ETUDE : La responsabilité civile pour faute des établissements de santé publics

ETUDE : La responsabilité civile pour faute des établissements de santé publics

E43503RK

avec cacheDernière modification le 11-10-2022

Plan de l'étude

  1. Synthèse
  2. La faute médicale
    1. Préambule
    2. La faute technique
    3. La faute thérapeutique et diagnostique
      1. Préambule
      2. L’erreur de diagnostic
      3. L’exigence d’une faute caractérisée dans le diagnostic prénatal
      4. L’erreur de diagnostic non fautive
      5. Le cas particulier des médecins régulateurs du SAMU
      6. L’erreur de diagnostic et la perte de chance
    4. La faute médicale de suivi
  3. Le défaut d’organisation et de fonctionnement du service
    1. Préambule
    2. Défaillances administratives
      1. Préambule
      2. Erreurs et retards administratifs
      3. Tenue et conservation du dossier médical
    3. Défaillances matérielles
      1. Préambule
      2. Défaut de matériel
      3. Défaut d’entretien des locaux
    4. Coordination au sein du service et entre les services
    5. Absences, sous-effectifs, compétences et glissements de tâches
      1. Préambule
      2. Absence de personnel et sous-effectif
      3. Problèmes de compétences et de glissements de tâches
    6. Défaillances humaines
      1. Faute dans l’acte de soins courants
      2. L’oubli de dispositif médical
      3. Défaut de surveillance médicale
      4. Défaut de surveillance dans la « vie hospitalière »
    7. La faute établie à l’origine d’une infection nosocomiale
    8. Responsabilité du fait des SAMU et SMUR
  4. Le défaut d’information et de consentement et les autres manquements déontologiques
    1. Préambule
    2. Le devoir d’information
      1. Préambule
      2. Information sur les risques encourus
      3. Le défaut d’information non fautif et la perte de chance nulle
      4. La preuve de l’information
    3. Le respect du consentement
      1. Le recueil du consentement
      2. Le refus de soins
      3. Le choix ou le refus d’un praticien
    4. Violation du secret médical
    5. Le comportement du personnel médical et hospitalier
    6. L’obstination déraisonnable

1. Synthèse

E43513RL

2. La faute médicale

E43523RM

2-1. Préambule

  • La faute médicale est généralement un manquement aux « règles de l’art » ou plus précisément aux « données acquises de la science » (CSP, art. R. 4127-32 N° Lexbase : L8270GTH) dans un acte médical proprement dit, dans un choix thérapeutique ou dans un diagnostic.

    Il faut préciser que les professionnels de santé étant tenus à une obligation de moyens et non de résultat, l’échec d’un soin ou d’une intervention n’est pas en soi constitutif d’un manquement :

    CE 5° et 3° s-s-r., 29 décembre 1997, n° 158938, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5567ASY) : « Considérant que [...] l’échec de l’opération, qui n'est pas contesté, n'est pas en lui-même de nature à établir que M. K. a été victime d’une faute ; que, par suite, la cour a pu légalement répondre à ce moyen que l’absence de succès de l’intervention chirurgicale était sans incidence sur l’existence alléguée d’une prétendue faute médicale ».

    Au soutien de cette obligation de moyen, il n’est pas inutile de rappeler l’obligation déontologique et réglementaire de formation continue à laquelle les médecins sont tenus :

    CSP, art. R. 4127-11 (N° Lexbase : L1216IT9) : « Tout médecin doit entretenir et perfectionner ses connaissances ; il doit prendre toutes dispositions nécessaires pour participer à des actions de formation continue. Tout médecin participe à l'évaluation des pratiques professionnelles. »

2-2. La faute technique

  • Le juge apprécie le contexte du geste malheureux au moyen des éléments révélés par l’expertise. Généralement, la maladresse est fautive. Il en va ainsi de :

     

    • la pose d’un cathéter ponctionnant l’artère carotide causant des lésions neurologiques (CE 5° s-s., 19 décembre 2008, n° 299820, Corvino, inédit N° Lexbase : A9595EBY) ;
    • la perforation de la vessie lors d’une hystérectomie (CE 5° et 3° s-s-r., 27 juin 1997, n° 138003, Guyot, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0090AE3) ; 
    • la mauvaise application de forceps (CE 4° et 5° s-s-r., 5 mars 2008, n° 287136, CPAM des Côtes-d’Armor, Centre hospitalier de Dinan, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3447D7S).

    Certaines maladresses - qui sont au demeurant de moins en moins désignées sous ce vocable dans les décisions plus récentes - et gestes malheureux relèvent enfin de l’erreur la plus grossière, heureusement peu fréquente, mais facilement reconnue. Comme l’erreur de côté consistant à ne pas intervenir sur la partie véritablement malade :

    CE 5° et 7° s-s-r., 5 juin 2002, n° 228990, Chouag, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3702B7A) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'erreur médicale commise par les Hospices civils de Lyon en plâtrant la jambe droite de l'enfant de M. et Mme C., alors âgée d'un an et demi, alors que le tibia gauche était fracturé, a constitué une faute médicale engageant la responsabilité du service public hospitalier ».

2-3. La faute thérapeutique et diagnostique

2-3-1. Préambule

  • Il s’agit d’un manquement déontologique constitutif d’une faute au sens des dispositions de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1910IEH).

    CSP, art. R. 4127-8 (N° Lexbase : L1217ITA) : « Dans les limites fixées par la loi, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu'il estime les plus appropriées en la circonstance.

    Il doit, sans négliger son devoir d'assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l'efficacité des soins.

    Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles. »

    Constituent de mauvais choix thérapeutiques engageant la responsabilité de l’établissement :

    • le choix d’un accouchement par voie basse alors que tout indique une césarienne :

    CE 4° et 5° s-s-r., 25 juillet 2007, n° 289054, Centre hospitalier du Puy-en-Velay, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4800DX3) : « Considérant, en premier lieu, qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment du rapport de l’expertise diligentée par le tribunal administratif, que le choix thérapeutique d’un accouchement par voie basse alors que l’enfant se présentait par le siège n’aurait pas dû être envisagé, eu égard au fait que la pelvimétrie réalisée à l’hôpital avait montré que le bassin de Mme G. était rétréci au détroit supérieur ; que, par suite, les juges du fond ont pu estimer, sans dénaturer les faits ni commettre d’erreur de qualification juridique, qu’en procédant, malgré les indications disponibles, à un accouchement par voie naturelle plutôt que par césarienne, l’établissement public a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ».

    • le choix de pratiquer une intervention risquée lorsqu’une alternative existe :

    CE 4° et 5° s-s-r., 15 octobre 2004, n° 253002, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5888DDG) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise [...] qu'il existait au moins une alternative moins risquée à l'avortement thérapeutique provoqué dans la journée qui a suivi la rupture de membranes subie par Mme L., et qui aurait consisté à attendre que l'infection dont elle était atteinte soit jugulée pour provoquer cet avortement ».

    • la mise en place d’un traitement excessif :

    CE 5° et 3° s-s-r., 14 décembre 1981, n° 17895, Centre hospitalier de Pontoise c. Matin, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5963AK3) : « Considérant que la nouveau-née M. M. a été admise le 15 février 1953, âgée de six semaines, a l'hôpital de Pontoise ; qu'un angiome laryngé ayant été diagnostiqué, il a été traité par radiothérapie au cours de plusieurs séances d'irradiation [...] ; que la quantité de rayons administrée à l'enfant a excédé nettement les normes couramment admises a l'époque ; qu'une telle erreur, compte tenu des risques connus de cette méthode, a été constitutive, dans les circonstances de l'espèce, d'une faute lourde qui engage la responsabilité de l'hôpital ; qu'ainsi, le Centre hospitalier de Pontoise, appelant principal, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges l'ont déclaré responsable des troubles subis par Mlle M. ».

    • la mise en place d’un traitement inadapté ou insuffisant :

    CE 4° et 5° s-s-r., 21 mars 2008, n° 266154, Centre hospitalier universitaire de Bordeaux, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5003D7G) : « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond et notamment des rapports d’expertise que le traitement inadapté de l’infection pulmonaire dont était atteint M. S. n’a entraîné pour l’intéressé qu’une perte de chance d’échapper à l’aggravation fatale de son état ».

    En cassation de CAA de Bordeaux, 3 février 2004, n° 00BX00048, Saintes (N° Lexbase : A2439DBX) : « Considérant que la sous-évaluation de ce facteur infectieux sur un sujet à risque et l’absence d’adaptation de la stratégie d’antibiothérapie probabiliste ont favorisé les complications pulmonaires ; que ces erreurs constituent une faute médicale de nature à engager la responsabilité de l’hôpital ».

    • Le fait de ne pas faire un choix thérapeutique qui s’impose :

    CE 4° et 5° s-s-r., 10 avril 2009, n° 301443, Hospices civils de Lyon, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0054EG4) : « Considérant [...] que le traitement d’induction dont a bénéficié Mlle G. pour lutter contre sa leucémie aiguë lymphoblastique avait eu pour effet de diminuer l’efficacité de son système immunitaire déjà affaibli par la maladie et que, eu égard à ces effets, qui se manifestent habituellement dès le septième jour du traitement, le fait de n’avoir placé l’enfant en chambre stérile isolée qu’au onzième jour de son hospitalisation, à la suite de l’apparition des premiers signes d’infection, constitue une faute dans l’organisation du service. »

    • La mise en place d’un protocole lourd et l’absence de remise en cause du traitement :

    CE 4° et 5° s-s-r., 8 août 2008, n° 272033, Assistance publique à Marseille, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0670EA3) : « Considérant, en second lieu, que c’est par une appréciation souveraine exempte de dénaturation que la cour administrative d’appel a relevé, se fondant notamment sur l’expertise ordonnée par les premiers juges, que le traitement, dont le potentiel agressif était connu, a été mis en œuvre sans tenir compte des discordances qui existaient entre le diagnostic de tumeur maligne obtenu par interprétation d’une biopsie et d’autres éléments, tel que l’examen clinique, et que le diagnostic de tumeur maligne n’a pas été reconsidéré avant que ne commence la radiothérapie, malgré l’amélioration de l’état de l’enfant ; qu’elle a pu en déduire, par une exacte qualification des faits, qu’en admettant même que l’erreur initiale de diagnostic soit excusable en l’état des connaissances médicales de l’époque, la persistance dans le choix thérapeutique initial constituait une faute de nature à engager la responsabilité de l’Assistance publique à Marseille ».

    Bien sûr et par définition, lorsqu’il n’y a pas d’alternative au traitement, le « choix » thérapeutique opéré n’en est pas un, et la décision d’y recourir ne peut être en soi fautive. De la même façon et en vertu du principe de l’indépendance professionnelle du praticien, le fait de choisir le traitement qui paraît le plus approprié, fût-il plus risqué, n’est pas nécessairement constitutif d’une faute (CAA Douai, 10 avril 2007, n° 06DA01021, CHRU de Lille N° Lexbase : A2998DWX). Le cas échéant, il sera alors fait application du régime de l’accident médical (cf Étude : Le champ d’application de la réparation par la solidarité nationale, C. Lantero, Lexbase N° Lexbase : E92713RS).

E43563RR

2-3-2. L’erreur de diagnostic

  • CSP, art. R. 4127-33 (N° Lexbase : L8271GTI) : « Le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s'aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s'il y a lieu, de concours appropriés. »

    Il s’agit donc d’une obligation de moyens. Elle est méconnue en cas d’absence de diagnostic, de diagnostic erroné, de diagnostic insuffisant ou de retard de diagnostic, lesquels sont en réalité souvent corrélés.

  • 1) L’absence de diagnostic
  • Il y a absence fautive de diagnostic lorsqu’une plaie est suturée sans que soient extraits les fragments de verre présents et que par la suite, ces fragments ne soient pas repérés malgré les moyens mis en œuvre et à disposition :

    CE 2° et 6° s-s-r., 22 novembre 1967, n° 68660, Ciabrini, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1774AQR) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'à la suite d'un accident de la circulation qui lui a causé plusieurs blessures, une fracture du nez et un traumatisme crânien, le sieur C. a subi à l'hôpital Tenon dépendant de l'Administration générale de l'assistance publique à Paris, une intervention chirurgicale au cours de laquelle une plaie profonde de la lèvre supérieure a été suturée sans que des fragments de verre qui s'y étaient logés aient été décelés et extraits ; que la radiographie faite le lendemain a montré au niveau du maxillaire supérieur une image opaque qui a été interprétée comme représentant "des fragments évoquant plutôt une prothèse dentaire" ; que, pendant la période de huit jours qui a suivi l'intervention, le requérant a été examiné au moins deux fois par un spécialiste du service d'oto-rhino-laryngologie, sans que celui-ci constate, ainsi qu'il était à même de le faire, au besoin après avoir interrogé le patient qui était alors en état de lui répondre, l'inexistence de l'appareil de prothèse dentaire supposé et sans que soit détectée la présence des corps étrangers, dont le plus gros avait environ un centimètre cube ; que ces corps étrangers ont été découverts, puis extraits, par des praticiens consultés par l'intéressé, après que celui-ci eut quitté l'hôpital ; qu'il ressort de l'ensemble des faits ci-dessus relatés que le personnel médical de l'hôpital Tenon auquel, postérieurement à la radiographie pratiquée, incombait la prescription des soins qu'exigeait l'état du patient, a commis une faute lourde qui engage envers ce dernier la responsabilité de l'administration générale de l'assistance publique à Paris ».

    Ou lorsqu’une plaie est suturée sans vérification de la présence éventuelle d’une infection et que la gangrène naissante n’est pas non plus diagnostiquée :

    CE 5° et 3° s-s-r., 4 août 1982, Hôpital civil Thann, n° 27727, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1351ALM) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction que le décès de M. V., [...] a été causé par un phlegmon gangreneux du cou, complication infectieuse de la blessure par coup de couteau qu'il avait reçue le 22 mai 1972 et pour laquelle il avait été hospitalisé ; que les experts successifs ont relevé que lors de l'admission de M. V. à l'hôpital, l'interne de garde avait procédé à la suturation immédiate de la plaie alors pourtant que la propreté du couteau n'était pas certaine ; que le traitement anti-infectieux préventif qui a été prescrit était de toute façon insuffisant pour empêcher le développement d'une infection gangreneuse ; que par la suite l'attention du personnel médical aurait dû être attirée par les signes caractéristiques de gangrène que présentait le malade ainsi que par la présence d'images gazeuses sur les clichés radiographiques ; que cet ensemble d'erreurs a compromis les chances de survie du malade et constitue une faute lourde qui engage la responsabilité de l'établissement ». 

    Le diagnostic est également absent lorsqu’un examen nécessaire à sa réalisation n’est jamais fait :

    CE 5° et 3° s-s., 10 novembre 1976, n°s 97760 et 97787, CPAM de Montbéliard, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7546B7M) : « Considérant que l'absence au cours des trois mois d'hospitalisation qui ont suivi la radicutomyelographie de tout examen radiographique, et, par voie de conséquence, l'absence de soins appropriés de la fracture du malade alors qu'il était connu à l'époque que le contrix 28 provoquait de violentes contractures, et que les douleurs résistaient aux thérapeutiques traditionnelles, a compromis les chances qu'avait le sieur Rivalland d'éviter la mise en place d'une prothèse totale de la hanche ; qu'elle est constitutive d'une faute lourde de nature à engager la responsabilité du Centre hospitalier régional de Besançon ».

    Le diagnostic est nécessairement absent lorsque n’est pas diagnostiquée une pathologie, en raison de l’absence d’investigations nécessaires, telle une exploration artérielle susceptible de révéler une ischémie :

    CE 5° s-s., 3 avril 2009, n° 301663, Centre hospitalier d’Avallon, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4970EES) : « Considérant qu’il ressort des termes de l’arrêt attaqué que la cour administrative d’appel a jugé que le retard de diagnostic et de soins présentait un caractère fautif par des motifs non contestés devant le juge de cassation tirés de ce que, lors de l’admission de M. W. le 20 mai 1994, le Centre hospitalier d’Avallon, d’une part, n’a pas effectué une exploration artérielle et correctement diagnostiqué la survenue d’une ischémie aiguë, ce qui aurait permis de mettre immédiatement en œuvre une restauration artérielle et, d’autre part, a commis une négligence grave dans la surveillance post-opératoire de l’intéressé, celui-ci ayant été finalement transporté dans un autre centre où a été réalisé un pontage qui n’a pas empêché l’amputation du tiers de la jambe gauche ; que la cour administrative d’appel a ensuite jugé, sans dénaturer les pièces du dossier et les rapports d’expertise, que s’il n’était pas certain qu’un pontage effectué plus tôt aurait permis d’effectuer avec succès la restauration artérielle, le retard imputable au Centre hospitalier avait fait perdre à M. W. une chance d’éviter l’amputation ou à défaut d’en limiter l’importance ».

    Sur l’absence de diagnostic, un arrêt de 2010 a mis en cause une pluralité d’absence de diagnostic. Par deux fois, à plusieurs années d’intervalle et par deux établissements différents, la condition de la victime n’a pas été investiguée, pas diagnostiquée, pas traitée:

    CE 4° et 5° s-s., 2 juillet 2010, n° 323890, M., publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6040E34) : « Considérant que, par l’arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Bordeaux a jugé que M. M. ne pouvait pas rechercher la responsabilité de l’université de Bordeaux II du fait des conséquences dommageables de l’erreur de diagnostic commise le 30 mars 1995 par son service de médecine préventive, au motif que, si la tuberculose avait été diagnostiquée lors de l’examen pratiqué le 25 septembre 1998 au Centre hospitalier universitaire de Bordeaux et si un traitement approprié avait été mis en œuvre, les chances de guérison et les conséquences de l’affection auraient été identiques ; qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que l’erreur de diagnostic commise par le service de médecine préventive de l’université, qui avait alors privé l’intéressé de la possibilité d’être informé de la maladie dont il était porteur et de la traiter, portait normalement en elle le dommage au moment où elle s’est produite, la cour administrative d’appel de Bordeaux a commis une erreur de droit ; que ce moyen, né de l’arrêt attaqué, est, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, de nature à entraîner l’annulation de cet arrêt ».

  • 2) Le diagnostic erroné
  • S’agissant de l’erreur de diagnostic stricto sensu, elle est très proche d’un diagnostic insuffisant, ou du moins, d’une recherche insuffisante de diagnostic, voire d’une absence d’examen sérieux. C’est le cas :

    • d’une interprétation particulièrement erronée des éléments donnés :

    CE 2° s-s., 15 mars 1974, Centre psychiatrique Sainte-Anne, n° 89320, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0572AQA) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport des experts commis par l'autorité judiciaire, que le sieur B. a, le 5 mars 1966, vers 13 heures, présenté son épouse à l'interne de garde de l'hôpital Henri Rousselle, rapportant à ce praticien que cette jeune femme avait absorbé une heure auparavant une quantité importante d'un médicament toxique ; que l'interne, après avoir interprété de façon erronée les renseignements qui lui étaient donnés, a commis une importante erreur dans l'évaluation de la quantité de médicaments absorbés ; qu'il s'est fondé sur l'absence de tout symptôme anormal pour renvoyer sa patiente en lui prescrivant de boire de l'eau minérale [...] ; que l'inaction du praticien, qui a entraîné le décès de la dame B. en raison du retard ainsi apporté à l'administration des soins appropriés, a été constitutive d'une faute lourde ».

    • d’une confusion entre un traumatisme crânien et un état d’ébriété :

    CE Contentieux, 9 juillet 1969, n° 63783, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6595B7E) : « Considérant qu'il résulte du rapport de l'expert que le retard apporté à l'hospitalisation du sieur G. a joué un rôle défavorable sur l'état pathologique complexe présenté par ce dernier et a été de nature à compromettre les chances qu'il pouvait y avoir pour le patient de se rétablir ; que ce retard étant, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, une conséquence directe de l'erreur de diagnostic commise par l'interne, le décès du sieur G. doit être regardé comme ayant un lien de cause à effet direct et certain avec la faute lourde relevée à la charge dudit interne ».

    • d’une confusion entre une crise de paludisme et une septicémie à l’origine d’une amputation :

    CE 5° et 3° s-s-r., 29 octobre 1980, n° 05535, Marty, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0085B9Z) : « Considérant que l'erreur de diagnostic, liée a l'insuffisance des examens pratiqués, commise à l'hôpital de pont de Beauvoisin, constitue une faute lourde d'ordre médical qui a compromis les chances de M. M. d'éviter l'amputation d'une jambe ; que cette faute engage la responsabilité de l'hôpital de pont de Beauvoisin ».

    • d’une confusion entre un état dépressif avec hallucinations visuelles et une grosse tumeur cérébrale :

    CE 5° et 3° s-s-r., 2 décembre 1977 (N° Lexbase : A1926B7H) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par les premiers juges que les médecins de l'hôpital psychiatrique de Saint-Ylie ont omis, devant les symptômes que présentait la dame Rossier, de rechercher par les méthodes scientifiques les plus appropriées ainsi qu'en fait obligation l'article 29 du Code de déontologie, si ces symptômes ne pouvaient être les signes d'un méningiome frontal et ont ainsi commis une erreur de diagnostic qui constitue une faute lourde de nature à engager la responsabilité vis-à-vis de la victime ».

    • d’un défaut d’interprétation de symptômes (à propos d’une paralysie naissante, relevée par le médecin de garde sans en tirer les conclusions qui s’imposaient), doublé en l’espèce d’une faute de service :

    CE 5° et 7° s-s-r., 19 mars 2003, n° 195007, CHRU de Caen, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5579A7R) : « Considérant qu'en jugeant que la responsabilité du service hospitalier était engagée à raison d'un retard de diagnostic né, d'une part, de l'erreur du médecin de garde qui n'a pas interprété correctement les symptômes du patient et d'autre part, de l'incapacité du service des urgences à retrouver les radiographies effectuées le matin même à l'occasion de la première hospitalisation et du défaut caractérisé de surveillance médicale pendant la nuit du 15 au 16 octobre, la cour n'a pas inexactement qualifié les faits ni commis d'erreur de droit en caractérisant les faits de l'espèce à la fois comme établissant une faute médicale et révélant des fautes dans l'organisation du service ».

    • d’une confusion entre des troubles du comportement et une surdité totale que le juge a qualifiée d’erreur « grave » de diagnostic :

    CE Contentieux, 17 janvier 1986, n° 46744, Centre hospitalier régional de Toulouse-Rangueil, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4588B73) : « Considérant que le jeune Christian C. alors âgé de 4 ans et 9 mois, a été examiné le 15 janvier 1973 par un médecin du service d'oto-rhino-laryngologie du Centre hospitalier régional de Toulouse : que ce médecin, tout en observant que l'enfant avait un retard massif de langage et une compréhension nulle n'a pas décelé la surdité quasi totale dont il était atteint et s'est borné à recommander aux parents de le placer dans un centre d'éducation pour enfants atteints de troubles du comportement [...] ; que l'erreur grave de diagnostic commise par le médecin du service spécialisé du Centre hospitalier régional de Toulouse est constitutive d'une faute lourde de nature à engager la responsabilité de ce Centre hospitalier ».

    • d’une confusion entre une inflammation et un cancer :

    CE 5° et 6° ch.-r.,  20 décembre 2018, n° 417457, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8415YR4) : « Considérant que la cour a souverainement retenu, en se référant aux conclusions de l'expert judiciaire, que la réaction inflammatoire qui a nécessité l'arrêt, dès le 26 janvier 2011, du traitement par radiothérapie administré à Mme B., attribuée à tort par les praticiens à une lymphangite, était en fait consécutive à un cancer inflammatoire secondaire, qui rendait impossible la mise en oeuvre d'une radiothérapie selon les modalités prescrites et justifiait, eu égard au risque sensiblement plus important de récidive, un traitement par chimiothérapie suivi d'une mammectomie ; qu'en estimant que cette erreur de diagnostic présentait, dans les circonstances de l'espèce, un caractère fautif, la cour, dont l'arrêt est suffisamment motivé sur ce point, n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce. »

    Tous ces éléments (absence, confusions et erreurs de diagnostic) révèlent pour la plupart des investigations insuffisantes, lesquelles conduisent le plus souvent à un diagnostic, non pas complètement faux, mais incomplet.

  • 3) Le diagnostic insuffisant
  • Dans une affaire emblématique de dépistage prénatal de la trisomie 21 antérieure au dispositif dit « anti-Perruche », le Centre hospitalier n’avait pas conduit la totalité des investigations nécessaires pour pouvoir affirmer que le risque était écarté. On relèvera que les circonstances de l’espèce répondraient sans doute aujourd’hui à l’exigence légale d’une faute caractérisée :

    CE, 14 février 1997, n° 133238, Centre hospitalier de Nice, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8308AD3) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction que le service de pathologie cellulaire et de génétique du Centre hospitalier régional de Nice s'est borné à annoncer à Mme Q. que l'examen auquel il avait procédé "n'avait révélé aucune anomalie détectable par les moyens actuels" [...] ; Considérant qu'il résulte également de l'instruction qu'en demandant qu'il fût procédé à une amniocentèse, Mme Q. avait clairement manifesté sa volonté d'éviter le risque d'un accident génétique chez l'enfant conçu, accident dont la probabilité était, compte tenu de son âge au moment des faits, relativement élevée ; que les époux Q. avaient ainsi cherché auprès du service spécialisé du Centre hospitalier régional de Nice un diagnostic déterminant quant à l'absence du risque ; que, dans ces conditions, la faute commise par le service de pathologie cellulaire et de génétique du Centre hospitalier régional de Nice avait faussement conduit M. et Mme Q. à la certitude que l'enfant conçu n'était pas porteur d'une trisomie et que la grossesse de Mme Q. pouvait être normalement menée à son terme ».

    Un diagnostic exact, mais qui n’est pas mené à son terme peut in fine conduire à une erreur de diagnostic qui peut elle-même entraîner une décision médicale dommageable :

    CE 4° et 5° s-s-r., 21 octobre 2009, n° 311982, Centre hospitalier général Le Havre, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2537EMW) : « Considérant qu’en jugeant qu’il résultait de l’instruction et notamment du rapport de l’expert désigné par le tribunal administratif, que si le médecin et la sage femme qui avaient examiné Mme D. avaient exactement diagnostiqué que la poche des eaux était bombée et descendait dans le vagin de la patiente, ce qui rendait inévitable un accouchement prématuré à bref délai, ils avaient toutefois commis une erreur de diagnostic, que des examens plus approfondis auraient permis d’éviter, en déduisant de cette constatation que le col de l’utérus était dilaté et l’accouchement imminent, la cour administrative d’appel n’a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis ; qu’en jugeant que cette erreur de diagnostic, qui avait entraîné la décision de déclencher immédiatement l’accouchement, afin d’en faciliter le déroulement, au lieu de chercher à le retarder le temps nécessaire à l’administration d’un traitement susceptible de réduire certaines séquelles d’une naissance prématurée, constituait une faute de nature à engager la responsabilité du service public hospitalier, qui avait fait perdre à l’enfant une chance d’échapper à une partie au moins de ces séquelles, la cour administrative d’appel, qui n’a pas davantage dénaturé les pièces du dossier, n’a pas commis d’erreur de droit ni qualifié inexactement les faits de l’espèce ».

