ETUDE : Focus. L’effondrement des libertés publiques en période de crise sanitaire * Rédigée le 29.04.2021

ETUDE : Focus. L’effondrement des libertés publiques en période de crise sanitaire * Rédigée le 29.04.2021

E34744PD

sans cacheDernière modification le 14-05-2021

ETUDE : Focus. L’effondrement des libertés publiques en période de crise sanitaire * Rédigée le 29.04.2021

  • ⇒ Cette étude a été réalisée sur la base deux articles rédigés par C. Dounot, le premier paru dans la revue Lexbase Public n° 623 du 15 avril 2021 (N° Lexbase : N7219BYZ), et le second paru dans la revue Lexbase Public n° 624 du 29 avril 2021 (N° Lexbase : N7279BYA).
  • La gestion de la crise sanitaire liée à l’épidémie de coronavirus a déclenché des mesures inédites de restrictions des libertés publiques, qui se conjuguent cependant avec de nombreuses autres restrictions des droits et libertés fondamentaux projetées, validées ou adoptées par l’exécutif ces derniers mois. L’on assiste à un véritable effondrement des libertés publiques, au profit d’un illibéralisme croissant déjà dénoncé par la presse internationale.
  • « Nous devons mener cette bataille et cette bataille a un nom, c’est celle qui consiste à défendre pleinement l’effectivité de toutes les libertés de nos démocraties parce qu’une tentation est là qui existe, croissante, aux frontières de l’Europe comme au sein de l’Europe, c’est la tentation des démocraties illibérales », Emmanuel Macron, Vœux à la presse, 3 janvier 2018

     

    Le président Macron voyait juste, « l’effectivité de toutes les libertés » est un élément crucial de la démocratie libérale, et par contrecoup, l’effondrement des libertés publiques marque sans conteste un virage vers une démocratie illibérale. Cette « tentation » qui sévit au cœur de l’Europe, la France y a malheureusement succombé et semble y prendre goût. The Economist vient de rétrograder la France à la 24e position de son Global Democracy Index 2020. Notre patrie est désormais qualifiée de « démocratie défaillante ». Vivant depuis le 23 mars 2020 sous un nouveau régime d’état d’urgence sanitaire, prorogé jusqu’au 1er juin 2021, avec caducité des régimes d’exception au 31 décembre 2021 (loi n° 2021-160 du 15 février 2021 N° Lexbase : L1632L3T), la France connaît un affaissement inédit des libertés, tel qu’il faut remonter jusqu’à l’occupation allemande pour en trouver un semblable. Liberté de circulation, liberté du commerce et de l’industrie, liberté d’expression, liberté de culte, liberté de manifestation, liberté d’association, liberté de l’enseignement, libertés médicales, libertés culturelles, droit de propriété, droit au juge, droit à la vie privée… voilà autant de libertés bafouées ou restreintes par les divers textes normatifs validés ou projetés par le gouvernement français.

     

    Cette liste à la Prévert, examinée même rapidement, laisse une impression amère. Certes, la crise sanitaire est la principale justification de cet écroulement (I), et l’état d’urgence sanitaire constitue un formidable tremplin pour un droit commun plus restrictif (comme l’a été auparavant l’état d’urgence sécuritaire entre 2015 et 2017), mais le projet de loi confortant les principes républicains ou la proposition de loi relative à la sécurité globale n’entretiennent aucun rapport avec la question sanitaire, et sont pourtant lourds de dérives liberticides (II). Face à ces menaces pesant sur les libertés, le Conseil d’État ou le Conseil constitutionnel se sont montrés d’une discrétion désolante, plus soucieux de ménager le pouvoir politique que de protéger les droits et libertés des Français (Le Conseil d’État vient de publier des chiffres précis du contentieux covid : 51 décisions favorables seulement sur 929 requêtes en référé demandant la suspension d’une règle contestée ou la modification des pratiques de l’administration, Lettre de la justice administrative, n° 63, printemps 2021). Le Parlement n’a pas non plus fait preuve d’une grande hardiesse, en votant sans sourciller ce que lui proposait l’exécutif. L’effondrement actuel des libertés publiques se constate avec évidence en passant en revue les textes adoptés et leurs minimes corrections prétoriennes.

  • I. La restriction des libertés en temps de crise sanitaire
  • Dans l’ordre chronologique, l’épidémie de coronavirus a d’abord causé des restrictions de la liberté de réunion (A), puis, avec le confinement de toute la population, des restrictions de la liberté de circulation (B) et de la liberté individuelle (C), des libertés médicales (D), de la liberté du commerce et de l’industrie (E), des libertés culturelles (F), de la liberté du culte (G) ainsi que des atteintes au droit au procès équitable (H). Ce régime découle de l’état d’urgence sanitaire créé par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 (N° Lexbase : L5506LWT) (Sur ce régime d’exception, v. A. Lami, Fasc. 7-7 : Principes communs - État d’urgence sanitaire, Feuillets mobiles, Litec Droit médical et hospitalier). L’idée même d’un état d’urgence sanitaire codifié, attribuant des prérogatives étendues à l’exécutif, n’est pas sans soulever des critiques, notamment émises par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (C. Biget, État d’urgence sanitaire : les inquiétudes de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, AJDA, 2020, p. 917). Le Premier ministre peut désormais, « en cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, notamment en cas de menace d’épidémie », adopter une longue série de mesures de police très strictes, telles que « réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules », « interdire aux personnes de sortir de leur domicile », « ordonner des mesures ayant pour objet la mise en quarantaine » ou le « placement et [l]e maintien en isolement », « ordonner la fermeture provisoire et réglementer l’ouverture » de tous les établissements recevant du public, « limiter ou interdire les rassemblements », « ordonner la réquisition de toute personne et de tous biens et services », contrôler les prix ou encore limiter « la liberté d’entreprendre » (CSP., art. L. 3131-15 N° Lexbase : L6517LXN). C’est, pour le temps de l’urgence, le renversement des principes posés par le commissaire du Gouvernement Corneille, « la liberté est la règle, la restriction de police l’exception » (Conclusions sur CE, 10 août 1917, Baldy, n° 59855 N° Lexbase : A7421B7Y).

     

    Or, le Gouvernement, en prolongeant presque indéfiniment cet état d’urgence, se voit octroyer des pouvoirs inédits. Le Conseil d’État a été contraint de rappeler, vox clamantis in deserto, que « cette prolongation conduirait à maintenir en vigueur pendant presque une année supplémentaire à compter de la date du présent avis, et sept mois après le terme fixé, en l’état du projet de loi, pour l’état d’urgence sanitaire, un cadre juridique habilitant le Premier ministre à prendre des mesures de police sanitaire exceptionnelles affectant les droits et libertés constitutionnellement garantis » (CE, commission permanente, avis n° 401.919 du 11 janvier 2021, § 8). De surcroît, l’exécutif entend instituer, au mépris même de la logique, un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires (projet de loi n° 3714).

  • A. La liberté de réunion
  • La liberté de réunion et la liberté de manifestation ont largement pâti ces derniers mois d’atteintes de plus en plus radicales, limitant le nombre maximum des participants dans un sens toujours plus étroit, de 5 000 à 10 personnes (Chr. Eoche-Duval, Les ‘rassemblements sur la voie publique’ sous état d’urgence sanitaire. Nouvelle catégorie juridique ou donnée épidémiologique ?, JCP éd. G, n°4, 25 janvier 2021, doctr. 100).

     

    Il s’est agi, dès l’arrêté du 4 mars 2020, portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, d’interdire sur l’ensemble du territoire « tout rassemblement mettant en présence de manière simultanée plus de 5 000 personnes en milieu clos » (art. 1er). Les préfets sont habilités « à interdire ou à restreindre, y compris par des mesures individuelles, les autres rassemblements lorsque les circonstances locales l’exigent ». Cette interdiction est renforcée par un arrêté du 9 mars 2020, abaissant le seuil maximal à 1 000 personnes, et étendant l’interdiction aux espaces non clos, à l’exception des « rassemblements indispensables à la continuité de la vie de la Nation » tels que les concours ou les réunions électorales (art. 1er).

     

    Ensuite, des arrêtés du ministre chargé de la Santé des 13 et 14 mars 2020 ont poussé l’interdiction à tout rassemblement de plus de 100 personnes, en milieu clos ou ouvert, jusqu’au 15 avril 2020. Le confinement général décrété le 16 mars 2020 interdit tout déplacement hors de son domicile, sauf exception mais alors « en évitant tout regroupement de personnes » (article 1er du décret n° 2020-260), sans préciser davantage. Le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 (N° Lexbase : L5507LWU) réitère l’interdiction de « tout rassemblement, réunion ou activité mettant en présence de manière simultanée plus de 100 personnes », sauf si ces derniers sont « indispensables à la continuité de la vie de la Nation » (art. 7). Cette jauge est encore abaissée par le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 (N° Lexbase : L8355LWD), prohibant « tout rassemblement, réunion ou activité à un titre autre que professionnel sur la voie publique ou dans un lieu public, mettant en présence de manière simultanée plus de dix personnes » (art. 7). Le décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 (N° Lexbase : L2457LXB) reprend cette limite basse (art. 3, I), qui sera suspendue par le Conseil d’État, « comme présentant un caractère général et absolu à l’égard des manifestations sur la voie publique » (CE, ord., 13 juin 2020, n° 440846, 440856, 441015 N° Lexbase : A55113NG).

     

    Le lendemain de cette suspension, le décret n° 2020-724 du 14 juin 2020 (N° Lexbase : L3969LXB) conserve cette limite de 10 personnes, en l’assortissant d’une exception pour « les cortèges, défilés et rassemblement de personnes […] autorisés par le préfet de département ». Ce nouveau régime d’autorisation (en lieu et place de la déclaration prévue par l’article L. 211-1 du Code de la sécurité intérieure (N° Lexbase : L5202ISH) est contesté et suspendu en référé (CE, ord., 6 juillet 2020, n° 441257, 441263 et 441384 N° Lexbase : A62683Q9), puis annulé au fond, le Premier ministre ne pouvant, « sans qu’une disposition législative lui ait donné compétence à cette fin, subordonner les manifestations sur la voie publique à un régime d’autorisation » (CE, 15 janvier 2021, n° 441265 N° Lexbase : A74014C4). Dès lors, le décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 (N° Lexbase : Z058979X) revient au régime de la déclaration pour les réunions de plus de 10 personnes, dans la limite de 5 000 personnes (art. 3, V).

     

    Le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 (N° Lexbase : L5637LYG) reprend le dispositif déclaratoire en ôtant la limite des 5 000 personnes, et semble restituer à la liberté de manifester sa teneur (art. 3, II), tout en spécifiant qu’il s’agit d’une liberté masquée (en application de l’art. 1er) (Le Conseil d’État a reconnu récemment que le seuil de 5 000 personnes « ne peut être efficacement vérifié pour les manifestations sur la voie publique » (CE, 15 janvier 2021, n° 441265). Toutefois, la simple liberté de réunion (et non de manifestation) visant les « rassemblements, réunions ou activités sur la voie publique » non déclarés est toujours limitée à 6 personnes (art. 3, III). L’article 4 interdisant le déplacement de toute « personne hors de son lieu de résidence » sans excepter la participation à manifestation, est contesté. Le juge de l’urgence souligne que les manifestations sur la voie publique n’étant plus interdites, cela « implique le droit de se rendre sur le lieu de cette manifestation à partir de son lieu de résidence » (CE, ord., 21 novembre 2020, n° 446629, 446638 N° Lexbase : A515137W), même si cette circonstance ne figure pas dans les exceptions de l’article 4, ni dans l’attestation divulguée par les autorités (elle-même jugée non obligatoire, un « document » quelconque suffisant : CE, 22 décembre 2020, n° 439956 N° Lexbase : A07504BE). Une réserve d’interprétation lui permet de ne pas suspendre ce décret, qui sera modifié par le décret n° 2020-1454 du 27 novembre 2020 (N° Lexbase : Z7446794), ajoutant à la liste des cas autorisés de sortie la « participation à des rassemblements, réunions ou activités sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public qui ne sont pas interdits ».

