Jurisprudence : CE 1/4 ch.-r., 04-10-2023, n° 464094, mentionné aux tables du recueil Lebon

CE 1/4 ch.-r., 04-10-2023, n° 464094, mentionné aux tables du recueil Lebon

A20971KU

Identifiant européen : ECLI:FR:CECHR:2023:464094.20231004

Identifiant Legifrance : CETATEXT000048156990

Référence

CE 1/4 ch.-r., 04-10-2023, n° 464094, mentionné aux tables du recueil Lebon. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/100247828-ce-14-chr-04102023-n-464094-mentionne-aux-tables-du-recueil-lebon
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Abstract

66-07-01-03-04 Saisi d’un recours hiérarchique contre une décision d'un inspecteur du travail statuant sur une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, le ministre chargé du travail n’est pas tenu, lorsqu’il prononce l’annulation de cette décision en raison d’une illégalité externe de celle-ci et qu’il se prononce à nouveau, après cette annulation, sur la demande d’autorisation de licenciement, d’indiquer les considérations le conduisant, le cas échéant, à retenir une appréciation contraire de celle de l’inspecteur du travail.



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

N° 464094

Séance du 07 septembre 2023

Lecture du 04 octobre 2023

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 4ème et 1ère chambres réunies)


Vu la procédure suivante :

M. B A a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 5 juin 2019 par laquelle la ministre du travail a, d'une part, retiré la décision implicite rejetant le recours hiérarchique de la société JFM contre la décision du 15 novembre 2018 de l'inspecteur du travail de l'unité départementale de la Drôme refusant d'autoriser son licenciement et, d'autre part, annulé cette décision et autorisé ce licenciement. Par un jugement n° 1903052 du 31 août 2020, le tribunal administratif a fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 20LY03005 du 17 mars 2022, la cour administrative d'appel de Lyon⚖️ a rejeté l'appel formé par la société JFM contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les

17 mai et 16 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société JFM demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de M. A la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Edouard Solier, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau,

Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société JFM et à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de M. A ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société JFM a sollicité auprès de l'inspecteur du travail de l'unité départementale de la Drôme l'autorisation de licencier pour motif disciplinaire M. A, responsable du département " frais en libre-service " d'un magasin exploité par cette société, et exerçant les mandats de membre titulaire de la délégation unique du personnel, de délégué syndical et de représentant syndical au comité d'entreprise. Par une décision du 15 novembre 2018, l'inspecteur du travail a refusé de délivrer l'autorisation de licenciement sollicitée. La ministre du travail, saisie par un recours hiérarchique formé par l'employeur a, par une décision du 5 juin 2019, retiré sa décision implicite de rejet née du silence gardé sur ce recours, annulé la décision de l'inspecteur du travail en date du 15 novembre 2018, et autorisé le licenciement. Par un jugement du 31 août 2020, le tribunal administratif de Grenoble a, sur demande de M. A, annulé cette décision. La société JFM se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 17 mars 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté son appel contre ce jugement.

2. D'une part, en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

3. D'autre part, lorsqu'il est saisi d'un recours hiérarchique contre une décision d'un inspecteur du travail statuant sur une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, le ministre chargé du travail doit, soit confirmer cette décision, soit, si celle-ci est illégale, l'annuler puis se prononcer de nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement compte tenu des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle il prend sa propre décision. Dans le cas où le ministre, ainsi saisi d'un recours hiérarchique, annule la décision par laquelle un inspecteur du travail s'est prononcé sur une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, il est tenu de motiver l'annulation de cette décision ainsi que le prévoit l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration🏛, que cette annulation repose sur un vice affectant la légalité externe de la décision ou sur un vice affectant sa légalité interne. Dans le premier cas, si le ministre doit indiquer les raisons pour lesquelles il estime que la décision de l'inspecteur du travail est entachée d'illégalité externe, il n'a pas en revanche à se prononcer sur le bien-fondé de ses motifs. Dans le second cas, il appartient au ministre d'indiquer les considérations pour lesquelles il estime que le motif ou, en cas de pluralité de motifs, chacun des motifs fondant la décision de l'inspecteur du travail est illégal.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par sa décision du 15 novembre 2018, l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement de

M. A au motif que les faits reprochés au salarié n'étaient pas d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement et qu'il existait un lien entre la demande d'autorisation de licenciement et les mandats de représentant du personnel exercés par M. A. Par sa décision du

5 juin 2019, la ministre du travail a tout d'abord annulé la décision du

15 novembre 2018 de l'inspecteur du travail pour un motif tiré de l'illégalité externe de celle-ci en raison de la méconnaissance du principe du contradictoire. Puis, se prononçant à nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement, la ministre a accordé l'autorisation, après avoir estimé, d'une part, que les faits reprochés au salarié présentaient une gravité suffisante pour justifier son licenciement, d'autre part, qu'il n'existait aucun indice de lien entre la demande d'autorisation de licenciement et l'exercice des mandats détenus par le salarié, enfin, qu'aucun motif d'intérêt général ne s'opposait à ce qu'il soit fait droit à la demande. La cour administrative d'appel de Lyon a jugé que la ministre avait insuffisamment motivé sa décision en se bornant à constater l'absence de lien entre la demande d'autorisation de licenciement et l'exercice des mandats détenus par le salarié sans indiquer les raisons pour lesquelles elle portait sur ce point une appréciation contraire de celle de l'inspecteur du travail. En statuant ainsi, alors que la ministre n'était pas tenue, dans les motifs, par ailleurs suffisants, de sa décision sur ce point, d'indiquer les considérations la conduisant à retenir une appréciation contraire de celle de l'inspecteur du travail dès lors qu'elle avait prononcé l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail en raison d'une illégalité externe de celle-ci et qu'elle se prononçait à nouveau, après cette annulation, sur la demande d'autorisation de licenciement, la cour a entaché son arrêt d'erreur de droit.

5. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de son pourvoi, la société JFM est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

6. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société JFM au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société JFM qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 17 mars 2022 de la cour administrative d'appel de Lyon est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Lyon.

Article 3 : Les conclusions présentées par M. A et par la société JFM au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société JFM et à M. B A.

Copie en sera adressée au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

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