    Est à la fois insuffisant, erroné et hâtif, le diagnostic concluant à la présence d’un cancer du rein et à une intervention chirurgicale en ce sens (ablation dudit rein), alors que les examens pratiqués démontrent l’absence d’une tumeur :

    CE 4° et 5° s-s-r., 30 mars 2009, n° 304462, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4971EET) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert commis par le tribunal de grande instance du Mans que le médecin du Centre hospitalier du Mans qui a opéré M. F. a formulé un diagnostic de cancer du rein alors que plusieurs examens et notamment un scanner effectué le 18 février 1991, dont l'analyse affirmait que le rein droit était strictement normal, tendaient à écarter cette hypothèse ; que, compte tenu des résultats négatifs de l'échographie et du scanner, la circonstance que l’analyse d’un examen cytologique urinaire ait conclu à l'existence d'une tumeur ne conférait à ce diagnostic aucune certitude ; qu’il résulte également des constatations de l’expert qu'en l'absence d'urgence, l'examen cytologique aurait dû être réitéré au moins à deux reprises, quelques jours ou semaines plus tard après un traitement antiseptique ; qu'ainsi, pour n'avoir pas procédé aux examens appropriés et nécessaires à la confirmation de l'hypothèse de l'existence d'une tumeur avant de procéder à l'ablation d'un rein, alors que n’existait aucun impératif d’urgence, le Centre hospitalier du Mans a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ».

  • 4) Le retard de diagnostic
  • Il est généralement constitué lorsqu’il retarde le soin approprié et que ce retard de soin entraîne des souffrances ou des complications qui auraient pu être évitées.

    Est à la fois tardif et insuffisant un diagnostic d’ostéomyélite alors que les clichés radiographiques montraient déjà une lésion osseuse. Retard de diagnostic entraînant un retard de soins et causant une incapacité de 100% sur un nouveau-né :

    CE 5° et 3° s-s-r., 9 juillet 1975, n° 93206, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6638B7Y) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction que les conséquences exceptionnellement graves de la septicémie staphylococcique et de l'ostéomyélite contractées au mois d'août 1968 par le jeune Eric G. à l'hôpital de Moulins où il était hospitalisé dans le service des prématurés ont pour cause les soins insuffisants et mal adaptés qui ont été donnés au patient pendant plusieurs jours ; que les médecins n'ont pas informé en temps utile les parents du jeune G. de l'état de leur enfant qui n'ont pu prendre ainsi que tardivement les dispositions nécessaires pour le transfert de leur enfant dans un service spécialement équipé ; que ces médecins ont ainsi compromis les chances qu'avait le malade pour que, l'évolution de son état pathologique soit arrêtée ; que, compte tenu des risques d'aggravation extrêmement rapides de l'affection dont le jeune G. était atteint, les médecins de l'hôpital de Moulins ont commis des fautes qui, s'ajoutant à un diagnostic tardif et incomplet, constituent des fautes lourdes de nature à engager la responsabilité de l'hôpital ».

    Une méningite bactérienne non diagnostiquée et n’ayant été prise en charge qu’au bout de deux jours révèle pour le juge un retard fautif de diagnostic.

    CE 4° et 5° s-s-r., 18 décembre 2009, n° 311604, Centre hospitalier de Voiron, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5971EPT) : « Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment du rapport de l’expertise ordonnée en référé par le tribunal administratif, que le retard apporté au diagnostic et au traitement de la méningite dont était atteint le jeune Mathieu A. a favorisé le développement de l’infection, elle-même à l’origine des séquelles auditives ; que si l’expert commis par la cour administrative d’appel aux fins de décrire l’étendue du dommage, dont le centre hospitalier de Voiron produit le rapport, estime qu’au moment où le traitement de l’enfant aurait normalement dû être engagé, l’infection avait déjà atteint les organes de l’audition, cette circonstance ne suffit pas à établir que les séquelles aient été irréversibles dès cet instant et donc sans lien avec les retards imputables à l’établissement ; qu’il n’est en revanche pas certain qu’un traitement engagé à temps aurait évité leur apparition ».

    Il est arrivé aux juges d’évoquer un retard de diagnostic, alors qu’il s’agissait plus simplement d’une véritable carence de soins.

    CE 5° et 7° s-s-r., 21 avril 2000, n° 187648, Centre hospitalier intercommunal de Créteil, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4406B8P) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. P., victime le 21 novembre 1988 d'un accident de la circulation, est resté plusieurs heures après son admission au service des urgences du centre hospitalier intercommunal de Créteil sans être examiné ni recevoir de soins ; que cette carence, qui a conduit à l'amputation de la jambe gauche de l'intéressé au terme de plusieurs interventions chirurgicales sur des muscles nécrosés et a entraîné des troubles hémorragiques, constitue ainsi que l'ont à bon droit reconnu les premiers juges une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier intercommunal de Créteil ».

    Un diagnostic définitivement posé à la troisième consultation au service des urgences, alors qu’il était identifiable dès la deuxième consultation, est un diagnostic tardif fautif, d’autant que la thérapeutique a corrélativement été tardive :

    CE Contentieux, 21 décembre 2007, n° 289328, Centre hospitalier de Vienne, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1501D3Y) : « Considérant qu’il résulte du rapport de l’ expert désigné par le tribunal administratif de Grenoble que le diagnostic définitif d’endophtalmie n’a été posé que lors de la troisième consultation aux urgences du centre hospitalier de Vienne, alors qu’il aurait dû l’être lors de la deuxième consultation et permettre ainsi la mise en place d’un traitement approprié d’administration d’antibiotiques par voie générale veineuse ; que ce retard tant diagnostique que thérapeutique constitue, ainsi que l’ a jugé le tribunal administratif de Grenoble dans son jugement du 20 mars 2002, non contesté sur ce point, une faute de nature à engager la responsabilité du Centre hospitalier ».

    La question de l’imputabilité d’un retard de rendez-vous médical sur le retard de diagnostic a été posée, sans recevoir de réponse :

    CE, 3 décembre 2010, n° 327499, Etchegoyhen et a., inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4451GMS) : « Considérant, en premier lieu, que si les consorts E. ont fait valoir, dans leurs écritures d’appel, que dès le mois de décembre 2001, le patient avait pris rendez-vous avec le praticien du Centre hospitalier de Pau et que ce rendez-vous avait été fixé cinq mois plus tard, cette observation ne peut être regardée comme l’exposé d’un moyen tiré de ce que la période d’attente du rendez-vous devait être intégrée dans la durée du retard de diagnostic fautif ; que par suite la cour a pu, sans entacher son arrêt d’une insuffisance de motivation, décompter cette durée à partir de la consultation d’avril 2002, sans s’expliquer sur la circonstance que le rendez-vous aurait été accordé avec retard par le praticien ».

E43573RS

2-3-3. L’exigence d’une faute caractérisée dans le diagnostic prénatal

  • LOI n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique (1)
    Loi n° 2002-303, 04-03-2002

    CSP, art. L. 2131-1 (N° Lexbase : L4251KY4) : « Le diagnostic prénatal s'entend des pratiques médicales, y compris l'échographie obstétricale et fœtale, ayant pour but de détecter in utero chez l'embryon ou le fœtus une affection d'une particulière gravité ».

    L’encadrement normatif du diagnostic prénatal a fait l’objet d’une modification législative importante avec la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011, relative à la bioéthique qui réécrit l’article L. 2131-1 du Code de la santé publique et ajoute à la définition du diagnostic prénatal de nombreuses obligations d’information de la femme enceinte quant :

    • à la possibilité de recourir à des examens pour évaluer les risques d’affection ;
    • à la communication compréhensive du résultat de ces examens ;
    • aux caractéristiques de l’affection suspectée, les moyens de la détecter, les possibilités de prévention, soin ou prise en charge du fœtus ou de l’enfant né ;
    • à la possibilité de recourir à des examens complémentaires en cas de risque avéré.

    Le consentement éclairé de la femme enceinte doit être recueilli pour les examens, et il doit lui être précisé que l’absence d’anomalie détectée « ne permet pas d'affirmer que le fœtus soit indemne de toute affection et qu'une suspicion d'anomalie peut ne pas être confirmée ultérieurement ».

    Rappelons que l’article 1 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, repris et codifié à l’article L. 114-5 du Code de l’action sociale et des familles (N° Lexbase : L8912G8L) dispose :

    CASF, art. L. 114-5 : « Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance.

    La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l'atténuer.

    Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale. »

    Une faute est généralement caractérisée du fait de son intensité ou gravité, et de son évidence.

  • 1) La faute non caractérisée
  • N’est ainsi pas caractérisée une faute tirée du défaut d’information quant à la marge d’erreur habituelle de l’échographie :

    CE 4° et 5° s-s-r., 9 février 2005, n° 255990, Centre hospitalier Emile Roux du Puy-en-Velay, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6723DG4) : « Considérant que la cour administrative d'appel de Lyon a commis une erreur de qualification juridique des faits en jugeant que le praticien avait commis une faute qui, par son intensité et son évidence, doit être regardée comme caractérisée au sens des dispositions précitées de la loi du 4 mars 2002 en s’abstenant d’informer les parents que, bien que les échographies n'aient fait apparaître aucune anomalie, leurs résultats étaient affectés de la marge d’erreur habituelle pour ce type d’examen ».

    Ni une information erronée et insuffisante, mais accompagnée de précautions quant à son possible manque de fiabilité :

    CE Contentieux, 13 mai 2011, n° 329290, Lazare, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8726HQA) : « Considérant, en deuxième lieu, qu’après avoir relevé que si le chef du service du laboratoire génétique du Centre hospitalier Cochin, saisi de l’interprétation à donner des résultats de l’examen pratiqué en 1989, avait indiqué à Mme L. dans son courrier du 28 octobre 1992, qu’elle n’était pas conductrice du gène responsable de la myopathie de Duchenne, la cour a également relevé que cette analyse comportait un double tempérament tiré, d’une part, de ce que le résultat correspondait aux données de la science médicale en 1992, et d’autre part, de ce que d’autres moyens devaient permettre à l’ avenir de vérifier l’analyse ; qu’en estimant, au vu de ces constatations, que cet avis ne pouvait, par sa teneur, être considéré comme ayant donné à Mme L. des assurances catégoriques que ses grossesses futures ne comporteraient pas le risque de transmission de la maladie génétique de Duchenne, la cour n’a pas dénaturé les pièces du dossier soumis à son examen ; Considérant, enfin, qu’eu égard aux précautions formulées dans l’avis du laboratoire génétique du Centre hospitalier Cochin et à la circonstance que cet avis n’avait pas été émis à l’occasion d’une grossesse, mais avait vocation à éclairer, le cas échéant, l’équipe médicale chargée du suivi d’une future grossesse de Mme L., la cour n’a pas commis d’erreur de qualification juridique en jugeant que l’interprétation ainsi donnée en 1992, bien que n’étant pas accompagnée d’une information explicite sur la marge d’erreur habituelle qui pouvait, à cette époque, en affecter la fiabilité, n’était pas constitutive d’une faute qui, par son intensité et son évidence, devrait être regardée comme caractérisée au sens du troisième alinéa de l’article L. 114-5 du Code de l’action sociale et des familles (N° Lexbase : L8912G8L) ; que ce motif étant de nature à justifier, à lui seul, le dispositif de l'arrêt de la cour, les moyens soulevés par Mme L. à l'encontre des autres motifs de l’arrêt sur le principe de responsabilité de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris sont inopérants ».

    Ni le fait de ne pas communiquer les résultats chiffrés du dépistage de la trisomie 21 et de se contenter d’annoncer que la patiente n’est pas dans un groupe à risque alors que le résultat est tangent, et qu’en l’occurrence, les jumelles sont toutes deux porteuses du syndrome :

    CE Contentieux, 13 mai 2011, n° 317808, Delannoy et Verzelle, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8711HQP) : « Considérant qu’il résulte de l’instruction que, lors d’une consultation le 2 juin 1998 à l’hôpital Robert Debré, Mme D. a évoqué la possibilité de réaliser une amniocentèse destinée à déceler d’éventuelles anomalies génétiques ; que le médecin a toutefois indiqué à l’intéressée, d’une part, que, compte tenu de ce qu’elle était âgée de moins de 38 ans et de ce que les échographies n’avaient pas révélé d’anomalie, sa grossesse ne comportait pas de risques particuliers et, d’autre part, qu’une amniocentèse entraînait des risques accrus de fausse couche dans le cas, qui était le sien, d’une grossesse gémellaire ; que le médecin a proposé un dépistage sérique HT 21 destiné à évaluer le risque de trisomie 21 à Mme D. qui l’a accepté [...] ; que le résultat du test ainsi pratiqué sur Mme D. ayant évalué le risque de trisomie 21 à 1/260, celle-ci a été informée qu’elle n’était pas considérée comme appartenant à un groupe à risque ; qu’il est constant que Mme D. n’a pas alors demandé que soit pratiquée une amniocentèse et que les échographies ultérieures n’ont pas révélé d’anomalie ;

    Considérant que, dans ces conditions, et bien qu’il ne soit pas établi que le résultat numérique du dépistage sérique HT 21 ait été communiqué à Mme D. ou que celle-ci ait été informée de ce que ce résultat était proche du seuil de 1/250 à partir duquel la personne est considérée comme appartenant à un groupe à risque, l’AP-HP ne peut être regardée, dans les circonstances de l’espèce, comme ayant manqué à ses obligations d’information et de conseil et commis ainsi une faute de nature à engager sa responsabilité ».

    Il n’y a pas non plus de manquement lorsque le diagnostic de malformation chromosomique non homogène est difficile à poser et que les anomalies en cause ne sont d’ailleurs pas en soi recherchées par l’amniocentèse (CAA Lyon, 5 mai 2009, n° 06LY01622, Beautemps N° Lexbase : A1646EK8).

    Ne sera pas davantage qualifiée de faute caractérisée une prise en charge ne faisant apparaître aucun manquement sous l’empire du régime antérieur à la loi du 4 mars 2002.

    Par exemple, lorsqu’une échographie ne permet pas de déceler une trisomie 21 (avérée par la suite) et que la patiente ne donne pas suite aux propositions d’examen de dépistage et ne fait pas réaliser une échographie supplémentaire pourtant prescrite :

    CE 4° et 5° s-s-r., 19 octobre 2007, n° 292062, Farchouck, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7892DYX) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction [...] que Mme F. s'est présentée pour la première fois le 21 mai 1997 dans sa 17e semaine d'aménorrhée au Centre hospitalier intercommunal Jean‑Rostand pour y faire suivre sa grossesse ; qu'elle a présenté à cette date une première échographie réalisée au Liban, sans compte-rendu ni examen mini morphologique susceptible de permettre de déceler des signes éventuels précoces de trisomie 21 ; que l'échographie alors pratiquée par le praticien du Centre hospitalier Jean‑Rostand n'a pas permis non plus de détecter d'anomalie ; qu'il résulte des mentions originales du dossier médical que le praticien hospitalier a proposé à Mme F. de pratiquer un premier examen de dépistage de la trisomie, proposition à laquelle Mme F. n’a pas donné suite ; que l'échographie réalisée le 5 juin 1997 à la veille du départ au Liban des requérants n'a pas révélé d'anomalie ; qu'il a alors été prescrit à Mme F. de faire réaliser une échographie entre la 22ème et la 24ème semaine de grossesse, ce qu’elle n’a pas fait ; que la troisième échographie réalisée au Centre hospitalier le 22 septembre 1997 n'a rien révélé d'anormal ».

    Pas de faute lorsque n’est pas prescrit en raison de trois échographies rassurantes et d’absence de précédent pathologique ou génétique

    CE 4° et 5° s-s-r., 25 octobre 2017, n° 397722, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4501WXY) : « 4. Considérant que la cour a relevé, en se référant au rapport d'expertise mentionné au point 1 ci-dessus, que, quand elle a été suivie par le centre municipal de santé Jean-Aimé Dolidier pour sa grossesse, Mme M'A. était âgée de 27 ans, que les échographies qui avaient été pratiquées n'avaient révélé aucune malformation anatomique du foetus et qu'en l'absence, par ailleurs, de précédent pathologique ou génétique, le risque de trisomie 21 était très faible ; qu'il ressortait aussi des pièces du dossier qui était soumis à la cour, comme celle-ci l'a également relevé, qu'aucune analyse des facteurs sériques dans le sang maternel n'avait été prescrite et que l'expert avait estimé qu'une telle analyse fait partie de la bonne pratique médicale, sans toutefois faire état d'une pratique recommandée, notamment par la Haute Autorité de Santé, dont la méconnaissance devrait être regardée comme un manquement à une obligation professionnelle ; que, dans ces conditions, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt, n'a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant que le manquement à la bonne pratique qu'elle a relevé ne constituait pas une faute caractérisée au sens de l'article L. 114-5 du Code de l'action sociale et des familles, susceptible d'être reprochée au centre municipal de santé Jean-Aimé Dolidier dans le suivi de la grossesse de Mme M'A. »

  • 2) La faute caractérisée
  • Inversement, la faute relative à une lecture tellement erronée du caryotype issu de l’amniocentèse que le personnel médical annonce aux parents un petit garçon porteur d’un syndrome de Klinefelter alors que naît une petite fille atteinte de trisomie 21 est caractérisée (CE 5° et 7° s-s-r., 30 avril 2003, n° 213702, CPAM du Havre, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7648BS3).

    Une inversion de résultats à l’origine d’une décision de ne pas recourir à une interruption de grossesse est ainsi aussi d’une faute caractérisée :

    CE Contentieux, 19 février 2003, n° 247908, Maurice c. AP-HP, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2678A7C) : « Considérant que cette information, délivrée par le Centre hospitalier universitaire de Nancy à M. et Mme M. s'est révélée erronée du fait d'une inversion des résultats des analyses pratiquées sur deux patientes ; qu'il n'est pas contesté que cette inversion est imputable à l’AP-HP [...] ; Considérant qu'il n'est pas sérieusement contestable que de tels faits, constitutifs d'une faute caractérisée ayant privé M. et Mme M. de la possibilité de recourir à une interruption volontaire de grossesse pour motif thérapeutique ».

    Est également caractérisée la faute résultant d’échographies imprécises et incomplètes n’ayant pas fait l’objet d’examen complémentaire et démontrant de manière générale des « négligences dans le suivi échographique qui ont fait obstacle à la détection du handicap » :

    CE 5° s-s., 18 juillet 2011, Centre hospitalier de Sens, n° 328881, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3149HWK) : « Considérant en second lieu que la cour administrative d'appel n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis, notamment le rapport d'expertise, en estimant que, si les examens pratiqués par Mme A avaient été complets et de qualité suffisante, ils auraient permis de détecter la forte probabilité du handicap incurable et particulièrement grave dont était atteint l'enfant ; qu'elle n'a pas commis d'erreur de droit en en déduisant que les imperfections et insuffisances des examens pratiqués avaient fait obstacle à la détection du handicap de l'enfant et ainsi privé Mme A de la faculté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse prévue par l'article L. 162-12 devenu L. 2213-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L7134IQB) ».

    L’absence de contrôle visuel direct et de vérification lors de la réalisation d’échographies ne présentant pas de difficultés particulières et conduisant à mentionner de manière affirmative que les quatre membres du fœtus étaient présents, alors que tel n’était pas le cas :

    CE 4° et 5° s-s-r., 31 mars 2014, n° 345812, n° 346767, Centre hospitalier de Senlis, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6400MIU) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction que les comptes rendus des trois échographies réalisées au sein du centre hospitalier de Senlis mentionnent que le foetus disposait de quatre membres, de mobilité et de segmentation satisfaisante ; que, toutefois, il ressort des constations du rapport d'expertise que de telles affirmations ne peuvent résulter que d'une absence de contrôle visuel direct du membre supérieur droit lors de la réalisation des échographies, notamment celle de la vingt-deuxième semaine d'aménorrhée, soit que ce membre n'ait fait l'objet d'aucun contrôle, soit qu'il ait été confondu avec le membre supérieur gauche ; qu'il ne résulte en outre pas de l'instruction, notamment des comptes rendus mentionnés ci-dessus, que la réalisation des examens échographiques sur Mme A. aurait présenté des difficultés particulières ; que, dès lors, dans les circonstances de l'espèce, l'absence de vérification de la conformité des quatre membres du foetus constitue une faute qui, par son intensité et sa gravité, est caractérisée au sens du troisième alinéa de l'article L. 114-5 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L8912G8L). »

    La faute prénatale a également pu être caractérisée alors que les examens avaient été consciencieusement réalisés et n’avaient rien détecté, mais qu’en présence de forts soupçons cliniques et d’une « forte probabilité » que l’enfant à naître soit atteint d’une affection justifiant une interruption médicale de grossesse, l’équipe médicale aurait dû informer la patiente de la possibilité de demander l’avis du centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal quant à la poursuite de la grossesse :

    CE 4° et 5° s-s-r., 7 avril 2016, n° 376080, n° 376225, X et CPAM du Bas-Rhin, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8776RBN) : « 6. Mais considérant que l'expert soulignait par ailleurs que l'hypotrophie très marquée du foetus, dont la taille était inférieure au troisième décile, et son immobilité presque totale, rapprochées de la consanguinité des parents et d'un antécédent familial, laissaient fortement soupçonner une affection grave et qu'alors même qu'aucune pathologie n'avait pu être identifiée, Mme F. aurait dû, à son sens, en être informée afin de pouvoir demander l'avis d'un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal sur la possibilité de pratiquer une interruption médicale de grossesse au titre d'une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable, ainsi que le permettaient les dispositions, alors en vigueur, des articles L. 2213-1 (N° Lexbase : L7134IQB) et R. 162-27 (N° Lexbase : L1112DKE) du Code de la santé publique ; qu'il ressort également du rapport de l'expert que les médecins de l'hôpital Hautepierre avaient, lors de l'hospitalisation de Mme F., soumis son cas au centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal rattaché aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg et que ce centre avait demandé des examens complémentaires sans que l'intéressée en ait été informée et sans que le dossier fasse apparaître un avis rendu au vu du résultat de ces examens ; qu'en ne retenant pas que le défaut d'information de l'intéressée sur l'existence d'un risque de pathologie grave du foetus était constitutif d'une faute caractérisée, la cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ».

    Enfin, un praticien hospitalier commet une faute caractérisée lorsque, prenant en charge
    une femme avancée dans sa grossesse et suivie antérieurement dans le secteur privé, il ne reprend pas le suivi manquant et ne propose pas les examens qui auraient dû l’être plus tôt :

    CE 5° et 6° ch.-r., 13 novembre 2019, n° 420299, K., mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4591ZYP) : « 7. En statuant ainsi, alors qu'il appartenait au centre hospitalier de Bigorre, ainsi qu'il a été dit au point 5, de donner à Mme D., même à un stade avancé de sa grossesse où il est d'ailleurs encore possible de pratiquer une amniocentèse et, le cas échéant, une interruption médicale de grossesse, l'information prévue aux articles L. 2131-1 (N° Lexbase : L4251KY4) et L. 3121-2 (N° Lexbase : L1392LIE) du Code de la santé publique qu'elle n'avait pas reçue auparavant, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit. »

E43613RX

2-3-4. L’erreur de diagnostic non fautive

  • La recherche du diagnostic peut être infructueuse, voire mal orientée, sans que cela soit nécessairement constitutif d’une faute, sauf à conférer au diagnosticien une obligation de résultat.

    Ainsi n’est pas fautif le fait de ne pas diagnostiquer une fracture, que rien n’indiquait par ailleurs, alors que les investigations portaient sur une éventuelle pathologie radiculaire centrale ou neurologique, et avait donné lieu à un électrocardiogramme, un bilan sanguin, un électromyogramme et un électroencéphalogramme :

    CE 4° et 5° s-s-r., 11 juillet 2008, n° 278279, Centre hospitalier de Bourges, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6037D9H) : « Considérant que la cour, pour écarter la faute du Centre hospitalier général de Bourges à ne pas avoir diagnostiqué la fracture du col du fémur dont souffrait M. P. lors de son admission aux urgences et à ne pas avoir prescrit une radiographie de la hanche, s’est fondée sur le rapport de l’expert et de son sapiteur ; que ces derniers après avoir rappelé que les fractures du col du fémur sont des fractures très fréquentes qui touchent les personnes âgées et s’accompagnent généralement d’une impotence complète, ont indiqué que M. P., qui était alors âgé de 49 ans, ne présentait pas la déformation caractéristique de ce type de fracture lorsqu’il a été admis aux urgences, qu’il pouvait se déplacer et que tous les examens prescrits l’avaient été de manière pertinente ; que la cour a relevé que, eu égard à la personnalité de l’intéressé qui n’ avait pas fait état de ses chutes des jours précédents et aux termes de la lettre de son médecin traitant, le Centre hospitalier général de Bourges avait pu orienter le diagnostic vers une pathologie neurologique ou psychiatrique et adresser le patient au Centre hospitalier spécialisé ».

    Une pathologie extrêmement rare et difficile à diagnostiquer et pour laquelle il n’existe pas de thérapeutique ne peut être à l’origine d’une erreur de diagnostic, quand bien même un traitement contre-indiqué est administré :

    CE 4° et 5° s-s-r., 9 décembre 2009, Beau, n° 308914, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4289EPK) : « Considérant, en premier lieu, qu’il ressort du rapport d’expertise que, même si l’hypothèse d’une maladie métabolique avait été évoquée en janvier 1998 et en mars 1999 par le praticien hospitalier du Centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye qui assurait le suivi de l’enfant depuis le mois d’août 1997, les analyses réalisées n’ont permis de diagnostiquer cette maladie qu’en juin 1999 ; qu’il ressort du rapport d’expertise que cette maladie métabolique est extrêmement rare et était difficile à diagnostiquer ; que même si, a posteriori, le choix de la dépakine s’est avéré être un traitement inadapté aux graves crises convulsives dont souffrait l’enfant, les deux hôpitaux n’ont néanmoins commis aucune imprudence fautive de nature à engager leur responsabilité en ne procédant pas plus tôt aux examens biochimiques complémentaires nécessaires au diagnostic de la maladie métabolique alors même que cette maladie avait été suspectée, que l’état de santé de l’enfant s’aggravait et que cette maladie constituait une très forte contre-indication au traitement à la dépakine qui était administré à l’enfant ».

    Tous les moyens d’investigations disponibles n’ont pas nécessairement à être mis en œuvre lorsque rien n’indique la pathologie qu’ils sont susceptibles de déceler.

    CE 5° et 3° s-s-r., 19 novembre 1999, n° 193166, Bancharel, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3400B8G) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert commis par les premiers juges, que Mme B. a subi des examens nombreux et approfondis lors des deux séjours qu'elle a effectués en 1991 au Centre hospitalier régional universitaire de Limoges ; qu'elle ne présentait alors aucun symptôme neurologique qui aurait justifié le recours à un scanner crânien ; que Mme B. ne produit aucun élément susceptible de remettre sérieusement en cause les conclusions de l'expert ; que le neurochirurgien consulté par Mme B. postérieurement à son hospitalisation n'a pas davantage décelé de symptômes justifiant qu'il soit procédé à un scanner crânien, qui a finalement été effectué à la demande du médecin traitant de la patiente ; que, dans ces conditions, aucune faute ne saurait être reprochée au Centre hospitalier ; »

E43663R7

2-3-5. Le cas particulier des médecins régulateurs du SAMU

  • Appelés à poser des diagnostics par téléphone à l’issue d’une conversation avec le patient ou ses proches, les médecins régulateurs du SAMU ne sont nécessairement pas soumis aux mêmes obligations que ceux qui conduisent un examen physique du patient.

    Les obligations réglementaires posées au médecin régulateur dans la conduite de son diagnostic sont inscrites à l’article R. 6311-2 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L7412HB7). Les services d'aide médicale urgente :

    1° Assurent une écoute médicale permanente ;

    2° Déterminent et déclenchent, dans le délai le plus rapide, la réponse la mieux adaptée à la nature des appels ;

    3° S'assurent de la disponibilité des moyens d'hospitalisation publics ou privés adaptés à l'état du patient, compte tenu du respect du libre choix, et font préparer son accueil ;

    4° Organisent, le cas échéant, le transport dans un établissement public ou privé en faisant appel à un service public ou à une entreprise privée de transports sanitaires ;

    5° Veillent à l'admission du patient.

    Le Conseil d’État n’a jamais eu l’occasion de border clairement la responsabilité du service public de l’aide médicale d’urgence au sujet de l’établissement du diagnostic, et seules les solutions des juges du fond sont disponibles.

    Ces jurisprudences témoignent d’une certaine homogénéité dans la prise en compte des « contraintes spécifiques » liées à l’activité du médecin régulateur, et notamment la forme et le fond des informations qui lui sont communiquées.

    Ainsi, la décision d’adresser un médecin généraliste plutôt que d’envoyer une ambulance a été considérée comme ne constituant pas une erreur de diagnostic compte tenu des informations fournies et des « contraintes spécifiques » qui pèsent sur l’activité :

    CAA Marseille, 18 mai 2006, n° 03MA01835, Bacon c. CHU Nice (N° Lexbase : A8215DPX) : « Considérant, en second lieu, qu’il ne résulte pas de l’instruction que le médecin régulateur du SAMU 06, compte tenu des informations communiquées par M. B. sur l’état de son épouse, et compte tenu des contraintes spécifiques qui pèsent sur cette activité, ait commis une faute engageant la responsabilité du Centre hospitalier universitaire de Nice en adressant au domicile des époux Bacon un médecin généraliste et non une ambulance ».

    Tandis que la même décision a constitué un manquement compte tenu des mêmes éléments :

    CAA Nancy, 30 mai 2002, CHRU de Reims, n° 98NC01224 (N° Lexbase : A5460BM8) : « Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment des rapports des expertises ordonnées par le tribunal administratif, que les symptômes invoqués au téléphone par les correspondants du médecin régulateur du service d’urgence, et notamment l’évocation d’une impression de douleur thoracique intense et l’âge de M. S., auraient dû conduire ce médecin à envisager d’abord l’hypothèse d’une angine de poitrine ou d’un infarctus du myocarde et non à considérer qu’il devait s’agir d’un problème lié à une anxiété ; qu’ainsi, et malgré la difficulté d’établir un diagnostic dans ces conditions, en ne décidant pas d’envoyer immédiatement une ambulance dotée de matériel de réanimation et en demandant à un médecin généraliste, qui n’était pas en mesure de répondre à une situation de détresse cardiaque, de se rendre sur les lieux où se trouvait le malade, ce médecin régulateur a commis une faute de nature à engager la responsabilité du CHRU de Reims ».

    Ainsi le recueil particulièrement difficile d’information a pu empêcher de déceler une aggravation de l’état sans que cette absence de diagnostic soit fautive :

    CAA Douai, 9 avril 2002, n° 99DA10918, Hassouni c. CHU de Rouen (N° Lexbase : A0307BMC) : « Considérant qu’il résulte de l’instruction et notamment du rapport d’expertise qu’avec les moyens dont elle disposait, et au vu des symptômes manifestés par M. H., le diagnostic d’infarctus myocardique ne pouvait être évoqué vers minuit par le docteur B. ; que si l’entourage de M. H., au vu de l’aggravation de l’état de ce dernier, a appelé le SAMU à plusieurs reprises à partir d’1 heure 30, selon les experts, qui ont analysé les éléments consignés sur la main courante, La passion suscitée par l’inquiétude de l’entourage a interdit l’énoncé clair des éléments d’aggravation, dans une dérive agressive du langage ; que, dans ces conditions, compte tenu des contraintes spécifiques qui pèsent sur le SAMU celui-ci a pu, sans commettre de faute engageant la responsabilité du Centre hospitalier universitaire de Rouen, ne pas mettre en œuvre l’hospitalisation de M. H. ».

    Ainsi, il n’a pas été reproché au médecin régulateur, qui avait par ailleurs assuré sa mission avec diligence et conscience, de ne pas avoir posé un diagnostic d’infarctus difficile à établir :

    CAA Marseille, 26 mars 2009, n° 07MA02742, S. : « Considérant [...] que M. S. était lucide et calme au moment de son appel et que la description de la douleur atypique qu’il présentait à la suite d’une quinte de toux, calmée au demeurant l’après-midi par la prise de comprimés antalgiques classiques, ne suggérait pas une situation mettant en jeu son pronostic vital en l’absence d’antécédent médical et de traitement en cours ; que le médecin régulateur qui a réceptionné cet appel a cependant, au vu de ces éléments, conseillé à M. S. de contacter SOS médecins ; [...] qu’il résulte du second rapport d’expertise judiciaire rédigé par un praticien spécialisé en cardiologie [...] que le conseil donné par le centre d’appel 15 de contacter SOS médecins était judicieux, pertinent et sensé eu égard aux symptômes décrits téléphoniquement par M. S. et à sa parfaite lucidité au moment de la conversation téléphonique [...] ; Considérant que, par suite, aucun manquement fautif dans la prise en charge de M. S. ne saurait être reproché au service d’aide médicale d’urgence (SAMU) du Centre hospitalier intercommunal de Toulon-la Seyne-sur-Mer qui, conformément aux dispositions sus-rappelées du décret du 16 décembre 1987 susvisé a assuré une écoute médicale et déterminé la réponse la mieux adaptée à la nature de l’appel eu égard, d’une part, à la lucidité de l’intéressé et, d’autre part, au caractère atypique des douleurs décrites calmées par la simple prise d’antalgiques classiques ».

  • Conformément au principe général selon lequel le diagnosticien n’est pas tenu à une obligation de résultat, un diagnostic peut être erroné ou insuffisant alors que les investigations ont été menées conformément aux règles de l’art.

    CAA Marseille, 10 mai 2010, n° 08MA01732, R. B. (N° Lexbase : A1137E4U) : « Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment du rapport de l’expertise médicale ordonnée par le tribunal, que le médecin régulateur contacté le 9 mai 2003 vers 22 h 50 ne pouvait évoquer le diagnostic de méningite en fonction des éléments cliniques en sa possession ; que celui-ci a tenu compte des deux consultations médicales antérieures lors desquelles aucun signe évocateur de pathologie infectieuse grave n’avait été relevé ; que d’ailleurs, l’expert a relevé que le diagnostic de méningite n’avait pas été posé par le médecin généraliste consulté le lendemain matin qui a, au contraire, confirmé celui du médecin régulateur, soit une gastro-entérite avec déshydratation et altération de l’état général ; que l’expert a enfin relevé que la méningite n’avait probablement débuté que tardivement, peu avant l’arrivée de l’enfant aux urgences du Centre hospitalier d’Avignon ; qu’ainsi, et alors même que le Centre hospitalier d’Avignon n’aurait pas communiqué la retranscription de la conversation téléphonique entre le médecin régulateur et les parents de L., l’appréciation portée par le médecin régulateur a été conforme aux règles de l’art ; que, dès lors, et compte tenu des contraintes spécifiques qui pèsent sur son activité, aucune faute ne saurait être imputée au médecin régulateur du SAMU ». 

    Le fait de ne pas conduire un examen aussi optimal que préconisé par le « guide d’aide à la régulation du SAMU » n’est pas nécessairement fautif dès lors que ce guide n’a pas de caractère obligatoire et que les circonstances de l’espèce montrent une conduite de diagnostic appropriée, même s’il s’avère finalement erroné :

    CAA Lyon, 27 septembre 2018, n° 16LY03362 (N° Lexbase : A2829YGU) : « Considérant qu’il résulte de l’instruction, notamment du rapport de l’expertise ordonnée par le juge de première instance, que l’entretien auquel a procédé le médecin régulateur du service d’aide médicale urgente dépendant du centre hospitalier universitaire de Grenoble le 13 mai 2007 n’a pas été réalisé de façon totalement optimale, dès lors que les consignes du "guide d’aide à la régulation au SAMU centre 15" n’ont pas été complètement respectées, le médecin régulateur qui a pris en charge l’appel de Mme Z. ne l’ayant pas interrogée sur les antécédents et les facteurs de risque de son compagnon et n’ayant pas analysé de manière suffisamment combinée les différents symptômes présentés ; que, toutefois, l’expert précise que le guide susmentionné ne présente pas de caractère obligatoire, qu’il n’est qu’une aide mise à la disposition des médecins régulateurs pour faciliter leur travail, que le déroulement exact d’un entretien est variable selon l’expérience et la culture du médecin régulateur, que le processus suivi présente un caractère essentiellement intuitif et peut différer selon les circonstances ; qu’il résulte de l’instruction, et notamment du rapport de l’expert, que l’entretien du 13 mai 2007 en litige a eu une durée adaptée, qu’au cours de celui-ci le médecin a questionné Mme Z. et M. G. pour connaître précisément les symptômes présentés, qu’il a apprécié la gravité de la situation compte tenu de ces symptômes, établi le diagnostic le plus probable et proposé en conséquence l’offre de soins la plus adaptée ; que si le diagnostic retenu s’est révélé a posteriori erroné, il ne résulte pas de l’instruction, et notamment pas du rapport de l’expert, que l’entretien du 13 mai 2007, compte tenu notamment de sa durée et des échanges qui ont eu lieu, aurait été manifestement réalisé en méconnaissance des règles de l’art, alors que la rupture d’anévrysme est une pathologie qui, d’un point de vue statistique, ne se produit que très rarement et que le médecin libéral de garde qui a ausculté M. G. à 23 heures 28 n’a pas davantage posé ce diagnostic, tout en prodiguant des soins conformes aux règles de l’art ainsi que l’a jugé la cour d’appel de Grenoble par arrêt du 22 avril 2014 ; que, dans ces conditions, si le médecin régulateur lors de l’entretien du 13 mai 2007 ne s’est pas strictement conformé au "guide d’aide à la régulation au SAMU centre 15" et n’a pas suffisamment procédé à une analyse combinée des symptômes présentés par M. G. , le même médecin régulateur, qui n’a pas mis en œuvre des moyens insuffisants en décidant l’envoi d’un médecin libéral de garde au domicile de M. G. , ne peut être regardé comme ayant commis une négligence fautive de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier régional universitaire de Grenoble ».

    En revanche, l’absence d’interrogatoire sur les antécédents médicaux et les traitements en cours est fautive :

    CAA Nantes, 2 avril 2020, n° 18NT03428, inédit au recueil Lebon : « Ainsi que l’a retenu à bon droit le tribunal administratif de Nantes, en n’interrogeant pas M. M. sur ses antécédents médicaux, sur ses facteurs de risque compte tenu de son hypercholestérolémie, sur un éventuel traitement en cours et en ne décelant pas l’éventualité d’une maladie coronarienne, le médecin régulateur du SAMU a commis une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier du Mans. »

  • L’absence de prise en compte des informations transmises par le patient ou son entourage aussi :

    CAA Bordeaux, 28 décembre 2017, n° 16BX00661 (N° Lexbase : A3228XHZ) : « Il résulte de l’instruction, et notamment du rapport d’expertise que M. W. est décédé en raison d’une thrombose coronarienne avec syndrome coronaire aigu et constitution d’un infarctus du myocarde avec fibrillation ventriculaire et mort subite. La gêne thoracique, citée à plusieurs reprises par M. W. lors de sa conversation téléphonique avec le médecin régulateur, assez caractéristique d’une ischémie myocardique, aurait dû conduire celui-ci, afin d’éviter le risque d’infarctus ou du moins de le traiter efficacement, à proposer une hospitalisation en vue d’un électrocardiogramme et d’un dosage de troponines, alors même que l’intéressé avait fait part de la réalisation très récente, dans le cadre de son suivi par un médecin et ami cardiologue, d’un électrocardiogramme puis d’un coroscanner dont les résultats étaient, selon lui, rassurants. Ce défaut dans la prise en charge de M. W. est constitutif d’une faute dans le fonctionnement de la régulation du SAMU des Landes, de nature à engager la responsabilité du seul centre hospitalier de Mont-de-Marsan à l’égard des ayants droit de la victime. »

    CAA Lyon, 17 juillet 2014, n° 13LY01474 : « Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment des deux rapports des experts désignés au cours de la procédure judiciaire contre le médecin régulateur, que l’interrogatoire de Mme A. par ce médecin, en dépit de la difficulté que présentait l’état émotionnel de cette dernière, n’a pas été suffisant dès lors que n’ont pas été pris en compte tous les symptômes qu’elle a mentionnés, notamment les troubles respiratoires et l’inquiétude d’une évolution létale ; que, selon les experts, qui ont eu accès à la transcription des entretiens téléphoniques entre Mme A. et le SAMU, l’absence de prise en compte de tous les symptômes décrits par Mme A. a conduit le médecin régulateur à poser un diagnostic erroné en attribuant la cause du malaise à un accident vasculaire cérébral (AVC) et en excluant une origine cardiovasculaire ; que cette erreur de diagnostic a conduit le médecin régulateur à envoyer au domicile du patient un véhicule non médicalisé dès lors qu’en cas d’AVC, le protocole recommande le transport du patient le plus rapidement possible en milieu hospitalier ; que cette erreur de diagnostic a retardé l’arrivée d’un véhicule médicalisé qui était la seule réponse adéquate à l’état du patient ; qu’ainsi, contrairement à ce que soutient le CHU de Grenoble, une faute a été commise par le SAMU lors de la prise en charge de l’appel de Mme A. ». 

    La combinaison d’absence d’interrogatoire et d’absence de prise en considération des informations données conduisant à une prise en charge inadaptée est évidemment fautive :

    CAA Nantes, n° 15NT00463, centre hospitalier de Saint-Lô : « Considérant que l’interrogatoire de la victime effectué par le médecin régulateur a été succinct et incomplet et, qu’en particulier, certaines questions relatives au siège de la douleur thoracique, de son étendue et de sa persistance non pas été posées ; que, par ailleurs, certains signes rapportés par M. B. tels que la douleur thoracique oppressive accompagnée de palpitations, étaient suffisamment évocateurs d’une urgence vitale patente ou latente imposant l’envoi d’un moyen de réanimation (SMUR) selon le guide d’aide à la régulation médicale édité par le SAMU de France ; que les manquements commis lors de cet interrogatoire sont à l’origine directe d’une erreur de diagnostic et du retard à engager les moyens d’urgence appropriés alors disponibles ; qu’en effet, en classant l’appel de M. B. en situation d’urgence vraie sans détresse vitale, le médecin régulateur a décidé de faire déplacer une ambulance privée et deux secouristes dont la capacité à faire face aux différents aléas des interventions d’urgence n’était pas adaptée et s’est révélée insuffisante ».

    CAA Lyon, 5 novembre 2015, n° 14LY00226 (N° Lexbase : A8458NW8) : « Considérant qu’il résulte de l’instruction et notamment du rapport de l’expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand, lequel expert a eu accès à la transcription des entretiens téléphoniques du médecin régulateur, que le critère de gravité essentiel de cyanose avait été énoncé spontanément au médecin régulateur par la fille de M. D. lors de son appel reçu à 21 heures 05 ; que l’expert a relevé que cet élément, qui témoignait d’une détresse respiratoire aigüe chez un asthmatique connu et traité, n’avait pas été reconnu, ni approfondi par le médecin régulateur lors de cet entretien qualifié par l’expert de limité et incomplet ; qu’en l’absence de prise en compte de ce symptôme et faute d’un interrogatoire plus complet, le médecin régulateur a été conduit à évaluer l’état du patient comme correspondant à une simple crise d’asthme, au lieu d’un asthme aigu grave, et à commettre ensuite une erreur d’orientation en envoyant sur les lieux, à la suite de ce premier appel, le médecin de garde et non un véhicule du SMUR ; que cette erreur de prise en charge a ainsi retardé, d’environ 16 minutes selon les conclusions de l’expertise, l’arrivée d’un véhicule médicalisé qui était la réponse adéquate à l’état du patient ».

  • Lorsque les éléments connus par le médecin régulateur sont évocateurs « sans ambiguïté » d’un diagnostic, le fait de ne pas poser ce dernier est fautif :

    CAA Nantes, 9 avril 2015, n° 13NT02387 (N° Lexbase : A0588NR9) : « Considérant, d’une part, qu’il résulte du rapport de l’autopsie de M. D., réalisée le 26 avril 2007, que ce dernier est décédé des suites d’un infarctus du myocarde du fait de l’obstruction de l’artère inter-ventriculaire antérieure par une plaque athéromateuse ancienne, compliquée d’une hémorragie et d’une thrombose ; [...] qu’il résulte de l’instruction, et notamment des deux rapports des experts désignés au cours de la procédure judiciaire engagée contre le médecin-régulateur du SAMU et de la retranscription des enregistrements sonores des échanges entre le centre 15, le SDIS et l’entourage de M. D., que la symptomatologie dont souffrait ce dernier, telle qu’elle a été rapportée par les témoins, les sapeurs-pompiers et le patient lui-même au SAMU était évocatrice, sans ambigüité, d'un accident ischémique coronarien aigu à type d'infarctus du myocarde qui justifiait la médicalisation de la prise en charge sur le lieu même du malaise afin de prodiguer au patient des soins précoces dont la nécessité et l’utilité font consensus ; [...] qu’il résulte en particulier des échanges entre le médecin du SMUR dépêché auprès du véhicule des pompiers après que fût survenu à 10h29 l’arrêt cardiaque de M. D., le centre 15 et un cardiologue du centre hospitalier que l’état de santé de M. D. nécessitait, non pas les manœuvres de premiers secours de massage cardiaque et de choquage par un défibrillateur semi-automatique qui étaient susceptibles d’être et ont été prodigués par les pompiers, mais des soins médicaux d’urgence que seuls des médecins aguerris à ces interventions étaient à même de pratiquer efficacement ; que cette erreur de diagnostic de la part du médecin régulateur du SAMU, praticien expérimenté, et l’inadaptation des moyens déclenchés en conséquence, alors au surplus qu’aucun des véhicules du SMUR n’était par ailleurs engagé et qu’un équipage médical, envoyé plus rapidement, aurait probablement pu intervenir en temps utile, constituent en l’espèce, malgré les contraintes spécifiques qui pèsent sur l’activité du SAMU, une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service public hospitalier de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier régional d'Orléans ».

    CAA Nantes, 7 février 2013, n° 12NT00037 (N° Lexbase : A7356M9C) : « Considérant [...] ; que la notion d’antécédents cardiaques a ainsi été rapportée à la permanencière qui affirme en avoir fait part au médecin régulateur qui se tenait à ses côtés ; que cependant ce médecin a, en l’absence de douleur thoracique et de dyspnée, décidé de ne pas engager d’unité mobile du SMUR, d’attendre le bilan des pompiers et de leur confier le transfert aux urgences de M. D. ; que les rapports d’expertises, concordants sur ce point, font état d’une absence fautive d’évaluation médicale directe par le médecin régulateur, qui n’a pas pris le relais de sa permanencière pour évaluer lui-même l’état de M. D., mais s’en est tenu au rapport symptomatologique établi par cet agent sur la foi des constatations d’un pompier retraité présent sur les lieux et suggérant un malaise vagal, sans chercher à compléter ces informations par un contact direct avec les proches du patient, et n’a pas suffisamment pris en compte les éléments, mêmes peu fiables, tels que les antécédents cardiaques et la répétition des vomissements qui pouvaient faire suspecter un infarctus du myocarde inférieur ; que ces fautes ont abouti à un diagnostic erroné et à une inadaptation des moyens déclenchés alors qu’il n’est pas allégué que des moyens adaptés du SAMU n’étaient pas disponibles pour tenter de sauver de M. D.; que, dès lors, et malgré les contraintes spécifiques qui pèsent sur son activité, l'attitude fautive du médecin régulateur est de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier général de Laval. »

    Notons que l’absence de prise en charge correcte, vécue comme un abandon, cause un préjudice moral:

    CAA Nantes, 19 juillet 2019, n° 17NT02664, CHU Nantes (N° Lexbase : A6657ZMI) : « En premier lieu, il résulte de l’instruction et il n’est du reste pas contesté que les conditions dans lesquelles l’appel de Mme R. au centre 15 a été pris en charge par le médecin régulateur sont constitutives d’une faute de nature à engager la responsabilité du CHU de Nantes. Cette faute est à l’origine d’un préjudice moral spécifique pour l’intéressée, qui s’est trouvée abandonnée par l’institution qui aurait dû lui porter secours alors qu’elle était dans un état de grande souffrance physique et morale. Ce préjudice ne doit cependant pas être confondu avec les conséquences que la faute ainsi commise a pu avoir sur la prise en charge de la pathologie de la patiente et sur les dommages qui ont découlés de cette pathologie. »

E43673R8

2-3-6. L’erreur de diagnostic et la perte de chance

  • À l’instar du défaut d’information qui ne cause a priori pas en soi de préjudice, mais fait perdre au patient une chance de l’éviter, l’erreur de diagnostic fautive perdre une chance au patient d’aller mieux, ou d’éviter des souffrances ou des complications.

    Jusqu’à 2007, cette perte de chance ouvrait droit à la réparation intégrale du dommage corporel subi par le patient. Dès lors qu’elle était reconnue par le juge, elle constituait une porte d’entrée vers l’indemnisation et n’était pas quantifiée en elle-même. Ce n’était pas nécessaire dans une logique de « tout ou rien ».

    Depuis l’arrêt « Centre hospitalier de Vienne » de 2007, la perte de chance est un préjudice en soi, devant être réparé à ce titre. Ainsi, ce n’est plus l’intégralité du dommage corporel qui est réparé, mais la part du dommage corporel imputable à la perte de chance provoquée par l’erreur de diagnostic.

    CE Contentieux, 21 décembre 2007, n° 289328, Centre hospitalier de Vienne, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1501D3Y) : « Considérant, que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d’un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d’obtenir une amélioration de son état de santé ou d’échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l’établissement et qui doit être intégralement réparé n’est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d’éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l’hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l’ampleur de la chance perdue ; »

    Il revient donc au juge de quantifier cette perte de chance, ce qui est un exercice probabiliste, souvent difficile aux vues des pièces du dossier et qui conduit parfois à des partages à la Salomon, motivés de façon plus ou moins convaincante, mais qui doivent néanmoins répondre à un minimum de justification :

    CE 5 s-s., 28 mars 2008, n° 279755, Gorgan, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5921D7G) : « Considérant que la cour, en fixant la perte de chance à 25 %, sans s’expliquer sur les motifs dégagés de l’instruction du dossier ou du rapport d’expertise l’ayant conduit à cette évaluation, n’a pas mis à même le juge de cassation d’exercer son contrôle ; que son arrêt qui est insuffisamment motivé doit, par suite, être annulé ; »

    Pour aller plus loin sur l’évaluation de la perte de chance, voir Étude sur les préjudices, Lexbase [à paraître en novembre 2020]).

E43713RC

2-4. La faute médicale de suivi

  • Participe de la faute médicale le suivi insuffisant du traitement ou de l’intervention.

    Ainsi des négligences graves dans la surveillance post-opératoire et ayant contribué (avec un diagnostic erroné) à l’amputation de la jambe du patient, sont évidemment fautives (CE 5° s-s., 3 avril 2009, n° 301663, Centre hospitalier d’Avallon, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4970EES).

    Ne pas s’assurer de l’état de consolidation ou de rééducation d’une fracture peut également constituer un défaut de suivi :

    CAA Bordeaux, 28 mars 2008, n°s 06BX01806 et 06BX02094, G. (N° Lexbase : A2526EAS) : « Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment du rapport de l’expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Pau, qu’en autorisant trop précocement M. G., victime d’une double fracture ouverte du péroné et du tibia de la jambe gauche, à appuyer son pied après le retrait du fixateur externe alors que la fracture apparaissait manifestement sur les clichés comme non consolidée et siège de troubles circulatoires avec déminéralisation et signes de neuro-algodystrophie, le Centre hospitalier d’Auch a commis une faute de nature à engager sa responsabilité » (arrêt ayant fait l’objet d’une cassation sur le montant des préjudices : CE 5 s-s., 17 mars 2010, n° 316367, G., inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1376EUI).

    Ne pas surveiller les effets d’un traitement dangereux :

    CE 4° et 5° s-s-r., 11 avril 2008, n° 294767, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8688D7W) : « Considérant qu’il résulte des constatations de la cour d’appel de Reims que le psychiatre qui assurait la prise en charge de Mme C., atteinte d’une grave affection mentale, lui avait prescrit des doses massives de Leponex, neuroleptique susceptible d’entraîner une constipation chronique, sans surveiller son état physique, ni faire procéder à aucun examen clinique ; que le décès a été causé par une occlusion intestinale dont les symptômes auraient pu être aisément décelés par un tel examen ; que le comportement du médecin est constitutif d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’établissement public de santé de la Marne ».

    La faute au cours de la surveillance post-opératoire réside également dans le choix ou la conduite du traitement « secondaire » :

    CAA Marseille, 24 janvier 2008, n° 03MA00377, CHU de Nice (N° Lexbase : A4345D73) : « Considérant, toutefois, que M. T., qui ne soutient d’ailleurs pas que l’infection dont il a été victime aurait été contractée dans les locaux du Centre hospitalier, fait valoir que l’établissement aurait commis une faute au cours de la surveillance post-opératoire qui lui incombait du fait du traitement inadapté de l’infection dont il était victime ; que M. T. verse aux débats sur ce point les attestations circonstanciées de deux praticiens en date du 28 juillet 1997 et du 30 avril 1998, [...], dont il résulte que l’antibiothérapie qui lui a été prescrite par les praticiens du Centre hospitalier était inadaptée à la gravité des deux germes qui étaient à l’origine de son infection et qu’il a dû être opéré en urgence le 22 novembre 1996 par un praticien extérieur au Centre hospitalier pour l’ablation d’une nécrose du radius gauche du fait de la surinfection persistante dont il était victime ; que, par suite, les premiers juges ont pu estimer à bon droit au vu de ces éléments d’information que le Centre hospitalier avait commis une faute au cours de la surveillance post-opératoire du patient du fait d’un traitement inadapté de l’infection dont il était victime ».

    L’absence de mise en place d’un suivi adéquat lorsque le diagnostic n’est pas encore établi est fautif :

    CAA Marseille, 12 novembre 2015, n° 14MA00560 (N° Lexbase : A2141N7G) : « Considérant que, par jugement avant dire droit du 31 mai 2012, s’estimant insuffisamment éclairé sur les manquements allégués, le tribunal administratif de Bastia a ordonné une expertise médicale ; que l’expert a déposé son rapport le 14 février 2013 ; que par un jugement du 5 décembre 2013, le tribunal a jugé que le centre hospitalier de Bastia avait commis une faute en ne donnant pas au patient, en l’absence de diagnostic établi, les informations nécessaires au suivi de son état de santé et que cette absence de mise en place d'un suivi adéquat de l'état de santé de M. M. engageait la responsabilité de l’établissement de santé ; qu’il a également jugé que cette faute avait eu pour conséquence un retard de diagnostic de la pleurésie dont M. M. était atteint ; qu’il a par ailleurs estimé que deux des trois germes ayant contaminé le patient avaient une origine nosocomiale et que la responsabilité du centre hospitalier était engagée à ce titre ; qu’enfin, il a ordonné une expertise aux fins d’évaluer la perte de chance de M. M. d’échapper à l’aggravation de son état de santé en raison de la faute commise par l’établissement hospitalier et d’évaluer les préjudices subis en lien avec cette faute et ceux en lien avec les infections nosocomiales contractées. »

    La faute de suivi est souvent très proche du défaut de surveillance, lequel peut entrer dans la catégorie des fautes dans l’organisation et le fonctionnement du service lorsque cette surveillance n’incombe pas à un médecin.