     

    Le « droit d’expression collective des idées et des opinions » (Cons. const., décision n° 94-352 DC du 18 janvier 1995 N° Lexbase : A8320AC7, cons. n° 24) est-il protégé ? Sûrement pas au regard des possibilités données à l’exécutif, lors de l’état d’urgence sanitaire, de « limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public ainsi que les réunions de toute nature » (CSP, art. L. 3131-15 N° Lexbase : L6517LXN), disposition reprise par le projet de loi instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires (CSP, art. L. 3131‑9, 4° N° Lexbase : L6075LRG). L’application de ces dispositions par les préfets, hasardeuse et discrétionnaire, vient confirmer localement, s’il en était besoin, que l’urgence sanitaire est un prétexte bien utile à l’interdiction des rassemblements (TA Clermont-Ferrand, ord., 22 novembre 2020, n° 2002092 N° Lexbase : A268237H).

  • B. La liberté de circulation
  • Ici, ce sont les mesures de confinement et de couvre-feu qui tiennent le haut du pavé des restrictions apportées à la liberté de circulation. Le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020, portant réglementation des déplacements (N° Lexbase : L5030LW9), organise le confinement de la population sur l’ensemble du territoire jusqu’au 31 mars 2020, en interdisant de sortir de son domicile, sauf dans huit hypothèses strictement énumérées (art. 1er), et dans un périmètre extrêmement resserré. Cette interdiction, reprise avec l’adoption de la loi créant et mettant en œuvre l’état d’urgence sanitaire, est adoptée par le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 (N° Lexbase : L5507LWU) (art. 3, I). Elle est prorogée jusqu’au 11 mai 2020. L’état d’urgence sanitaire est dans un premier temps prolongé jusqu’au 10 juillet 2020 par la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 (N° Lexbase : L8351LW9). La circulation des personnes, entravée jusqu’à cette date, n’a connu qu’un sursis car la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020, organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire (N° Lexbase : L6437LXP), habilite jusqu’au 30 octobre 2020 le Premier ministre à « interdire la circulation des personnes et des véhicules, ainsi que l’accès aux moyens de transport collectif et les conditions de leur usage ». Or, la veille de l’échéance, le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 (N° Lexbase : L5637LYG), vint opportunément restreindre à nouveau les libertés de circulation en confinant à nouveau le territoire français. Ce confinement strict a cessé le 14 décembre, remplacé par un régime transitoire de couvre-feu (puisque nous sommes « en guerre », dixit E. Macron), interdisant les déplacements d’abord « entre 20 heures et 6 heures du matin » (décret n° 2020-1582 du 14 décembre 2020 N° Lexbase : L1030LZ8, art. 2), puis « entre 18 heures et 6 heures du matin » (décret n° 2021-31 du 15 janvier 2021 N° Lexbase : Z932501A, art. 2) (Les référés-liberté déposés contre ces mesures portées à l’échelon local ont tous été rejetés, qu’ils émanent de communes : TA Nice, 11 janvier 2021, n° 2100056 N° Lexbase : A95884ET, ou de particuliers : TA Nancy, 8 janvier 2021, n° 2100024 N° Lexbase : A21684GE). De même à l’échelon national (CE, ord., 24 mars 2021, n° 450406 N° Lexbase : A79424M4). Ce régime valable du 16 janvier au 2 avril 2021 se doublait d’un possible « confinement local » ne valant que les week-end et conduisant à l’enfermement des habitants dans leur lieu de résidence « les samedi et dimanche entre 6 heures et 18 heures » (décret n° 2021-217 du 25 février 2021 N° Lexbase : L4078L3G, art. 2). Il a été remplacé par un troisième confinement généralisé dès le 2 avril 2021 (décret n° 2021-384 N° Lexbase : Z273031E) plaçant de nouveau le pays sous le double régime du confinement diurne et du couvre-feu nocturne (de 19h à 6h).

     

     

    Une telle mesure d’enfermement des individus (sains comme malades), inédite dans l’histoire et à l’efficacité contestée (Eran Bendavid, Christopher Oh, Jay Bhattacharya, John P. A. Ioannidis, Assessing mandatory stay‐at‐home and business closure effects on the spread of COVID‐19, Eur J Clin Invest. 2021 ; 00:e13484, : « we fail to find an additional benefit of stay‐at‐home orders and business closures. The data cannot fully exclude the possibility of some benefits. However, even if they exist, these benefits may not match the numerous harms of these aggressive measures »), constitue une véritable entrave à la liberté de circulation, qui est interdite en dehors de cas limitativement énumérés par le pouvoir exécutif. Elle est doublée d’une délimitation inouïe de la liberté, dans le temps et dans l’espace. La limite du déplacement est d’abord fixée à 1 km autour du domicile et durant une heure seulement (1er et 2e confinements), puis est portée, lors du 3e confinement, à 10 km pour les promenades (art. 4, II, 4°), mais reste bornée à 1 km « pour les besoins des animaux de compagnie » (art. 4, I, 8°), tout en offrant la possibilité dans certains cas (service public, culte, manifestations) de se mouvoir « dans les limites du département de résidence de la personne ou, en dehors de celui-ci, dans un périmètre de 30 kilomètres autour de son domicile » (art. 4, II bis).

    Cette mesure générale peut se doubler de « mesures individuelles ayant pour objet la mise en quarantaine, le placement et le maintien en isolement » (L. 3131-1 code de la santé publique). En sus de leur aspect terriblement liberticide, il semble que les mesures de couvre-feu aient joué un rôle contre-productif, tel que cela a pu être observé sur l’aire urbaine de Toulouse (Side effect of a 6 p.m curfew for preventing the spread of SARS-CoV-2: A modeling study from Toulouse, France, Sciencedirect.com). Au lieu de diminuer, le taux de personnes positives au covid-19 a augmenté plus rapidement à compter de l’instauration du couvre-feu à partir de 18 heures…

     

    Dans ce cadre restrictif (confinement ou couvre-feu), les représentants de l’État ont rivalisé d’ingéniosité pour interdire d’accès le plus de lieux possible. Ainsi, le préfet du Tarn-et-Garonne a interdit au public « tous les parcs et jardins municipaux, les voies pédestres et cyclables des berges de canaux et cours d’eau, les zones de loisirs, les sentiers de randonnée balisés » (arrêté n° 82-2020 du 19 mars 2020, art. 1er), quand celui d’Ille-et-Vilaine a prohibé le déplacement « sur les plages du littoral, les espaces de promenade balnéaires, l’espace naturel de la pointe du Grouin, les digues, les cales de mise à l’eau des bateaux, les chemins de halage, les bords du Rance et sur les rives des plans d’eau intérieurs » (arrêté du 1er avril 2020, art. 1er).

     

    Le préfet de la la Gironde interdit aussi les « espaces dunaires, parcs et forêts » ainsi que « la route des phares » (arrêté du 30 mars 2020, art. 1er). Le préfet des Vosges ira encore plus loin, interdisant d’une part « l’accès à l’ensemble des aires de jeux, en plein air » ainsi que « toute présence piétonne et présence motorisée (circulation, stationnement, attente) » à leurs abords, et d’autre part tous les « rassemblements statiques », à l’exception « des files d’attente pour effectuer des achats de premières nécessités » (arrêté P088-20200408 du 8 avril 2020, art. 1 et 2). Saisi en référé, le tribunal administratif de Nancy a suspendu l’exécution de ce dernier arrêté, constituant une trop grande restriction « de nature à porter atteinte à la liberté d’aller et de venir » (TA Nancy, 21 avril 2020, n° 2001055 N° Lexbase : A02873L9).

     

    Au-delà de la liberté de circulation pédestre, les libertés de circulation fluviale, maritime ou aérienne sont aussi l’objet de nombreuses restrictions (interdiction des escales pour les navires transportant plus de 100 passagers ; bouclage des transports aériens avec les collectivités d’outre-mer ; croisières limitées à 250 passagers). En revanche, les transports collectifs (routiers, guidés ou ferroviaires) ne font pas l’objet de mesures restrictives.

     

    Ces diverses restrictions ont conduit à des situations grotesques où l’entrée ou la sortie du territoire national ont été interdites aux Français sans « motif impérieux », expatriés ou non (décret n° 2021-99 du 30 janvier 2021 N° Lexbase : L0173L3S). Un nouvel article 56-5, I inséré dans le décret du 29 octobre 2020 prohibe tous les déplacements de personnes « entre le territoire métropolitain et un pays étranger autre que ceux de l’Union européenne » et quelques autres exceptions (Andorre, Monaco, etc.). La liberté de fouler le sol de la patrie est déniée, au mépris de la Déclaration universelle des droits de l’homme (ONU, 1948) consacrant le droit de « quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays » (art. 13), et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, disposant que « Nul ne peut être arbitrairement privé du droit d’entrer dans son propre pays » (art. 12, 4°). Le Conseil d’État estime que cette atteinte n’est ni proportionnée, ni nécessaire au regard du droit fondamental qu’a tout Français d’accéder au territoire national (CE, ord., 12 mars 2021, n° 449743, 449830 N° Lexbase : A94144KU), mais maintient toutefois les restrictions à destination et en provenance des Antilles (CE, ord., 12 mars 2021, n° 449908 N° Lexbase : A94154KW). Malgré six décrets intervenus postérieurement, le gouvernement n’a toujours pas abrogé ou modifié cet article 56-5.

  • C. La liberté individuelle
  • La liberté individuelle a aussi largement souffert de ces régimes d’exception. D’abord, car l’on peut considérer que les mesures dites de couvre-feu (bien que le feu ne couve pas), de onze ou douze heures par jour, sont semblables à des mesures collectives d’assignation à résidence. Elles respectent, certes, le cadre interprétatif fixé par le Conseil constitutionnel afin d’éviter de les qualifier de mesures privatives de liberté ouvrant droit à la saisine du juge judiciaire (en vertu de l’article 66 de la Constitution N° Lexbase : L0895AHM). En effet, selon sa jurisprudence constante, l’astreinte dans un lieu d’habitation pendant douze heures consécutives ne constitue pas une privation de liberté (Cons. const., décision n° 99-411 DC du 16 juin 1999 N° Lexbase : A8780AC8 ; Cons. const., décision n° 2015-527 QPC du 22 décembre 2015 N° Lexbase : A9511NZB). C’est ce qu’il a rappelé lors de sa saisine sur la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, disant qu’« en cas d’interdiction de toute sortie, les mesures de mise en quarantaine, de placement et de maintien en isolement constituent une privation de liberté. Il en va de même lorsqu’elles imposent à l’intéressé de demeurer à son domicile ou dans son lieu d’hébergement pendant une plage horaire de plus de douze heures par jour » (Cons. const., décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 N° Lexbase : A32573L9, cons. n° 33). De même, le Conseil n’a pas daigné censurer le fait que, par la loi du 23 mars 2020, une réitération de contraventions (pour violation du confinement) puisse constituer un délit, puni de peines correctionnelles privatives de liberté (six mois d’emprisonnement, prévu par l’article L. 3136-1, al. 3 N° Lexbase : L3532L39 du Code de la santé publique) (Cons. const. décision n° 2020-846/847/848 QPC du 26 juin 2020 N° Lexbase : A33863P4 ; les commentaires de M. Verpeaux, État d’urgence sanitaire, sanctions et procédure pénales, AJDA, 2020. 2095 et d’A. Botton, Le traitement constitutionnel des dispositions pénales résultant de l’état d’urgence sanitaire, RSC, 2020. 983).

     

    Ensuite, si l’on range la liberté d’aller et de venir parmi les composantes de la liberté individuelle (Position adoptée naguère par le TC, 27 mars 1952, « Dame de la Murette » et TC 16 novembre 1964 « Sieur Clément », puis par le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 94-352 DC du 18 janvier 1995 (N° Lexbase : A8320AC7), ainsi que par le CE, réf., « Ministre de l’Intérieur c. M. Hamani », 15 octobre 2001. V. S. Théron, Les mutations de la liberté individuelle : bilan d’une notion à géométrie variable ; M. Hecquard-Théron, J. Krynen (dir.), Regards critiques sur quelques (r)évolutions récentes du droit, Toulouse, 2005, t. 1, p. 223-252), on ne peut que s’attrister de voir le Conseil d’État rejeter d’un revers de la main une requête tendant à censurer l’absence de dérogation au couvre-feu, notamment pour l’exercice d’une activité sportive. La juridiction suprême de l’ordre administratif reconnaît que ces dispositions privent « nombre de travailleurs de la possibilité d’effectuer une activité physique ou une promenade », mais considère toutefois que « cette interdiction ne porte pas, compte tenu du contexte actuel de la situation épidémique, marquée par un niveau élevé du nombre de contaminations et par la persistance d’une forte pression sur le système de santé, une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir » (CE, ord., 7 janvier 2021, n° 448029 N° Lexbase : A96494BY, cons. n° 5). Ainsi, de manière paradoxale, le couvre-feu est plus attentatoire à la liberté concrète des citoyens que le confinement, qui prévoit l’existence d’exceptions plus nombreuses, dont la promenade de santé.

     

    De même, la possibilité offerte aux préfets de prescrire des mesures de mise en quarantaine ou de placement et de maintien en isolement sont diablement attentatoires à la liberté individuelle. Les articles 24 à 26 (modifiés) du décret 29 octobre 2020 autorisent ces mesures collectives pour une durée maximale de quatorze jours, portée à un mois sur autorisation du juge des libertés et de la détention (CSP, art. L. 3131-17, II N° Lexbase : L8572LWE). Elles visent les personnes ayant séjourné dans une zone à risque (définie par arrêté du ministre de la Santé) ou bien celles qui reviennent d’une « zone accueillant des stations de ski »…

     

    La liberté individuelle a encore souffert des modalités intrusives employées par l’exécutif pour contrôler le respect des mesures ordonnées. En l’occurrence, il s’agit de l’usage de drones de surveillance, à des fins de police administrative, qui a fait l’objet de deux décisions du Conseil d’État rejetant la légalité de leur emploi. La première, au regard du droit au respect de la vie privée, en enjoignant à la préfecture de police de Paris de « cesser d’utiliser le dispositif visant à capter des images par drones, les enregistrer, les transmettre et les exploiter » (CE, ord., 18 mai 2020, n° 440442, 440445 N° Lexbase : A64093LX, cons. n° 7. Nos obs., Pourquoi le contrôle du déconfinement à Paris ne pouvait passer par les drones, Lexbase éd. pub., n° 588, 11 juin 2020 N° Lexbase : N3602BY3). La seconde, au regard de la liberté de manifester entravée par la captation automatisée d’images prévue par aucun texte de loi (CE, ord., 22 décembre 2020, n° 446155 N° Lexbase : A97924AW). La CNIL a constaté que l’usage des drones permet l’identification des personnes et constitue un traitement de données à caractère personnel. Elle a prononcé à l’encontre du ministre de l’Intérieur un rappel à l’ordre pour manquements à la loi « Informatique et Libertés », et une injonction de mettre en conformité les traitements visés avec les obligations résultant de cette loi (Délibération SAN-2021-003 du 12 janvier 2021).

     

    Autre question qui suscite également des interrogations, celle du port obligatoire du masque (dont l’efficacité en extérieur ne paraît pas prouvée) (Effectiveness of Adding a Mask Recommendation to Other Public Health Measures to Prevent SARS-CoV-2 Infection in Danish Mask Wearers, Annals of internal medicine, mars 2021, qui conclut sur l’ « absence of data suggesting serious adverse effects of masks »), qui peut désormais faire l’objet d’une vidéosurveillance « intelligente », par détection faciale (Décret n° 2021-269 du 10 mars 2021, relatif au recours à la vidéo intelligente pour mesurer le taux de port de masque dans les transports N° Lexbase : L5290L3C). Prescrit directement par décret, ou bien laissé à l’appréciation des préfets (décret 29 octobre 2020, art. 1, II), le port du masque a donné lieu à plusieurs contestations sur le fondement de la liberté individuelle. Deux ordonnances de tribunaux administratifs (Strasbourg et Lyon) des 2 et 4 septembre 2020 ont donné partiellement raison aux requérants et enjoint aux préfets du Bas-Rhin et du Rhône de corriger leurs arrêtés, l’obligation étant définie de manière large, générale et absolue. Le ministre de la santé a interjeté appel de ces ordonnances, conduisant le Conseil d’État à préciser le cadre de cette obligation, pour éviter qu’elle ne constitue « une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et de venir et au droit de chacun au respect de sa liberté personnelle » (CE, ord., 6 septembre 2020, n° 443750 et n° 443751 N° Lexbase : A95803SM, cons. n° 8). Dès lors, cette « contrainte » supplémentaire est légalement envisageable si elle brille par sa « simplicité et sa lisibilité », circonscrite à des « zones suffisamment larges » et ne conduit pas les individus « à enlever puis remettre leur masque à plusieurs reprises au cours d’une même sortie » (cons. n° 10).

     

    Enfin, dernier élément à considérer dans ce lot de mesures liberticides, la question si controversée du « passeport vaccinal ». Malgré les dénégations de certains ministres, l’idée est tellement avancée qu’elle figure au sein du projet de loi instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires (n° 3714, déposé le 21 décembre 2020), et que, pour fêter Noël, le gouvernement a adopté le 25 décembre 2020 un décret (n°2020-1690) autorisant la création d’un traitement de données à caractère personnel relatif aux vaccinations contre la covid-19. Le projet de loi prévoit la création d’un article L. 3131‑9, 6° du Code de la santé publique (N° Lexbase : L6075LRG) permettant à l’exécutif de subordonner les déplacements, les activités ou l’accès aux moyens de transport à la présentation d’une preuve d’administration du vaccin (« 6° Le Premier ministre peut, le cas échéant dans le cadre des mesures prévues aux 1° à 5°, subordonner les déplacements des personnes, leur accès aux moyens de transports ou à certains lieux, ainsi que l’exercice de certaines activités à la présentation des résultats d’un test de dépistage établissant que la personne n’est pas affectée ou contaminée, au suivi d’un traitement préventif, y compris à l’administration d’un vaccin, ou d’un traitement curatif »). Cela est d’ailleurs en phase avec les velléités de la Commission Européenne qui a présenté son projet de passeport appelé « certificat vert numérique » doté d’un QR code.

     

    Cette restriction inouïe de la liberté individuelle a déjà reçu un avis favorable du Conseil d’État : « Le caractère nécessaire, proportionné et approprié d’une telle mesure ne saurait être regardé comme exclu dans la perspective, qui est celle du projet de loi, de disposer de moyens juridiques pérennes de réponse à des catastrophes sanitaires dont la gravité ne peut être anticipée » (CE, section sociale, avis n° 401741, 20 décembre 2020, § 26). Cette logique est déjà à l’œuvre dans l’autorisation de sortie des résidents d’EHPAD, décidée sur le seul fondement de la proportion des personnes vaccinées dans ces établissements (CE, ord., 3 mars 2021, n° 449759 N° Lexbase : A66304IE), ou dans le refus de lever les mesures restrictives pour les personnes vaccinées au motif que les effets ne seraient obtenus « que par un niveau suffisant de vaccination au sein de l’ensemble de la population » (CE, 1er avril 2021, n° 450956 N° Lexbase : A17904NM, cons. n° 6 : le Conseil d’État estime seulement « vraisemblable, en l’état, que la vaccination assure une protection efficace des bénéficiaires » et qu’en conséquence « les personnes vaccinées peuvent cependant demeurer porteuses du virus et ainsi contribuer à la diffusion de l’épidémie »…). Cela reflète la position gouvernementale sur la vaccination obligatoire souhaitant voir le nombre de vaccinés à « 70 millions, c’est-à-dire la totalité de la population française, d’ici à la fin août » d’après le ministre de la santé (22 janvier 2021, TF1).

     

    Or, cela contrevient à une récente résolution du Conseil de l’Europe (n° 2361 (2021) du 27 janvier 2021), tendant à « s’assurer que les citoyens et citoyennes sont informés que la vaccination n’est PAS obligatoire et que personne ne subit de pressions politiques, sociales ou autres pour se faire vacciner, s’il ou elle ne souhaite pas le faire personnellement » (7.3.1). Le risque est grand de voir se constituer deux catégories de citoyens, l’une pleinement capable et autorisée à jouir de sa liberté, l’autre discriminée par l’amputation d’une part notable de sa liberté (La question s’étend au domaine scolaire, puisque la France est intervenue, de façon exceptionnelle, comme tierce partie devant la CEDH dans l’affaire « Vavricka c/ République tchèque », déclarant que « le Gouvernement français considère que l’instauration d’un système de vaccination obligatoire pour les enfants, ayant pour corollaire d’une part la mise en place de sanctions pénales pour les parents ne procédant pas à cette vaccination, et d’autre part le refus de scolarisation des enfants non vaccinés, n’est pas contraire à l’article 8 et à l’article 9 de la Convention, ni à l’article 2 du protocole n° 1 à la Convention » : § 5 du mémoire remis à la Cour).

     

    Le Gouvernement français anticipe d’ailleurs la mise en place de ce fichage géant en généralisant l’identification des personnes se rendant dans certains lieux accueillant du public par l’emploi de QR codes. Selon le ministre Cédric O, « le caractère obligatoire du dispositif de traçage sera réservé aux bars, restaurants et salles de sport », les autres lieux faisant l’objet d’expérimentations (entretien paru dans Le Figaro, 20 janvier 2021). Le décret de modification de l’application TousAntiCovid a déjà été adopté (décret n° 2021-157 du 12 février 2021 N° Lexbase : Z310331C, modifiant le décret n° 2020-650 du 29 mai 2020, relatif au traitement de données dénommé ‘StopCovid’ »).

  • D. Les libertés médicales
  • La question médicale n’est pas en reste. Au cœur de l’épidémie de covid-19, la liberté de prescrire a été refusée aux médecins (« le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance », selon l’article R. 4127-8 du Code de la santé publique, bien qu’elle soit reconnue comme principe général du droit : CE, 18 février 1998, n°171851 N° Lexbase : A6414ASD). C’est ainsi que le traitement par l’hydroxychloroquine a d’abord été interdit aux médecins libéraux (décret n° 2020-314 du 25 mars 2020 N° Lexbase : L5675LW4) et limité dans les établissements hospitaliers aux formes sévères (Dès le 13 janvier 2020, un arrêté du ministre de la Santé (Mme Buzyn) classe l’hydroxychloroquine sous toutes ses formes sur la liste II des substances vénéneuses, interdisant sa vente libre en pharmacie). Cette atteinte à la liberté de prescription a été validée par le Conseil d’État (CE, ord., 22 avril 2020, n° 439951 N° Lexbase : A98933KM). Puis, à la suite de l’étude frauduleuse parue dans The Lancet (publiée le 22 mai 2020, rétractée le 4 juin), la prescription et la délivrance de cette substance ont été totalement interdites par décret n° 2020-630 du 26 mai 2020 (N° Lexbase : L2057LXH). Cet interdit a été abrogé par arrêté du 10 juillet 2020, prescrivant les mesures d’organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 (art. 36).

     

    Le secret médical est bafoué par le décret n° 2020-1690 du 25 décembre 2020 (N° Lexbase : L2711LZG), organisant le fichage systématique des personnes susceptibles d’être vaccinées ou passant un examen médical en vue de la vaccination. Leurs données de santé (dont les traitements suivis) sont nécessairement fichées. Une délibération de la CNIL demande à ce que l’on puisse faire opposition à ce fichage, et « invite le ministère à la parfaite information des personnes concernées s’agissant notamment de l’exercice de leurs droits. Elle invite par ailleurs le ministère à prévoir un dispositif permettant à chaque personne concernée de faire exercice de son droit d’opposition à la transmission d’informations à la PDS et à la CNAM » (Délibération n° 2020-126 du 10 décembre 2020 N° Lexbase : Z4025198), mais le décret est déjà entré en vigueur, la procédure d’opposition toujours pas.

     

    Le secret médical a manqué de peu d’être bafoué également dans l’affaire des caméras thermiques visant à prendre à distance la température des passants installées par la commune de Lisses, validées par le tribunal administratif de Versailles (TA Versailles, ord., 22 mai 2020, n° 2002891 N° Lexbase : A95683MC : sur cette affaire, v. G. Haas, L. Goutorbe, Covid-19 : le Conseil d'État fait retomber la fièvre autour des caméras thermiques, Dalloz IP/IT, 2020. 636). Le Conseil d’État a cependant mis fin à l’expérience, celle-ci consistant en un « traitement de données de santé personnelles » manifestement illégal et de surcroît contraire aux articles 9, al. 3 et 35 du RGPD exigeant la manipulation de ces données par des professionnels de santé tenus au secret médical, et une préalable analyse d’impact relative à la protection des données (CE, ord., 26 juin 2020, n° 441065 N° Lexbase : A34863PS). Ce même secret médical est cependant toujours sur la sellette du point de vue de la protection des données personnelles, puisque le Conseil d’État, à défaut de suspendre le Health Data Hub (outil de collecte et de centralisation des données de santé, aux fins de recherche et d’analyse), s’est contenté d’enjoindre à la CNIL de travailler avec Microsoft au renforcement de la protection des droits des personnes concernées quant à leurs données personnelles (CE, ord., 13 octobre 2020, n° 444937 N° Lexbase : A48813X3). Outre le problème de désignation de l’entreprise américaine en l’absence de marché public, surgit un problème de droit du fait que ce cloud Azure est situé sur des serveurs américains, régis par le droit américain. Or, ce dernier fait obligation aux entreprises états-uniennes de « communiquer les contenus de communications électroniques et tout enregistrement ou autre information relatifs à un client ou abonné, qui sont en leur possession ou dont ils ont la garde ou le contrôle, que ces communications, enregistrements ou autres informations soient localisés à l’intérieur ou à l’extérieur des États-Unis » (Clarifying lawful overseas use of data act (H.R. 4943), 6 février 2018) (O. de Maison Rouge, L’affaire Health Data Hub : entre nécessité de recherche médicale et souveraineté numérique, Dalloz IP/IT, 2021. 103).

     

    Enfin, la liberté d’expression des médecins a été réduite. Régie par l’article R. 4127-13 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L5843LZG), elle est limitée par la « prudence » et « le souci des répercussions de […] auprès du public », et doit être franche « de toute attitude publicitaire, soit personnelle, soit en faveur des organismes où il exerce ou auxquels il prête son concours ». Or, le code de déontologie des médecins a été modifié par le décret n° 2020-1662 du 22 décembre 2020 (N° Lexbase : L2356LZB) qui vise à limiter la liberté d’expression des médecins (alors que cela relève du domaine de la loi, CESDH, art. 10, al. 2 N° Lexbase : L4743AQQ), en créant un article R. 4127-19-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L5845LZI). La restriction vise ici l’information que le médecin peut communiquer, notamment sur internet, puisqu’il « se garde de présenter comme des données acquises des hypothèses non encore confirmées » (II), mais surtout, doit tenir compte « des recommandations émises par le conseil national de l’ordre » (III).

  • E. La liberté du commerce et de l’industrie
  • Autre liberté qui est énormément éprouvée par les restrictions sanitaires, celle du commerce et de l’industrie. Elle souffre de diverses façons : par la fermeture imposée à de nombreuses catégories d’établissements recevant du public (ERP), par le choix discrétionnaire (et forcément contestable) des commerces habilités à ouvrir, par les règles utopiques imposées aux commerces autorisés à rester ouverts. Elle souffre aussi, dans une moindre mesure, par la fixation des prix imposée par l’exécutif (« mesures temporaires de contrôle des prix de certains produits », art. 54 du décret du 29 octobre 2020) et par les entraves au droit de propriété, essentiellement la possibilité de réquisitionner des biens et des locaux (art. 48 du décret du 29 octobre 2020) (Sur ce dernier aspect, v. Gr. Bligh, Réquisitionner en situation d’urgence sanitaire, AJDA, 2020. 1098).

     

    La liberté souffre car le principe d’un libre accès aux commerces est remplacé par son contraire, établi à l’article 27, I du décret du 29 octobre 2020 : là « où l’accueil du public n’est pas interdit en vertu du présent titre », l’exploitant peut ouvrir, s’il met en œuvre les mesures sanitaires et les limitations imposées pour bénéficier de ce régime d’exception. L’article 28 dresse la liste exhaustive des rares ERP qui « peuvent accueillir du public », et l’article 29 vient ajouter un couperet préfectoral permettant d’interdire, de restreindre ou de réglementer « par des mesures réglementaires ou individuelles, les activités qui ne sont pas interdites en vertu du présent titre ».

     

    Ainsi, sont fermés les stations thermales (art. 41, IV) et les établissements sportifs, couverts ou de plein-air (ERP de type X et PA, art. 42), sauf exception, de même que les remontées mécaniques et pistes de ski (art. 18, I) (Que la liberté de pratiquer un sport soit une liberté fondamentale, en tant que composante de la liberté personnelle : CE, ord., 16 octobre 2020, n° 445102 N° Lexbase : A15453YU, n’a pas empêché le Gouvernement de la restreindre, ni la juridiction administrative de valider cette restriction : CE, ord., 11 décembre 2020, n° 447208 N° Lexbase : A578039X). Les ERP de type N (restaurants et débits de boisson), EF (restauration flottante), OA (restauration d’altitude) ou O (hôtels) sont purement et simplement fermés, sauf à envisager des « activités de livraison » ou « la vente à emporter entre 6 heures et 19 heures » (art. 40, I du décret du 29 octobre 2020). Les recours intentés ont tous échoué, malgré la mise en place par les restaurateurs de dispositifs coûteux et inconfortables pour assurer la minimisation du risque de transmission du virus. Le juge administratif a rejeté tous les arguments à lui présentés, du protocole sanitaire aux ouvertures limitées, en passant par la différenciation par région (CE, ord., 8 décembre 2020, n° 446715 N° Lexbase : A234539Q). En revanche, l’atteinte à l’égalité que constitue l’ouverture des ERP de restauration collective est validée, bien que soit reconnu le fait que les ERP de « restauration traditionnelle » ne sont pas dans une « situation différente »… Ubu règne (La rupture d’égalité est bien des fois consacrée, par exemple à l’Université : « Si le Premier Ministre a estimé, au regard des exigences de leur formation et des particularités propres à la catégorie des étudiants de première année, qu’une reprise partielle des enseignements dispensés en leur présence était possible, ne pas le permettre pour les autres étudiants, placés au regard de leur formation comme de leur vulnérabilité dans une situation différente, ne peut sérieusement être regardé comme méconnaissant le principe d’égalité, qui ne s’applique qu’entre personnes relevant de la même catégorie » : CE, ord., 21 janvier 2021, n° 448736 N° Lexbase : A50514DG, cons. n° 5).

     

    Au-delà de cette liste non exhaustive, les commerces subissent de plein fouet les restrictions. Depuis l’instauration du temps du couvre-feu, ceux qui sont admis à ouvrir ne peuvent plus accueillir de public avant 6 heures et après 18 heures ou 19 heures. En sus, le décret n° 2021-99 du 30 janvier 2021 ajoute un nouveau critère décidant de l’ouverture ou non des commerces, d’une manière encore plus liberticide.

     

    La première distinction sépare les commerces dits essentiels des commerces réputés non essentiels. Posée par le décret du 29 octobre dans sa version initiale, elle liste les types de commerces admis à rester ouverts, du commerce de détails de fruits et légumes aux activités financières et d’assurance (art. 37, I). Puis, par une précision toute bureaucratique, le décret n° 2020-1331 du 2 novembre 2020 vient limiter les catégories de biens que peuvent proposer à la vente les magasins autorisés à rester ouverts. Si les « magasins d’alimentation générale et les supérettes » peuvent continuer à vendre toutes leurs marchandises, les « centres commerciaux, les supermarchés, les magasins multi-commerces, les hypermarchés et les autres magasins de vente d’une surface de plus de 400 m² » ne peuvent accueillir du public que pour les activités marchandes autorisées, en y ajoutant « la vente de produits de toilette, d’hygiène, d’entretien et de produits de puériculture » (art. 37, IV bis, 2°). Ce qui faisait dire à Michel-Édouard Leclerc qu’il avait le droit de vendre un pyjama taille 2 ans, mais pas un pyjama 3 ans…

     

    La seconde distinction sépare les commerces en fonction de leur taille, en discriminant les gros. Pour ceux qui font plus de 20 000 m², la fermeture est absolue et « l’activité de retrait de commandes […] est également interdite » (art. 37, II). De plus, pour calculer ce seuil (art. 37, II bis), il faut prendre en compte « les surfaces de vente, les bureaux et les réserves », même des magasins admis à rester ouverts (alimentation générale ou produits surgelés, par exemple). De surcroît, si le magasin a un accès indépendant (en plus de l’accès dans la galerie commerciale), il doit quand même fermer. Quelqu’un ayant commandé des lunettes chez un opticien avant le 30 janvier ne peut même plus aller les chercher en « retrait de commandes » ! Et cela est illégal, car les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire doivent tout de même garantir « l’accès des personnes aux biens et services de première nécessité » (CSP, art L. 3131-15, I, 5° N° Lexbase : L6517LXN).

     

    La liste des activités marchandes autorisées a été réintroduite à l’article 37, III d’abord pour les commerces situés en zone de confinement local, étendant la nécessité aux commerces « de détail de livres » et « d’enregistrements musicaux et vidéos » (art. 2 du décret n° 2021-217 du 25 février 2021) (Cette liste fluctuante n’intégrait pas originairement les librairies, bien que le Conseil d’État reconnût qu’elles « contribuent à l’exercice effectif de la liberté d’expression ainsi que de la libre communication des idées » et « présentent un caractère essentiel » : CE, ord. 13 novembre 2020, nos 445883, 445886, 445899 N° Lexbase : A8139349), puis à tout le territoire national à partir du 3e confinement (art. 2 du décret n° 2021-384 du 2 avril 2021). Cette liste ne manque pas de surprendre tant sa composition est aléatoire et étrangère aux considérations sanitaires (les « services de coiffure » sont autorisés, mais pas ceux des esthéticiennes, les « services de réparation et entretien d’instruments de musique » sont ouverts, mais pas les points de vente…).

     

    À cela il faut ajouter la grotesque interdiction de « vente à emporter de boissons alcoolisées », étendue à tout le territoire national par le décret du 2 avril 2021, doublée d’une autorisation donnée au préfet d’interdire « tout rassemblement de personnes donnant lieu à la consommation de boissons alcoolisées sur la voie publique » (art. 3-1 du décret du 29 octobre 2021).

  • F. Les libertés culturelles
  • Parmi les ERP fermés sur décision de l’exécutif, figurent les divers lieux culturels, que ce soient les salles d’auditions ou de spectacles (type L), les chapiteaux (type CTS), les salles de danse et salles de jeux (type P) ou encore les musées (type Y), en vertu de l’article 45, I du décret du 29 octobre 2020. Plusieurs recours intentés contre ces fermetures abusives (une étude allemande démontre que la fréquentation d’un musée engendre moins de risques de contamination qu’une école ou un supermarché : Covid-19 : une étude allemande montre que le musée est moins dangereux qu'un supermarché, Le Figaro, 5 mars 2021) ont abouti à la fois à la proclamation d’un grand principe et à son annihilation. C’est ainsi que le Conseil d’État a considéré que « la fermeture au public des cinémas, théâtres et salles de spectacle porte une atteinte grave aux libertés fondamentales que constituent la liberté d’expression et la libre communication des idées, la liberté de création artistique, la liberté d’accès aux œuvres culturelles, la liberté d’entreprendre et la liberté du commerce et de l’industrie ainsi que le droit au libre exercice d’une profession » (CE, ord., 23 décembre 2020, n° 447698 N° Lexbase : A13344BZ et s., cons. n° 8). De même pour « la fermeture au public des musées, des salles d’exposition à vocation culturelle, des salles de spectacles et des monuments historiques en plein air », qui porte une atteinte grave aux mêmes libertés fondamentales, quand bien même « une partie des activités concernées pourrait demeurer accessible au public à travers d’autres supports ou de manière dématérialisée » (CE, ord., 24 décembre 2020, n° 447900 N° Lexbase : A96464BU, cons. n° 7).

     

    Toutefois, dans les deux affaires, la juridiction suprême rejette les recours et valide l’interdiction, sur un prétexte sanitaire. Le Conseil d’État a même le culot d’expliquer que « le maintien d’une interdiction générale et absolue d’ouverture au public » des lieux culturels sur tout le territoire national « serait de nature à porter une atteinte excessive, et donc manifestement illégale, aux libertés mentionnées […] si elle était justifiée par la seule persistance d’un risque de contamination […] par le virus SARS-CoV-2 », mais argue de la « présence d’un contexte sanitaire marqué par un niveau particulièrement élevé de diffusion du virus au sein de la population susceptible de compromettre à court terme la prise en charge, notamment hospitalière, des personnes contaminées et des patients atteints d’autres affections » (cons. n° 11) pour anéantir les libertés culturelles du fait des coupes budgétaires dans l’hôpital public.

     

    Ces atteintes aux droits fondamentaux, qui devaient rester temporaires et strictement proportionnées au risque, sont en fait validées systématiquement par le juge administratif, que ce soit en décembre ou en février, dans un contexte épidémiologique largement différent. La tentative de la commune de Perpignan de rouvrir les musées, en excipant d’une part des meilleures conditions sanitaires, et d’autre part du non-respect de la procédure spécifique de fermeture des ERP fixée par l’article 29 du décret du 29 octobre 2020 (mise en demeure restée sans suite, arrêté préfectoral), n’a pas fonctionné. Le TA de Montpellier admet le référé-suspension déposé par le préfet des Pyrénées-Orientales à l’encontre des arrêtés municipaux autorisant l’ouverture de quatre musées (TA Montpellier, ord. 15 février 2021, n° 2100630 N° Lexbase : A84164GS et s.), et au mépris du privilège du préalable (CE, 30 mai 1913, Préfet de l’Eure, n° 49241).

     

    Fin février, plusieurs personnalités du monde de la culture ont encore demandé, par référé-liberté, la réouverture des cinémas, théâtres et salles de spectacles. Le Conseil d’État se préoccupe de « l’impact sur la santé mentale de la population » des mesures liberticides, soulignant l’« augmentation significative des états anxieux et dépressifs pour l’ensemble de la population », mais excipe encore une fois du taux d’occupation des lits en réanimation (pourtant saturé chaque année en période hivernale) et de l’existence de variants du virus pour pronostiquer que « le variant britannique devrait devenir majoritaire fin février-début mars en France » et qu’« une croissance rapide des cas est attendue dans les semaines à venir » (CE, ord., 26 février 2021, n° 449692 N° Lexbase : A45074IR, cons. n° 9). Là encore, le « niveau demeuré élevé de diffusion du virus » sert de justification à toutes les restrictions, et conduit les sages (mages ?) du Palais-Royal à rejeter les requêtes. Ce que les lieux culturels n’ont pas obtenu, les lieux cultuels l’ont obtenu quelques semaines plus tôt.

  • G. La liberté de culte
  • La liberté de culte a, elle aussi, subi des restrictions inouïes, mais son sort a été quelque peu adouci in fine (Nos obs., Pas d’urgence pour la liberté de culte, Lexbase éd. pub., n° 606, 26 novembre 2020 N° Lexbase : N5383BYZ). Durant le confinement de mars 2020, elle a été réduite à néant par la prétention incroyable et illégale au regard de la loi de 1905 de décider parmi les actes du culte ceux qui étaient autorisés et ceux qui ne l’étaient pas : mariage, communion, confirmation, non ; funérailles, oui. Ainsi, l’article 8, IV du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 (N° Lexbase : L5507LWU) procède à une interdiction générale et absolue des rassemblements ou réunions dans les lieux de culte, « à l’exception des cérémonies funéraires dans la limite de 20 personnes ». Une telle cessation complète des offices religieux en France avait quelque chose d’inédit : il faut remonter à la Terreur, comme persécution (arrêté du 3 frimaire an II, 23 novembre 1793), ou à l’interdit général lancé par Innocent III en 1200, comme sanction, pour trouver semblables décisions. Cependant, au nom des « circonstances exceptionnelles », le Conseil d’État a rejeté les recours à lui présentés contre ces dispositions (CE, ord., 30 mars 2020, n° 439809 N° Lexbase : A88863KC).

     

    Lors du premier déconfinement, le Conseil d’État a censuré partiellement les mesures gouvernementales illibérales qui maintenaient purement et simplement l’interdiction générale du culte, hormis les funérailles. Il exposait notamment, au sujet des édifices du culte (ERP de type V), que « les activités qui y sont exercées ne sont pas de même nature et les libertés fondamentales qui sont en jeu ne sont pas les mêmes » que dans les autres lieux recevant du public (CE, ord., 18 mai 2020, n° 440366 N° Lexbase : A73243LT et s., cons. n° 32). Au nom de ce traitement différencié, et « pour sauvegarder la liberté de culte » (cons. n° 36), le juge des référés du Palais-Royal enjoignait au Premier ministre de prendre « les mesures strictement proportionnées aux risques sanitaires » pour permettre la reprise des cultes, ce qui arriva avec l’article 1er du décret n° 2020-618 du 22 mai 2020, complétant le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 (N° Lexbase : L1707LXI). Dès lors, les cultes furent rétablis, avec une distinction entre les édifices et les « espaces publics à l’air libre ne relevant pas des lieux de culte » où l’interdiction « de tout rassemblement, réunion ou activité à un titre autre que professionnel sur la voie publique ou dans un lieu public, mettant en présence de manière simultanée plus de dix personnes », imposée par le décret du 11 mai 2020, ne porte pas atteinte à la liberté de culte (cons. n° 38). Foin des pèlerinages, pardons et processions.

     

    Le deuxième confinement a, de nouveau, conduit à la cessation totale du culte en France. Le décret du 29 octobre 2020 interdisant « tout rassemblement ou réunion […] à l’exception des cérémonies funéraires dans la limite de 30 personnes » (art. 47, I). Même si le conseil scientifique cite une étude « selon laquelle les églises n’ont pas été retrouvées parmi les lieux à risque d’infection », le Conseil d’État valide cette interdiction (CE, ord., 7 novembre 2020, n° 445825 N° Lexbase : A918833P et s). Ne restait alors qu’une possibilité légale, celle d’organiser le culte sur la voie publique. Diverses tentatives ont été illégalement interdites par les préfets concernés jusqu’à ce que plusieurs tribunaux administratifs invalident ces décisions lorsqu’elles sont fondées sur la restriction de la liberté de culte (TA Clermont-Ferrand, ord., 21 novembre 2020, n° 2002065 N° Lexbase : A267937D ; TA Paris, ord., 21 novembre 2020, n° 2019541 N° Lexbase : A268337I) tout en validant l’interdiction de ces mêmes réunions quand elle est motivée par l’épidémie (TA Clermont-Ferrand, ord., 22 novembre 2020, n° 2002091 N° Lexbase : A268037E).

     

    Quand le second confinement prit fin, le régime des édifices du culte était soumis à l’arbitraire le plus incompréhensible, puisque le décret n° 2020-1454 du 27 novembre 2020 (N° Lexbase : Z7446794), interdisait les rassemblements en leur sein, à l’exception des « cérémonies religieuses dans la limite de 30 personnes », quelle que soit la taille de l’édifice. Cette jauge, contestée immédiatement, a été retoquée par le Conseil d’État pour cause de disproportion manifeste (CE, ord., 29 novembre 2020, n° 446930 N° Lexbase : A152038S). C’est ce qui a « sauvé » la liberté de culte, conduisant l’exécutif à remplacer cette limite par le respect d’un protocole sanitaire draconien : « une distance minimale de deux emplacements est laissée entre ceux occupés par chaque personne ou groupe de personnes partageant le même domicile », et « une rangée sur deux est laissée inoccupée » (art. 47, I, résultant du décret n° 2020-1505 du 2 décembre 2020). Ce régime est encore celui sous lequel est enserrée la liberté de culte, sauf pour les funérailles toujours curieusement limitées à 30 personnes (art. 3, III, 4° du décret du 29 octobre 2020).

     

    Enfin, les étonnants confinements « week-end » imaginés par l’exécutif se sont doublés d’une nouvelle tentative d’atteinte à la liberté de culte, remplacée in extremis par un compromis insolite. L’arrêté n° 2021-247 du préfet des Alpes Maritimes du 23 février 2021 ne permettait aucune ouverture des établissements du culte, mais le décret n° 2021-217 du 25 février 2021 prévoyait tout de même une exception à l’interdiction de sortie de son domicile pour les « déplacements à destination ou en provenance d’un lieu de culte » (art. 4, II du décret modifié du 29 octobre 2020). Le préfet a dû revoir sa copie, et le tribunal administratif, tout en insistant sur l’interdiction de « tout regroupement de personnes », tolère « la possibilité de tenir des messes dominicales, d’une durée n’excédant pas trente minutes » (TA Nice, ord., 27 février 2021, n° 210106). La liberté chronométrée, nouveau paradigme des libertés publiques.

  • H. Le droit au procès équitable
  • Le droit au procès équitable a souffert de différentes manières, mais d’abord d’une manière structurelle et anticonstitutionnelle par la substitution de principe du juge administratif au juge judiciaire dans l’appréciation de la légalité des mesures liberticides (V. par ex., L. Vatna, Le juge administratif et la crise de la covid-19. Entre protection de la santé et respect des libertés : le juge administratif à l’épreuve de la covid-19, La Revue des droits de l’homme - Actualités Droits-Libertés, octobre 2020). Ainsi, l’article L. 3131-18 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L8573LWG) prévoit une compétence générale du juge administratif pour connaître des recours intentés contre les mesures prises en application du l’état d’urgence sanitaire, « selon les procédures prévues aux articles L. 521-1 (N° Lexbase : L3057ALS) et L. 521-2 (N° Lexbase : L3058ALT) du Code de justice administrative », à savoir le référé-suspension et le référé-liberté. Seules les mesures individuelles de mise en quarantaine ou de placement et de maintien en isolement sont justiciables du juge des libertés et de la détention (CSP, art. L. 3131-17, II N° Lexbase : L8572LWE). De la sorte, malgré l’institution de l’autorité judiciaire comme « gardienne de la liberté individuelle » (art. 66 de la Constitution), c’est l’autorité administrative qui détermine si l’exécutif outrepasse ou non le respect des libertés. Le Conseil d’État s’est montré prudemment docile lors de l’appréciation de l’énorme contentieux qui lui est échu, en rejetant « quasi-systématiquement les demandes de suspension dont il est saisi à l’encontre des mesures gouvernementales » (Fr. Lagarde, Contestations en référé des mesures gouvernementales ‘anti-covid’ : une voie sans issue ?, Jurisport, 2021, n° 216, p.8). Qui plus est, les règles spécifiques introduites par l’article 3 de l’ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020, portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif (N° Lexbase : L7049LYQ), « jusqu’à la cessation de l’état d’urgence sanitaire » (art. 1er), ne militent pas en faveur d’un accès serein à la justice. Il peut en effet « être statué sans audience, par ordonnance motivée, sur les requêtes présentées en référé ». Un simple regard sur les nombreuses ordonnances rendues sans audience ces derniers mois atteste qu’elles ne motivent jamais cette entorse aux droits du justiciable, se contentant d’indiquer que « les parties ont été informées de ce que […] l’affaire sera jugée sans audience », ou bien qu’« il sera statué sans audience ». Une simple information ne vaut pas motivation.

