de plus de 27 ans dans l'entreprise, du montant de la rémunération qui lui était versée, de la justification du fait qu'elle n'a pas retrouvé un emploi dans les premiers mois qui ont suivi son licenciement, il convient de lui allouer, en réparation de son entier préjudice la somme de 67 483 euros, telle qu'elle a justement été évaluée par les premiers juges.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a alloué à la salariée les sommes suivantes :
- 10 655,28 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 1 065,52 euros au titre des congés payés afférents.
Il sera ordonné à la société Public Joint Stock Company Aeroflot - Russian Airlines de délivrer à Mme [Aa] [T], dans le délai de deux mois suivant la notification de la présente décision :
- une attestation Pôle emploi
- un certificat de travail
- un bulletin de paie récapitulatif
conformes à la présente décision, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette obligation d'une astreinte.
3/ Sur la demande de rappels de salaire
Mme [Aa] [T] fait valoir qu'elle a été déclarée inapte le 5 mars 2018 et, qu'en conséquence, la reprise de son salaire aurait dû être effective à compter du 5 avril 2018, à défaut d'avoir été licenciée à cette date. Or, il apparait sur son dernier bulletin de paie qu'elle a été placée en "absence non rémunérée" pour la période du 1er avril au 7 avril 2018 et qu'elle n'a donc pas été payée pour les journées des 5, 6 et 7 avril 2018 pour lesquelles elle réclame une somme totale de 1 575,83 euros et 157,58 euros au titre des congés payés afférents.
L'employeur répond qu'en dépit de l'avis d'inaptitude, la salariée est demeurée en arrêt maladie jusqu'au 6 avril 2018 inclus et qu'elle percevait une pension d'invalidité et un complément au titre de la prévoyance.
La cour rappelle que l'
article L. 1226-4 du code du travail🏛 dispose "Lorsque, à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n'est pas reclassé dans l'entreprise ou s'il n'est pas licencié, l'employeur lui verse, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail" et que l'existence d'un arrêt maladie qui se prolonge au-delà de l'avis d'inaptitude ne dispense pas l'employeur de reprendre le versement du salaire.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a fait droit aux demandes de la salariée.
4/ Sur la demande d'indemnité compensatrice de congés payés
La salariée intimée indique que l'article 27 de la convention collective applicable détermine le nombre de congés payés au regard de l'ancienneté du salarié, ainsi qu'une prise en compte des périodes de maladie, dans les conditions suivantes :
« Tout membre du personnel bénéficie de deux jours et demi ouvrables de congé par mois de présence dans l'entreprise, portés à trente et un jours ouvrables par an après cinq ans
d'ancienneté et à trente-deux jours ouvrables après dix ans. Pour l'appréciation de cette durée de présence, sont comprises, outre les périodes assimilées par la loi à du travail effectif, la maladie indemnisée conformément aux dispositions de l'article 26, les périodes militaires de réserve obligatoires et non provoquées par l'intéressé, les absences exceptionnelles de courte durée autorisées par l'employeur. »
Mme [Aa] [T] considère donc qu'elle aurait dû bénéficier de 32 jours ouvrables au cours des trois dernières années de présence dans l'entreprise, sauf pour l'année 2015 en raison de la cessation du maintien de son indemnisation pendant une durée d'un mois.
La salariée a calculé qu'elle bénéficiait à la date de son licenciement de 80,5 jours de congés payés acquis qui auraient dû lui être payés à hauteur de 9 530,55 euros, alors qu'elle n'a touché que 2 193,86 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés. Elle réclame donc le solde de 7 336,69 euros.
L'employeur répond la salariée a été remplie de ses droits à indemnisation au titre de ses congés payés non pris et que les calculs de la salariée sont erronés puisque seules les périodes de travail effectives peuvent ouvrir un droit à congés payés et que les absences pour maladie ne permettent pas l'acquisition d'un droit à congés payés.
