Jurisprudence : TA Paris, du 25-09-2023, n° 2320641

TA Paris, du 25-09-2023, n° 2320641

A00421IE

Référence

TA Paris, du 25-09-2023, n° 2320641. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/100019565-ta-paris-du-25092023-n-2320641
Copier

Abstract

► Le juge administratif est incompétent pour connaître de la requête d'une ville lui demandant d'enjoindre à une association de libérer sans délai le terrain sur lequel s'entraînent les licenciés d'un club de pétanque.


Références

Tribunal Administratif de Paris

N° 2320641


lecture du 25 septembre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 7 septembre 2023, la Ville de Paris, représentée par Me Gérard Falala, demande au juge des référés :

1°) d'enjoindre, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative🏛, à l'association Club Lepic Abbesses Pétanque ainsi qu'à tous occupants de son chef, de libérer sans délai la dépendance du domaine public qu'elle occupe sans droit ni titre, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du 1er jour suivant le prononcé de l'ordonnance à intervenir ;

2°) d'autoriser la Ville de Paris, à défaut d'exécution immédiate de l'ordonnance à intervenir, à faire évacuer le terrain avec le concours de la force publique si nécessaire ;

3°) de mettre à la charge du Club Lepic Abbesses Pétanque une somme de 2500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Elle soutient que :

- la parcelle concernée appartient au domaine public de la commune en raison du projet de création d'un espace vert résultant d'une délibération du Conseil de Paris du 16 décembre 1968 et d'un arrêté du 20 juin 1969 du préfet de Paris ;

- la condition d'urgence est remplie en raison de la convention d'occupation du domaine public conclue le 25 juillet 2023 avec la société Fremosc, mais aussi en raison des troubles à l'ordre public résultant de l'installation d'une buvette par l'association et de l'organisation de manifestations festives, à l'origine de nuisances sonores, d'agressions verbales et physiques et d'atteintes à la salubrité publique ;

- la mesure réclamée est utile compte tenu de la résistance manifeste de l'association à quitter les lieux ;

- la mesure sollicitée ne se heurte à aucune contestation sérieuse compte tenu de l'occupation irrégulière de la dépendance du domaine public par le Club Lepic Abbesses Pétanque.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 septembre 2023, l'association Club Lepic Abbesses Pétanque, représentée par Me Le Briero, conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la Ville de Paris à lui verser la somme de 2500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le Club Lepic Abbesses Pétanque soutient que :

- la condition d'urgence n'est pas remplie car la légalité de la convention d'occupation du domaine public est contestée devant le tribunal administratif par une requête distincte, au surplus cette convention n'a pas pour objet d'améliorer l'accès du public à la parcelle, mais au contraire d'affecter le terrain à un opérateur privé pour une durée de douze années, aucune urgence n'est ainsi reliée à la nécessité de garantir une utilisation de cette parcelle conforme à sa destination ;

- la Ville de Paris est à l'origine de l'urgence qu'elle invoque car elle est restée silencieuse sur le débat relatif à la nature domaniale de la parcelle dans l'instance pendante n°231497 relative au refus de permis de construire pour la construction de la buvette ;

- l'association occupe les lieux depuis 50 ans sans qu'aucune démarche pénale ou litige n'ait été formée contre elle pour nuisances ou troubles de voisinage, ni par les riverains, ni par la Ville de Paris elle-même, le montant des adhésions lui permet d'acheter et d'entretenir des équipements liés à la pratique de la pétanque et facilite l'organisation des compétitions, aucune urgence n'est commandée par des travaux urgents et indispensables ;

- la seule circonstance d'une occupation irrégulière ne suffit pas à justifier l'urgence de la situation, il n'y a pas d'urgence qui serait liée à la saison estivale qui touche à sa fin, il y a en revanche urgence à ne pas prescrire les mesures demandées par la Ville de Paris compte tenu des instances juridictionnelles en cours ;

- la mesure ne présente pas un caractère utile, la Ville de Paris pouvait rencontrer l'association dès le mois de février pour éviter un référé expulsion, elle aurait pu mettre l'association en demeure de quitter la parcelle après la publication de la convention d'occupation du domaine public, ce qui lui aurait permis d'introduire un référé suspension contre l'exécution de la convention ;

- il existe une contestation sérieuse car la parcelle en cause, acquise à l'époque par le préfet de police et non par la Ville de Paris, n'appartient pas au domaine public de la Ville de Paris, cette parcelle n'a jamais été affectée à l'usage direct du public et n'a jamais fait l'objet d'un aménagement spécial pour l'exercice d'une mission de service public ;

- la parcelle a appartenu au domaine privé de la Ville de Paris puis a été acquis par l'association grâce à une possession ininterrompue pendant trente ans et aux aménagements réalisés par elle ;

- il n'est pas possible de faire droit aux mesures sollicitées par la Ville de Paris car il existe des constructions édifiées sur place depuis 1972, l'association a tenté de les régulariser en déposant une demande de permis de construire mais s'est heurtée à une décision de refus, qui est contestée par une requête actuellement pendante devant le tribunal de Paris ;

- la convention d'occupation du domaine public est frappée d'un recours devant le tribunal administratif de Paris, il existe une contestation sérieuse sur la domanialité publique de la parcelle, les mesures sollicitées portent atteinte aux droits de l'association sur sa propriété et l'usage de ses biens et, dans le cadre de ce référé, le tribunal ne peut pas faire démolir la construction et les aménagements de pétanque présents sur le site.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme A pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique tenue en présence de Mme Buissereth, greffière d'audience, Mme A a lu son rapport et entendu :

- les observations de Me Alice Gorce, pour la Ville de Paris, qui conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens en insistant, d'une part, sur l'occupation irrégulière de la parcelle par le Club Lepic Abbesses Pétanques, qui a changé les serrures de la porte donnant accès au terrain, a construit un bâtiment en dur (club house) sans autorisation, vend aussi de l'alcool sans autorisation, qui tire la majorité de ses ressources de l'exploitation du club house et y organise des manifestations festives à l'origine de nombreux troubles à l'ordre public et, d'autre part, sur l'appartenance au domaine public de la parcelle par anticipation et l'impossibilité pour le Club Lepic Abbesses Pétanques de pouvoir revendiquer être propriétaire de cette parcelle ;

- les observations de Me Sebastien le Briero, pour l'association Club Lepic Abbesses Pétanques, qui conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens, en insistant sur l'absence de propriété par la commune de la parcelle, qui est propriété de l'Etat car acquise en 1966 par le préfet de la Seine et, en tout état de cause, sur l'absence d'incorporation de la parcelle au domaine public de la Ville de Paris ou de l'Etat, avant la réforme de 2006.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Une note en délibéré pour la Ville de Paris, a été enregistrée le 20 septembre 2023.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 521-3 du code de justice administrative :

1. Aux termes de l'article L. 521-3 du code de justice administrative : " En cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision. ". Les mesures sollicitées ne doivent pas être manifestement insusceptibles de se rattacher à un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative.

2. Aux termes de l'article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques🏛 : " Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public. ". Avant l'entrée en vigueur de ces dispositions, le 1er juillet 2006, un simple aménagement spécial est requis.

3. Il résulte de l'instruction que par un acte du 23 juin 1966 portant cession d'un terrain à la Ville de Paris, la Ville de Paris a acquis un terrain de 787 m2 aujourd'hui cadastré section AT n°88, situé 17 avenue Junot dans le 18ème arrondissement de Paris et 8-10, voie provisoirement dénommée M18. La circonstance qu'au moment de la cession, la Ville de Paris était représentée par le préfet, secrétaire général de la Seine, ne remet pas en cause la propriété de ce terrain par la commune.