     

    Le droit au procès équitable a été aussi malmené quant à l’accès au juge judiciaire. La plus flagrante violation a été la prolongation de plein droit de la détention provisoire et de l’assignation à résidence, sans intervention du juge, permise par l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 (art. 16). Il n’a été mis fin à ce régime exorbitant que par la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 (N° Lexbase : L8351LW9). En effet, au nom de la théorie de la « loi-écran » le Conseil d’État a rejeté deux référés émis par des professionnels du droit (CE, ord., 3 avril 2020, n° 439877 N° Lexbase : A66303KR et n° 439894 N° Lexbase : A66273KN), rejetant le recours contre l’ordonnance qui « a mis en œuvre l’habilitation donnée par la loi du 23 mars 2020, dans le respect des conditions qu’elle y a mises ». Il en ira de même de la Cour de cassation, rejetant l’exception d’illégalité des dispositions contestées (Cass. crim., 26 mai 2020, n° 20-81.971, FS-D N° Lexbase : A13843M9).

     

    Il fallut attendre le 29 janvier 2021 pour que le Conseil constitutionnel reconnaisse la non-conformité totale de ces dispositions à l’article 66 de la Constitution (Cons. const., décision n° 2020-878/879 QPC du 29 janvier 2021 N° Lexbase : A85134DN). Mais les libertés n’en sortent pas gagnantes, car le Conseil procède à une déclaration d’inconstitutionnalité décalée dans le temps, et déclare que « la remise en cause des mesures ayant été prises sur le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution méconnaîtrait les objectifs de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions et aurait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, ces mesures ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité » (cons. 15). L’intervention nécessaire du juge judiciaire en matière de privation de liberté est donc neutralisée : l’article 62 joue contre l’article 66, et ce sont encore une fois les libertés publiques qui en pâtissent.

     

    Ce même mécanisme avait joué dans une autre question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’utilisation de la visioconférence sans accord des parties devant les juridictions pénales dans un contexte d’urgence sanitaire (Cons. const., décision n° 2020-872 QPC du 15 janvier 2021 N° Lexbase : A47574C8). Le Conseil reconnaît « l’importance de la garantie qui peut s’attacher à la présentation physique de l’intéressé devant la juridiction pénale » (§ 10), mais estime que « la remise en cause des mesures ayant été prises sur le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution méconnaîtrait les objectifs de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions et aurait ainsi des conséquences manifestement excessives » (§ 13).

     

    Le Conseil d’État suivra la même voie, en jugeant inconventionnelles la possibilité pour le juge d’imposer le recours à la visioconférence et la prolongation de plein droit des délais de détention provisoire et de comparution, mais en différant sa décision au regard des conséquences excessives de leur annulation rétroactive (CE, 5 mars 2021, n° 440037, 440165 N° Lexbase : A83984IU).

     

    Cette question du droit au procès équitable se double d’une difficulté d’accès à l’avocat. Dans une affaire caractéristique, un préfet trop zélé a restreint l’accès aux locaux des services des étrangers, empêchant les avocats de rejoindre leurs clients. Attaquée en référé, cette mesure a été suspendue, car « le libre exercice de la profession d’avocat et le droit pour un administré d’être accompagné par un avocat dans ses démarches » sont des libertés fondamentales dont on ne saurait être privé, même durant une crise sanitaire (TA Cergy-Pontoise, ord., 10 décembre 2020, n° 2012496 N° Lexbase : A595839K). Au-delà de ce cas particulier, le décret du 29 octobre 2020 réglant le couvre-feu n’offrait aucune dérogation « permettant de se rendre chez un professionnel du droit et notamment un avocat pour un acte ou une démarche qui ne peut être réalisé à distance au-delà de 18 heures ». En cela, il « porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale d’exercer un recours effectif devant une juridiction dans des conditions assurant un respect effectif des droits de la défense et du droit à un procès équitable », et le juge des référés a ordonné (tardivement) la suspension de l’article 4, I du décret du 29 octobre 2020 (CE, ord., 3 mars 2021, n° 449764 N° Lexbase : A59414IU, cons. n° 10).

     

    Toutes ces restrictions des droits et libertés, imposées au gré de la crise sanitaire, ne forment cependant qu'une partie de l'effondrement actuel auquel nous assistons. Elle s'accompagnent de nombreuses autres privations ou diminutions qui ne sont pas décidées au nom de la santé, et qui convergent vers un contrôle étatique plus strict et une liberté amoindrie. C'est ce qu'il conviendra de voir dans la seconde partie de cet article.

  • En dehors du cadre sanitaire étouffant étudié en première partie, de nombreuses autres libertés publiques sont menacées par plusieurs textes projetés, validés ou adoptés par le Gouvernement.
  • II. La restriction des libertés en dehors de la crise sanitaire
  • En dehors de ce cadre sanitaire étouffant, de nombreuses autres libertés publiques sont menacées par plusieurs textes projetés, validés ou adoptés par le gouvernement. Il s’agit d’abord du projet de loi confortant le respect des principes de la République (n° 3649), dont le Conseil d’État remarquait lucidement que ses mesures « concernent pratiquement tous les droits et libertés publiques constitutionnellement et conventionnellement garantis, et les plus éminents d’entre eux : liberté d’association, liberté de conscience et de culte, liberté de réunion, d’expression, d’opinion, de communication, liberté de la presse, libre administration des collectivités territoriales, liberté de l’enseignement, liberté du mariage, liberté d’entreprendre, liberté contractuelle » (CE, 3 décembre 2020, n° 401549, Avis consultatif sur un projet de loi confortant le respect, par tous, des principes de la République N° Lexbase : A41014QX, § 9). Il s’agit ensuite de la proposition de loi relative à la sécurité globale et de plusieurs décrets récents ouvrant la voie à l’instauration d’une technopolice au service d’une surveillance de masse.
  • A. La liberté de l’enseignement
  • La liberté de l’enseignement est une liberté fondamentale reconnaissant aux parents le libre choix éducatif concernant leurs enfants. Reconnue par divers traités internationaux (CESDH, protocole additionnel N° Lexbase : L1625AZ9, art. 2 ; Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966 N° Lexbase : L6817BHX , art. 13 ; Convention internationale des droits de l’enfant N° Lexbase : L6807BHL, art. 5), elle est aussi inscrite dans le droit français depuis la loi « Ferry » du 28 mars 1882 (art. 4). Elle a même accédé au rang de principe fondamental reconnu par les lois de la République (Cons. constit., décision n° 77-87 DC du 23 novembre 1977 N° Lexbase : A7958ACQ).

     

    Cette liberté fait pourtant l’objet d’une attaque sans précédent, puisque la faculté pour les parents de réaliser l’instruction en famille (par eux-mêmes ou par un tiers) prévue à l’article L. 131-2 du Code de l’éducation (N° Lexbase : L3270IXE) est supprimée presque intégralement par le projet de loi confortant le respect des principes de la République. Son article 21, tel que résultant de l’adoption en première lecture par l’Assemblée nationale, prévoit de substituer au régime libéral de déclaration un régime contraignant d’autorisation préalable, renouvelable annuellement et enserrée dans des conditions très strictes et limitatives (état de santé de l’enfant, pratique d’activités sportives ou artistiques intensives, itinérance de la famille, situation particulière propre à l’enfant). Le projet dispose explicitement que l’autorisation de l’instruction en famille ne peut être accordée que pour ces motifs, « sans que puissent être invoquées les convictions politiques, philosophiques ou religieuses », au mépris de la liberté de conscience (Et de la lettre même du protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, selon lequel l’État « respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophique » (art. 2)). Face à la gronde devant un tel recul des libertés, le Gouvernement a fait adopter un amendement repoussant l’entrée en vigueur de ce régime à la rentrée 2022 (contre la rentrée 2021 dans le texte initial) et prévoyant une période de transition jusqu’en 2024 pour les familles y ayant actuellement recours. Le Sénat a supprimé cet article (6 avril 2021), contre l’avis du gouvernement qui entend le réintroduire en seconde lecture.

     

    Cette atteinte très vive est certainement inconstitutionnelle au regard de la teneur de cette liberté : « la liberté de l’enseignement, qui figure au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, implique la possibilité de créer des établissements d’enseignement, y compris hors de tout contrat conclu avec l’État, tout comme le droit pour les parents de choisir, pour leurs enfants, des méthodes éducatives alternatives à celles proposées par le système scolaire public, y compris l’instruction au sein de la famille » (CE, 3° et 8° ch.-r., 19 juillet 2017, n° 406150 N° Lexbase : A2085WNK). L’indivisibilité de cette liberté met sur un plan d’égalité l’instruction donnée dans les écoles et l’instruction donnée en famille ; subordonner la seconde à une interdiction de principe doublée d’un régime dérogatoire d’autorisation préalable si strict ne saurait convenir à l’exercice de cette liberté fondamentale.

     

    L’article 22 du projet de loi réduit encore les libertés en faisant planer sur les écoles hors-contrat (statut obligatoire pour toute école privée nouvellement créée, le contrat ne pouvant être sollicité qu’au bout de cinq années d’existence) une menace de dissolution et de fermeture administrative, en lieu et place d’une fermeture prononcée par le juge judiciaire, alors même que les écoles privées ressortissent à un régime de déclaration en matière de création et non pas d’autorisation administrative (Cette liberté avait été déjà annihilée en 2016, mais la loi censurée par le Conseil constitutionnel, cf. nos obs, La guerre scolaire n’aura pas (encore) lieu. Remarques sur la censure de l’article 39 de la loi Égalité et citoyenneté, LPA, 28 mars 2017, n° 125c7, p. 7). Les motifs de fermeture sont nombreux et imprécis, visant notamment les « insuffisances de l’enseignement, lorsque celui‑ci n’est pas conforme à l’objet de l’instruction obligatoire », et la procédure imaginée ne permet pas le respect du contradictoire. De plus, cet article renforce le contrôle des écoles hors-contrat en l’étendant aux « documents budgétaires, comptables et financiers » pour en connaître l’origine. L’article 23 procède à un alourdissement des sanctions pénales, ajoutant à l’amende de 15 000 euros une peine de prison d’un an. Enfin, l’article 24 abolit de fait toute indépendance aux établissements privés en subordonnant la passation du contrat « à la vérification de la capacité de l’établissement à dispenser un enseignement conforme aux programmes de l’enseignement public ».

     

    Tant dans ses modalités que dans son étendue, ce projet de loi vient heurter de front la liberté de l’enseignement. Il s’inscrit dans une logique d’emprise étatique sur la jeunesse pour « arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel » (V. Peillon, ministre de l’Education nationale, Journal du Dimanche, 1er septembre 2012) (Le même écrivait aussi : « l’école doit dépouiller l’enfant de toutes ses attaches pré-républicaines pour l’élever jusqu’à devenir citoyen », La Révolution française n’est pas terminée, Paris, Seuil, 2008, p. 18). Ainsi, depuis la loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019, pour une école de la confiance (N° Lexbase : L3416LRX), l’instruction obligatoire commence à 3 ans et non plus 6 ans (C. educ., art. L. 131-1 N° Lexbase : L6784LRP), et s’accompagne d’une obligation de formation jusqu’à la majorité en lieu et place des 16 ans révolus, (C. educ., art. L. 114-1 N° Lexbase : L6777LRG). Avec l’interdiction de l’instruction en famille, l’État s’occupe désormais des enfants de 3 à 18 ans, ce qui n’est pas une bonne nouvelle pour la liberté.

  • B. La liberté d’association
  • La liberté d’association est aussi malmenée par ce projet de loi confortant le respect des principes de la République. Comme le disent les auteurs d’une tribune, « un large pan de cette loi a pour objectif d’encadrer, contrôler et sanctionner davantage l’action associative » (Loi séparatisme, une grave atteinte aux libertes associatives, Libération, 21 janvier 2021). Cela passe en premier lieu par l’institution d’un « contrat d’engagement républicain » (art. 6) contenant le respect des « principes de liberté, d’égalité, de fraternité, de respect de la dignité de la personne humaine ». Le Sénat a retiré la précision d’égalité « entre les femmes et les hommes » et interdit la remise en cause du « caractère laïque de la République ».

     

    Ce contrat conditionne l’accès aux subventions publiques, ainsi que l’agrément accordé par l’État ou l’un de ses établissements publics, ou encore la reconnaissance d’utilité publique (art. 7). Ces « principes républicains » contraignent les associations et les fondations, et leur irrespect doit conduire, entre autres, à la restitution des fonds versés. Faudra-t-il engager une procédure de répétition auprès des Œuvres hospitalières françaises de l’Ordre de Malte, rattachées à l’Ordre souverain de Malte de structure chevaleresque et peu égalitaire ?

     

    Les associations sportives ne sont pas oubliées dans cette mise au pas générale, puisqu’elles devront désormais souscrire au « contrat d’engagement républicain ». La tutelle des fédérations sportives est remplacée par « le contrôle » de l’État, qui veille à ce que ces associations participent « à la promotion des principes de la République » (art. 25). L’agrément est désormais donné à temps, le temps de vérifier la conformité idéologique.

     

    En second lieu, l’article 8 du projet de loi modifie les critères de dissolution administrative des associations, dans un sens restrictif des libertés. D’abord, parce que les motifs de dissolution sont élargis (l’organisation de « manifestations armées dans la rue » perd sa condition de publicité (L’hypothèse d’une manifestation armée dans un lieu privé est certes rare, mais on peut imaginer que les membres d’un stand de tir décident d’organiser un défilé sur une propriété privée, ou que des amateurs de reconstitutions historiques revivent une bataille en armes (bien que neutralisées) en dehors de l’espace public), et se voit augmentée d’imprécis « agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens »), et parfois de manière ubuesque (sont désormais ciblées les associations qui « contribuent par leurs agissements » à une discrimination envers une personne ou un groupe de personnes à raison « de leur sexe, de leur orientation sexuelle » : devra-t-on dissoudre la Grande Loge de France ou la Grande Loge nationale française, réservées aux hommes ?). Le Sénat a ajouté l’interdiction de participer à une réunion fondée sur la couleur de la peau.

     

    Ensuite, parce que ces motifs sont étendus indument aux agissements de leurs membres, via l’insertion d’un article L. 212‑1‑1 dans le Code de la sécurité intérieure qui répute « imputables à une association ou à un groupement de fait les agissements […] commis par un ou plusieurs de leurs membres […] directement liés aux activités de l’association ou du groupement », dès lors que leurs dirigeants n’ont rien fait pour les éviter. De la sorte, de simples commentaires sur les réseaux sociaux émanant de personnes liées à l’association, voire même de simples followers, pourraient être reconnus comme éléments justifiant la dissolution d’une association s’ils n’ont pas été supprimés à temps par les dirigeants. Enfin, parce que les associations visées peuvent désormais faire l’objet d’une procédure d’urgence entraînant « la suspension de tout ou partie des activités », pour une durée maximale de trois mois, par simple décret du ministre de l’Intérieur. Quoi qu’il en soit du futur, le gouvernement montre qu’il n’a cure des libertés associatives en dissolvant le 3 mars 2021 le groupuscule Génération Identitaire sur le fondement de faits pourtant deux fois blanchis par la justice (occupation du chantier de la mosquée de Poitiers et action « anti-migrants » au Col de l’Échelle).

     

    C’est toutefois en matière d’associations cultuelles que la dérive liberticide est la plus importante. Le projet de loi entend établir un contrôle a priori des associations cultuelles, via un système de double déclaration, venant remplacer le mécanisme d’autorisation initialement prévu mais retoqué par le Conseil d’État. À l’heure actuelle, l’exercice d’un culte religieux peut relever d’une association régie par la loi du 1er juillet 1901 (N° Lexbase : L3076AIR), d’une association cultuelle prévue par la loi du 9 décembre 1905, concernant la séparation des Eglises et de l'Etat (N° Lexbase : L0978HDL), ou d’une association diocésaine validée par l’accord de 1924 entre la France et le Saint-Siège (Conformément à l’avis du Conseil d’État n° 185707 du 13 décembre 1923). Ce régime est celui de la simple déclaration, sans autorisation préalable de l’administration.

     

    Le projet de loi, par son article 27, prévoit une deuxième déclaration « au représentant de l’État dans le département, sans préjudice de la déclaration prévue à l’article 5 de la loi du 1er juillet 1901, relative au contrat d’association », lorsque l’association cultuelle souhaite « bénéficier des avantages propres à la catégorie des associations cultuelles ». Le préfet pouvant s’opposer à ce bénéfice, il en résulte une rupture d’égalité entre associations, avec des associations cultuelles déclarées une fois, sans bénéficier de ces avantages, et des associations cultuelles déclarées deux fois, pouvant y prétendre, et des associations cultuelles auxquelles le bénéfice est refusé, qui redeviennent de simples associations « loi 1901 ».

     

    En matière fiscale, le contrôle de l’État s’alourdit aussi. Dès qu’une association cultuelle perçoit des avantages consentis « par un État étranger, par une personne morale étrangère, par tout dispositif juridique de droit étranger comparable à une fiducie ou par une personne physique non-résidente en France », elle est soumise à une obligation de déclaration (art. 35). Le non-respect de celle-ci entraîne une amende ou une confiscation. L’administration dispose en sus du pouvoir discrétionnaire de séquestrer les sommes en cas de « menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société » découlant des « agissements de l’association bénéficiaire ou de l’un de ses dirigeants ou administrateurs ». De plus, toutes les associations (pas uniquement les cultuelles) délivrant des reçus fiscaux sont soumises à de nouvelles obligations, devant désormais déclarer à l’administration fiscale le montant global des dons et le nombre total de reçus délivrés (art. 11). Bref, tant du point de vue associatif en général, que du point de vue cultuel en particulier, les libertés reculent comme jamais.

  • C. La liberté d’expression
  • La liberté d’expression aussi est attaquée, soit par ce projet de loi « séparatisme », soit par les précédentes tentatives de la loi « Avia » n° 2020-766 du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet (N° Lexbase : L4895LXL), largement rejetées par le Conseil constitutionnel (v. not. E. Dreyer, La censure de la loi Avia par le Conseil constitutionnel, Légipresse, 2020. 412 ; N. Droin, Loi Avia : une censure attendue mais paradoxalement surprenante, AJ pénal, 2020. 407 ; F. Safi, La loi dite ‘Avia’ est morte… pourvu qu'elle le reste !, Droit pénal, 2020, n° 9, p. 12, étude 25). Le projet de loi confortant le respect des principes de la République instaure des procédures rapides de jugement pour les délits des articles 24 et 24 bis de la loi de 1881, sur la liberté de la presse (N° Lexbase : L7589AIW), c’est-à-dire l’introduction dérogatoire du mécanisme de la comparution immédiate, pourtant exclu depuis 140 ans au profit de la liberté d’expression (art. 20). Cette possibilité n’est pas ouverte si le régime de responsabilité « en cascade » est applicable, ce qui exclut les journaux et les journalistes, mais permet de faire taire le quidam qui oserait donner son avis déviant en commentaire sur un blog, un journal ou n’importe quel réseau social. De même, ce texte prévoit (contre l’avis du Conseil d’État) l’aggravation des « délits prévus aux cinq premiers alinéas de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 » quand ils sont commis « dans des lieux où s’exerce le culte ou aux abords de ces lieux » (sept ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende) (art. 39). Il en va de même pour les « cris et chants séditieux » (l’amende passe de 1 500 à 3 750 euros) sans que l’on voie très bien pourquoi il conviendrait de punir plus sévèrement un « vive l’anarchie ! » ou un « vive le roi ! » crié sur le parvis de Notre-Dame plutôt que sur le pont au Double.

     

    Autre atteinte à la liberté, l’introduction d’une peine complémentaire pour les auteurs des délits de presse avec l’interdiction de paraître dans les lieux de culte (art. 42). Si l’on pense intuitivement à un imam prêchant le djihad, on aurait tort de croire cette possibilité limitée à ce cas archétypal. Il n’est pas utopique d’imaginer un curé condamné pour un sermon portant sur le péché d’homosexualité (provocation à la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle) et chassé de sa paroisse par le juge… Enfin, l’article 44 permet la fermeture administrative des lieux de culte pour une durée de deux mois si « les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la haine » (La « provocation à la discrimination » était initialement prévue, mais le Conseil d’État s’y est opposé). Toujours cette ambition totalitaire de régenter les sentiments humains, même mauvais. La haine n’est qu’une passion qui ne saurait tomber sous le coup de la loi, seuls les actes ou les appels à la violence devant l’être (C’est d’ailleurs bien la raison pour laquelle le Conseil d’État a suggéré au Gouvernement de retirer du « contrat d’engagement républicain » la mention du « rejet de la haine », Avis du 3 décembre 2020, n°401549, préc., § 22). Haïr, par exemple, les banquiers ou les assureurs est assurément une faute morale et une appréciation indue, mais ne devrait pas être un cas pendable.

     

    Enfin, à mettre en lien avec la liberté d’expression, la liberté de la presse. En la qualifiant de liberté fondamentale, pour la première fois dans la jurisprudence administrative, le juge des référés du Conseil d’État l’a cependant piétinée en validant une interdiction préfectorale faite à deux journalistes de pénétrer dans les périmètres des opérations d’évacuation des campements illégaux de migrants sur le littoral de Dunkerque ou de Calais, au nom du bon déroulement de ces opérations (CE, référé, 3 février 2021, n° 448721 {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 64892106, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "CE r\u00e9f\u00e9r\u00e9, 03-02-2021, n\u00b0 448721", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A50634EA"}}). Cela corrobore la polémique lancée (à dessein ?) par le ministre Cédric O à travers son idée controversée de réclamer un « conseil de l’ordre des journalistes », faute de quoi « l’État s’en chargera » (Le Monde, 26 juin 2019). Devant l’émoi suscité, cette proposition a été retirée deux jours plus tard, mais le mal est fait d’imaginer une quelconque soumission des journalistes à la puissance de l’État.

  • D. La vie privée
  • La vie privée est véritablement malmenée, au profit d’une surveillance de masse digne des pires dystopies. D’abord, par un fichage généralisé organisé par les décrets n°s 2020-1510 (N° Lexbase : L8689LYH), 2020-1511 (N° Lexbase : L8687LYE) et 2020-1512 (N° Lexbase : L8691LYK) du 2 décembre 2020, autorisant l’extension de trois fichiers de police, les Enquêtes administratives liées à la sécurité publique, la Prévention des atteintes à la sécurité publique (PASP) et la Gestion de l’information et prévention des atteintes à la sécurité publique (GISAP), soit plus de 350 000 fiches au total. Il s’agit d’une double extension, portant à la fois sur les finalités et le nombre des données recueillies. Ces données, qui jusqu’à présent ne visaient que la seule préservation de la sécurité publique, servent désormais à prévenir toutes les atteintes à la sûreté de l’État, entendue très largement. Surtout, les données qui ne visaient que les personnes physiques peuvent maintenant cibler les personnes morales, et voient leur champ d’application étendu comme jamais. Avant ces décrets, les deux traitements de données à caractère personnel de la police et de la gendarmerie concernaient neuf types d’informations, aujourd’hui, elles en visent cinquante ! Les données collectées portent sur la « situation familiale », les « moyens de déplacement » et les « éléments patrimoniaux ». Elles incluent les « activités sur les réseaux sociaux », dont les « identifiants utilisés (pseudonymes, sites ou réseaux concernés, autres identifiants techniques) ». Elles visent les « comportement[s] et habitudes de vie », dont les « déplacements » ou les « pratique et comportement religieux », les « pratiques sportives » ou encore des données de santé comme les « addictions » ou les « données relatives aux troubles psychologiques ou psychiatriques ». Enfin, et c’est peut-être le plus grave, elles organisent un fichage « des opinions politiques, des convictions philosophiques, religieuses » ou encore de l’« appartenance syndicale ».

     

    Si le texte actuel précise que le traitement « ne comporte pas de dispositif de reconnaissance faciale », ce n’est qu’une garantie légère face à la possibilité de ficher les « photographies » et « documents d’identité » et de croiser les données avec le « traitement d’antécédents judiciaires » qui permet justement l’utilisation de cette technologie (Décret n° 2012-652 du 4 mai 2012, relatif au traitement d’antécédents judiciaires N° Lexbase : L0205ITR. D’après un rapport parlementaire d’information sur les fichiers mis à la disposition des forces de sécurité de 2018 (n°1335), plus de 18 millions de personnes, dont 8 millions avec photos, sont recensées dans le TAJ. Récemment, le Conseil d’État a validé le système de reconnaissance faciale Alicem, solution d’identité numérique régalienne : CE, 4 novembre 2020, n° 432656 N° Lexbase : A516433N).

     

    En sus, il faut compter avec le récent décret n° 2021-148 du 11 février 2021, portant modalités de mise en œuvre par la direction générale des finances publiques et la direction générale des douanes et droits indirects de traitements informatisés et automatisés permettant la collecte et l’exploitation de données rendues publiques sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne (N° Lexbase : L1395L33), décret pris en application de l’article 154 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019, de finances pour 2020 (N° Lexbase : Z839238Z). En clair, le fisc et les douanes peuvent « exploiter, au moyen de traitements informatisés et automatisés […], les contenus librement accessibles et manifestement rendus publics » sur internet, dans le but de repérer d’éventuels fraudeurs (art. 2). Afin d’y parvenir, les ministères vont s’outiller d’algorithmes permettant de collecter « des écrits, des images, des photographies, des sons, des signaux ou des vidéos » mais aussi d’« identifier des indicateurs qui ne sont pas des données à caractère personnel, tels que des mots-clés, des ratios ou encore des indications de dates et de lieux, caractérisant les manquements et infractions recherchés » (art. 4). La CNIL n’y a pas trouvé grand-chose à redire, sinon qu’elle souhaite qu’une évaluation soit faite et transmise au parlement au plus tard 18 mois avant le terme de cette expérimentation d’une durée de 3 ans, assortie d’un bilan définitif six mois avant son terme (Délibération n° 2020-124 du 10 décembre 2020 N° Lexbase : X7922CMD (demandes d’avis n° 2218895 et n° 2218896).

     

    Enfin, pour couronner cette surveillance de masse, il faut ajouter que l’art. L. 863-2 du Code de la sécurité intérieure (N° Lexbase : L4486K9Z) permet aux différents services spécialisés de renseignement d’accéder à ces données et de « partager toutes les informations utiles à l’accomplissement de leurs missions », dont la surveillance politique des groupes militants, laquelle est passée de 6 à 14 % du total des surveillances autorisées de 2017 à 2019 (Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, 4e Rapport d’activité, 2019, p. 55).

     

    Un autre aspect de la surveillance de la population est l’utilisation accrue des techniques de contrôle prévue dans la proposition de loi relative à la sécurité globale. Le concept même de « sécurité globale », défendu en France par Alain Bauer et la revue Sécurité globale, est contesté par plusieurs, en tant que « voie toujours plus répressive » optant pour « des moyens accrus de surveillance, sans concertation avec la société civile et sans aucun égard pour le respect des droits fondamentaux » (CNCDH, communiqué de presse, 13 novembre 2020). Dans son avis du 26 novembre, la CNCDH alerte même sur cette « ‘nouvelle donne’ sécuritaire, sans consultation préalable, alors même que le texte porte atteinte à de nombreux droits fondamentaux ». La proposition de loi, validée sans coup férir par la CNIL (Délibération n° 2021-011 du 26 janvier 2021, portant avis sur une proposition de loi relative à la sécurité globale N° Lexbase : X7853CMS), en est au stade d’une petite loi. La vie privée est la grande victime de ce texte, notamment par l’intensification inouïe d’une vidéosurveillance mouvante : caméras individuelles, caméras embarquées, caméras aéroportées. L’article 22, relatif aux caméras portées par des drones, à l’usage de la police (même municipale, « aux fins d’assurer l’exécution des arrêtés de police du maire et de constater les contraventions à ces arrêtés ») et de la gendarmerie, est révélateur de cette volonté panoptique de contrôle par les images. La limite posée d’une interdiction de filmer l’intérieur des immeubles est impraticable (« il n’est matériellement pas possible d’interdire de visualiser les espaces privés », selon le rapporteur Alice Thourot, le 20 novembre 2020) et la préalable information du public est illusoire et irréaliste pour l’usage de drones invisibles et inaudibles, à moins d’informer les citadins qu’ils risquent d’être espionnés depuis le ciel. L’article 28 bis introduit quant à lui « la captation, la transmission et l’enregistrement d’images prises sur la voie publique et dans des lieux ouverts au public, au moyen de caméras frontales embarquées sur les matériels roulants » exploités par les opérateurs de transport public ferroviaire, ce qui augmente encore les possibilités d’être filmé à son insu.

     

    Ce texte ne tient aucun compte de la directive « Police-Justice », et du caractère de « nécessité absolue » (art. 10) que doit revêtir un tel traitement de données à caractère personnel (art. 88 de la loi Informatique et libertés), pas plus que de la jurisprudence du Conseil d’État, estimant que « le ministre n’apporte pas d’élément de nature à établir que l’objectif de garantie de la sécurité publique lors de rassemblements de personnes sur la voie publique ne pourrait être atteint pleinement dans les circonstances actuelles, en l’absence de recours à des drones » (CE, référé, 22 décembre 2020, n° 446155 N° Lexbase : A97924AW). Il est d’ailleurs aussi contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel soumettant l’installation d’une vidéosurveillance à un avis préalable (Cons. constit., décision n° 94-352 DC du 18 janvier 1995 N° Lexbase : A8320AC7, §§ 6 et 12) et à celle de la CJUE exigeant « un contrôle effectif soit par une juridiction, soit par une entité administrative indépendante, dont la décision est dotée d’un effet contraignant, visant à vérifier l’existence d’une situation justifiant ladite mesure [de vidéosurveillance] ainsi que le respect des conditions et des garanties devant être prévues » (CJUE, 6 octobre 2020, C-511/18, La Quadrature du net N° Lexbase : A78303WW, §§139, 168, 179, 189 et 192).

     

    De plus, les articles 20, 20 bis A et 20 ter ouvrent le visionnage des images de vidéosurveillance aux agents des communes, de la SNCF et de la RATP (et plus seulement aux policiers nationaux ou aux gendarmes), et l’art. 20 bis AA permet de filmer les « chambres d’isolement des centres de rétention administrative et des cellules de garde à vue ». Le seul garde-fou présent dans cette proposition est l’interdiction explicite de la reconnaissance faciale, mais à ce détail près, la France imite drôlement la Chine en matière de surveillance globale…

     

    Cette tendance lourde d’une surveillance de masse vient de recevoir du Conseil d’État un blanc-seing pour le moins déroutant. En donnant à la notion de « sécurité nationale » une définition très large (terrorisme, espionnage industriel, « activité de groupes radicaux et extrémistes »), il valide « la conservation généralisée et indifférenciée des données de trafic et de localisation autres que les adresses IP », et leur transmission aux divers services de police et autorités administratives indépendantes (CE, 21 avril 2021, n° 393099 N° Lexbase : A01664Q9). Il participe ainsi du mouvement d’intégration au droit commun des dispositions liberticides propres aux états d’urgence.

  • Que conclure devant une telle série de manquements et d’empiètements ? Faut-il accepter comme parole d’Évangile qu’« on s’était habitué à être une société d’individus libres » (E. Macron, 14 octobre 2020), mais que cela relève du passé ? Faut-il se taire en espérant des jours meilleurs ? Il semble que cet enchevêtrement soit particulièrement voulu, et que la crise sanitaire n’ait été qu’un prétexte à cet illibéralisme ouvertement affiché. C’est d’ailleurs ce qu’affirme le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres : « Brandissant la pandémie comme prétexte, les autorités de certains pays ont pris des mesures de sécurité sévères et des mesures d’urgence pour réprimer les voix dissonantes, abolir les libertés les plus fondamentales, faire taire les médias indépendants et entraver le travail des organisations non gouvernementales » (Discours annuel devant le Conseil des droits de l’Homme, 22 février 2021). Michelle Bachelet, Haute Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, dénonçait « les restrictions illégitimes des libertés publiques [et] l’utilisation excessive des pouvoirs d’urgence ».

     

    À ces piétinements, il faut ajouter un détournement de plus en plus massif du travail législatif ordinaire par de multiples biais : l’origine des textes de loi (les trois quarts sont des projets), l’usage abusif de la procédure accélérée, la multiplication des ordonnances, l’absence de réponses ministérielles aux questions écrites posées par les parlementaires (moins de 30 %) ou encore l’introduction d’amendements gouvernementaux après la première lecture à l’Assemblée nationale pour éviter une étude d’impact, la validation par le Conseil d’État et l’examen par une commission (l’exemple le plus récent étant l’introduction ratée du vote par anticipation sur machine électronique pour l’élection présidentielle de 2022). L’on pourrait aussi ajouter le recours banalisé au Conseil de défense, la dénaturation des campagnes électorales (sans meetings mais avec numéro vert… cf. Report des élections régionales : le conseil scientifique renvoie la balle à l’exécutif, Le Figaro, 30 mars 2021) ou le mépris pour les débats publics, le rapport des États généraux de la bioéthique, présentés comme « beau moment de démocratie sanitaire » (J.-Fr. Delfraissy), n’ayant pas été pris en compte pour élaborer le projet de loi bioéthique encore en discussion. D’autres « techniques » gouvernementales néo-libérales heurtent la stabilité de la norme, comme l’accroissement des décisions verbales ou le pouvoir de dérogation des préfets (Th. Perroud, Une nouvelle illustration de la légalité néolibérale : le pouvoir de dérogation des préfets, Recueil Dalloz, 2020, p. 2356). Ainsi que l’indique la CNCDH, « en concentrant toujours plus les pouvoirs entre les mains de l’Exécutif, la France fait figure d’exception », ce qui, couplé à la « banalisation de l’exception » par l’introduction dans le droit commun des mesures d’urgence, rend le pouvoir décidément illibéral (Commission nationale consultative des droits de l’homme, avis du 26 novembre 2020).

     

    Alors que sont fermés la plupart des lieux de réunion par affinités (sport, musique, cinéma, amitié - bars, restaurants, boîte de nuit), ne restent que les lieux de travail et les transports en communs, sans possibilité de se réunir le soir après une journée de labeur. Nous assistons à une désocialisation qui transforme les citoyens en « monades urbaines ». Comme l’indique si clairement Stanislas Guérini, délégué général de La République En Marche, les gouvernants cherchent « à s’attaquer à un virus qui est un virus social » (BMF TV, 14 janvier 2021). Cette stratégie explicative de « l’effet apéro », qui ne s’appuie sur aucun fait scientifique, est généralisable à loisir. Elle aboutit à limiter toutes les libertés, et à présenter la liberté non plus comme un état habituel et normal, mais comme une faveur dont le Prince nous gratifie : liberté mesurée, liberté chronométrée, liberté concédée. Comme le dit à juste titre Mireille Delmas-Marty, « le coronavirus accélère le recul de l’État de droit. Et ce au nom d’une urgence sanitaire qui se prolonge au point qu’on se demande s’il ne s’agit pas cette fois d’une mutation durable du régime politique » (M. Delmas-Marty, Le rêve de perfection transforme nos États de droit en États policiers, Le Monde, 1er mars 2021, p. 4).