Mais, si les
articles L. 3141-3 et suivants du code du travail🏛, subordonnent l'acquisition de droits à congé payé à l'exécution d'un travail effectif ou à des périodes assimilées à un tel travail, selon la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne, la directive 2003/88/CE n'opère aucune distinction entre les salariés absents en raison d'un congé maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé et qu'en cas d'absence pour congé maladie dûment prescrit, un Etat membre ne peut pas subordonner le droit au congé annuel payé à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence.
En l'espèce, en l'absence d'un accord d'entreprise, d'un règlement intérieur ou de dispositions de la convention collective applicable permettant d'atteindre la finalité poursuivie par la directive, permettant d'interpréter la réglementation nationale de manière à en assurer la conformité avec l'article 7 de la directive 2003/88/CE et l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux, qui dispose que « Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés », il convient de laisser la réglementation nationale inappliquée. Il sera, donc, fait droit à la demande de rappel d'indemnité de congés payés formée par l'intimée et le jugement qui l'avait déboutée de sa demande sera infirmé de ce chef.
5/ Sur la demande de remboursement des allocations chômage
Il sera fait droit à la demande de Pôle emploi de condamnation de la société Public Joint Stock Company Aeroflot - Russian Airlines à lui payer une somme de 2 881,06 euros en remboursement des allocations chômage versées à la salariée.
6/ Sur les autres demandes
Les sommes allouées à titre salarial porteront intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 2018, date de l'audience du bureau de conciliation et d'orientation, à défaut pour la cour de connaître la date à laquelle l'employeur a réceptionné sa convocation à cette audience.
Les dommages-intérêts alloués au titre de la rupture abusive du contrat de travail produiront intérêts au taux légal à compter du 6 février 2020, date du jugement déféré.
Les dommages-intérêts pour harcèlement moral, discrimination, manquement à l'obligation de sécurité et d'exécution loyale du contrat de travail porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision.
Il sera ordonné la capitalisation des intérêts dus pour une année entière.
La société Public Joint Stock Company Aeroflot - Russian Airlines supportera les dépens d'appel et sera condamné à payer à Mme [Aa] [T] la somme 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Dit la société Public Joint Stock Company Aeroflot - Russian Airlines recevable en son appel,
Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a :
- condamné la société Aeroflot à verser à Mme [Aa] [T] les sommes suivantes :
* 10 655,28 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
* 1 065,52 euros au titre des congés payés afférents
* 1 575,83 euros à titre de rappel de salaire
* 157,58 euros au titre des congés payés afférents
* 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- débouté la société Aeroflot de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamne aux dépens,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit le licenciement de Mme [Aa] [T] nul,
Condamne la société Public Joint Stock Company Aeroflot - Russian Airlines à payer à Mme [Aa] [T] les sommes suivantes :
- 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral, discrimination, manquement à l'obligation de sécurité, exécution déloyale du contrat de travail
- 67 483 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul
- 7 336,69 euros à titre d'indemnité de congés payés
- 2 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,
Dit que les sommes allouées à titre salarial porteront intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 2018, que les dommages-intérêts alloués au titre de la rupture abusive du contrat de travail produiront intérêts au taux légal à compter du 6 février 2020, et que les dommages-intérêts pour harcèlement moral, discrimination, manquement à l'obligation de sécurité et d'exécution loyale du contrat de travail porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,
Ordonne le remboursement par la société Public Joint Stock Company Aeroflot - Russian Airlines à Pôle emploi de la somme de 2 881,06 euros correspondant aux indemnités de chômage versées à la salariée, conformément aux dispositions de l'
article L. 1235-4 du code du travail🏛.
Ordonne à la société Public Joint Stock Company Aeroflot - Russian Airlines de délivrer à Mme [Aa] [T], dans le délai de deux mois suivant la notufication de la présente décision :
- une attestation Pôle emploi
- un certificat de travail
- un bulletin de paie récapitulatif
conformes à la présente décision,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires,
Condamne la société Public Joint Stock Company Aeroflot - Ac Ad aux dépens d'appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE