CE 9/10 ch.-r., 04-10-2023, n° 466887, mentionné aux tables du recueil Lebon
A20851KG
Identifiant européen : ECLI:FR:CECHR:2023:466887.20231004
Référence
19-04-02-01-03-01-02 L’absence de versement, par une société, d’une rémunération à son dirigeant au cours d’un exercice ne constitue pas une décision de gestion faisant obstacle à la rémunération de ce même dirigeant, sur décision des organes sociaux compétents, au cours d’un exercice postérieur, le cas échéant à titre rétroactif, ou, au cours du même exercice, par l’intermédiaire d’une autre société.
La société Collectivision a demandé au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2012 et 2013 ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2014. Par un jugement n° 1801472 du 23 septembre 2019, le tribunal a réduit les bases de l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2013 des honoraires de gestion versés à la société Sonely à proportion de la rémunération versée à M. A, prononcé la décharge des droits et pénalités correspondant à cette réduction et rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Par un arrêt n° 19MA04862 du 23 juin 2022, la cour administrative d'appel de Marseille⚖️ a, sur appel du ministre de l'action et des comptes publics, annulé ce jugement en tant qu'il a réduit la base de l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2013 des honoraires versés à la société Sonely, remis à la charge de la société Collectivision le supplément d'impôt sur les sociétés correspondant et rejeté l'appel incident formé par celle-ci.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 23 août et 24 novembre 2022 et le 14 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Collectivision demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du ministre et de faire droit à son appel incident ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales🏛 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Buk Lament - Robillot, avocat de la société Collectivision ;
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité de la société Collectivision, l'administration fiscale a remis en cause, au titre de l'exercice clos en 2013, la déduction des honoraires versés à la société Sonely à raison des prestations de management réalisées par un dirigeant commun, exerçant respectivement les fonctions de gérant de la société vérifiée et de co-gérant de la société prestataire. Par un arrêt du 23 juin 2022, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel du ministre de l'action et des comptes publics, annulé le jugement du 23 septembre 2019 du tribunal administratif de Montpellier en tant qu'il avait fait droit à la demande présentée par la société Collectivision tendant à la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés correspondant à cette rectification, et les a remis à sa charge. Eu égard aux moyens qu'elle soulève à l'appui de son pourvoi en cassation, la société Collectivision doit être regardée comme demandant l'annulation de cet arrêt en tant qu'il a statué sur ce chef de redressement.
2. D'une part, en vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts🏛🏛, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Il appartient, en règle générale, à l'administration, qui n'a pas à se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise, d'établir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer ce caractère anormal.
3. La conclusion par une société d'une convention de prestations de services avec une autre société pour la réalisation, par le dirigeant de la première, de missions relevant des fonctions inhérentes à celles qui lui sont normalement dévolues ne relève pas d'une gestion commerciale anormale si cette société établit que ses organes sociaux compétents ont entendu en réalité, par le versement des honoraires correspondant à ces prestations, rémunérer indirectement le dirigeant et qu'ainsi ce versement n'est pas dépourvu pour elle de contrepartie, le choix d'un mode de rémunération indirect ne caractérisant pas en lui-même un appauvrissement à des fins étrangères à son intérêt.
4. D'autre part, l'absence de versement, par une société, d'une rémunération à son dirigeant au cours d'un exercice ne constitue pas une décision de gestion faisant obstacle à la rémunération de ce même dirigeant, sur décision des organes sociaux compétents, au cours d'un exercice postérieur, le cas échéant à titre rétroactif, ou, au cours du même exercice, par l'intermédiaire d'une autre société.
5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à compter de 2010, M. A, salarié depuis 2003 de la société Collectivision, a été nommé aux fonctions de gérant, moyennant une rémunération supplémentaire de 1 000 euros par mois. A compter de 2012, M. A dont le contrat de travail avait pris fin au 31 décembre 2011, a conservé la gérance sans percevoir de rémunération, tandis que la société a conclu, à compter du 2 janvier 2012, un contrat de prestations de services avec la société Micxel Invests dont M. A était l'associé unique et le président puis, à compter du 1er juin 2013, avec la société Sonely dont il était associé et co-gérant. L'administration fiscale a remis en cause la déductibilité des honoraires versés à la société Sonely au motif que leur versement relevait d'une gestion anormale.
6. Après avoir retenu, par des énonciations non contestées en cassation, que les prestations réalisées par la société Sonely relevaient non de fonctions techniques spécifiques mais des fonctions inhérentes à celles d'un gérant de société à responsabilité limitée et qu'ainsi, la société Sonely n'avait fourni aucune prestation de service distincte des activités que M. A devait déployer dans le cadre normal de ses fonctions de gérant de la société Collectivision, la cour administrative d'appel de Marseille a jugé qu'alors que cette société avait pris la décision de ne pas rémunérer son gérant et que cette décision de gestion lui était opposable, l'administration fiscale établissait que les charges comptabilisées au titre des prestations en cause devaient être regardées comme constituant un acte anormal de gestion.
7. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 4 qu'en statuant ainsi alors que la décision de ne pas verser une rémunération directe à son gérant ne faisait pas par elle-même obstacle à ce que la société Collectivision ait pu décider, en procédant à la passation de la convention en cause avec la société Sonely, de verser une rémunération indirecte à son gérant en contrepartie de l'exercice de ses fonctions et à ce que, par suite, le règlement des honoraires en litige ait pu, en l'absence de tout appauvrissement à des fins étrangères à l'intérêt de la société, relever d'une gestion commerciale normale, la cour a commis une erreur de droit.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, que la société Collectivision est fondée à demander l'annulation des articles 3 et 4 de l'arrêt qu'elle attaque.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Article 1er : Les articles 3 et 4 de l'arrêt du 23 juin 2022 de la cour administrative d'appel de Marseille sont annulés.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation prononcée à l'article 1er, à la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 3 : L'Etat versera à la société Collectivision la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Collectivision et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 20 septembre 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 4 octobre 2023.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Vincent Mazauric
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :