Jurisprudence : TA Poitiers, du 03-10-2023, n° 2102413

TA Poitiers, du 03-10-2023, n° 2102413

A51881KD

Référence

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Abstract

Mots clés : mégabassines • agriculture • sécheresse • environnement • réserves de substitution Dans deux jugements rendus le 3 octobre 2023, le tribunal administratif de Poitiers a annulé deux arrêtés préfectoraux autorisant la création et l'exploitation de réserves de substitution (ou " méga-bassines ") dans deux départements, les projets ne respectant pas la logique de substitution impliquant que le dimensionnement de ces réserves soit tel que les prélèvements destinés à les remplir, désormais réalisés en hiver, se substituent à des prélèvements jusqu'alors réalisés en été. ► Sont annulés deux arrêtés préfectoraux autorisant la création et l'exploitation de réserves de substitution dans deux départements, les projets ne respectant pas la logique de substitution impliquant que le dimensionnement de ces réserves soit tel que les prélèvements destinés à les remplir, désormais réalisés en hiver, se substituent à des prélèvements jusqu'alors réalisés en été.



TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE POITIERS
N° 2102413
___________
ASSOCIATION « VIENNE NATURE » et autres
___________
M. Baptiste Henry
Rapporteur
___________
M. François-Joseph Revel
Rapporteur public
___________
Audience du 19 septembre 2023
Décision du 3 octobre 2023
___________
C
RéPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le tribunal administratif de Poitiers
(1ère chambre)

Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 septembre 2021 et 3 avril
2023,
l'Association pour la protection de la nature et de l'environnement du
département de la Vienne,
dite Vienne nature, l'Union centre atlantique pour la protection de la nature
et de
l'environnement, dite Poitou-Charentes nature, l'Association locale de l'union
fédérale des
consommateurs Que Choisir de la Vienne, la Confédération paysanne de la Vienne
et la Ligue
française pour la protection des oiseaux, représentées par Me Delalande,
demandent au tribunal :
1°) d'annuler l'arrêté du 20 mai 2021 par lequel la préfète de la Vienne a
autorisé la
création et l'exploitation de six réserves de substitution par la société
coopérative anonyme de
gestion de l'eau de La Pallu ;
2°) de mettre à la charge de l'état une somme de 4 000 euros au titre de
l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- l'étude d'impact a été irrégulièrement fractionnée ; son analyse des effets
cumulés
sur la ressource en eau ne prend pas en compte les prélèvement hivernaux déjà
existants ;
l'analyse de l'état initial et des incidences du projet sur l'outarde
canepetière est insuffisante ;
- le projet relevait également de la rubrique 3.3.1.0 de la nomenclature
prévue à
l'article R. 214-1 du code de l'environnement🏛 ;
- les mesures compensatoires sont insuffisantes, en méconnaissance de
l'article
L. 163-1 du code de l'environnement ;
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- le projet devait faire l'objet d'une dérogation au titre de la destruction
d'espèces
protégées et de leurs habitats en application du 4° de l'article L. 411-1 du
code de
l'environnement ;
- le projet porte atteinte aux objectifs de conservation du site Natura 2000
« Plaines du
Mirebalais et du Neuvillois » ;
- le projet est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dans la mise en
œuvre du
principe de gestion équilibrée et durable de la ressource en eau prévu à
l'article L. 211-1 du code
de l'environnement ;
- le projet est incompatible avec le schéma directeur d'aménagement et de
gestion des
eaux (SDAGE) Loire-Bretagne 2022-2027.
Par un mémoire en défense enregistré le 10 mars 2023, le préfet de la Vienne
conclut au
rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par les requérantes ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 avril 2023, la société coopérative
anonyme de
gestion de l'eau de La Pallu, représentée par la SCP KPL Avocats, conclut au
rejet de la requête
et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge des associations
requérantes au titre
de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par les requérantes ne sont pas
fondés.
Par lettre du 3 avril 2023, les parties ont été informées qu'en application
des
dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative🏛
l'instruction était
susceptible d'être close, le 24 avril 2023, par l'émission d'une ordonnance de
clôture ou d'un
avis d'audience, sans information préalable.
Par une ordonnance du 25 avril 2023, la clôture de l'instruction a été
prononcée avec
effet immédiat.
Un mémoire produit par le préfet de la Vienne a été enregistré le 1er
septembre 2023
après clôture de l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Aa,
- les conclusions de M. Revel, rapporteur public,
- et les observations de Me Delalande, représentant les associations
requérantes, de
M. Ab, représentant le préfet de la Vienne, et de Me Kolenc,
représentant la société
coopérative anonyme de gestion de l'eau de La Pallu.
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Une note en délibéré, présentée par le préfet de la Vienne, a été enregistrée
le
2 septembre 2022.
Considérant ce qui suit :
1. La société coopérative anonyme de gestion de l'eau (SCAGE) de La Pallu a
sollicité la délivrance d'une autorisation de créer et d'exploiter six
réserves de substitution sur le
sous-bassin de La Pallu (Vienne), pour un volume total de stockage de 1 480
000 m3
. Par un
arrêté du 20 mai 2021, dont les associations requérantes demandent
l'annulation, la préfète de la
Vienne lui a délivré cette autorisation.
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 211-1 du code de l'environnement🏛 : « I.- Les
dispositions
des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée
et durable de la
ressource en eau ; cette gestion prend en compte les adaptations nécessaires
au changement
climatique et vise à assurer : 1° La prévention des inondations et la
préservation des
écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides ; ( ) 4° Le
développement, la
mobilisation, la création et la protection de la ressource en eau ; 5° bis La
promotion d'une
politique active de stockage de l'eau pour un usage partagé de l'eau
permettant de garantir
l'irrigation, élément essentiel de la sécurité de la production agricole et du
maintien de l'étiage
des rivières, et de subvenir aux besoins des populations locales ; ( ) ; 7° Le
rétablissement de
la continuité écologique au sein des bassins hydrographiques. ( ) II.- La
gestion équilibrée doit
permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité
publique, de la
sécurité civile et de l'alimentation en eau potable de la population. Elle
doit également permettre
de satisfaire ou concilier, lors des différents usages, activités ou travaux,
les exigences : 1° De la
vie biologique du milieu récepteur, et spécialement de la faune piscicole et
conchylicole ; 2° De
la conservation et du libre écoulement des eaux et de la protection contre les
inondations ; 3° De
l'agriculture ( ) ».
3. Le bassin du Clain, dont relève le sous-bassin de La Pallu, souffre d'un
déséquilibre
structurel entre la ressource en eau et les besoins, ce qui a motivé son
classement en zone de
répartition des eaux dès 1994. S'agissant plus particulièrement du sous-bassin
de La Pallu, il
ressort des travaux réalisés dans le cadre de l'élaboration de l'étude «
Hydrologie, milieux,
usages et climat » (HMUC) relative à la mise en œuvre du schéma d'aménagement
et de gestion
des eaux du Clain qu'il se caractérise par un effet « très fort » des usages
sur l'hydrologie. En
outre, selon l'avis rendu par la direction régionale de l'environnement, de
l'aménagement et du
logement de Nouvelle-Aquitaine le 3 juillet 2018 dans le cadre de
l'instruction de l'autorisation
attaquée, le changement climatique pourrait faire baisser les nappes de
plusieurs mètres sur ce
sous-bassin.
4. Le projet de réserves de substitution en litige conduira à prélever chaque
année, au
maximum, 1,48 million de m3
d'eau dans le milieu naturel en période dite de hautes eaux,
c'est-à-dire du 1er novembre au 31 mars de l'année suivante. Ce volume,
pourtant présenté
comme un volume de substitution, excède de 15 % le volume annuel maximal
prélevé en période
de basses eaux dans le périmètre du projet depuis 2007, à savoir 1,28 million
de m3
en 2015 et en
2016, et de plus d'un tiers le volume annuel moyen prélevé au cours de cette
période dans ce
périmètre. Il ressort, en outre, des travaux réalisés dans le cadre de
l'élaboration de l'étude
HMUC, dont les résultats ne sont pas contestés par les défendeurs, qu'en
période de hautes eaux,
le volume prélevable, c'est-à-dire le volume que le milieu est capable de
fournir dans des
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conditions écologiques satisfaisantes, est de 1,66 million de m3
dans le sous-bassin de La Pallu.
Il ressort des mêmes travaux que les prélèvements existants, tous usages
confondus, sont de
l'ordre de 720 000 m3
, dont, d'après les différentes données figurant au dossier soumis au
tribunal, environ 460 000 m3
pour l'irrigation. La réalisation du projet est donc susceptible de
porter les prélèvements hivernaux, tous usages confondus, à 2,2 millions de m3
, soit un tiers de
plus que le volume prélevable, dont 1,94 million de m3
pour les seuls prélèvements aux fins
d'irrigation qui représenteraient ainsi 117 % du volume prélevable.
5. Compte tenu du surdimensionnement du projet contesté et au regard du
contexte
hydrologique local rappelé au point 3 ainsi que des effets prévisibles du
changement climatique,
la préfète de la Vienne a, en autorisant ce projet, entaché son arrêté d'une
erreur manifeste
d'appréciation dans la mise en œuvre du principe de gestion équilibrée et
durable de la ressource
en eau défini à l'article L. 211-1 du code de l'environnement.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres
moyens de
la requête, que l'arrêté du 20 mai 2021 par lequel la préfète de la Vienne a
autorisé la création et
l'exploitation de six réserves de substitution par la SCAGE de La Pallu, doit
être annulé.
Sur les frais liés au litige :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
font obstacle
à ce que soit mise à la charge des associations requérantes, qui ne sont pas
les parties perdantes
dans la présente instance, la somme que la SCAGE de La Pallu demande au titre
des frais
exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire
application de ces
dispositions et de mettre à la charge de l'état une somme de 2 000 euros au
titre des frais que les
associations requérantes ont exposés dans le cadre de la présente instance.
D é C I D E :
Article 1er : L'arrêté du 20 mai 2021🏛 par lequel la préfète de la Vienne a
autorisé la création et
l'exploitation de six réserves de substitution par la SCAGE de La Pallu est
annulé.
Article 2 : L'état versera aux associations requérantes une somme globale de 2
000 euros au titre
de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions
présentées par la SCAGE
de La Pallu sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice
administrative sont rejetées.
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Article 4 : Le présent jugement sera notifié à l'Association pour la
protection de la nature et de
l'environnement du département de la Vienne, première dénommée pour l'ensemble
des
requérantes, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des
territoires et à la société
coopérative anonyme de gestion de l'eau de La Pallu.
Copie en sera adressée au préfet de la Vienne.

Délibéré après l'audience du 19 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Campoy, président,
M. Henry, premier conseiller,
M. Pipart, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2023.
Le rapporteur,
signé
Ac Aa
Le président,
signé
L. CAMPOY
La greffière,
signé
Ad A
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de
la cohésion des
territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce
requis en ce qui concerne
les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à
l'exécution de la présente
décision.
Pour expédition conforme,
Pour le greffier en chef,
La greffière,
Signé
Ad A

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