4. L'accès à ce terrain se fait par le 8 passage M18, qui est un passage privé connu sous le nom " passage du rocher de la Sorcière " ou " passage de la Sorcière ". Cet accès est régi par une association syndicale libre regroupant les propriétaires des immeubles desservis, dont la Ville de Paris et cette voie privée est grevée d'une servitude de passage. Par une délibération du Conseil de Paris du 16 décembre 1968, le préfet de Paris a été autorisé à entreprendre la réalisation d'un espace vert sur ce terrain et, par un arrêté du préfet de Paris du 20 juin 1969, il a été décidé d'affecter la somme de 129 000 francs à cette réalisation. Toutefois, ce projet d'espace vert n'a pas vu le jour et, par un courrier 6 novembre 1971, l'association Club Lepic Abbesses Pétanque a indiqué à la Ville de Paris qu'elle était intéressée pour occuper ce terrain, après qu'elle se soit vue retirer l'autorisation d'occuper un terrain dans le square de la rue Burq. Puis, en 1990, la Ville de Paris a souhaité réaliser un parc de stationnement sur ce terrain avec cinq niveaux en sous-sol. Le permis de construire délivré le 25 janvier 1990 a été annulé par le tribunal administratif de Paris par un jugement du 8 novembre 1990, annulation confirmée par le Conseil d'Etat dans un arrêt n°122151 du 2 juin 1997 au motif que le projet était incompatible avec le caractère du paysage urbain environnant. Par la suite, le site " Maquis de Montmartre " a été classé le 27 novembre 1991, ce classement couvrant toutes les parcelles desservies par le passage M18, dont le terrain de la Ville de Paris et le plan local d'urbanisme (PLU) a renforcé cette protection.

5. Il résulte de l'instruction qu'à la date de la présente instance, pour accéder à la parcelle, il faut franchir une porte fermée à clef avec un digicode située sur l'avenue Junot, puis emprunter une voie privée frappée d'une servitude de passage et franchir une seconde porte donnant sur le terrain de pétanque. Ce terrain était laissé en état de terrain vague lorsque le Club Lepic Abbesses Pétanque l'a occupé en 1971. Si le Club Lepic Abbesses Pétanque occupe ce terrain depuis 52 ans, il n'en est pas pour autant devenu propriétaire. En revanche, durant toutes ces années, la Ville de Paris n'a manifesté aucune volonté de transformer ce terrain en espace vert et de l'affecter à l'usage direct du public, elle a laissé le Club Lepic Abbesses Pétanque occuper cette parcelle de manière privative et l'aménager en terrain de pétanque agrémenté de la construction d'un bâtiment faisant fonction de " club house ", ce terrain n'a jamais été directement accessible au public compte tenu de la nécessité d'emprunter une voie privée et il n'a jamais fait l'objet d'un aménagement spécial en vue de l'exercice d'une mission de service public. Il suit de là que faute pour ce terrain d'avoir été affecté à l'usage direct du public ou d'avoir fait l'objet d'un aménagement spécial pour les besoins du service public, celui-ci doit être regardé comme faisant partie du domaine privé communal de sorte que les mesures sollicitées par la Ville de Paris sont manifestement insusceptibles de se rattacher à un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative. Dès lors, la requête doit être rejetée.

Sur les frais liés au litige :

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle aux conclusions de la Ville de Paris dirigées contre l'association Club Lepic Abbesses Pétanque qui n'est pas, dans la présente instance de référé, la partie perdante. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Ville de Paris, la somme de 2000 euros en application desdites dispositions.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la Ville de paris est rejetée.

Article 2 : la Ville de Paris versera à l'association Club Lepic Abbesses Pétanque la somme de 2000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la Ville de Paris et à l'association Club Lepic Abbesses Pétanque.

Fait à Paris, le 25 septembre 2023.

Le juge des référés,

Anne A

La République mande et ordonne au préfet de police, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

2/4-1

Agir sur cette sélection :

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus