Jurisprudence : Cass. civ. 2, 12-10-2023, n° 22-11.031, F-B, Cassation

Cass. civ. 2, 12-10-2023, n° 22-11.031, F-B, Cassation

A29411LI

Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2023:C201007

Identifiant Legifrance : JURITEXT000048211091

Référence

Cass. civ. 2, 12-10-2023, n° 22-11.031, F-B, Cassation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/100471003-cass-civ-2-12102023-n-2211031-fb-cassation
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Abstract

L'utilisation, pour évaluer le préjudice économique du conjoint survivant, d'une méthode qui tient compte de l'accession future des enfants à l'autonomie financière, impose de déduire de la perte de revenus globale du foyer, capitalisée de façon viagère, le préjudice économique des enfants, avant imputation des capitaux décès leur revenant le cas échéant


CIV. 2

LM


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 12 octobre 2023


Cassation partielle sans renvoi


Mme LEROY-GISSINGER, conseiller doyen
faisant fonction de président


Arrêt n° 1007 F-B

Pourvoi n° V 22-11.031


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 OCTOBRE 2023


Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° V 22-11.031 contre l'arrêt rendu le 30 septembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 12), dans le litige l'opposant :

1°/ à [N] [M],

2°/ à [T] [M],

toutes deux prises tant à titre personnel qu'en qualité d'héritières de leur mère [Y] [E], mineures représentées par leur père, M. [W] [M],

3°/ à M. [W] [M],

tous trois domiciliés [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.


Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Ittah, conseiller référendaire, les observations de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de M. [M] et d'[N] et [T] [M], à titre personnel et en qualité d'héritières de leur mère [Y] [E], représentées par leur père, M. [M], et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 septembre 2023 où étaient présents Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Ittah, conseiller référendaire rapporteur, Mme Isola, conseiller, et Mme Cathala, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre [T] et [N] [M].


Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 septembre 2021), [Y] [E] est décédée le [Date décès 3] 2012 dans le service de réanimation d'un centre hospitalier où, la veille, elle avait accouché d'une fille, prénommée [N].

3. Les médecins en charge de cet accouchement et le centre hospitalier ont été déclarés coupables d'homicide involontaire sur la personne de [Y] [E].

4. M. [M], agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentant légal de ses filles mineures [T] et [N], a saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infractions à fin d'indemnisation.


Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches, et le second moyen

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile🏛, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

6. Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI) fait grief à l'arrêt d'allouer à M. [M] la somme de 686 645,69 euros au titre de son préjudice économique, alors « qu'en cas de réaffectation au conjoint survivant des sommes que le couple aurait exposées pour l'entretien et l'éducation des enfants, au moment de l'autonomie de ces derniers, le juge doit déduire de la perte de revenus du foyer, les sommes que le couple aurait dépensées pour assurer le besoin d'entretien et d'éducation des enfants, c'est-à-dire le montant du préjudice économique des enfants ; que cette déduction s'entend du montant du préjudice économique des enfants avant imputation des éventuelles sommes payées par les tiers payeurs ; qu'en déduisant de la perte de revenus du foyer, pour calculer le préjudice économique de M. [M], les sommes in fine allouées aux enfants, c'est-à-dire après imputation du capital décès versé par l'assureur à chacun des enfants, la cour d'appel a violé l'article 706-3 et le principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. »


Réponse de la Cour

Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

7. Pour fixer le préjudice économique de M. [M] à la somme de 737 427,87 euros avant imputation des capitaux décès qu'il a perçus, l'arrêt énonce que l'accession des enfants à l'autonomie financière impose de réévaluer le préjudice économique du conjoint survivant puisque la part de l'enfant redevenue disponible est affectée au foyer et doit revenir, en son entier, au conjoint survivant, sans qu'il y ait lieu d'augmenter la part d'auto-consommation de la victime directe au départ des enfants, de sorte que le préjudice économique de M. [M] correspond à la perte de revenus du foyer, après déduction des pertes subies par ses filles.

8. L'arrêt constate que le revenu annuel du foyer s'élevait à 46 833 euros et, qu'après déduction de la part d'auto-consommation de la victime directe (20 %) et des revenus que M. [M] continue de percevoir, la perte de revenus annuelle du foyer s'élève à la somme de 15 135,40 euros, soit 750 579,62 euros, après capitalisation à titre viager.

9. Il évalue le préjudice économique de [T] à la somme de 52 423,72 euros, correspondant à 15 % de la perte de revenus annuelle du foyer capitalisés suivant un euro de rente arrêté à 25 ans, et celui d'[N] à la somme de 54 358,03 euros, suivant la même méthode, puis il leur alloue les sommes de 5 608,72 euros et 7 543,03 euros respectivement, après imputation du capital décès versé à chacune d'elles par l'assureur de l'employeur de leur mère.

10. L'arrêt en déduit que le préjudice économique subi par M. [M] s'établit à la somme de 737 427,87 euros, qui correspond à la perte de revenus du foyer capitalisée de façon viagère, déduction faite des sommes revenant à ses filles, au titre de leur préjudice économique, après déduction du capital décès perçu par chacune d'elles.

11. En statuant ainsi, alors que la méthode d'évaluation du préjudice économique du conjoint survivant qu'elle retenait imposait de déduire de la perte de revenus globale du foyer, capitalisée de façon viagère, les pertes financières subies par les deux enfants, telles qu'elles avaient été préalablement évaluées, avant imputation des capitaux décès leur revenant, la cour d'appel a violé le principe susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile🏛, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire🏛 et 627 du code de procédure civile.

13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

14. Il résulte de ce qui est dit aux paragraphes 8 à 11 et des constatations de fait non contestées de l'arrêt de la cour d'appel que le préjudice économique de M. [M] s'élève à la somme de 643 797,87 euros (750 579,62 euros - 54 358,03 euros - 52 423,72 euros) et, après imputation des capitaux décès lui revenant (3 967,18 euros et 46 815 euros), il lui est alloué la somme de 593 015,69 euros.


PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il alloue à M. [W] [M] la somme de 686 545,69 euros au titre de son préjudice économique, l'arrêt rendu le 30 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ALLOUE à M. [W] [M], provisions et sommes versées en vertu de l'exécution provisoire non déduites, la somme de 593 015,69 euros au titre de son préjudice économique ;

Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par M. [M] ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze octobre deux mille vingt-trois.

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