TA Martinique, du 04-10-2023, n° 2300550
A62141KD
Référence
Par un déféré, enregistré le 11 septembre 2023, le préfet de la Martinique demande au juge des référés d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article L. 554-1 du code de justice administrative🏛, la suspension de la délibération n° 23-200-1 du 25 mai 2023 en tant que l'Assemblé de Martinique reconnaît, en son article 1er, la langue créole comme langue officielle de la Martinique, au même titre que le français, ensemble la décision du 19 août 2023 par laquelle le président du conseil exécutif de Martinique a rejeté le recours gracieux du 25 juillet 2023, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur la légalité de cette décision ;
Il soutient qu'il existe un doute sérieux quant à la légalité de l'article 1er de la délibération contestée dès lors qu'il méconnaît l'article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 et qu'il méconnaît, en outre, l'article 1er de la loi n° 94-665 du 4 août 1995 relative à l'emploi de la langue française.
Par un mémoire, enregistré le 2 octobre 2023, la Collectivité territoriale de Martinique, représentée par Me Ursulet, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Elle fait valoir que :
- la requête est irrecevable dès lors qu'il s'agit d'un acte préparatoire, insusceptible de recours ;
- les moyens ne sont pas fondés ; l'article 1er ne méconnaît ni l'article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 ni l'article 1er de la loi du 4 août 1994🏛 dès lors qu'il n'impose pas l'usage du créole comme langue officielle de la Martinique.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- la requête enregistrée le 11 septembre 2023 sous le n° 2300551 par laquelle le préfet de la Martinique demande l'annulation de l'article 1er de la délibération du 25 mai 2023.
Vu :
- la Constitution du 4 octobre 1958, notamment son article 2 ;
- le code général de collectivités territoriales ;
- la loi n° 94-665 du 4 août 1994🏛 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique du 3 octobre 2023 à 8 heures 30 tenue en présence de Mme Pyrée, greffière d'audience, M. A a lu son rapport et entendu :
- les observations de Me Yang-Ting Ho, représentant le préfet de la Martinique, qui de reprend les moyens et arguments de la requête et demande, en outre, que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la Collectivité territoriale de Martinique au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
- et celles de Me Ursulet, représentant la collectivité territoriale de Martinique, qui reprend les moyens et arguments de ses écritures.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
Une note en délibéré, enregistrée le 3 octobre 2023, a été présentée pour le préfet de la Martinique.
1. Par l'article 1er de la délibération n° 23-200-1 du 25 mai 2023 portant reconnaissance du rôle et de la place de la langue créole, " l'Assemble de Martinique reconnaît la langue créole comme langue officielle de la Martinique, au même titre que le français ". L'article 2 de la même délibération prévoit que " la Collectivité territoriale de Martinique agira en faveur de la pleine reconnaissance du créole en tant que marqueur identitaire et collectif et en tant que langue vivante à laquelle l'Education nationale doit donner pleinement sa place au sein des programmes scolaires ". L'article 3 de la délibération prévoit que " le président de l'Assemblée de Martinique transmet le projet de loi, au Premier ministre, au représentant de l'Etat dans la collectivité territoriale et aux Présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, dans le cadre de l'article L. 7252-1 du code général des collectivités territoriales🏛, au titre des propositions de modification ou d'adaptation des dispositions législatives ou réglementaires en vigueur ou en cours d'élaboration ".
2. Le président du conseil exécutif de Martinique a, le 19 août 2023 opposé un refus au recours gracieux que lui avait adressé le préfet de la Martinique le 25 juillet 2023, lui demandant de retirer l'article 1er de la délibération du 25 mai 2023. Par le présent déféré, le préfet de la Martinique demande au juge des référés, saisi sur le fondement des dispositions de l'article L. 554-1 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'article 1er de la délibération n° 23-200-1 du 25 mai 2023, ensemble la décision de rejet du 19 août 2023.
3. Aux termes de l'article L. 554-1 du code de justice administrative : " Les demandes de suspension assortissant les requêtes du représentant de l'Etat dirigées contre les actes des communes sont régies par le 3e alinéa de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales🏛 ci-après reproduit : " Art. L. 2131-6, alinéa 3.-Le représentant de l'Etat peut assortir son recours d'une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l'un des moyens invoqués paraît, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'acte attaqué. Il est statué dans un délai d'un mois. -/ Les demandes de suspension assortissant les requêtes du représentant de l'Etat dirigées contre les actes d'autres collectivités ou établissements suivent, de même, les règles fixées par les articles () L. 4142-1 () du code général des collectivités territoriales () ". Et aux termes de l'article L. 7231-1 du code général des collectivités territoriales🏛 : " Les délibérations de l'assemblée de Martinique et les actes du président du conseil exécutif sont soumis au régime juridique des actes pris par les autorités régionales dans les conditions fixées par les chapitres Ier et II du titre IV du livre Ier de la quatrième partie ".
4. En l'espèce, l'article 1er de la délibération du 25 mai 2023 par lequel l'Assemblée de Martinique reconnaît la langue créole comme langue officielle de la Martinique, au même titre que le français, est dénué de toute portée normative et n'a pas d'autre effet que d'autoriser le président de cette Assemblée à transmettre le projet de loi annoncé, ainsi que l'énonce d'ailleurs l'article 3 de la délibération, sans que les circonstances invoquées par le préfet lors de l'audience selon lesquelles la délibération est un acte transmis au contrôle de légalité et exécutoire puissent avoir une incidence sur la qualification juridique de la délibération et le régime juridique qui en découle. Il suit de là que l'article 1er de la délibération de l'Assemblée de Martinique du 25 mai 2023 constitue une simple mesure préparatoire qui n'est pas susceptible de recours. La fin de non-recevoir opposée par la collectivité territoriale de Martinique doit être accueillie et les conclusions tendant à la suspension de l'exécution de l'article 1er de la délibération du 25 mai 2023 sont, par suite, irrecevables et doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de la Collectivité territoriale de Martinique la somme que demandent l'Etat, la Collectivité territoriale de Martinique n'étant pas partie perdante. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à la Collectivité territoriale de Martinique au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 1er : La requête du préfet de la Martinique est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à la Collectivité territoriale de Martinique au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au préfet de la Martinique et à la Collectivité territoriale de Martinique.
Copie en sera transmise au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Fait à Schœlcher, le 4 octobre 2023.
Le juge des référés,
Jean-Michel A
La république mande et ordonne au préfet de la Martinique en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Le greffier,
Loi, 94-665, 04-08-1994 Article, L554-1, CJA Article, 1, loi, 94-665, 04-08-1995 Article, 1, délibération, 23-200-1, 25-05-2023 Article, 2, délibération, 23-200-1, 25-05-2023 Article, 1, délibération, 25-05-2023