3. Le défaut d’organisation et de fonctionnement du service

E43793RM

3-1. Préambule

  • À l’instar de la faute médicale, il n’existe pas de typologie bien définie du défaut d’organisation et de fonctionnement du service, mais il est possible de distinguer les défaillances administratives, les défaillances matérielles, les problèmes de coordination, les défaillances en ressources humaines, les défaillances humaines ainsi que les manquements éventuellement imputables aux des SAMU et SMUR.

3-2. Défaillances administratives

3-2-1. Préambule

  • Toute défaillance administrative, relevant davantage de l’acte de gestion et de la coordination du ou des services que du soin, mais qui a un effet dommageable sur l’état de santé d’un patient engage la responsabilité de l’hôpital.

E43823RQ

3-2-2. Erreurs et retards administratifs

  • La rédaction erronée d’une fiche médicale :

    CE Contentieux, 8 janvier 1959, n°s 31475 et 31636, Centre hospitalier du Mans : « Considérant qu’il est constant que, lors de la transcription des résultats de l’examen pratiqué le 3 mars 1951 par un médecin radiologue du centre, l’interne qui a rédigé la fiche du malade a mentionné que celui-ci n’était pas atteint d’une fracture, alors que l’existence de ladite fracture avait été constatée par le médecin ; que l’erreur ainsi commise dans la rédaction du document susmentionné a constitué une faute de service de nature à engager la responsabilité du centre ».

    Un retard dans l’admission d’un patient étranger, parce qu’il n’était pas en mesure de présenter une attestation de prise en charge par les organismes de Sécurité sociale de son pays d'origine, a entraîné une hospitalisation différée dommageable et fautive :

    CAA Paris, Plén., 9 juin 1998, n° 95PA03525, Mme B. (N° Lexbase : A9009BH7) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert désigné par le président du tribunal administratif de Paris pour examiner Mme B. d'une part, que du fait de l'altération continue des voies visuelles résultant de la présence du méningiome révélé par l'examen par scanner le 16 juillet 1987 et du risque imminent de cécité qui en découlait, l'opération d'exérèse de la tumeur devait être pratiquée d'urgence, d'autre part, que le report de trois semaines, au 8 août 1987 de son admission à l'hôpital a été de nature à compromettre les chances qu'avait encore la malade de conserver un potentiel de vision minimal alors même qu'aucune certitude n'existait sur la possibilité de sauvegarder la vue de Mme B. ; qu'ainsi, eu égard à l'urgence qui s'attachait aux soins nécessités par l'état de Mme B. urgence révélée en France lors de l'examen pratiqué le 16 juillet 1987, il appartenait au directeur du Centre hospitalier, en application des dispositions précitées du décret du 14 janvier 1974, de prononcer son admission, même en l'absence de tout renseignement sur les conditions dans lesquelles les frais de séjour seraient remboursés à l'établissement ; qu'en conséquence, si les soins dispensés à Mme B. postérieurement au 8 août 1987 ne révélent aucune faute du Centre hospitalier, en revanche, le fait d'avoir ajourné cette admission est constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ».

E43833RR

3-2-3. Tenue et conservation du dossier médical

  • Décret n°2006-6 du 4 janvier 2006
    Les règles sont inscrites aux articles R. 1111-9 (N° Lexbase : L4515LI3) à R. 1111-15-1 (N° Lexbase : L4978IP3) du Code de la santé publique pour la conservation sur support informatique, et aux articles R. 1111-16 (N° Lexbase : L4994IPN) à R. 1111-16-1 (N° Lexbase : L4979IP4) pour la conservation sur support papier. La durée de conservation est fixée à l’article R. 1112-7 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4504LIN) : 20 ans après le séjour du titulaire, prorogée le cas échéant jusqu’aux 28 ans du titulaire, et 10 ans à compter du décès du titulaire.

    La perte du dossier médical cause en soi un préjudice moral et révèle une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service :

    CAA Paris, 7 février 2011, n° 10PA02035, G. (N° Lexbase : A9280HNZ) : « Considérant qu’il incombait au groupe hospitalier concerné, en application des dispositions du décret n° 2006-6 du 4 janvier 2006, relatif à l’hébergement des données de santé à caractère personnel, modifiant certaines dispositions du Code de la santé publique, et de l’arrêté interministériel du 11 mars 1968, portant règlement des archives hospitalières, alors applicables, d'assurer la conservation de tous les documents faisant partie du dossier médical de M. G. ; que la disparition ou la non-communication partielle de ce même dossier médical, constituent un manquement de l'établissement hospitalier à ses obligations, révélant une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service de nature à engager sa responsabilité ».

    CAA Lyon, 23 mars 2010, n° 07LY01554 (N° Lexbase : A0829EWM) : « Considérant, qu’il incombait au Centre hospitalier, en application des dispositions de l'arrêté du 11 mars 1968 portant règlement des archives hospitalières, d'assurer la conservation de tous documents faisant partie du dossier médical de l'intéressé ; que la disparation et la non-communication du dossier médical de M. H. constituent un manquement de l'établissement à ses obligations, révélant une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service de nature à engager la responsabilité du Centre hospitalier ».

    Mais face à des fautes dans la tenue et la conservation du dossier médical, la responsabilité du service n’est généralement engagée que si lesdites fautes ont eu une incidence sur l’état de santé du patient :

    CE 5° s-s., 21 octobre 2009, n° 309022, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2531EMP) : « Considérant, en second lieu, que, si l’absence dans les archives hospitalières d’un dossier médical sur l’intervention subie en avril 1983 par M. D. dans le service d’oto-rhino-laryngologie de l’hôpital Laennec était un élément à prendre en compte par les juges du fond pour apprécier si l’existence de la transfusion alléguée était ou non établie, l’existence d’une faute qu’aurait commise à ce titre l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris restait sans incidence sur la responsabilité éventuellement encourue par celle-ci du fait de la contamination, en l’absence de lien de causalité entre une telle faute et la contamination ; »

    CAA Nancy, 29 janvier 2009, n° 07NC00670, R. c. CHR Metz-Thionville (N° Lexbase : A2243EDG) : « Considérant [...] qu’en admettant même que le Centre hospitalier régional de Metz-Thionville ait commis une faute dans la tenue et la conservation du dossier médical de M. R., ce dernier ne comprenant pas le dossier de soins infirmiers, cette faute, qui n’a généré aucun préjudice indemnisable propre, est sans lien direct avec les préjudices dont les consorts R. demandent réparation et qui sont la conséquence du décès prématuré de M. R. »

    On relève qu’il n’est pas certain qu’un dégât des eaux ayant détruit les archives soit susceptible d’exonérer le Centre hospitalier qui était tenu de les conserver :

    CAA Marseille, 15 avril 2011, n° 08MA03235, D. (N° Lexbase : A0114HTE) : « Considérant, au demeurant et en tout état de cause, qu’aux termes de l’article 7 de l’arrêté interministériel du 11 mars 1968 portant règlement des archives hospitalières, applicable à la date de l’hospitalisation en litige de 1978 : Les archives hospitalières [...] et les archives médicales sont conservées au siège de l’établissement [...] ; qu’en vertu du tableau relatif aux délais de conservation des archives médicales qui figure dans cet arrêté, les registres d’entrées et de sorties des malades sont conservés indéfiniment ; que les dossiers médicaux des malades (diagnostics, observations…) sont conservés indéfiniment pour les affections de nature héréditaire susceptibles d’avoir des répercussions pathologiques ou traumatisantes sur la descendance, 70 ans pour la pédiatrie, la neurologie, la stomatologie et les maladies chroniques, et 20 ans dans les autres cas ; qu’il résulte de l’instruction que M. D. a été hospitalisé en juillet 1978 pour une ostéosynthèse sur fracture du tiers supérieur du fémur ; que cette affection ne peut regardée comme une maladie chronique au sens des dispositions précitées ; que, par suite, le délai pendant lequel l’administration hospitalière devait conserver le dossier médical de l’intéressé était de 20 ans ; que s’il est constant que ledit dossier a été détruit lors d’un dégât des eaux en 1982, en tout état de cause, l’administration hospitalière n’était tenue de le conserver que jusqu’en juillet 1998, date à laquelle le dossier pouvait légalement être détruit ; que M. D. n’établit pas avoir sollicité la communication de son dossier médical avant la fin de l’année 1998 ».

    Échappant à la réglementation spécifiquement prévue pour les archives hospitalières, la destruction des enregistrements téléphoniques entre le médecin régulateur du SAMU et le médecin au chevet du patient n’en relève pas moins du régime général des archives publiques inscrit dans le Code du patrimoine, et engage la responsabilité du service:

    CAA Marseille, 25 juin 2009, n° 07MA02024, L. c. Centre hospitalier intercommunal de Toulon (N° Lexbase : A2017EKW) : « Considérant que l’enregistrement des échanges téléphoniques entre le médecin régulateur du SAMU et ses interlocuteurs constitue un document produit par l’hôpital dans l’exercice de son activité ; que, procédant de l’activité d’un établissement public, ce document présente le caractère d’une archive publique ; que sa conservation et son éventuelle destruction étaient dès lors régies, contrairement à ce que soutient le Centre hospitalier en défense, par les prescriptions susmentionnées [articles L. 211-1 N° Lexbase : L2528K9I à L. 211-4 N° Lexbase : L2533K9P du Code du patrimoine]; qu’il est constant que si les bandes d’enregistrement en cause ont été détruites, cette destruction est intervenue en dehors desdites prescriptions ; qu’il suit de là que, sans qu’il soit besoin de rechercher si ces documents faisaient ou non partie du dossier médical de M. L., et si leur destruction présentait ou non un caractère intentionnel, les consorts L. sont fondés à soutenir que cette destruction était fautive ; que cette destruction est d’ailleurs intervenue dans un contexte où le Centre hospitalier avait parfaitement connaissance de l’importance que revêtait, aux yeux des requérants, la conservation de ces documents dont la communication lui avait été demandée à plusieurs reprises dès le mois de juin 2000 ».

    La mauvaise tenue du dossier médical peut faire perdre une chance de faire la lumière sur la qualité de la prise en charge ou révéler une mauvaise prise en charge.

    CAA Nantes, 9 juin 2017, n°s 15NT02428, n° 15NT02458 (N° Lexbase : A5127WHD) : « aucun des avis médicaux produits par le centre hospitalier sur la base du dossier médical incomplet qu’a fourni le centre hospitalier ne remet utilement en cause les conclusions de l’expertise ».

    La perte du dossier médical cause un préjudice moral :

    CAA Paris, 19 décembre 2014, n° 14PA00078 (N° Lexbase : A7352M98) : « Considérant que s'il n'est pas établi que la perte d'une partie du dossier médical de Mme D. ait fait perdre à cette dernière une chance sérieuse d'établir l'origine de ses dommages, il ressort de l'instruction que cette dernière a subi un préjudice moral certain du fait de la non communication, à laquelle elle avait droit, de ces pièces contenant notamment des informations sur les prescriptions médicamenteuses reçues et les signes cliniques qu'elle présentait avant que l'ischémie mésentérique ne soit diagnostiquée ».

E43933R7

3-3. Défaillances matérielles

3-3-1. Préambule

  • Il peut s’agir de matériel insuffisant ou défectueux ou d’un mauvais entretien des locaux.

    Les obligations portant sur la qualité du matériel, l’entretien général des locaux et plus spécifiquement l’hygiène de l’hôpital ont toujours été très proches d’une obligation de résultat.

E43953R9

3-3-2. Défaut de matériel

  • L’absence de moyens matériels n’est pas une cause exonératoire de responsabilité lorsqu’elle est à l’origine d’un retard de soins.

    Ainsi le manque de lits ne doit-il pas empêcher la prise en charge en urgence d’une patiente enceinte de 23 semaines de jumeaux et sur le point d’accoucher :

    CE Contentieux, 16 juin 2000, n° 196255, Hospices civils de Lyon, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0682AW8) : « Considérant que [...] Mme C. n'avait pu être admise, faute de place, à l'hôpital Edouard Herriot de Lyon et que les dommages survenus aux deux enfants de Mme C., dans les minutes qui ont suivi leur naissance à l'hôpital de la Croix-Rousse à Lyon, auraient été évités par une prise en charge immédiate des nouveaux-nés par des spécialistes en néonatalogie ».

    Ainsi la mauvaise gestion d’un stock, ou l’absence de médicaments sont-elles susceptibles d’engager la responsabilité de l’hôpital pour faute dans l’organisation du service :

    CAA Bordeaux, 6 juillet 2006, n° 03BX01451, Groupe hospitalier Sud Réunion (N° Lexbase : A9412DQN) : « Considérant qu’il résulte de l’instruction et, notamment, du rapport d’expertise que l’intervention projetée le 17 avril 2001 n’a pu avoir lieu, après que la patiente eut subi une anesthésie générale, en raison de l’absence de la colle biologique nécessaire pour obstruer la malformation en cause ; qu’il s’agit là d’une faute dans l’organisation du service de nature à engager la responsabilité de l’établissement hospitalier ».

    Remarque : un pourvoi en cassation contre cet arrêt a été formé et rejeté. Le Conseil d’État ne s’est pas prononcé sur cette faute dans l’organisation du service (CE 4° et 5° s-s-r., 24 octobre 2008, n° 297994, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8565EAH).

    S’agissant du matériel défectueux et de produits de santé défectueux, ils relèvent du régime de la responsabilité sans faute prévu à l’article L. 1142-1, I, du Code de la santé publique (voir Etude : La responsabilité sans faute des établissements de santé).

    Sauf si les opérateurs utilisent sciemment un matériel défectueux :

    CAA Lyon, 7 avril 2011, n°s 09LY01837, n° 09LY01838, n° 09LY02013T. et CPAM de Saint-Étienne (N° Lexbase : A4039HTR) : « Considérant [...] que, d’autre part, l’expert souligne que, si la fausse route s’est produite lors de la seconde introduction du tube, elle doit être imputée à la défaillance du matériel d’imagerie qui a obligé à une répétition du geste dans des conditions délicates ; que, dans cette seconde hypothèse, la défaillance du matériel n’était pas imprévisible compte tenu des difficultés répétées rencontrées antérieurement et révèle une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service hospitalier, auquel il appartient de ne pas utiliser des matériels dont le risque particulier de défaillance est connu et n’a pas été pallié ; que, dans ces conditions, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens invoqués par M. T., la lésion thalamique dont il a été victime doit être imputée, dans chacune des deux hypothèses révélées par l’expertise, à une faute de nature à engager l’entière responsabilité du CHU de Saint-Étienne ».

    CE 4° et 5° s-s-r., 25 juin 2008, n° 235887, CPAM de Dunkerke, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3489D94) : « Considérant, en second lieu, qu’après avoir constaté, au vu du dossier qui lui était soumis, d’une part, que les systèmes automatisés de ventilation et de surveillance cardio-vasculaire utilisés lors de l’intervention chirurgicale pratiquée le 21 février 1992, dont les certificats d’entretien et de maintenance n’avaient pas été produits, avaient été défaillants et, d’autre part, que l’anesthésiste avait quitté la salle au cours de l’opération en confiant à une infirmière la surveillance qui lui incombait, la cour a pu, sans entacher sa décision d’une erreur de qualification juridique, retenir l’existence de fautes dans l’organisation et le fonctionnement du service, de nature à engager la responsabilité du Centre hospitalier ».

E43963RA

3-3-3. Défaut d’entretien des locaux

  • S’agissant du défaut d’asepsie, on relève pour sa valeur historique un arrêt de 1960 et on renverra pour le surplus au régime actuel des infections nosocomiales avec le mécanisme spécifiquement prévu par la loi du 4 mars 2002 (voir Etude : La responsabilité sans faute des établissements de santé).

    À propos du décès d’un enfant hospitalisé dans la même chambre qu’un adulte atteint de la variole

    CE, 18 novembre 1960, n° 27844, Savelli : « Considérant [...] qu’il résulte de l’instruction que S., atteint de rougeole et admis à l’hôpital de la Conception à Marseille le 14 février 1952 a, faute de lit disponible dans les pavillons réservés aux enfants, été hospitalisé dans une salle pour adulte où se trouvait un malade suspecté de variole et qui, le lendemain, est mort de cette maladie ; que, compte tenu de ce qu’il n’y avait pas encore à Marseille au milieu de février 1952 que quelques cas isolés de variole, l’apparition de cette maladie chez le jeune S. huit jours après son séjour dans la salle d’hôpital où un adulte est mort de cette maladie et son propre décès doivent être imputés à ce séjour ; que, dans les circonstances de l’affaire, les conditions où S. a été hospitalisé révèlent dans le fonctionnement du service public hospitalier une faute de nature à engager la responsabilité de ce dernier ».

    S’agissant de la configuration des locaux, le Conseil d’État a envisagé, sans le retenir en l’espèce, le défaut dans l’aménagement des locaux :

    CE 4° et 5° s-s-r., 16 janvier 2008, n° 275173, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1090D47) : « Considérant, en second lieu, qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir estimé, d’une part, que le fait que le bloc chirurgical n’était pas situé au même étage que le bloc obstétrical n’était pas constitutif d’une faute dans l’organisation du service et, d’autre part, de ne pas avoir jugé que la configuration des locaux était structurellement défectueuse et de nature à priver les patients des garanties médicales attendues du service public hospitalier ; que la cour, s’appuyant sur le rapport de l’expert désigné par le tribunal administratif de Poitiers qu’elle n’a pas dénaturé, a relevé que si le bloc chirurgical de l’hôpital n’était pas à l’époque des faits situé à proximité immédiate du service d’obstétrique, cette circonstance n’était pas, en l’espèce, constitutive d’un aménagement défectueux des locaux dès lors que, lorsque la décision de pratiquer la césarienne avait été prise à la suite de la manifestation des premiers troubles cardiaques de l’enfant, la patiente avait pu être transférée sur le champ au bloc opératoire et que le délai qui s’était écoulé entre le diagnostic de procidence du cordon et l’extraction de l’enfant n’était pas critiquable ; que la cour, en jugeant que les faits qu’elle a ainsi analysés ne révélaient pas de faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service, ne les a pas inexactement qualifiés ».

    Vis-à-vis des tentatives de suicide, la nature du service est décisive dans l’existence ou non d’un défaut d’aménagement des locaux. Ainsi, la tentative de suicide d’une patiente par défenestration, alors qu’elle se trouvait dans le service des maladies infectieuses n’est pas appréhendée de la même façon que si elle s’était trouvée dans le service psychiatrique :

    CAA Nantes, 22 février 1989, n° 89NT00008, A. c. Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles et Centre hospitalier régional universitaire de Rouen (N° Lexbase : A7745A8D) : « Considérant [...] que, de même, compte tenu également de la nature du service, le fait que Mme A. ait pu accéder à une fenêtre non pourvue d'un dispositif de sécurité ne révèle pas, même si des travaux ont été effectués après l'accident, un aménagement défectueux des locaux ; que, par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'accident survenu à Mme A. serait imputable à une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service ».

    Un tel défaut dans la configuration et l’aménagement des locaux a en revanche été retenu par la cour administrative d’appel de Bordeaux dans le contexte d’une agression entre patients au sein d’un service spécialisé :

    CAA Bordeaux, 8 juillet 2008, B., n° 07BX00222 (N° Lexbase : A2825EAU) : « Considérant que comme il a été précédemment dit, Mme B. a été lors de son hospitalisation au Centre hospitalier spécialisé (C.H.S.) Charles Perrens de Bordeaux victime dans la nuit du 6 au 7 août 1997 d’une agression sexuelle commise par un autre patient occupant une chambre voisine ; qu’eu égard à la nature de l’établissement en cause spécialisée dans l’accueil de personnes souffrant de troubles psychiatriques, la non séparation des hommes et des femmes dans les locaux d’hébergement et l’absence dans les chambres de tout dispositif d’appel du personnel chargé de la surveillance constituent un aménagement défectueux des locaux ; que, par suite, l’agression de Mme B., dont l’existence est établie par l’instruction, est imputable à un défaut d’organisation et de surveillance du C.H.S. Charles Perrens » (sur renvoi de CE 4° et 5° s-s-r., 24 janvier 2007, B., n° 277367, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7052DTD).

E43973RB

3-4. Coordination au sein du service et entre les services

  • Le manque de coordination au sein d’un même service (pédiatrie) est constitutif d’une faute dans l’organisation et le fonctionnement :

    CE Contentieux, 7 juillet 1997, n° 143528, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0703AER) : « Considérant que, par un jugement du 5 juillet 1991, le tribunal administratif d'Amiens, après avoir relevé que les séquelles consistant en troubles intestinaux chroniques entraînant une incapacité permanente partielle de 10 % dont reste atteint le jeune Grégory Papaseit étaient dues au retard avec lequel, en raison d'un manque de coordination au sein de l'équipe médicale du service de pédiatrie du Centre hospitalier général de Senlis dans lequel, souffrant de diarrhées et de vomissements, cet enfant, alors âgé de huit mois, avait été admis le 22 novembre 1979, l'invagination qu'il avait alors présentée avait été diagnostiquée et opérée ».

    Un retard à prévenir le praticien responsable ou le chef de service en est une illustration :

    CE 3° s-s-r., 24 avril 1964, n° 61278, Hôpital-Hospice de Voiron, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2450AQS) : « Considérant qu’il résulte de l’instruction et notamment du rapport d’expertise, que le lendemain du jour ou le sieur R. a été opéré à l’Hôpital-Hospice de Voiron, le personnel de service n’a pas prêté l’attention qu’ils méritaient aux avertissements de la famille de l’intéressé sur l’état du blessé ni alerté assez tôt le chirurgien qui avait pratiqué l’intervention ; que ces faits, qui ont compromis les chances qu’avait le sieur Richard d’éviter l’amputation de sa jambe, révèlent un mauvais fonctionnement du service public de nature à engager la responsabilité de l’Hôpital-Hospice de Voiron ».

    Et :

    CE 4° et 5° s-s-r., 26 mai 2010, n° 306354, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6881EX7) : « Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment des expertises ordonnées en référé et avant dire droit par le tribunal administratif de Limoges, que la couleur teintée du liquide amniotique à la rupture de la poche des eaux ne révélait pas, à elle seule, une souffrance fœtale aiguë imposant l’extraction de l’enfant, mais qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, les autres signes de souffrance apparus à partir de 4 heures 15 auraient dû conduire la sage-femme à appeler immédiatement l’obstétricien de garde afin qu’il procède à l’extraction ou, en cas d’impossibilité, qu’il décide de pratiquer une césarienne en urgence ; que le retard d’une heure à appeler l’obstétricien constitue une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service public hospitalier ».

    L’orientation de la victime vers un service de médecine générale plutôt que vers un service de chirurgie témoigne d’un problème de coordination entre les différents praticiens :

    CE Contentieux, 16 novembre 1998, n° 178585, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9102ASW) : « Considérant [...] que l'hospitalisation de l'intéressée avait été motivée par les chutes de cheval qui appelaient le traitement d'un traumatisme et non par l'état dépressif de la victime ; que, malgré la persistance des douleurs ressenties par Mlle R. et les symptômes présentés par le mollet gauche de la blessée, le Centre hospitalier de Brive s'est borné à lui administrer des médicaments anti-inflammatoires et n'a fait procéder que le 9 mars 1990 en fin d'après-midi, soit plus de quarante-huit heures après l'arrivée de Mlle R. aux urgences de l'hôpital, à un examen par un chirurgien ; que le syndrome de la loge, diagnostiqué le 9 mars 1990 dès le premier examen par le chirurgien, n'a pu être efficacement traité alors qu'un diagnostic rapide par un tel spécialiste aurait conservé à la victime des chances de récupération totale ; qu'ainsi la cour, en ne retenant pas de faute dans l'organisation du service du Centre hospitalier de Brive et notamment dans la coordination des interventions des différents praticiens, a entaché son arrêt d'une erreur dans la qualification juridique des faits ».

    Le défaut de communication entre les services d’un même établissement relève également de la faute d’organisation et de fonctionnement :

    CE, 9 décembre 1988, n° 53755, Bazin, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8354AP4) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction que la découverte de germe chez l'enfant par le service de pédiatrie n'a pas été communiquée au service de gynécologie où la mère demeurait hospitalisée ; que ce défaut de coordination entre deux services du même établissement hospitalier a compromis les chances de survie de Mme B. et est constitutif d'une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service de nature à engager la responsabilité de l'administration générale de l'Assistance publique à Paris ; que, par suite, M. B. est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'indemnisation ».

    De même pour une mauvaise orientation du diagnostic et un manque de coordination entre les services d’un même établissement ayant entraîné un retard considérable dans le traitement :

    CAA Paris, 1er juillet 2009, n° 06PA00481, D. (N° Lexbase : A6807GAD) : « Considérant qu’il résulte de l’instruction, [...] ; que si les symptômes présentés par l’intéressée ne justifiaient pas la mise en œuvre d’un tel examen lors de l’hospitalisation à l’hôpital d’Eaubonne Montmorency, car ils n’évoluaient que depuis un mois, ils le justifiaient à la date du 2 décembre 1999 à l’hôpital Trousseau, car l’intéressée présentait, après six mois d’évolution des lombalgies, une raideur rachidienne persistante, une abolition des réflexes du côté gauche et une fatigabilité à la marche sans qu’un diagnostic certain ait été posé ; que l’expert conclut que, réalisée à cette date, une IRM aurait permis de porter un diagnostic exact sur l’état de la patiente et de poser l’indication opératoire ; que la faute commise lors de la prise en charge et le traitement de Melle D. est caractérisée par l’erreur et le retard de diagnostic à l’origine d’un défaut d’orientation adaptée, de coordination des services et d’information et est ainsi entièrement imputable à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, laquelle ne saurait se prévaloir, pour s’exonérer au moins partiellement de sa responsabilité, des fautes qu’elle estime avoir été commises par les parents de la jeune Anaïs et leur médecin traitant après que l’enfant ait cessé de consulter à l’hôpital Trousseau, [...] ».

    Ainsi que pour un accueil mal organisé d’une urgence au sein d’un ensemble d’hôpitaux :

    CE Contentieux, 16 juin 2000, n° 196255, Hospices civils de Lyon, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0682AW8) : « Considérant qu'en estimant que les conditions de prise en charge, par le service hospitalier, de Mme C., sur le point d'accoucher en urgence à Lyon, devaient être appréciées au niveau de l'ensemble de l'établissement des Hospices civils de Lyon et non au niveau de chacun des hôpitaux le composant, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ; qu'eu égard à la gravité du risque qu'impliquait un accouchement prématuré de jumeaux de vingt-trois semaines, la cour n'a pas inexactement qualifié les faits soumis à son examen en estimant que les Hospices civils de Lyon, en n'admettant pas, le cas échéant en surnombre, Mme C. à l'hôpital Edouard Herriot ou, à défaut, en n'affectant pas à l'accouchement dans un autre hôpital des spécialistes en réanimation néonatale, ont commis une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service de nature à engager leur responsabilité, alors même que l'hôpital de la Croix-Rousse aurait utilisé au mieux les moyens humains et matériels dont il disposait ».

    Ou pour une coordination inadaptée entre services de deux établissements de santé dans la prise en charge d’un patient :

    CE 4° et 5° s-s-r., 25 juillet 2007, n° 274682, Centre hospitalier général d’Avignon, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4769DXW) : « Considérant [...], que le choix de traiter la sténose coronarienne dont était atteint M. C. par une angioplastie était pertinent, que cet acte médical ne présentait pas, a priori, de difficulté particulière et que le Centre hospitalier général d’Avignon disposait des compétences nécessaires pour le réaliser ; que si aucune réglementation en vigueur à la date des faits n’imposait que les actes d’angioplastie ne puissent être pratiqués que dans des établissements hospitaliers disposant en leur sein d’un service de chirurgie cardiaque, une couverture chirurgicale à distance étant considérée comme médicalement suffisante pour les patients ne présentant pas de hauts risques comme l’était M. C., il résulte toutefois des rapports des experts que la collaboration entre le laboratoire d’angioplastie du Centre hospitalier d’Avignon et le service de chirurgie cardiaque de l’hôpital Cantini à Marseille était inadaptée, la distance entre ces deux établissements n’étant pas compatible avec une intervention d’urgence ; que cette faute dans l’organisation du service n’a cependant, dans les circonstances de l’espèce, pas privé M. C. d’une chance de survie compte tenu de la gravité de la complication survenue, seule une chirurgie d’extrême urgence pratiquée sur les lieux mêmes ayant, selon les experts, une infime chance de sauver le patient ».

    A fortiori pour un cumul de dysfonctionnements au sein du service (détermination des rôles de chaque intervenant) et entre deux établissements publics de santé (transfert du patient) :

    CAA Lyon, 30 juin 2009, n° 05LY01980, F. c. Centre hospitalier de Privas (N° Lexbase : A0534ELD) : « Considérant qu’il résulte de l’instruction, [...] ; que le traitement du patient a de plus été obéré par une mauvaise organisation du service, en l’absence de toute définition claire des responsabilités des différents intervenants dans le suivi post-opératoire ; qu’enfin, lorsque le Centre hospitalier de Privas a décidé de transférer M. F. au Centre hospitalier de Valence, il s’est borné à le faire par ambulance de ville non médicalisée, avec une perfusion du même soluté, sans accompagner ce transfert d’un document indiquant les résultats des examens pratiqués et faisant apparaître la gravité et l’urgence de la situation, le transfert étant en outre réalisé de longues heures après que son principe en ait été arrêté ; que ces fautes cumulées, qui sont imputables au Centre hospitalier de Privas et non aux praticiens ayant réalisé les interventions, sont de nature à engager sa responsabilité ».

3-5. Absences, sous-effectifs, compétences et glissements de tâches

3-5-1. Préambule

  • De manière générale, toute faute, même médicale, commise par un membre du personnel de l’hôpital autre qu’un praticien, est considérée comme une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service. Mais certains manquements relatifs à la « gestion » humaine de l’hôpital relèvent particulièrement du défaut d’organisation et de fonctionnement.

    CE, 21 juillet 1939, n° 63105, Lemaire : « Considérant qu’il résulte des pièces du dossier que la jeune L., hospitalisée à la Maison des Tout Petits, à Monceau-Saint-Vaast, est décédée des suites de brûlures graves causées par l’apposition d’une compresse effectuée par une fille de salle inexpérimentée, attachée audit établissement ; que cet accident, dans les conditions où il s’est produit, est imputable à un défaut d’organisation du service de nature à engager la responsabilité du département du nord ».

E44003RE

3-5-2. Absence de personnel et sous-effectif

  • L’absence non justifiée du praticien ou du personnel soignant auprès des patients est évidemment fautive.

    Absence « de tout personnel médical » pendant trois heures lors d’un accouchement :

    CE 5° et 3° s-s-r., 17 avril 1985, n° 50438 (N° Lexbase : A3449AMP) et n° 55866 (N° Lexbase : A3450AMQ), Département de la Moselle c. Manson, mentionné aux tables du recueil Lebon : « Considérant [...] qu'ayant constaté l'apparition de signes caractérisés de souffrances fœtales et l'espacement des contractions utérines, la sage-femme en a averti des 9 heures 30 le médecin de l'établissement ; qu'en raison de l'aggravation de ces complications, elle a finalement provoqué l'accouchement vers midi ; que le médecin n'est arrivé que quelques instants plus tard ; Considérant que l'absence prolongée de tout membre du corps médical pendant le déroulement d'un accouchement dont les premières complications étaient apparues, ainsi qu'il vient d'être dit, plus de trois heures avant la délivrance, constitue une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service ».

    Absence d’anesthésiste lors d’une anesthésie :

    CE Contentieux, 8 octobre 1986, n° 61503, L. c. Centre hospitalier général de Château-Thierry, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4816AMC) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction que le Centre hospitalier général de Château-Thierry ne comptait dans son personnel, au moment des faits, aucun médecin anesthésiologiste, et que les anesthésies y étaient effectuées par ses infirmiers aide-anesthésistes ; qu'il résulte de l'instruction, et notamment des rapports des experts commis par le juge d'instruction qu'une telle organisation a fait en l'espèce obstacle à ce que fût pratiquée sur Mme L. une intubation broncho-trachéale, qui aurait été de nature à réduire les risques d'inhalation de liquide gastrique, et qu'elle a ainsi privé la parturiente des garanties médicales qu'elle était en droit d'attendre du service public hospitalier ; que ce défaut dans l'organisation et le fonctionnement du service est de nature à engager la responsabilité de l'établissement ».

    Infirmière n’appelant pas le médecin alors qu’elle est légalement tenue de le faire en présence d’un accouchement dystocique, et médecin absent sans motif légitime :

    CE 4° et 5° s-s-r., 27 juin 2005, Guechchati, n° 250483, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8689DIN) : « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme G. a été admise le 13 juillet 1995 au Centre hospitalier général de Pau et y a donné naissance à une fille pesant 4,550 kilos ; qu'est survenue pendant l'accouchement une dystocie des épaules ayant conduit la sage-femme présente à effectuer seule une manœuvre destinée à dégager les épaules de l'enfant ; que cette manœuvre a entraîné pour celle-ci une atteinte physique se traduisant par une paralysie du plexus brachial la privant de l'usage de son membre supérieur droit ; qu'il ressort également du dossier qu'aucun médecin n'est venu prêter son concours à l'accouchement de Mme G. en vue de pratiquer lui-même les gestes médicaux ou chirurgicaux adaptés à la gravité de la situation de cette patiente, en limitant ainsi les risques de voir l'enfant naître atteint d'un tel handicap ; qu'il n'était allégué devant les juges du fond ni qu'une circonstance d'extrême urgence ait fait obstacle à ce que la sage-femme appelle un médecin ainsi qu'elle y était légalement tenue, ni que le médecin de permanence ait été pour des motifs légitimes dans l'impossibilité de se rendre au chevet de Mme G. ; que, dès lors, en estimant qu'aucune faute dans l’organisation et le fonctionnement du service ne pouvait être retenue à l'encontre du Centre hospitalier général de Pau eu égard aux conditions du déroulement de l'accouchement, la cour administrative d'appel de Bordeaux a entaché son arrêt d'une erreur de qualification juridique ; qu'il y a lieu par suite d'en prononcer l'annulation ».

  • La question des astreintes est régulièrement présente dans les problèmes d’absence ou de retard du médecin, notamment dans les accouchements difficiles au sein de petites maternités.

    Dans l’affaire précitée où le médecin de garde avait refusé de se rendre au chevet de sa patiente et qui avait donné lieu à la reconnaissance d’une faute personnelle détachable du service, le juge avait cependant jugé :

    CE 5° s-s, 4 juillet 1990, n° 63930, Sté Le Sou Médical, mentionné aux tables du Recueil (N° Lexbase : A6007AQK) : « Considérant que le choix d'assurer la nuit le service de garde de chirurgie à domicile et non au sein de l'établissement ne constitue pas une faute dans l'organisation du service public hospitalier ».

    Depuis, la garde et l’astreinte sont réglementées. La première est une permanence à l’hôpital, la seconde correspond à la « garde à domicile » évoquée dans l’arrêt précédent. Et le retard de soins causé par le temps raisonnable que met le praticien d’astreinte à venir à l’hôpital n’est pas constitutif d’un défaut d’organisation ou de fonctionnement du service

    TA Clermont-Ferrand, 5 octobre 2010, n° 0902241, Mme L. c. Centre hospitalier d’Issoire : « Considérant qu’il résulte de l’instruction, notamment du rapport de l’expert commis en référé, que si Mme L. a été admise pour accoucher au Centre hospitalier Paul Ardier d’Issoire vers 17 heures, les premiers signes cliniques permettant de suspecter une éventuelle complication, à savoir une bradycardie importante et durable, ne sont apparus qu’à 22 heures 20 ; que, alors que le Centre hospitalier Paul Ardier d’Issoire est soumis à un système d’astreinte et non de garde, l’obstétricien d’astreinte, le Dr R., était appelé dès 22 heures 24 et arrivait à 22 heures 35, soit 11 minutes plus tard, ce qui représente le temps de parcours nécessaire pour rejoindre l’hôpital de son domicile ; qu’il procédait immédiatement à l’examen de la patiente et décidait, en raison de l’urgence de la situation, de pratiquer une césarienne directement en salle d’accouchement ; qu’à 23 heures 03, l’extraction était réalisée ».

    Ce retard de soins sera constitutif d’une faute dans l’organisation du service si le médecin d’astreinte appelé n’était pas disponible :

    CAA Paris, 21 mars 2007, n° 04PA03090, Centre hospitalier de Coulommiers (N° Lexbase : A4017DWP) : « Considérant qu’il résulte de l’instruction [...] qu’une laparotomie d’urgence était nécessaire pour traiter les lésions responsables d’un important saignement intra-péritonéal vraisemblablement à l’origine du décès ; que cette intervention aurait pu être pratiquée à partir de 20 h 15, heure à laquelle les examens radiologiques et échographiques nécessaires avaient été effectués et où la réanimation d’urgence à base de remplissage vasculaire avait permis de faire remonter la tension artérielle ; que cependant, le praticien d’astreinte pour la chirurgie générale, appelé à son domicile à 20 heures 34, était alors en train d’opérer dans une clinique privée auprès de laquelle il était également d’astreinte ; qu’il n’est arrivé à l’hôpital que peu de temps avant 21 heures 45, heure à laquelle Romain C. a fait un arrêt cardio-respiratoire lors du passage du chariot à la table d’opération ; que ce retard d’intervention révèle une organisation fautive des soins ; qu’il résulte de l’instruction, et notamment du rapport d’expertise précité, que malgré la gravité des lésions du bassin, susceptibles selon les experts d’entraîner la mort dans 30 à 40 % des cas, et du facteur d’aggravation que constituaient les autres lésions traumatiques, le retard d’intervention a fait perdre à ce jeune patient une chance réelle de survie ; que dès lors le défaut d’organisation imputable à l’hôpital est en lien avec le décès de M. C. ; qu’il appartient au Centre hospitalier d’assurer la réparation intégrale des préjudices imputables à ce retard fautif ».

  • Enfin, le manque d’effectifs est fautif. Il ne saurait donc constituer un moyen pertinent de défense.

    CE, 10 avril 1970, n° 72600, M. X., publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7141B7M) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction que le sieur X. a été attaqué par un autre aliéné dont l'impulsivité était connue et que l'accident s'est produit alors que lui-même et son agresseur se trouvaient, avec plus de 130 autres malades, dans une cour de dimensions insuffisantes, sous la surveillance de deux infirmiers seulement ; que, dans ces circonstances, cet accident a été rendu possible par une mauvaise organisation du service et le défaut de surveillance des malades ; que la faute ainsi commise par le service public engage la responsabilité du Centre hospitalier de Niort ».

    CAA Versailles, 25 mai 2010, n° 08VE03106, Centre hospitalier intercommunale des portes de l’Oise (N° Lexbase : A9212E4X) : « Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’en raison tant d’un enregistrement défectueux du rythme cardiaque fœtal que d’un manque de personnel et d’une surcharge de travail des deux seuls médecins présents le jour de l’accouchement de Mme E., la souffrance de l’enfant de Mme E. a été tardivement diagnostiquée et, par suite, tardivement prise en charge ; [...] que, dans ces conditions, le retard avec lequel la souffrance fœtale de l’enfant de Mme E. a été détectée et prise en charge est constitutif d’une faute dans l’organisation du service hospitalier de nature à engager la responsabilité du Centre hospitalier intercommunal des Portes de l’Oise ».

    Le juge peut donc être amené à vérifier que les effectifs sont suffisants :

    CAA Versailles, 16 décembre 2008, n° 07VE01502, T. et a. (N° Lexbase : A0454EEK) : « Considérant, en deuxième lieu, qu’il résulte de l’instruction et, notamment, du rapport de l’expert précité, que l’état de M. L., qui ne souffrait pas d’une maladie psychiatrique et ne présentait pas de tendances suicidaires, ne pouvait laisser prévoir une défenestration ; que l’expert a relevé, en outre, que M. L. avait bénéficié d’une surveillance particulière entre 2 heures 30 et 6 heures 30 par deux agents, dont une infirmière ; qu’ainsi, le service hospitalier avait pris les précautions qu’exigeait l’agitation du patient ; qu’il n’est pas contesté que les effectifs de l’équipe médicale attachée à l’unité de soins intensifs étaient suffisants ; que, dans ces conditions, la survenance de l’accident, vers 6 heures 45, au moment où les équipes se relaient, ne saurait être regardée comme imputable à une faute dans l’organisation du service hospitalier ».

    Cette vérification sera facilitée lorsque les prescriptions du Code de la santé publique sont particulièrement précises. C’est le cas pour les maternités et les exigences de personnel en termes de nombre, de qualification et de présence, selon le nombre d’accouchements qu’elles connaissent par an (CSP, art. D. 6124-44 N° Lexbase : L7189HBU).

    Mais le juge peut également prendre en compte les circonstances éventuellement exceptionnelles comme un afflux de patients, une surcharge momentanée, ou un médecin empêché par une autre urgence :

    CE 5° et 3° s-s-r., 20 janvier 1989, n° 60212, Centre hospitalier de Compiègne Hôpital Saint-Joseph c/ T., mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1765AQG) : « Considérant, d'une part, que lors de l'accouchement de Mme T. pratiqué au Centre hospitalier de Compiègne dans la journée du 30 juillet 1979, il s'est écoulé un délai de 40 minutes entre l'apparition d'une grave complication résultant d'une dystocie des épaules du fœtus et l'intervention médicale appropriée ; que ce délai, quelle que soit son importance n'a pas constitué une faute dans l'organisation du service hospitalier dès lors que l'unique médecin gynécologue prescrit par l'effectif réglementaire de l'hôpital n'a pu intervenir auprès de Mme T. qu'après avoir achevé la césarienne qu'il avait entreprise sur une autre parturiente ».

    Et il peut pousser l’instruction assez loin pour vérifier les circonstances du retard à intervenir. Celui-ci peut être justifié, mais il convient néanmoins de prendre en considération les moyens alternatifs d’assurer la prise en charge.

    CAA Lyon, 5 juillet 2018, n° 16LY01234 (N° Lexbase : A4526XZN) : « Considérant que les Hospices civils de Lyon opposent également la circonstance que le gynécologue obstétricien, seul médecin accoucheur de garde sur place, et l'interne, étaient occupés à pratiquer un autre accouchement qui a pris fin à 00h47 ainsi qu'en atteste le chef du service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital Femme-Mère-Enfant, le professeur G. et que la présence d'un seul médecin accoucheur est conforme au seuil réglementaire fixé à l'article D. 6124-44 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L7189HBU) qui précise que le personnel intervenant dans le secteur de naissance ne peut être inférieur à tout instant aux effectifs suivants : [...] Pour les unités réalisant plus de 1 500 naissances par an, la présence médicale est assurée par : - un gynécologue-obstétricien présent tous les jours de l'année, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, dans l'unité obstétrique ; que, cependant, il résulte de la copie du registre des naissances dont les énonciations non contestées sont de nature à remettre en cause la valeur probante de l'attestation du chef de service, que lors de l'accouchement qui s'est terminé à 00 heures 47 le docteur R., gynécologue-obstétricien de garde, n'était pas présente pour assister cette parturiente ; qu'en outre, l'expert souligne que l'hôpital Femme-Mère-Enfant est un hôpital universitaire avec une maternité de niveau 3 où il y a un interne de spécialité qui pouvait éventuellement suppléer le docteur R. ; que si les dispositions de l'article R. 6153-2 du Code de la santé (N° Lexbase : L0571I8N) précisent qu'en stage, l'interne est sous la responsabilité du praticien responsable de l'unité d'accueil et si en application de l'article R. 6153-3 du même code (N° Lexbase : L1372IN7) l'interne en médecine exerce des fonctions de prévention, de diagnostic et de soins, par délégation et sous la responsabilité du praticien dont il relève, il ne s'ensuit pas que l'interne serait dans l'impossibilité de pratiquer tout acte de soin en dehors de la présence du praticien, mais sous sa responsabilité ; qu'il n'est pas établi par les pièces du dossier que l'interne n'aurait pas été en mesure de s'occuper des suites de l'accouchement de l'autre parturiente qui avait pris fin à 00 heures 47 ; que, par suite, le retard du médecin, arrivé à 1 heure 00 en salle d'accouchement, a constitué une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service ».

E44013RG

3-5-3. Problèmes de compétences et de glissements de tâches

  • Assez directement lié aux problèmes d’effectif et de personnel, le « glissement de tâches » est une délégation d’actes médicaux à un professionnel qui n’est pas qualifié pour le faire. Il constitue à la fois un risque social, un risque pénal, et un risque médical.

    Il est extrêmement fréquent que le personnel infirmier procède à des prescriptions ou actes de soins qui sont strictement réservés aux médecins. Il n’est pas rare non plus que des aides-soignants réalisent des soins infirmiers, ou que des agents de service hospitalier exercent en pratique des fonctions d’aides-soignants.

    On relèvera que feu le tribunal des affaires sanitaires et sociales (TASS) a condamné un hôpital pour avoir commis « une faute inexcusable » en affectant un agent de service hospitalier (en l’espèce dans une relation contractuelle de droit privé) sur une tâche d’ordinaire dévolue aux aides-soignants, tâche au cours de laquelle l’agent s’est blessée.

    TASS de la Haute-Garonne, 23 février 2011, n° 20900543, P. c. Centre hospitalier de Saint-Gaudens : « Il est ainsi établi qu’en affectant Madame P. à une tâche qui ne relevait pas de sa compétence, l’employeur a commis un manquement à l’obligation de sécurité de résultat qui pèse sur lui ; il ne pouvait qu’avoir conscience du danger auquel il exposerait sa salariée puisqu’il n’ignorait pas les différences de formation et de compétence entre les fonctions d’aide-soignante et d’agent de service, et donc les conséquences sur la capacité à dispenser des soins aux malades dans des conditions optimales ».

    Si cette délégation de compétence est sanctionnée lorsque la santé du salarié est mise en danger, il va de soi qu’elle doit l’être lorsque la santé du patient est mise en danger. Directement invoqué dans de rares contentieux de la fonction publique hospitalière, le glissement de tâche n’apparaît en revanche dans aucune jurisprudence relative à la responsabilité hospitalière. C’est en effet que le glissement de tâche, qui est une réalité et qui est d’ailleurs un risque pénal très fort (on touche parfois à l’exercice illégal de la médecine), se noie dans la catégorie plus générale du « défaut d’organisation et de fonctionnement du service ».

    Les compétences de chaque professionnel de santé sont statutairement prévues :

    CE 5°, 20 mai 1987, n° 53606, Almeida-Assuncao, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4982AP9) : « Considérant que la circonstance que l'anesthésie a été pratiquée par une sage-femme titulaire du diplôme d'auxiliaire-anesthésiste en l'absence d'un médecin-anesthésiste ne constitue pas, en l'espèce, une faute dans le fonctionnement du service hospitalier, dès lors que, conformément aux dispositions de l'article 25 du Code de déontologie des sages-femmes, l'anesthésie a été pratiquée en présence d'un médecin ».

    S’agissant seulement des praticiens et sur la compétence proprement dite, de nombreux contentieux portent sur des actes pratiqués par des internes (voire des externes) sans la supervision, ou sans l’autorisation de leur chef de service.

    CE, Sect., 25 juin 1954, n° 3788, Forcina : « Considérant qu’en dehors des cas de force majeure où, en raison de l’urgence, l’intervention de l’interne s’impose en l’absence du chef de service et de ses assistants, ceux-ci ne peuvent régulièrement se décharger sur leurs internes de l’obligation qui incombe à ces praticiens d’accomplir personnellement les actes médicaux requis par l’état des malades que lorsqu’une telle délégation n’est pas exclue par la gravité de l’acte et qu’ils sont, d’autre part, assurés au préalable, dans chaque cas et sous leur responsabilité, que l’autorisation exceptionnelle ainsi donnée à leurs collaborateurs n’est susceptible de porter aucune atteinte aux garanties médicales que les malades sont en droit d’attendre d’un service hospitalier public ».

  • À l’époque où il était important de distinguer la faute dans l’organisation et le fonctionnement du service (soumise à un régime de responsabilité pour faute simple), de la faute médicale (soumise à un régime de responsabilité pour faute lourde), on trouvait beaucoup d’illustrations. Ainsi, à propos d’interventions chirurgicales, généralement sous anesthésie générale, pratiquées par des internes, voire des externes faisant fonction d’interne, et sans autorisation de leur responsable :

    CE 5° et 1° s-s-r., 4 octobre 1968, n° 71582, Doukakis, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3059B7G) : « Considérant que l'intervention subie, sous anesthésie générale, par la demoiselle D., le 4 avril 1957, a été pratiquée par le sieur G., externe des hôpitaux, désigné pour remplacer un interne au service de la maternité de l'hôpital Saint-Antoine à Paris ; que cette intervention n'est pas au nombre de celles qui, par application des règles sus énoncées et sauf circonstances exceptionnelles, peuvent être pratiquées par un externe faisant fonction d'interne ; qu'en outre, il ne résulte pas de l'instruction que le sieur G. ait reçu du praticien responsable du service l'autorisation de pratiquer l'intervention dont s'agit, alors que l'urgence alléguée par l'administration hospitalière n'était pas telle que cette autorisation fut impossible à obtenir ; que, par suite [...] les dommages subis par le jeune D. doivent être regardés comme imputables a la faute commise dans le fonctionnement du service ».

    CE 5° et 3° s-s-r., 23 février 1977, n° 00751, Hôpital de Saint-Pierre-de-la-Réunion, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5781B8M) : « Considérant que l'intervention a été pratiquée par le sieur D., étudiant en médecine qui faisait fonction d'interne en l'absence du chef du service de chirurgie ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que ce dernier ait autorisé le sieur D. à pratiquer l'intervention dont s'agit ; qu'ainsi, en l'absence de toute urgence, les dommages subis par la dame Etheve doivent être regardés comme imputables à une faute commise dans le fonctionnement du service, qui engage la responsabilité de l'hôpital de Saint-Pierre de la Réunion ».

    CE 5° et 3° s-s-r., 5 mai 1995, n° 133237, Centre hospitalier régional d’Amiens c. L., inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3904ANW) : « Considérant que [...] la cour, ayant constaté que l'interne de garde a procédé à l'anesthésie et en a déterminé lui-même les modalités sans consulter le médecin anesthésiste a pu, sans commettre d'erreur de droit, juger que l'intervention d'un interne pour pratiquer une anesthésie générale sur M. L. constituait une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service public hospitalier, de nature à engager la responsabilité de ce dernier ».

    CE 10° s-s. s-s-r., 12 juin 1970, n°s 74736 (N° Lexbase : A7015AMR) et 75684 (N° Lexbase : A8729B7G), Administration de l’Assistance publique à Marseille, publié au recueil Lebon : « Considérant que, si le sondage de l'artère fémorale droite pratiqué le 27 juillet 1965 par l'interne du service ou le sieur F. était hospitalisé était rendu délicat en raison des lésions artéritiques dont l'intéressé était atteint, il est constant que le chef du service a autorisé l'interne à procéder à cette intervention après s'être assuré au préalable que cette autorisation pouvait lui être donnée ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que, dans les conditions où cette décision est intervenue, une faute dans l'organisation du service ou ne faute lourde d'appréciation du chef de service puissent être relevées ; que, si, lors de l'exécution de l'acte médical, les branches terminales du nerf crural droit ont été touchées, il ne résulte pas de l'instruction que cette atteinte légère ait été constitutive d'une faute lourde ».

    CE 5° et 3° s-s-r., 16 avril 1980, n°s 06029, 08232, 08495, Centre hospitalier régional de Nantes, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1148B8Z) : « Considérant que M. M., atteint depuis plusieurs années de polyglobulie, a été hospitalisé au Centre hospitalier régional de Nantes, pour y subir une saignée périodique qui lui avait été prescrite par le professeur N., chef de service ; qu'en l'absence de ce dernier, un cathétérisme du cœur droit a été prescrit et pratiqué par l'interne de service le 29 août 1973 ; qu'il en est résulté un accident cérébral dont subsistent d'importantes séquelles ;

    Considérant que le cathétérisme cardiaque subi par M. M. n'est pas au nombre des interventions susceptibles d'être pratiquées par un interne hormis le cas d'urgence ou autorisation particulière du chef de service ; qu'il résulte de l'instruction que cette intervention ne présentait pas un caractère d'urgence et qu'il n'est pas établi que l'interne ait reçu l'autorisation de la pratiquer de la part du médecin responsable du service ; que par suite le Centre hospitalier régional de Nantes n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement en date du 7 décembre 1976, le tribunal administratif de Nantes l'a déclaré entièrement responsable des conséquences dommageables du cathétérisme pratiqué le 30 août 1973 ».

  • À propos d’opérations d’anesthésies conduites par une infirmière :

    CE Contentieux, 9 juillet 1969, n° 72901, Époux M., publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7115AHY) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction et qu'il n'est d'ailleurs pas contesté que les dommages subis par la Dame M., admise, au mois de juillet 1957, à la clinique ouverte créée par l'hôpital de Pont-à-Mousson, trouvent leur origine dans une piqûre anesthésiante faite par une infirmière dudit hôpital mise à la disposition du praticien qui a opéré la Dame M. ; qu'en vertu de l'article 3 de l'arrêté du ministre de la Santé publique du 18 juillet 1956, l'anesthésie figure au nombre des actes qu'un auxiliaire médical ne peut accomplir que sous la responsabilité et la surveillance directe d'un médecin ; qu'il résulte de l'instruction et notamment des constatations du rapport de l'expertise ordonnée par les premiers juges qu'une faute lourde doit être relevée a l'encontre de l'infirmière qui a pratiqué l'anesthésie ».

    CAA Bordeaux, 21 juin 1999, n° 96BX02224, B. et M. (N° Lexbase : A5521BE9) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport des experts commis par le tribunal administratif, que plusieurs imprudences ont été commises lors de l'anesthésie, laquelle est à l'origine directe des lésions dont l'enfant est atteint ; qu'ainsi les opérations d'anesthésie ont été conduites, jusqu'à la survenance de l'incident, non par le médecin anesthésiste, mais par l'infirmière anesthésiste qui a choisi de procéder à une anesthésie générale sans intubation, alors que l'enfant était porteur d'une infection des voies aériennes supérieures, et sans qu'une surveillance de la tension artérielle ne soit effectuée ».

    La réalité n’échappe pas aux juges. En témoigne M. F. dans ses conclusions sur CE, 5 mai 1995, Centre hospitalier régional d’Amiens c. M. L., évoquant une jurisprudence qui « pose certes des exigences particulièrement rigoureuses - voire quelque peu théoriques - au regard des conditions de fonctionnement quotidien des hôpitaux », mais qui n’en est « pas moins pleinement justifiée par la circonstance que les internes n’ont pas, quelle que soit leur compétence réelle, la qualité de docteur en médecine. » Et qui n’en est incidemment pas moins conforme à la réglementation…

    Si une incompétence statutaire n’empêche pas une compétence réelle, l’inverse peut s’avérer vrai également et il y a parfois, à l’hôpital comme ailleurs, des professionnels insuffisamment compétents. Mais encore une fois, le problème est dilué dans le très général « défaut d’organisation et de fonctionnement » et n’apparaît évidemment pas dans les jurisprudences relatives à la mise en jeu de la responsabilité de l’hôpital.

    En revanche, le directeur de l’établissement dispose de pouvoirs de suspension à l’encontre des praticiens représentant un danger pour les patients :

    CE 3° et 8° s-s-r., 6 mars 2006, n° 261517, Centre hospitalier d’Arles, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4847DNT) : « Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l'article L. 6143‑7 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L5380LW8), le directeur d’un Centre hospitalier assure la gestion et la conduite générale de l'établissement, et en tient le conseil d'administration informé. À cet effet, il exerce son autorité sur l'ensemble du personnel dans le respect des règles déontologiques ou professionnelles qui s'imposent aux professions de santé, des responsabilités qui sont les leurs dans l'administration des soins et de l'indépendance professionnelle du praticien dans l'exercice de son art ; que ces dispositions donnent au directeur du Centre hospitalier le pouvoir de décider, en cas d'urgence et sous le contrôle du juge, dans l'attente d'une mesure de suspension de l'intéressé prise par l'autorité compétente, d'exclure un praticien du service des gardes et astreintes de cet établissement ; qu'en particulier, si la participation à ce service fait partie des fonctions des praticiens hospitaliers telles qu’elles sont définies par les articles 29 à 34 du décret du 24 février 1984 portant statut des praticiens hospitaliers, ces dispositions ne font pas obstacle à ce qu’un praticien dont le comportement est susceptible de faire courir un risque pour la sécurité des patients puisse être écarté du tableau des gardes et astreintes ; que, dès lors, le moyen tiré par M. K. de l'incompétence du directeur du Centre hospitalier d’Alès doit être écarté ».

    Ce pouvoir a été synthétisé et encadré par le Conseil d’État qui exige ainsi que le directeur en réfère immédiatement à l’autorité de nomination :

    CE 5° et 6° ch.-r., 5 février 2020, n° 422922, G., mentionné aux tables du recueil Lebon ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 56490679, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "CE 5/6 ch.-r., 05-02-2020, n\u00b0 422922, mentionn\u00e9 aux tables du recueil Lebon", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A39723DH"}}) : « S'il appartient, en cas d'urgence, au directeur général de l'agence régionale de santé compétent de suspendre, sur le fondement de l'article L. 4113-14 du Code de la santé publique, le droit d'exercer d'un médecin qui exposerait ses patients à un danger grave, le directeur d'un centre hospitalier, qui, aux termes de l'article L. 6143-7 du même code, exerce son autorité sur l'ensemble du personnel de son établissement, peut toutefois, dans des circonstances exceptionnelles où sont mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients, décider lui aussi de suspendre les activités cliniques et thérapeutiques d'un praticien hospitalier au sein du centre, à condition d'en référer immédiatement aux autorités compétentes pour prononcer la nomination du praticien concerné. »

  • Cette décision n’est pas une sanction disciplinaire, mais est prise à titre conservatoire dans l’intérêt du service :

    CAA Nantes, 30 juin 2010, n° 09NT02723, H. (N° Lexbase : A2658E8X) : « Considérant que M. H. a pris en charge, le 16 décembre 2008, au service des urgences-SMUR du Centre hospitalier de Nogent-le-Rotrou, un patient, âgé de 81 ans, victime d’un accident vasculaire cérébral hémorragique massif, au pronostic vital engagé ; qu’il ressort des pièces du dossier [...], qu’il est reproché à M. H. d’avoir cessé tout traitement de ce patient sans concertation avec l’équipe soignante et sur une simple consultation téléphonique d’un interne de garde au service de neurochirurgie du Centre hospitalier universitaire de Rouen, en violation des dispositions précitées de l’article R. 4127-37 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L6349K9Z), ainsi que d’avoir injecté à ce même patient, après l’avoir extubé, une dose massive de morphine par voie intra-veineuse directe, dont les effets escomptés ne pouvaient être la sédation d’un état douloureux, mais de précipiter le décès, dans des conditions qui ne sont pas celles prévues par les dispositions précitées de l’article R. 4127-38 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L8319GTB) ; qu'ainsi, le comportement médical de M. H. doit être regardé comme ayant été de nature à faire courir des risques à la santé du patient dont il avait la charge et à compromettre le bon fonctionnement du service ; que, dans ces circonstances exceptionnelles et eu égard à l’urgence, la directrice du Centre hospitalier de Nogent-le-Rotrou pouvait légalement, pour assurer la continuité du service et prévenir de graves incidents, décider de suspendre l’ intéressé de ses fonctions de praticien hospitalier au service des urgences-SMUR, deux jours seulement après la remise du rapport d’enquête ».

    CAA Marseille, 20 avril 2010, n° 07MA04796, C. : « Considérant, en troisième lieu, qu’aux termes de l’article L. 6143-7 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L5380LW8) alors en vigueur : Le directeur assure la gestion et la conduite générale de l'établissement, et en tient le conseil d'administration informé. À cet effet, il exerce son autorité sur l'ensemble du personnel dans le respect des règles déontologiques ou professionnelles qui s'imposent aux professions de santé, des responsabilités qui sont les leurs dans l'administration des soins et de l'indépendance professionnelle du praticien dans l'exercice de son article ; qu’il résulte de ces dispositions que le directeur d’un Centre hospitalier peut légalement décider en cas d’urgence, notamment lorsque le comportement d’un médecin est de nature à faire courir des risques graves à la santé des patients, sous le contrôle du juge et à condition d’en référer immédiatement aux autorités compétentes, de suspendre celui-ci de ses activités de garde ;

    Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que lors des gardes qu’il a effectuées à partir du 15 janvier 2003, l’appelant a rencontré des difficultés dans l’exercice de son activité médicale en réanimation qui ont été à l’origine d’incidents graves durant les nuits du 23 au 24 avril, du 12 au 13 mai et du 21 au 22 mai 2003 relatés par plusieurs témoins ; que, contrairement à ce que soutient M. C., si le rapport d’expertise rédigé le 28 février 2004 par les professeurs R. et M. a effectivement conclu à l’absence d’insuffisance professionnelle, il a relevé que l’appelant, qui n’avait plus exercé en tant que réanimateur depuis huit ans, était dépassé ; qu’eu égard aux présomptions de comportements mettant en danger les patients qui pesaient à la date de la décision litigieuse sur M. C., la situation d’urgence était avérée et le directeur du Centre hospitalier n’a pas entaché sa décision de suspendre celui-ci d’une erreur manifeste d'appréciation ».

    Le directeur ne peut cependant soumettre toutes les décisions thérapeutiques d’un praticien à validation préalable de son supérieur sans porter atteinte à l’indépendance professionnelle

    CE 1° et 6° s-s-r., 2 octobre 2009, n° 309247, Joseph, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5728ELQ) : « Considérant qu’il résulte des pièces du dossier soumis au juge du fond que le directeur du Centre hospitalier de Sens a subordonné l’ensemble des décisions pré-opératoires relatives notamment à l’indication opératoire, au degré d’urgence et aux moyens nécessaires, prises à l’égard de ses patients par M. J., praticien hospitalier du service d’oto-rhino-laryngologie, à une validation préalable par le chef de ce service ; qu’une telle décision, nonobstant son caractère provisoire ou la circonstance qu’elle serait intervenue pour mettre un terme à des tensions nées entre différents services, méconnaît l’indépendance professionnelle de M. J. dans l’exercice de son art médical ; que, dès lors, en jugeant qu’elle pouvait trouver son fondement légal dans les dispositions rappelées ci-dessus des articles L. 6143-7 (N° Lexbase : L5380LW8) et L. 6146‑5‑1 (N° Lexbase : L0014G9E) du Code de la santé publique, le tribunal administratif de Dijon a entaché sa décision d’une erreur de droit ».

    Enfin bien sûr, les praticiens et personnel de santé doivent également respecter un principe de compétence s’agissant des spécialités médicales :

    CE 5° s-s., 28 mars 2008, n° 291434, Centre hospitalier du Pays d’Aix, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5949D7H) : « Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment du rapport d’expertise, que les clichés radiologiques réalisés lors de l’admission de Mickaël D. au Centre hospitalier du Pays d’Aix le 3 juin 1995 faisaient apparaître des anomalies de nature à justifier des investigations complémentaires qui auraient permis de poser le diagnostic de fracture crânienne embarrée ; que, faute d’avoir soumis les clichés à un radiologue expérimenté, les médecins n’ont pas décelé ces anomalies ; que, par ailleurs, l’enfant a été rendu à sa famille le 6 juin, dans un état fébrile, sans qu’aient été respectées les consignes de sortie du service telles qu’elles avaient été édictées ; que ces circonstances révèlent des fautes dans l’organisation ou le fonctionnement du service ; qu’il résulte de l’instruction qu’elles sont en relation directe avec le décès de l’enfant, survenu le 14 juin du fait de complications infectieuses de la fracture ».

E44213R8

3-6. Défaillances humaines

3-6-1. Faute dans l’acte de soins courants

  • Arr. min. du 6-01-1962
    L’acte de soins courants a quasiment disparu du contentieux de la responsabilité hospitalière. Il était couramment délimité selon les termes de l’arrêté du 6 janvier 1962, fixant la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins ou pouvant être pratiqués également par des auxiliaires médicaux ou des directeurs de laboratoires d'analyses médicales non médecins, dont l’article 4 énonçait les actes pouvant être exécutés par des auxiliaires médicaux qualifiés et uniquement sur prescription du médecin, mais en dehors de la présence de celui-ci.

    L’acte de soins courants pouvait bien évidemment faire l’objet d’une faute démontrée.

    Mais il pouvait également, et c’était tout l’intérêt de la notion, faire l’objet d’une faute simple présumée, laquelle était révélée lorsqu’un dommage survenait en lien avec l’acte de soins courants, précisément parce qu’il n’est pas censé avoir de conséquences dommageables.

    CE Sect. 26 juin 1959, n° 31396, Rouzet : « Considérant qu’il résulte de l’instruction que le préjudice corporel subi par la jeune Christine Rouzet est la conséquence directe d’une faute commise par un interne de l’hôpital des enfants malades, à Paris, qui, par erreur, a pratiqué une perfusion intraveineuse dans une artère ; qu’une telle intervention a, en principe, le caractère d’un acte de soins et ne figure pas au nombres des actes médicaux énumérés par les articles 3 et 4 de l’arrêté [du ministre de la Santé publique et de la population] du 31 décembre 1947 ; que si, en l’espèce, cette intervention présentait des difficultés particulières, eu égard au jeune âge de l’enfant et à la gravité de son état, son exécution, dans un service hospitalier spécialisé dans le traitement des maladies des très jeunes enfants, n’exigeait pas l’intervention ou la surveillance personnelle d’un médecin ; que, dans ces conditions et bien qu’elle n’ait pas présenté le caractère d’une faute lourde, la faute commise par l’interne susmentionné a été de nature à engager envers la victime la responsabilité de l’administration générale de l’Assistance publique à Paris ».

    CE 3° et 5° s-s-r., 22 décembre 1976, n° 00848, Administration générale de l'Assistance Publique à Paris c. Derridj et CPAM de la région parisienne, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5635B89) : « Considérant qu'il résulte du rapport de l'expert et qu'il n'est d'ailleurs pas contesté par l'administration générale de l'assistance publique à Paris que la paraplégie des membres inférieurs dont la dame D. a obtenu réparation par le jugement attaqué est en relation directe de cause à effet avec l'injection intramusculaire pratiquée le 21 avril 1969 ; que, s'agissant d'un acte de soin courant et de caractère bénin, les troubles susmentionnés ne peuvent être regardés que comme révélant une faute commise dans l'organisation ou le fonctionnement du service ».

    CE 5° et 3° s-s-r., 16 octobre 1987, n° 51467, Centre hospitalier de Roanne c. B., inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5704APX) : « Considérant que [...] le fait que le produit injecté dans une veine de la main ait pu se répandre dans les tissus sans que l'on s'en aperçût et sans que cet incident ne fût décelé au cours de l'hospitalisation de trois jours nécessaires à la séance de chimiothérapie révèle, s'agissant d'un acte de soins courants dont l'exécution et le contrôle sont indépendants tant de la nature du produit injecté que de la gravité de la maladie, une faute commise dans l'organisation et le fonctionnement du service ».

    La faute dans l’acte de soins courants n’apparaissait plus dans ces termes dans le contentieux de la responsabilité hospitalière depuis que le régime de la responsabilité pour faute lourde a disparu et qu’il n’est plus tellement nécessaire de faire appel à la présomption de faute pour engager la responsabilité du Centre hospitalier. Ça l’était plus sous l’empire de la responsabilité pour faute, qui n’était pas facilement démontrable.

    La notion est pourtant réapparue dans un arrêt de 2009, pour être finalement écartée en l’espèce, mais cette jurisprudence a rappelé une certaine survivance de l’idée d’une présomption de faute dans l’acte médical :

    CE 4° et 5° s-s-r., 21 octobre 2009, n° 314759, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2548EMC) : « Considérant que, pour juger que le dommage subi par la requérante, alors même qu’il était la conséquence directe de l’intubation réalisée en vue de l’anesthésie générale, n’engageait pas la responsabilité du Centre hospitalier, la cour administrative d’appel a estimé qu’il résultait de l’instruction et notamment du rapport d’expertise que le praticien n’avait, en procédant à cette intubation, ni méconnu les règles de l’art, ni commis aucune faute ; que, ce faisant, la cour n’a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ; qu’elle n’a pas davantage entaché son arrêt d’erreur de droit, dès lors que l’intubation d’un patient en vue d’une anesthésie générale ne peut être regardée comme un geste courant à caractère bénin dont les conséquences dommageables, lorsqu’elles sont sans rapport avec l’état initial du patient, seraient présumées révéler une faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service ; que par suite, Mme A. n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ».

    Elle a de nouveau ressurgi en 2016 avec une rédaction et une solution identique s’agissant d’une intubation :

    CE 5° ch., 16 décembre 2016, n° 400756, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2409SXI) : « Considérant que, pour juger que le dommage subi par le requérant, alors même qu'il était imputable aux manœuvres d'intubation sous anesthésie générale, n'engageait pas la responsabilité de cet établissement, le tribunal administratif a estimé qu'il ne résultait pas de l'instruction que la fracture radiculaire et les préjudices qui en découlaient étaient la conséquence d'un comportement fautif du centre hospitalier ; que, ce faisant, le tribunal n'a ni dénaturé les pièces du dossier, ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ; qu'il n'a pas entaché son jugement d'erreur de droit, dès lors que l'intubation d'un patient en vue d'une anesthésie générale ne peut être regardée comme un geste courant à caractère bénin dont les conséquences dommageables, lorsqu'elles sont sans rapport avec l'état initial du patient, font présumer l'existence d'une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service. »

    Puis en 2017 avec une décision réintégrant formellement la catégorie des « actes de soin courant » dans la typologie de la faute hospitalière :

    CE 4° et 5° ch.-r., 10 mai 2017, n° 390082, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1097WCM) : « Considérant que, pour juger que la responsabilité du centre hospitalier général d'Albi n'était pas engagée, la cour administrative d'appel a estimé que les rapports d'expertise ne permettaient pas de conclure à l'existence d'une faute lors de la pose de la voie veineuse ; que toutefois, la circonstance qu'un acte de soins courant a entraîné une incapacité permanente révèle en principe une faute de nature à engager la responsabilité du service public hospitalier ; qu'ainsi, l'arrêt attaqué est entaché d'une erreur de droit. »

E49473RN

3-6-2. L’oubli de dispositif médical

  • La compresse est le dispositif médical le plus oublié dans la mesure où au contact du sang, elle se confond avec les tissus organiques.

    CE 4° et 5° s-s-r., 21 mai 2008, n° 296686, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9560D8L) : « Considérant que l’oubli d’une compresse lors de l’intervention du 6 janvier 1997 a constitué une faute de nature à engager la responsabilité du Centre hospitalier du Havre ».

    Le comptage des compresses ne relevant cependant pas du chirurgien, l’oubli de compresses est considéré comme une faute de service.

    CE 4° et 5° s-s-r., 16 mars 2005, n° 263117, Centre hospitalier de Saulieu, inédit au recueil Lebon  (N° Lexbase : A2818DHT) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment des faits constatés par l'arrêt de la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Dijon en date du 23 août 1995, que les compresses extraites de l'abdomen de Mme M. avaient été oubliées lors de l'intervention de colectomie effectuée au Centre hospitalier de Saulieu en septembre 1987 ; que cet oubli est constitutif d'une faute de service de nature à engager la responsabilité du Centre hospitalier ».

E50593RS

3-6-3. Défaut de surveillance médicale

  • La « faute de suivi » a été évoquée dans le cadre de la faute médicale proprement dite. La frontière entre la faute médicale dans le suivi et le défaut d’organisation et de fonctionnement du service dans la surveillance médicale peut parfois paraître subtile, mais elle existe, selon notamment « qui » en est à l’origine.

    Constitue un tel défaut :

    Le fait de ne pas surveiller suffisamment un nouveau-né alors que l’accouchement a été difficile :

    CE, 20 mars 1957, n° 7295 et 19220, Hospices de Perpignan : « Considérant qu’il résulte des pièces versées au dossier, que l’accident dont a été victime à l’hôpital civil de Perpignan, peu d’heures après sa naissance, le jeune S., est imputable à un défaut de surveillance, alors que s’imposait, en l’espèce, une vigilance particulière des conditions propres à assurer la survie d’un enfant né dans des conditions difficiles ; qu’une telle négligence, dans les circonstances de l’affaire, doit être regardée comme constituant une faute de nature à engager la responsabilité des Hospices de Perpignan ».

    Le fait de ne pas repérer des signes évidents d’infection :

    CE, 27 mai 1957, n° 35159, Denis : « Considérant que le sieur D., atteint d’une fracture de la jambe droit, a été admis le 14 juin 1949 à l’hôpital d’Orléans ; que le membre fracturé ayant été plâtré peu après l’arrivée du blessé, celui-ci fut autorisé à sortir de l’hôpital le 17 juin ; qu’au moment où il allait quitter l’établissement, on constata l’aggravation de son état ; que l’interne de service dut pratiquer d’urgence une large incision du plâtre ; que malgré les soins qui lui furent donnés par la suite le sieur D., atteint de gangrène gazeuse, dut subir, le 24 juin, l’amputation de sa jambe ;

    Considérant que si, ainsi qu’il ressort des rapports établis par les experts commis par les premiers juges, les troubles circulatoires qui sont à l’origine de la gangrène ne peuvent en l’espèce être attribués avec certitude aux lésions causées par l’accident lui-même ou à la compression des vaisseaux par un plâtre trop serré, il résulte en revanche de l’instruction que c’est en raison d’un défaut de surveillance manifeste et d’une négligence du personnel de l’hôpital que l’aggravation de l’état du sieur D. n’a été décelée que le 17 juin au moment où il devait quitter l’hôpital, alors surtout que le blessé s’était plaint au cours des jours précédents de douleurs violentes et s’est montré agité et inquiet ; que le requérant est, par suite, fondé à soutenir que le dommage subi par lui est imputable à une faute dans le fonctionnement du service de l’hôpital et que le Centre hospitalier régional d’Orléans doit être regardé comme entièrement responsable dudit préjudice ».

    Le fait de ne pas repérer des signes d’ischémie malgré des symptômes et des avertissements de la famille :

    CE Contentieux, 16 mars 1984, n°s 23583 (N° Lexbase : A4276ALX) et 40325 (N° Lexbase : A4277ALY), Centre hospitalier de Beauvais c. Coulombel et Duhamel : « Considérant qu'il résulte de l'instruction [...], que, qu'elle qu'ait été l'origine de l'ischémie apparue sur le membre blessé, le développement et l'évolution de celle-ci ont été dus au fait que le personnel médical et infirmier n'a pas prêté l'attention qu'ils méritaient aux symptômes manifestés et aux avertissements de la mère de l'enfant sur l'état de ce dernier; que ce fait, qui a été constitutif d'une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service hospitalier [...] ».

  • Déjà évoqué plus haut dans le cadre de la faute de diagnostic, le fait de laisser toute la nuit un patient dont la jambe droite se paralysait dès la soirée :

    CE 5° et 7° s-s-r., 19 mars 2003, n° 195007, CHRU de Caen, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5579A7R) : « Considérant qu'en jugeant que la responsabilité du service hospitalier était engagée à raison d'un retard de diagnostic né, d'une part, de l'erreur du médecin de garde qui n'a pas interprété correctement les symptômes du patient et d'autre part, de l'incapacité du service des urgences à retrouver les radiographies effectuées le matin même à l'occasion de la première hospitalisation et du défaut caractérisé de surveillance médicale pendant la nuit du 15 au 16 octobre, la cour n'a pas inexactement qualifié les faits ni commis d'erreur de droit en caractérisant les faits de l'espèce à la fois comme établissant une faute médicale et révélant des fautes dans l'organisation du service ».

    Le fait de ne pas surveiller une femme après un accouchement qui avait pourtant donné lieu à d’abondantes hémorragies et avait nécessité des transfusions :

    CE 4° et 5° s-s-r., 27 juin 2005, n° 261574, R., mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8705DIA) : « Considérant qu’il résulte de l’instruction que la surveillance de Mme R. à l’issue de son accouchement a été gravement insuffisante, aucun examen gynécologique n’ayant été pratiqué avant le neuvième jour suivant alors que la patiente souffrait de saignements, qu’elle restait anémique et qu’elle présentait un fort état fiévreux ; que cette insuffisance de surveillance qui a rendu nécessaire l’hystérectomie réalisée en urgence constitue une faute médicale ; que cette faute engage la responsabilité du Centre hospitalier d’Albertville ».

    Le fait de laisser toute la nuit sans monitorage une femme enceinte admise à la suite de la rupture de la poche des eaux :

    CE 4° et 5° s-s-r., 11 avril 2008, n° 293938, D., inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8686D7T) : « Considérant qu’[...] alors même que les résultats des examens pratiqués lors de l’admission étaient normaux, le tableau clinique de Mme D. le 8 juin 2001 au soir aurait dû conduire à une surveillance épisodique nocturne de son état ; que si la mort de l’enfant, dont les causes demeurent inconnues, ne peut être directement imputée à ce défaut de surveillance, celui-ci a été à directement à l’origine d’ une perte de chance d’éviter ce décès ; que le Centre hospitalier d’Alençon ne saurait par suite soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a jugé que cette faute était de nature à engager sa responsabilité ».

    Le fait de laisser sortir un patient de l’hôpital, à la fois sans information sur ses risques de déshydratation, et sans lui indiquer par la suite de revenir alors que la situation l’exigeait :

    CE 4° et 5° s-s-r., 28 novembre 2008, n° 283237, n° 293930, CPAM de la Creuse et Meunier, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4457EBP) : « Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment du rapport d’expertise, que durant son séjour au service d’oncologie de la Pitié-Salpêtrière du 20 au 23 juin 1995 pour y subir une sixième cure de polychimiothérapie pour traiter un cancer, M. M., alors âgé de 23 ans, a été victime de violents vomissements en début de cure ; que rentré au domicile de sa tante le 23 juin avec une prescription d’anti-vomitifs par voie orale, ces vomissements ont repris après chaque ingestion solide ou liquide ; que le service d’oncologie, consulté téléphoniquement à deux reprises par la tante de M. M., selon ses dires non sérieusement contestés par l’hôpital, a alors conseillé d’administrer les anti-vomitifs par voie intraveineuse ; qu’un examen biologique réalisé le 27 juin, à l’initiative de la tante de l’intéressé, a révélé un taux de créatinine élevé qui a conduit à l’hospitalisation de celui-ci au service de néphrologie de la Pitié-Salpêtrière où a été constatée une insuffisance rénale irréversible ; que dans les circonstances de l’espèce, et alors même que M. M. avait fait l’objet pendant sa cure d’hydratations régulières par injection de liquide isotonique, le fait de l’avoir laissé sortir dès le 23 juin, sans information suffisante sur les risques néphrotoxiques du traitement entrepris et sur la nécessité de prévenir par tout moyen, compte tenu des vomissements dont il avait été victime en début de cure et d’une température ambiante élevée, tout risque de déshydratation, et de ne pas avoir conseillé un retour à l’hôpital dès les premières alertes, a constitué une faute de nature à engager la responsabilité de l’AP-HP ».

  • Aucun défaut de surveillance ne peut en revanche être reproché au service lorsque :

    Celle-ci est conforme aux règles de l’article :

    CE 5° et 3° s-s-r., 24 juillet 1987, n° 45828, Centre hospitalier de Périgueux, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3816APZ) : « Considérant [...] que le diagnostic de gémellité avait échappé au médecin traitant et au médecin accoucheur qui a pris en charge la parturiente à la clinique ouverte de l'hôpital ; que Mlle S., sage-femme du service hospitalier mise à la disposition de ce dernier praticien, a exercé lors du travail de la parturiente une surveillance conforme aux règles de l'art, compte tenu d'un diagnostic qu'il ne lui appartenait pas de mettre en doute ; qu'aucun signe clinique alarmant ne justifiait qu'elle fit appel d'urgence aux médecins de l'hôpital en attendant le retour du praticien privé dont Mme T. était la cliente ou ne lui imposait de mettre celle-ci sous monitorage et qu'en particulier, aucun signe clinique ne lui permettait de déceler le décollement du placenta, cause de l'anoxie cérébrale que présente le jeune G., qui ne s'est manifesté qu'au retour du médecin de Mme T. ; qu'ainsi le dommage dont il est demandé réparation n'est pas imputable au personnel médical auxiliaire de l'hôpital mis à la disposition du praticien opérant en clinique ouverte ».

    CE 5° et 3° s-s-r., 14 juin 1989, n° 73538, Centre hospitalier régional de Nantes, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3407AQA) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport de l'expert commis par le tribunal administratif que l'enfant D. était visité toutes les demi-heures par une puéricultrice et examiné toutes les deux ou trois heures par un membre de l'équipe médicale ; que cette surveillance a été coordonnée de façon satisfaisante ; que dès lors le Centre hospitalier régional de Nantes est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes s'est fondé sur un défaut de surveillance pour mettre en cause la responsabilité dudit centre ».

    La victime est imprudente.

    CE 1° et 5° s-s-r., 14 février 1969, n° 72808, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9951B7P) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction que, comme l'a admis le tribunal administratif, l'accident survenu à la dame veuve R. est imputable à l'imprudence que cette dernière a commise en tentant de descendre seule de l'appareil sur lequel elle venait d'effectuer une séance de mécanothérapie, sans attendre que le kinésithérapeute, occupé à prodiguer ses soins à un autre patient, vienne l'aider dans cette manœuvre ; que cet auxiliaire médical, en l'absence de toute urgence prévisible, n'a pas dans ces circonstances commis de faute en différant de quelques instants l'aide qu'il se disposait à apporter à la requérante ».

    L’incident était imprévisible.

    CE 4° et 5° s-s-r., 10 mars 2004, n° 251594, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5729DBS) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction que, dès que M. J. a connu un malaise, une aide-soignante est intervenue et a alerté le surveillant qui a entrepris sans délai les gestes de réanimation qui ont été poursuivis ensuite par l'équipe médicale d'anesthésie-réanimation ; que par ailleurs l'accident cardiaque subi par M. J. après onze jours de convalescence présentait un caractère imprévisible et n'aurait pas pu être prévenu par la mise en place d'un monitorage électronique ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le Centre hospitalier régional universitaire de Rennes aurait commis des fautes dans l'organisation et le fonctionnement du service engageant sa responsabilité doit être écarté ».

E51413RT

3-6-4. Défaut de surveillance dans la « vie hospitalière »

  • Statistiquement, les incidents les plus fréquents sont les chutes. Les dommages causés lors de sorties non autorisées, les agressions et les tentatives de suicide font également partie des accidents de la vie hospitalière impliquant le cas échéant un défaut de surveillance.
  • 1) Chutes
  • Révèlent un défaut de surveillance fautif :

    → La chute d’un enfant placé dans un lit inadapté à son âge et à son état de santé et causant un hématome extradural :

    CE 5° et 3° s-s-r., 15 avril 1983, n° 11384, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0034AM9) : « Considérant que la circonstance que le jeune R., âgé seulement de quatre ans et huit mois et qui venait de souffrir de graves troubles cérébraux, ait été, à son arrivée dans le secteur de neurologie, placé dans un lit de type ordinaire sans précautions particulières et non dans un lit-parc alors que le sol était constitué de carrelage révèle un défaut dans l'organisation du service qui revêt, dans les circonstances de l'espèce, le caractère d'une faute de nature à engager la responsabilité du Centre hospitalier de Purpan ».

    → La chute d’un patient sur un autre dans un réfectoire laissé sans surveillance et causant une fracture du col du fémur :

    CE Contentieux, 14 décembre 1983, n° 40383 (N° Lexbase : A9873ALA) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction, que Mme G., hospitalisée au Centre hospitalier de Nevers, a été victime le 25 février 1980, au réfectoire de ce centre, d'un accident ayant entraîné une fracture du col du fémur, provoqué par la chute d'un autre malade; que ce réfectoire appelait, eu égard à l'état physique des malades qui y prenaient leurs repas et dont certains étaient gravement handicapés, une surveillance particulière dont il n'est pas contesté qu'elle a fait, en l'espèce, entièrement défaut; que les circonstances de cet accident révèlent une faute dans l'organisation du service de nature à engager la responsabilité du Centre hospitalier de Nevers ».

    → La chute d’une armoire de la chambre sur un enfant hospitalisé et causant un traumatisme crânien :

    CE Contentieux, 13 janvier 1988, n° 77534, Centre hospitalier de la Ciotat, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7962APL) : « Considérant qu'en admettant que les besoins du fonctionnement du service obligent à déplacer sans difficulté les armoires placées dans la chambre réservée aux enfants et que ces armoires ne puissent donc être fixées au mur, il incombe à l'administration hospitalière de prendre les précautions nécessaires pour que celles-ci ne puissent basculer au contact de jeunes enfants jouant dans la chambre ; qu'alors même que cette chute aurait été provoquée par le fait de l'enfant de trois ans qui en a été victime cette circonstance confirmerait que l'armoire était placée dans une position instable et qu'ainsi l'accident a eu pour cause un manque de précaution constitutif d'une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service, comme l'a jugé le tribunal administratif ».

    → La chute d’une patiente se déplaçant seule en déambulateur et qui aurait due être transportée en fauteuil dans les couloirs de l’établissement ou au moins soutenue (CAA Versailles, 10 mai 2011, Guillemain, n° 10VE00941 N° Lexbase : A6213HUN).

    → Des chutes successives et consécutives à une première chute, alors que « compte tenu de cette première chute, il appartenait au Centre hospitalier de prendre des dispositions pour prévenir de nouvelles chutes et que cette carence révélait une faute dans le fonctionnement et l’organisation du service » (CAA Marseille, 18 janvier 2011, n° 08MA00069, CPAM du var N° Lexbase : A0907GTR).

     

    Ne sont en revanche pas constitutives d’un défaut de surveillance :

    → Les chutes survenues alors que l’état de santé des victimes ne nécessitait pas une surveillance particulière :

    CE Contentieux, 11 janvier 1980, n° 1022, Directeur général de l’administration de l’Assistance publique à Marseille c. C. (N° Lexbase : A6837AI3) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment des pièces présentées pour la première fois devant le Conseil d'État par l'administration de l'Assistance Publique à Marseille, que la chute dont a été victime M. C. le 1er novembre 1972 à l'hôpital de la Timone où il était en traitement, au cours de laquelle a été brisé le montage exécuté sur la tête de l'humérus droit fracturé lors d'une chute précédente, a eu lieu alors que l'intéressé essayait de se lever; que l'état de M. C. à l'époque de la chute survenue le 1er novembre 1972 ne nécessitait pas une surveillance particulière et que l'accident ainsi survenu n'a pas pour origine un fonctionnement défectueux du service des soins hospitaliers ».

    CE 5° et 3° s-s-r., 14 juin 1989, n° 70651, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3385AQG) : « Considérant que si Mme G. soutient qu'une mauvaise organisation du service public hospitalier, est à l'origine de sa chute, il résulte au contraire de l'instruction que deux agents hospitaliers se trouvaient à proximité de la table d'examen sur laquelle Mme G. se trouvait placée ; que compte tenu de l'âge de cette dernière et du fait qu'elle était pleinement valide, cette assistance apparaissait suffisante au regard des risques encourus ; qu'ainsi Mme G. n'est pas fondée à invoquer une faute dans l'organisation du service hospitalier ».

    Les chutes consécutives à un malaise lorsque les consignes de ne pas se lever seul avait été données :

    CAA Bordeaux, 23 décembre 2010, n° 10BX01225 : « Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction, notamment du rapport de l’expert désigné par les premiers juges, que Mme F., qui avait fait l’objet d’examens de la part d’une sage-femme puis d’un interne, ne présentait aucun signe clinique qui aurait interdit de la placer, seule, alitée dans une chambre ; que la circonstance, à la supposer établie, que l’intéressée aurait déjà fait un premier malaise à son arrivée devant l’hôpital, si elle justifiait les consignes qui lui ont été données de rester allongée, de ne pas se lever seule et d’appeler le personnel soignant, n’imposait pas nécessairement une surveillance constante, alors au demeurant que sa chambre était à proximité immédiate du poste de soins infirmiers ».

    → Les chutes inévitables au regard de la détermination du patient à surmonter la surveillance ou les dispositifs de protection :

    CAA Bordeaux, 9 juin 2020, n° 18BX02224, centre hospitalier du Val d’Ariège (N° Lexbase : A70803NK) : « Par ailleurs, s'il est exact que l'intéressé a de nouveau présenté des troubles confusionnels dans la nuit du 14 au 15 avril 2011, vers 2 heures du matin, l'infirmière alors présente dans le service a décrit, lors de son audition par les services de gendarmerie, un patient légèrement confus, qui parlait seul et émettait le souhait d'un retour à domicile, mais qui ne criait pas et n'était pas particulièrement agité. Le personnel soignant a alors pris l'initiative de renforcer la surveillance du patient en augmentant la fréquence des passages de contrôle, espacés de seulement une demi-heure, et en laissant ouverte la porte de sa chambre. Il résulte encore de l'instruction que M. B. E. n'avait, au cours de son hospitalisation, commis aucun acte dangereux pouvant être regardé comme lié à un état de désorientation, la chute survenue le 11 avril 2011 étant essentiellement imputable à la détermination de ce dernier, qui ne souhaitait pas uriner dans un urinal, à se rendre aux toilettes alors même que son lit était alors doté de barrières. Dans ces conditions, l'état et le comportement de J. E. ne pouvaient légitimement faire craindre l'acte qu'il a commis, consistant à relever le volet roulant, qui n'avait été que partiellement baissé sur sa demande en début de soirée, monter sur une chaise, ouvrir une fenêtre et l'enjamber. Dès lors, et contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, l'absence de verrouillage des fenêtres de la chambre de M. B. E. et le fait d'avoir laissé des volets semi-ouverts ainsi qu'une chaise, ne peuvent être regardés, dans les circonstances de l'espèce, comme constitutifs d'une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service de nature à engager la responsabilité du CHIVA ».

  • 2) Fugues, tentatives de suicide et agressions
  • Particulièrement présents dans les services de psychiatrie, les problèmes de fugues, de tentatives de suicide, de suicides et d’agressions répondent à des exigences précises de sécurité et de surveillance et peuvent engager la responsabilité de l’établissement.

    Mais la simple sortie sans autorisation du patient peut engager la responsabilité de l’établissement de santé :

    CE 1° et 4° ch.-r., 9 novembre 2018, n° 412799, Assurances Credit Mutuel IARD, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6398YK8) : « 3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, d'une part, que la présence de M. C. sur la route départementale, sans laquelle l'accident ne se serait pas produit, était due au défaut de surveillance du centre hospitalier spécialisé Charcot, dont M. C., hospitalisé à la demande d'un tiers, était sorti sans autorisation une heure plus tôt, et, d'autre part, que celui-ci s'est engagé sur la chaussée à la tombée de la nuit, en dehors de tout passage protégé, en dépit de la circulation des véhicules. Par suite, en jugeant que les préjudices et débours dont la société ACM IARD avait assumé la réparation avaient pour seule origine, sans que le fait de la victime y ait aucune part, la faute commise par son assuré, conducteur du véhicule qui avait renversé M.C., et qu'il n'existait ainsi aucun lien de causalité direct entre ces préjudices et le défaut de surveillance susceptible d'être imputé au centre hospitalier spécialisé, la cour a inexactement qualifié les faits de l'espèce. »

  • a) Fugues et suicides
  • S’agissant de la surveillance des personnes souffrant de maladies mentales, le régime de responsabilité devient celui de la faute simple dès 1966, même si pour les faits de l’espèce, elle n’avait pas été reconnue :

    CE Contentieux, 5 janvier 1966,  n° 58623, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3289B7X) : « Considérant qu’il est constant que la dame H., hospitalisée le 16 mai 1960 pour dépression nerveuse dans le service « Médecine Femmes » du Centre hospitalier d’Avignon est décédée de ses blessures quelques jours après la chute qu’elle avait faite le 17 mai 1960 en se jetant dans le vide du haut du toit de l’immeuble ; que si, le matin même de l’accident, la dame H. avait fait l’objet d’un examen médical et si le médecin, constatant que l’intéressée, qui lui demandait l’autorisation de sortir de l’hôpital, n’était pas guérie, avait ordonné qu’elle soit soumise à un traitement calmant et reconduite dans une cellule, il résulte de l’instruction que ces prescriptions ont été observées ; qu’en effet la dame H. a reçu la piqûre calmante ordonnée par le praticien et a été enfermée ensuite dans une cellule dont l’agencement était tel que la possibilité d’une fuite ne pouvait raisonnablement être envisagée ; que notamment cette cellule n’était aérée que par une lucarne dont le bord inférieur se trouvait à 3,30 mètres du plancher ; que dès lors ni le fait que la lucarne dont s’agit – qu’en dépit de sa hauteur la dame H. a réussi à atteindre pour gagner le toit de l’hôpital – n’ait pas été grillagée, ni le fait que l’intéressée ait été laissée seule dans sa cellule sans être soumise à une surveillance particulière et constante ne peuvent être regardés, dans les circonstances de l’affaire et compte tenu des moyens dont disposait le Centre hospitalier, comme constitutifs d’une faute de nature à engager la responsabilité de cet établissement ».

    Pour les fugues comme pour les tentatives de suicide, l’établissement hospitalier est généralement responsable lorsque le risque est prévisible, lorsque le régime d’hospitalisation n’est pas adapté ou lorsque la configuration matérielle n’est pas adéquate.

    Le juge apprécie la prévisibilité du risque en fonction des éléments portés à la connaissance du personnel médical, notamment bien sûr les antécédents et les prédispositions, mais aussi le comportement du patient au sein du service.

    CE 5° et 3° s-s-r., 12décembre 1979, n° 10706, Centre hospitalier de Sevrey, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2059AKH) : « Considérant que, qu'elle qu'ait été la voie utilisée par M. P. qui avait déjà réussi à s'enfuir à plusieurs reprises, pour quitter le pavillon et franchir ensuite l'enceinte de Centre hospitalier, son évasion révèle, dans les circonstances de l'espèce, et eu égard aux moyens dont disposait le centre, un défaut d'organisation du service et un défaut de surveillance de nature à engager la responsabilité de l'établissement ».

    CE 5° et 3° s-s-r., 6 juillet 1988, n° 68262, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9692APN) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction que la malade avait donné des signes inquiétants d'agitation dans les heures précédant son suicide ; que si l'interne de garde avait ordonné qu'elle ne fût plus attachée, contrairement à ce qu'avaient jugé nécessaire les infirmiers du service, il avait prescrit l'administration d'un neuroleptique ; que, dans ces conditions, la circonstance que Mlle B. ait été laissée sans surveillance particulière après l'injection de ce médicament et avant que celui-ci ait pu produire ses effets, et notamment qu'elle n'ait pas été empêchée de continuer à circuler dans les couloirs de l'hôpital, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de cet établissement ».

  • A contrario,

    CE 5° et 3° s-s-r., 5 mars 1975, n° 91211, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3537B77) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'affection mentale dont souffrait l'intéressée, qui était bien connue du personnel du service où elle avait déjà fait plusieurs séjours, l'avait déjà conduite dans le passé à s'infliger volontairement des blessures, d'ailleurs bénignes, mais ne semblait pas, de l'avis des médecins qui l'avaient soignée, la prédisposer à un comportement suicidaire ; que le médecin qui avait délivré le bulletin d'hospitalisation n'avait prescrit aucune précaution particulière concernant la garde de la malade ; que, dès lors, le fait que la demoiselle P. ait été laissée seule dans sa chambre sans surveillance particulière, alors surtout que, hospitalisée depuis l'avant-veille, rien dans son attitude n'avait été de nature à motiver une telle surveillance, ne peut être regardé, dans les circonstances de l'affaire et compte tenu des moyens dont disposait le Centre hospitalier, comme constitutif d'une faute susceptible d'engager la responsabilité de cet établissement ».

    CE 5° et 3° s-s-r., 26 juin 1981, n° 17581, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3959AKT) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. L. T. ne présentait aucun syndrome suicidaire ; qu'il n'est pas établi que Mme L. T. aurait prévenu le personnel du service, le 5 janvier, de l'extrême nervosité de son mari ; que ce dernier n'a donné après son admission aucun signe d'agitation particulière et a fait l'objet d'une surveillance normale ; qu'ainsi les circonstances de l'affaire ne font apparaître dans l'organisation et le fonctionnement du service aucune faute de nature à engager la responsabilité du Centre hospitalier ».

    CE 5° et 3° s-s-r., 24 juillet 1987, n° 46974, D. c. Centre hospitalier régional d’Angers, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5409APZ) : « Considérant qu'en l'absence de prescription médicale de mesures particulières de surveillance ainsi qu'en l'absence de circonstances pouvant laisser prévoir son geste dans les moments qui l'ont précédé, le fait que Mme D. ait été placée seule dans une chambre pourvue d'une fenêtre qu'il était possible d'ouvrir, et qu'elle n'ait pas fait l'objet d'une surveillance continue ne peut, dans les circonstances de l'espèce, être regardé comme constitutif d'une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service de nature à engager la responsabilité de l'administration hospitalière ; »

    CE 5° s-s., 17 mai 1989, n° 42945, Centre hospitalier spécialisé Henri ey de Bonneval, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3100AQU) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction que ni les antécédents de M. D. ni son comportement au cours de son hospitalisation et plus particulièrement dans les heures qui ont précédé son geste, ne révélaient un risque de tentative de suicide ou un état nécessitant des mesures de surveillance constante ; que le fait que M. D. ait été laissé sans surveillance pendant quelques minutes dans les toilettes du service et la circonstance que les installations de ces toilettes aient rendu possible son suicide par pendaison avec la ceinture de sa robe de chambre, ne constituent pas, dans les circonstances de l'espèce, une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service public hospitalier ; »

    CE 5° et 7° s-s-r., 7 février 2003, n° 230958, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0444A7L) : « Considérant, d'autre part, que la cour administrative d'appel de Douai a estimé, par une appréciation souveraine des faits, que M. B. ne présentait pas de syndrome dépressif antérieur et que son état était calme le 3 juin 1993 ; qu'en jugeant que, compte tenu notamment des moyens dont disposait le Centre hospitalier et des premiers résultats du traitement entrepris, ni l'absence de mesures de contention de l'intéressé, ni la brève absence de l'agent hospitalier, ni les conditions d'aménagement du service ne révélaient en l'espèce une faute dans l'organisation de ce service de nature à engager la responsabilité du Centre hospitalier universitaire ».

    CE 5° s-s., 17 octobre 2011, n° 341343, inédit au recueil Lebon ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 5615756, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "CE 5 SS, 17-10-2011, n\u00b0 341343", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A8353HYZ"}}) : « Considérant, en second lieu, qu'après avoir relevé que si Mme D. avait fait état d'idées suicidaires lors de son admission, elle n'avait effectué par le passé aucune tentative de suicide malgré un contexte dépressif ancien, qu'aucun signe d'aggravation de son état n'avait été constaté au cours des deux premiers jours de son hospitalisation et qu'aucun comportement anormal de nature à laisser présager une situation d'urgence suicidaire n'avait été décelé par son époux lors de son retour dans sa famille le 3 décembre 2005, ni par le personnel soignant lorsqu'elle avait regagné l'hôpital, la cour a retenu que le centre hospitalier spécialisé intercommunal de Clermont de l'Oise n'avait commis de faute ni dans le choix de la méthode thérapeutique, en ce qui concernait le régime de l'hospitalisation et les médicaments prescrits, ni dans l'organisation et le fonctionnement du service ; que la cour a ainsi apprécié le caractère adapté de l'ensemble de la prise en charge de Mme D. et a notamment estimé que les conditions dans lesquelles le diagnostic avait été établi n'étaient pas fautives ; [...] ; qu'en écartant, au vu des éléments qu'elle avait relevés, la responsabilité de l'établissement, elle n'a pas donné aux faits de l'espèce une qualification juridique erronée et n'a pas entaché sa décision d'erreur de droit. »

  • Une surveillance non adaptée est par exemple révélée par la possibilité laissée au patient de circuler librement alors qu’une hospitalisation et une surveillance plus contraignante aurait été plus adéquate :

    CE Section, 14 juin 1963 : « Considérant que le sieur D., hospitalisé le 23 février 1859 pour dépression nerveuse à la clinique de la faculté de médecin dépendant du Centre psychiatrique Sainte-Anne à Paris, s’est suicidé le 14 avril dans un bâtiment désaffecté situé dans les jardins de l’établissement ; Considérant qu’il ne résulte pas de l’instruction que, compte tenu des méthodes thérapeutiques employées dans le service libre dans lequel le sieur D. avait été placé – et alors qu’aucune erreur de diagnostic sur l’état réel du malade n’est établie – le décès de l’intéressé eût pu être évité soit par une meilleure organisation du service, soit par un aménagement différent des locaux de l’hôpital ».

    CE 5° et 3° s-s-r., 3 juillet 1974, n° 87938, n° 90199, Centre hospitalier de Lagny, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2332B7I) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction que le sieur C. a été hospitalisé le 26 mars 1970 dans le service de neuro-psychiatrie du Centre hospitalier de Lagny à la suite d'une tentative de suicide ; qu'il était libre de circuler dans les locaux hospitaliers sans surveillance particulière conformément aux méthodes thérapeutiques pratiquées par l'établissement à l'égard des malades mentaux ; qu'il est sorti de sa propre initiative de l'établissement, le 1er avril 1970, et s'est rendu à la gare de Lagny où il a tenté de mettre fin à ses jours en se jetant sous un train ; Considérant qu'eu égard à une précédente tentative de suicide qui avait motivé son hospitalisation, le sieur C. aurait dû faire l'objet d'une surveillance spéciale ; que, [...] le fait que le sieur Cornaire ait pu, dans ces circonstances, sortir librement de l'hôpital sans y être autorisé, révèle un mauvais fonctionnement du service constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'établissement ».

    Le fait que dans le cadre d’une surveillance générale adaptée, l’« inattention momentanée » des agents de surveillance puisse être à l’origine du dommage engage la responsabilité de l’établissement de santé, en dépit de la détermination de la patiente :

    CE 5° et 6° ch.-r., 18 juin 2018, n° 411049, Consorts D., inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2933XTS) : « 2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que Mme A., qui souffrait depuis deux ans d'anorexie mentale, avait commis trois tentatives de suicide, dont une immédiatement antérieure à son admission au CHS de Caen, et avait fugué au cours d'un hospitalisation précédente ; qu'elle se trouvait encore, dans les jours ayant précédé les faits en litige, dans un état psychiatrique particulièrement préoccupant, qui s'était traduit par une tentative d'auto-strangulation, comme l'attestent les comptes-rendus d'hospitalisation cités par l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif ; que si le CHS de Caen n'est pas spécialisé dans la prise en charge des mineurs, il n'en est pas moins un établissement psychiatrique, en mesure d'accueillir des patients présentant un risque suicidaire élevé ; qu'afin de limiter les risques de fugue de l'intéressée, le psychiatre de l'établissement qui la suivait avait prescrit la plus grande vigilance dans son suivi, décidant en particulier qu'elle devrait rester en pyjama, en dehors des périodes où elle participait aux activités thérapeutiques qui lui avaient été prescrites ; que les vêtements de ville de Mme A. lui ont été remis, le matin de sa fugue, afin de lui permettre de prendre part à l'une de ces activités ; que cependant, ces vêtements ne lui ont pas été repris lorsqu'elle a finalement exprimé à l'infirmier qui venait la chercher son souhait de rester dans sa chambre ; que l'adolescente, pourtant affaiblie, a ensuite pu s'échapper de l'établissement en passant notamment devant un bloc vitré où étaient censés se trouver deux agents de surveillance, chargés de contrôler les sorties des patients, en profitant, selon l'expert judiciaire, d'une inattention momentanée de ces derniers ; qu'en retenant, en dépit de ces circonstances, qu'aucun manquement fautif ne pouvait être reproché au CHS dans la prise en charge et la surveillance de Mme A., la cour a inexactement qualifié les faits de l'espèce ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, son arrêt doit être annulé ».

    La responsabilité de l’établissement sera engagée pour des dommages causés aux tiers lors d’une fugue, y compris lors d’une hospitalisation libre lorsque l’intéressé avait déjà quelques absences à son actif :

    CE Contentieux, 25 mai 1982, n° 23611, Centre hospitalier de Blois (N° Lexbase : A8425AKA) : « Considérant que si le Centre hospitalier de Blois soutient qu'aucune appréciation d'ordre médical ne lui faisait obligation de soumettre M. H., hospitalisé en service libre dans le service psychiatrique, à une surveillance particulière, le fait que l'intéressé, qui avait fait plusieurs fugues, ait pu quitter l'établissement entre le 29 et le 31 août 1975, sans éveiller l'attention du personnel, puis ait pu sortir quelques heures après son retour sans qu'ait été remarquée cette nouvelle absence, au cours de laquelle ses agissements, dont il a été pénalement déclaré irresponsable à raison de son état mental, ont causé des dommages aux époux G., révèle un défaut dans l'organisation ou le fonctionnement du service psychiatrique de nature à engager la responsabilité de l'établissement hospitalier ».

  • Une configuration est matériellement inadéquate lorsqu’une porte menant sur le toit ou une terrasse de l’établissement n’est pas fermée à clé :

    CE 5° et 3° s-s-r., 29 octobre 1980, n° 04217, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0084B9Y) : « Considérant que Mme R. avait été admise a l'hôpital psychiatrique de Saint-Alban, pour état dépressif ; qu'elle s'est suicidée dans la nuit du 8 au 9 novembre 1972 en se jetant du haut de la terrasse de l'immeuble où elle était hospitalisée ; Considérant que si le diagnostic porte sur l'affection dont Mme R. était atteinte et les soins qui lui ont été dispensés ne peuvent être incriminés, il résulte de l'instruction que la porte de la terrasse à laquelle Mme R. a pu accéder, n'était pas fermée à clé pendant la nuit ; qu'eu égard aux circonstances de l'affaire, ce fait est constitutif d'une faute dans l'organisation du service susceptible d'engager la responsabilité de l'hôpital de Saint Alban ».

    Ou lorsqu’il n’y a pas de dispositif de sécurité aux fenêtres et qu’on enferme de plus le patient dans la chambre:

    CE 5° et 3° s-s-r., 17 février 1988, n° 71377, Assistance publique à Marseille c. B., inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8733AP7) : « Considérant que si le praticien qui a établi le certificat de quinzaine de Mme B., le 30 août 1982, avait constaté un début d'amélioration de l'état psychique de celle-ci, il avait prescrit le maintien de son traitement et n'avait pas modifié le régime d'hospitalisation auquel elle devait être soumise ; qu'à supposer même que le personnel du service n'ait pas été informé des antécédents dépressifs de l'intéressée, il ne pouvait ignorer qu'elle était susceptible de se livrer à des actes incontrôlés lors de crises qui pouvaient l'assaillir brutalement ; que, dès lors, le fait que la malade ait été enfermée dans une chambre dont la fenêtre était dépourvue de dispositif de sécurité, sans surveillance suffisante et sans possibilité de faire appel au personnel de garde, constitue une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service de nature à engager la responsabilité de l'hôpital ; que, par suite, l'administration de l'Assistance publique à Marseille n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille l'a déclarée responsable du préjudice subi par Mme B. ».

    Ou lorsqu’un patient utilise précisément les barreaux des fenêtres pour se suicider, ce qu’il avait déjà tenté le matin même :

    CE 5° et 3° s-s-r., 13 janvier 1988, n° 65490, Centre hospitalier spécialisé Sainte marie c. M., inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8475APL) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. M., admis [...] dans un état dépressif grave [...], s'est suicidé par pendaison aux barreaux de la fenêtre de sa chambre [...] ; que l'intéressé avait fait une première tentative de suicide le matin même et dans les mêmes conditions ; [...], la circonstance qu'il n'ait pas été transféré dans un local comportant des aménagements faisant obstacle à la répétition de son geste suicidaire ou qu'au moins, des dispositions n'aient pas été prises pour rendre inaccessible la grille de la fenêtre et qu'ainsi aucune mesure n'ait été mise en œuvre pour l'empêcher de recommencer son geste à l'insu du personnel hospitalier, est constitutive d'une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service de nature à engager la responsabilité du Centre hospitalier ».

    L’établissement est également responsable de ne pas prévenir la famille et les autorités :

    CE, 12 mai 1972 : « Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'une seconde fugue eut lieu dans l'après-midi du 20 octobre et fut constatée à la fin de cet après-midi ; que, cependant, lorsque le corps du sieur I. fut découvert peu après l'accident dont il a été victime, dans la nuit du 21 au 22 octobre, l'établissement n'avait averti de la disparition de ce malade ni les services de police, afin que ceux-ci organisent des recherches à l'extérieur de l'établissement, ni sa famille, afin de s'assurer éventuellement si le sieur I. avait, à nouveau, regagné son domicile ; que, dans les circonstances de l'affaire, cette carence doit être regardée comme constitutive d'une faute du service hospitalier de nature à engager la responsabilité de l'hôpital psychiatrique de Perray-Vaucluse, lequel a été érigé en établissement public et doté de la personnalité morale par décret du 9 juin 1970 ».

    CE 3° et 5° s-s-r., 10 décembre 1982, n° 33373, Centre hospitalier régional du Havre, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9697AKD) : « Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que le Centre hospitalier régional du Havre ait, à la suite de la seconde fugue du jeune L. en date du 19 avril et jusqu'a la découverte de l'incendie qu'il avait provoqué dans la nuit du 20 au 21 avril, prévenu de la disparition de ce malade les services de police, afin que ceux-ci organisent des recherches à l'extérieur de l'établissement ainsi que sa famille, afin de rechercher s'il avait éventuellement rejoint son domicile ; que, dans les circonstances de l'affaire, cette carence doit être regardée comme constitutive d'une faute de nature a engager la responsabilité du Centre hospitalier régional du Havre ».

  • A contrario, si l’état du patient ne nécessite pas une surveillance particulière et que la fugue est à la fois décelée et communiquée aux services de police et à la famille, il n’y a pas de manquement :

    CE 6° et 3° s-s-r., 23 octobre 1968, n° 67947, Hôpital-Hospice de Beaumont-sur-Oise, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6214B8N) : « Considérant qu'en admettant même que l'hôpital ait été informé par le médecin personnel du sieur E., que celui-ci présentait un état de pré-delirium éthylique, il ne résulte pas de l'instruction que, lors de son hospitalisation intervenue d'urgence pour une affection pulmonaire aigüe, l'état du malade ni les indications portées sur le certificat demandant son hospitalisation aient révélé le risque d'une tentative de fuite de sa part nécessitant des mesures particulières de surveillance ; que, d'ailleurs le départ du sieur E. a eu lieu pendant le quart d'heure séparant deux visites de la surveillante et que l'hôpital a immédiatement averti les services de police de sa disparition ; que, dans les circonstances de l'affaire, le fait qu'aucune mesure particulière de sécurité n'ait été prise ne peut être regardé, compte tenu des moyens dont disposait l'hôpital, comme constitutif d'une faute de nature a engager la responsabilité de cet établissement ».

    CE Contentieux, 29 juin 1983, n° 24897, G. (N° Lexbase : A1657AMC) : « Considérant, d'une part, qu'il n'est pas établi qu'eu égard à l'état de ce malade, le médecin-chef du service a commis une faute lourde en le plaçant en service ouvert où il jouissait de la liberté d'aller et venir ; que ce malade, qui était hospitalisé depuis le 22 juin 1973 à l'hôpital de Soissons puis à celui de Prémontré, n'avait manifesté aucun désir de fuite et que rien dans son comportement ne justifiait qu'il fût soumis à une surveillance particulière; que les autorités de police ont été averties de la fugue le soir même et la famille du malade le lendemain matin à 11 heures; que la fugue a été décelée rapidement et que des recherches ont été immédiatement entreprises à l'intérieur de l'établissement et dans la forêt voisine et ont été poursuivies jusqu'à la nuit tombée; qu'ainsi, aucune faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service hospitalier ne résulte de l'instruction ».

    Il n’y a pas de défaut de surveillance lorsque le patient fugueur et/ou suicidaire met tout en œuvre pour déjouer la surveillance

    CE 2° et 6° s-s-r., 10 octobre 1973, n° 84178, D. et CPAM du Calvados, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7436B7K) : « Considérant [...] ; que, d'autre part, le service hospitalier avait pris les précautions requises par les troubles dont était atteinte la demoiselle de Saint-Louvent ; que le fait que, malgré ces mesures, celle-ci a pu se libérer de ses liens et se précipiter dans le vide ne suffit pas à établir qu'une faute ait été commise dans l'organisation ou le fonctionnement du service ».

    CE 5° et 3° s-s-r., 29 janvier 1999, n° 185034, T., inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3124AR7) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'alors que le service psychiatrique du Centre hospitalier général d'Orsay s'apprêtait à procéder aux formalités d'admission de M. T. au titre de la procédure d'hospitalisation sur demande d'un tiers, prévue à l'article L. 333 du Code de la santé publique ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 5159030, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-textedeloi", "_title": "L333", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: L0655DLT"}}), le jeune homme, à qui l'on avait pourtant administré une piqûre calmante, a profité de l'ouverture momentanée de la porte de ce service pour s'enfuir en bousculant le personnel présent qui tentait de s'interposer ; que, le lendemain, M. T. s'est suicidé à son domicile ; que, dans ces circonstances, le fait que M. T. ait pu échapper à la surveillance dont il faisait l'objet ne suffit pas à établir qu'une faute ait été commise dans l'organisation et le fonctionnement du service ».

  • A fortiori lorsque celle-ci n’avait pas à être renforcée :

    CE Contentieux, 24 avril 1984, n° 25197 (N° Lexbase : A6460ALT) : « Considérant que la circonstance que Mme K. avait déjà effectué plusieurs séjours dans des établissements psychiatriques et qu'elle avait, au cours de l'un de ces séjours, fait une tentative de fugue, n'impliquait pas, en l'absence de prescriptions médicales spéciales, l'intervention à l'égard de Mme K. de mesures particulières destinées à prévenir une tentative de suicide, et notamment la présence constante d'une personne à ses côtés; que ni le fait que Mme K. ait réussi malgré la surveillance dont elle était l'objet, à quitter la chambre par la fenêtre, ni l'absence d'un dispositif interdisant l'accès à l'escalier de secours du bâtiment voisin, ne révèlent une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du centre psychothérapique ».

    Néanmoins, face à la détermination d’un patient à fuguer ou à se suicider, l’établissement doit tout mettre en œuvre pour assurer une surveillance accrue :

    CE 5° et 3° s-s-r., 1er juin 1988, n° 45483, Centre hospitalier spécialisé de la Charente et a. c. G., inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9394APM) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction que la malade, informée de l'organisation de sa cure, avait fait part au praticien de sa détermination de s'échapper de l'hôpital ; qu'ainsi, à supposer même que Mme G. n'ait pas été suspectée de tendances suicidaires, la circonstance qu'elle ait eu la possibilité sans difficulté et sans attirer l'attention de se jeter par une fenêtre ouverte de la salle où elle se trouvait avec d'autres malades est constitutive en l'espèce d'une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service, de nature à engager la responsabilité du Centre hospitalier ».

    Le régime de l’hospitalisation libre suggère par définition l’absence d’obligation pour l’établissement de mettre en œuvre des mesures coercitives, à condition nous semble-t-il que ce régime soit lui-même adapté à l’état du patient :

    CE 4° et 5° s-s-r., 12 mars 2012, n° 342774 et 342898, CPAM du Puy-de-Dôme, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9486IE3) : « Considérant, en premier lieu, que la cour a notamment relevé qu’il ressortait du rapport de l’expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand que, lors de son hospitalisation en avril 2006, Mlle L. présentait une pathologie psychotique qui a conduit à une prise en charge adaptée à sa pathologie, laquelle, selon les conclusions de l’expert, ne manifestait aucun élément dépressif ou mélancolique et ne pouvait laisser présager de quelconques idées suicidaires ; qu’elle n’a pas, ainsi, dénaturé le rapport d’expertise ; [...] Considérant, en troisième lieu, qu’au vu du rapport d’expertise dont les conclusions ne sont pas remises en cause par d’autres avis médicaux et compte tenu du renforcement des mesures de surveillance mises en place par l’établissement à la suite de l’aggravation de l’état d’agitation et de délire de Mlle L., de l’opposition manifestée par son entourage à la mise en œuvre d’une procédure d'hospitalisation à la demande d'un tiers préconisée à plusieurs reprises par le service et des pouvoirs limités dont disposait celui-ci dans le cadre du régime d’hospitalisation de l’intéressée, la cour administrative d’appel n'a pas commis d'erreur dans la qualification juridique des faits en écartant l’existence d’une faute du centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand ».

    Le service des urgences qui admet un patient suicidaire, laquelle dispose d’un briquet et met le feu à sa chambre, ne voit pas sa responsabilité engagée pour n’avoir pas procédé à une fouille de la patiente :

    CE 5° et 6° ch.-r., 18 mars 2019, n° 418985, A., mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1782Y4R) : « Pour retenir qu'aucun manquement aux règles de l'art n'avait été commis dans la prise en charge de Laure-Anne A. lors de son admission au service des urgences, la cour a retenu, en se référant aux conclusions de l'expert judiciaire, que le psychiatre de l'établissement qui l'avait examinée dès son arrivée avait défini des mesures adaptées à l'état de l'adolescente en la faisant placer, après administration d'un tranquillisant, dans une chambre d'isolement ouverte, donnant sur le couloir du service, avec mise en place d'une contention physique, et qu'eu égard aux obligations incombant à un service d'urgence et dans les circonstances de l'espèce, il ne pouvait être reproché au personnel soignant de ne pas avoir préalablement déshabillé et fouillé l'adolescente, qui portait un tee-shirt, un short et des sandales. En jugeant ainsi, en tenant compte des moyens dont disposait le service, qui n'était pas spécialisé en psychiatrie, et de l'état de la patiente lors de son admission, que la circonstance que celle-ci avait pu conserver un briquet, qui se trouvait dans la poche de son short, ne suffisait pas à établir un manquement fautif dans sa prise en charge, la cour n'a pas commis d'erreur de droit et n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce. »

    On distinguera enfin les « fugues » de patients en hospitalisation libre (les notions sont antinomiques) ayant le cas échéant causé des dommages à des tiers, et relevant du défaut d’organisation et de fonctionnement, des sorties d’essai dans le cadre d’hospitalisation sous contrainte, qui exposent les tiers à un risque spécial pour méthode thérapeutique dangereuse et qui engage la responsabilité sans faute de l’administration (cf Étude : la responsabilité sans faute des établissements de santé N° Lexbase : E16173SP).

  • b) Agressions – Sécurité des autres patients
  • Répondant aux mêmes prescriptions de sécurité, la prévention du risque d’agression envers les autres patients se fait en fonction de la prévisibilité de l’agissement et du service dans lequel le patient est hospitalisé.

    La responsabilité de l’hôpital est engagée pour défaut d’organisation et de fonctionnement dans les cas où un patient agresse un autre patient :

    CE Contentieux, 30 juin 1978, n° 99514, n° 01582, Hôpital psychiatrique départemental de Rennes c/ C., publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3743AIH) : « Considérant que, si l'hospitalisation en service libre, prévue par les circulaires du ministre de la Santé publique des 1er mars 1949 et 28 février 1951, ne constitue pas une méthode thérapeutique créant un risque spécial pour les tiers et susceptible d'engager sans faute la responsabilité de l'administration, les services de l'hôpital psychiatrique de Rennes ont commis une faute de nature à engager la responsabilité de cet établissement en plaçant le jeune P. dans des conditions d'hospitalisation qui lui laissaient une totale liberté pendant la journée alors que l'intéressé n'avait aucune occupation professionnelle et que son agressivité était connue ».

    CE 5° et 3° s-s-r., 16 avril 1980, n° 04667, G. c. Hôpital de Chauny, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1147B8Y) : « Considérant que, dans la nuit du 18 au 19 juillet 1973, M. G., hospitalisé dans le service de chirurgie de l'hôpital de Chauny, a été frappé à la tête par un de ses voisins de chambre, M. O. ; que le coup ainsi porté a entraîné une fracture du crâne ; considérant qu'il résulte de l'instruction que l'infirmière de nuit du service a été appelée par M. O. qu'elle a trouvé dans un état d'extrême agitation ; qu'ayant appelé pour la seconder une de ses collègues et alerté l'interne de service, celui-ci prescrivit une piqûre calmante qui fut immédiatement pratiquée ; que les deux infirmières se retirèrent alors dans une pièce voisine pour attendre l'effet de la médication et que c'est pendant ce laps de temps que M. O. frappa sans raison M. G. ; Considérant que le fait d'avoir laissé M. O. sans surveillance, dans une chambre où se trouvaient d'autres malades, malgré son état d'agitation et avant que la médication calmante administrée ait produit ses effets est constitutive d'une faute de service engageant la responsabilité de l'hôpital a l'égard de M. G. ».

    CE Contentieux, 23 juin 1986, n° 62339, Centre hospitalier spécialisé de la Maison Blanche c. G., mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5035AMG) : « Considérant que [...] M. L., qui se trouvait dans un état dépressif et angoissé et qui n'avait pas alors un comportement violent ou agressif, a été adressé au Centre hospitalier spécialisé de la Maison Blanche où, vers trois heures du matin, il a été hospitalisé en service libre ; que pris d'une crise soudaine de démence deux heures plus tard, il a agressé les autres malades présents dans le dortoir, égorgeant M. N. G. et trois autres malades et blessant un cinquième malade ; Considérant qu'il résulte de l'instruction que malgré l'alerte qui a été immédiatement donnée par l'infirmière de garde qui a réussi à mettre en sécurité le premier malade auquel M. L. s'était attaqué et qui sérieusement menacée à son tour, a dû se réfugier avec quelques malades dans un bureau voisin, une dizaine de minutes se sont écoulées avant que soient réunis les moyens nécessaires pour maîtriser ce dément, laissé seul avec d'autres malades auxquels il s'est attaqué ; que l'inefficacité prolongée du service à faire face à une situation dangereuse pour les malades placés sous sa garde et qui n'avait pas un caractère imprévisible dans un établissement spécialisé, révèle un défaut dans l'organisation du service, de nature à engager la responsabilité du Centre hospitalier spécialisé de la Maison Blanche. »

  • Ou s’il agresse un tiers à l’occasion d’une sortie non déclarée :

    CE Contentieux, 26 mai 1982, n° 23611 (N° Lexbase : A8425AKA) : « Considérant que si le Centre hospitalier de Blois soutient qu'aucune appréciation d'ordre médical ne lui faisait obligation de soumettre M. H., hospitalisé en service libre dans le service psychiatrique, à une surveillance particulière, le fait que l'intéressé, qui avait fait plusieurs fugues, ait pu quitter l'établissement entre le 29 et le 31 août 1975, sans éveiller l'attention du personnel, puis ait pu sortir quelques heures après son retour sans qu'ait été remarquée cette nouvelle absence, au cours de laquelle ses agissements, dont il a été pénalement déclaré irresponsable à raison de son état mental, ont causé des dommages aux époux G., révèle un défaut dans l'organisation ou le fonctionnement du service psychiatrique de nature à engager la responsabilité de l'établissement hospitalier ».

    On relève que des antécédents lointains d’agression ne constituent pas nécessairement des éléments de prévisibilité :

    CE Contentieux, 16 mars 1983, n° 37111 (N° Lexbase : A8484ALS), n° 37318 (N° Lexbase : A8485ALT), Hôpital psychiatrique de Saint-Claude : « Considérant que si M. N., auteur de l'agression, avait fait l'objet en 1972 d'un placement d'office dans l'établissement à la suite de violences commises sur un tiers, il n'avait manifesté depuis cette date aucun signe d'agressivité et s'était vu confier, compte tenu de l'amélioration de son état de santé, des fonctions de planton dans un des services de l'hôpital ; que ni cet état, ni les fonctions par lui exercées ne justifiaient une surveillance constante de l'intéressé; que si l'agression a été commise pendant que le personnel de service, à l'exception de celui qui avait la charge de veiller sur les malades soumis à une surveillance constante, était réuni dans une pièce voisine, le geste de M. N. était imprévisible; que, dans ces conditions, l'accident ne peut être imputé à une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service; que l'hôpital psychiatrique de Saint-Claude »

    Enfin, et comme il a été dit, la responsabilité de l’hôpital est engagée sans faute si le patient agresse un tiers lors d’une sortie d’essai (responsabilité pour risque du fait des méthodes dangereuses) :

    CE Section, 13 juillet 1967, n° 65735, Département de la Moselle, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7110AHS) : « Considérant en troisième lieu, que les sorties d'essai organisées par la circulaire ministérielle du 4 décembre 1957 font partie des traitements propres à assurer la réadaptation progressive des malades mentaux à des conditions normales de vie ; que cette méthode thérapeutique crée un risque spécial pour les tiers, lesquels ne bénéficient plus des garanties de sécurité inhérentes aux méthodes habituelles d'internement ; que, par suite, le sieur B. et la Caisse mutuelle sont fondés à soutenir, à l'appui de leur appel incident, que l'incendie allumé par le sieur A. et qui est en relation directe avec la sortie d'essai dont ce dernier continuait à bénéficier le 8 mars 1959, est de nature à engager sans faute la responsabilité du département à leur égard ».

    Attention, il faut que le patient soit considéré comme sous la garde de l’établissement, ce qui n’est pas le cas lorsqu’il est suivi à distance :

    CE 5° et 3° s-s-r., 27 octobre 1976, n° 95482, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8663B8D) : « Considérant, d'une part, qu'à la suite de ce départ du centre psychothérapique le sieur C. n'était plus sous la garde de celui-ci ; que la circonstance qu'il a été invité à se soumettre à des consultations périodiques à ce centre et a fait l'objet à son domicile de visites de contrôle d'infirmiers du centre n'implique pas qu'il soit resté sous la responsabilité de cet établissement public et que la surveillance ainsi prescrite dans l'intérêt du malade et de son entourage ne constituait pas la mise en œuvre d'une thérapeutique susceptible de créer des risques spéciaux pour les tiers et d'engager de ce fait la responsabilité de l'établissement hospitalier même en l'absence de faute ».

  • c) Enlèvements
  • Constitue évidemment à la fois un défaut d’organisation matérielle (relative aux locaux) et de surveillance un cas d’enlèvement dans les services de maternité :

    CE, 9 juillet 1969, n° 73238, P., publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6604B7Q) : « Considérant que, le 9 février 1965, quelques jours après sa naissance, le jeune P. a été enlevé du service de maternité de Villefranche-sur-Saône par une personne étrangère à l'établissement et qu'il est décédé peu après au domicile de celle-ci, faute de soins ; qu'il résulte de l'instruction que cet enfant, séparé de sa mère qui se trouvait au service de chirurgie, était placé, seul avec un autre nouveau-né, dans une chambre dont la porte restait ouverte sur le couloir de desserte ; que la disposition des lieux et les conditions dans lesquelles la surveillance était organisée ont permis à l'auteur du rapt d'accéder à l'enfant à l'heure des visites et de l'emporter dans un sac sans rencontrer aucun obstacle matériel ni éveiller l'attention ; que l'absence de mesures propres à interdire, pour des raisons tant d'hygiène que de sécurité, l'accès incontrôlé des personnes étrangères à l'établissement à un local réservé aux nouveau-nés révèle, nonobstant les instructions ministérielles relatives à l'humanisation des hôpitaux et en dépit de la présence normale du personnel soignant de la maternité, un défaut d'organisation matérielle et une insuffisance du dispositif de surveillance constitutifs d'une faute de service de nature à engager la responsabilité de l'établissement ».

    La responsabilité de l’établissement est d’autant plus facilement reconnue lorsque l’enlèvement fait suite à plusieurs tentatives antérieures :

    CAA Nantes, 6 mars 2007, n° 06NT00035, CHU Nantes (N° Lexbase : A3726DWW) : « Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction et, notamment, des pièces de la procédure pénale engagée contre l'auteur de l'enlèvement de l'enfant X, qui ont été produites au dossier, que la ravisseuse, après s'être introduite dans les locaux du CHU le 11 juin 2001, est entrée dans les locaux de la maternité, où elle a tenté d'enlever le nouveau-né d'une parturiente, avant de pénétrer, dans une deuxième chambre où, se faisant passer pour une puéricultrice, elle s'est livrée à une nouvelle tentative d'enlèvement d'un enfant qu'elle a cependant aussitôt restitué à sa mère devant la résistance opposée par celle-ci ; qu'elle a pu ressortir sans être inquiétée pour se rendre dans les locaux du service de néonatalogie où elle est parvenue à enlever de son berceau la jeune X et, après s'être cachée quelques minutes dans un local annexe, à quitter les locaux de l'hôpital ; que, dans ces circonstances, bien que l'entrée du service de néonatalogie soit protégée par un digicode accessible aux seuls membres du personnel hospitalier et par un interphone permettant l'identification des visiteurs, le fait que les précédentes tentatives d'enlèvement n'aient pas donné lieu à une réaction immédiate du service afin de mettre en place des mesures particulières de surveillance dictées par le risque qui s'était révélé et que la ravisseuse ait pu entrer dans le service de néonatalogie et y enlever un enfant prématuré, révèle, nonobstant le concours exceptionnel de circonstances que le CHU fait découler de l'évacuation à laquelle il a dû être contemporainement procédé d'un membre du personnel soignant qui venait de se blesser, une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service de nature à engager sa responsabilité envers les époux X ;

    Considérant, en second lieu, que si l'enlèvement de l'enfant X a été rendue possible par la détermination dont a fait preuve la ravisseuse, cette circonstance n'a pas revêtu le caractère d'un événement de force majeure de nature à décharger le CHU de sa responsabilité ».

E52473RR

3-7. La faute établie à l’origine d’une infection nosocomiale

  • Dans le cadre du régime de responsabilité et d’indemnisation hybride et complexe issu de la loi du 4 mars 2002, les établissements engagent leur responsabilité pour faute lorsqu’une « faute établie à l’origine du dommage » est identifiable.

    En effet, le législateur a prévu un dispositif de responsabilité des établissements qui diffère selon la gravité du dommage.

    En deçà d’un seuil de gravité des dommages, l’établissement est responsable « de plein droit » :

    Article L. 1142-1, I, alinéa 2 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1910IEH) : « Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère. »

    Au-delà d’un seuil de gravité des dommages, l’établissement est responsable pour faute. En effet, au-delà de ce seuil, l’ONIAM intervient pour indemniser la victime, mais peut se retourner contre l’établissement si celui-ci a commis une faute.

    Le seuil de gravité est fixé par les textes :

    Article D. 1142-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L2332IP3) : « Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %.

    Un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale présente également le caractère de gravité mentionné à l'article L. 1142-1 lorsque la durée de l'incapacité temporaire de travail résultant de l'accident médical, de l'affection iatrogène ou de l'infection nosocomiale est au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois.

    À titre exceptionnel, le caractère de gravité peut être reconnu :

    1° Lorsque la victime est déclarée définitivement inapte à exercer l'activité professionnelle qu'elle exerçait avant la survenue de l'accident médical, de l'affection iatrogène ou de l'infection nosocomiale ;

    2° Ou lorsque l'accident médical, l'affection iatrogène ou l'infection nosocomiale occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d'ordre économique, dans ses conditions d'existence. »

    L’intervention de l’ONIAM est prévue par les textes en l’absence de faute de l’établissement et lorsque le seuil de gravité est atteint :

    Article L. 1142-1, II, du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1910IEH) : « Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. »

    De même que le caractère automatique de son intervention dès que le seuil de gravité est atteint, même si l’établissement a peut-être commis une faute

    Article L. 1142-1-1 du Code de la santé publique ([LXB=L1859IEL]) : « Sans préjudice des dispositions du septième alinéa de l'article L. 1142-17, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale :  1° Les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales […] ».

    La possibilité d’une action récursoire de l’ONIAM contre l’établissement, en cas de faute établie à l’origine du dommage, est également prévue par la loi.

    Dans le cadre de la procédure amiable après un avis de la commission de conciliation et d’indemnisation :

    Article L. 1142-17 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4429DLM) : « […] Si l'office qui a transigé avec la victime estime que la responsabilité d'un professionnel, établissement, service, organisme ou producteur de produits de santé mentionnés au premier alinéa de l'article L. 1142-14 est engagée, il dispose d'une action subrogatoire contre celui-ci. Cette action subrogatoire ne peut être exercée par l'office lorsque les dommages sont indemnisés au titre de l'article L. 1142-1-1, sauf en cas de faute établie de l'assuré à l'origine du dommage, notamment le manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales. »

    Ou dans le cadre juridictionnel :

    Article L. 1142-21 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L5388IRY) : « […)] Lorsqu'il résulte de la décision du juge que l'office indemnise la victime ou ses ayants droit au titre de l'article L. 1142-1-1, celui-ci ne peut exercer une action récursoire contre le professionnel, l'établissement de santé, le service ou l'organisme concerné ou son assureur, sauf en cas de faute établie à l'origine du dommage, notamment le manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales. L'office signale sans délai l'infection nosocomiale au directeur général de l'agence régionale de santé. »

    C’est dans ces derniers cas que le Conseil d’État a pu préciser la notion de « faute à l’origine du dommage ». La référence légale à un « manquement caractérisé » aux obligations posées par la législation en matière de lutte contre les infections nosocomiales suggérait la possibilité d’une franchise de responsabilité et la nécessité d’une faute grave de l’établissement pour que l’ONIAM se retourne contre lui.

    Ce n’est pas le cas. Le Conseil d’État a ramené le régime de responsabilité de la faute simple.

    Ainsi, le défaut d’information peut être une faute établie à l’origine du dommage :

    CE 4° et 5° s-s-r., 28 novembre 2014, n° 366154, ONIAM c. CH Saintes, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5460M4Y) : « Considérant, enfin, qu'en prévoyant, par les dispositions citées ci-dessus de l'article L. 1142-21 du Code de la santé publique, que l'ONIAM, condamné, en application de l'article L. 1142-1-1 du même code, à réparer les conséquences d'une infection nosocomiale ayant entraîné une incapacité permanente supérieure à 25 % ou le décès de la victime, peut exercer une action récursoire contre le professionnel, l'établissement de santé, le service ou l'organisme concerné ou son assureur " en cas de faute établie à l'origine du dommage ", le législateur n'a pas entendu exclure l'exercice de cette action lorsqu'une faute établie a entraîné la perte d'une chance d'éviter l'infection nosocomiale ou d'en limiter les conséquences ; qu'ainsi, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit en jugeant, pour écarter la possibilité pour l'ONIAM d'exercer une action récursoire en se prévalant de ce que le centre hospitalier n'avait pas informé M. A des risques d'infection nosocomiale que comportait l'intervention qui lui était proposée, qu'une telle faute, à la supposer établie, n'aurait pas constitué la cause directe de l'infection nosocomiale mais pouvait seulement avoir fait perdre au patient une chance de l'éviter en refusant l'intervention ; »

    Néanmoins, il a précisé dans le même arrêt que le défaut d’information est un droit du patient dont la méconnaissance ne fonde pas l’action récursoire de l’ONIAM.

    CE 4° et 5° s-s-r., 28 novembre 2014, n° 366154, ONIAM c. CH Saintes, publié au recueil Lebon, préc. : « Considérant, toutefois, que le législateur n'a pas entendu permettre à l'office, dans le cadre de son action récursoire dirigée contre l'établissement de santé, de se prévaloir de la méconnaissance du droit que l'article L. 1111-2 du Code de la santé publique reconnaît aux patients d'être informés des risques des traitements qui leur sont proposés ; qu'il y a lieu de substituer ce motif, qui n'appelle l'appréciation d'aucune circonstance de fait, à celui sur lequel repose l'arrêt attaqué, dont il justifie sur ce point le dispositif. »

    Une faute ayant fait perdre une chance d’éviter, non pas l’infection nosocomiale par elle-même, mais le risque d’exposition à une infection nosocomiale, est une faute établie à l’origine du dommage.

    CE 5° et 6° ch.-r., 25 mai 2018, n° 410142, ONIAM c. APHP, Mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4622XPU) : « 4. Considérant que, si l'ONIAM soutient que les médecins devaient programmer d'emblée la réalisation d'une césarienne, qui aurait évité de manière certaine l'encéphalopatie anoxo-ischémique à l'origine du transfert de l'enfant au service de réanimation néonatale, la cour n'a pas regardé comme fautif le fait d'avoir initialement opté pour un accouchement par voie basse, mais seulement le fait de ne pas avoir mis en place une surveillance suffisante au regard des risques prévisibles et de ne pas avoir diagnostiqué l'apparition d'une souffrance foetale au cours du travail et pratiqué alors une césarienne ; qu'elle n'a entaché son arrêt sur ce point ni d'une insuffisance de motivation, ni d'une erreur de qualification juridique ; qu'elle a pu, sans commettre d'erreur de droit, estimer que les fautes qu'elle avait retenues n'avaient entraîné pour l'enfant qu'une perte de chance, qu'elle a souverainement évaluée à 90 %, d'éviter la complication qui avait rendu nécessaire son transfert au service de réanimation néonatale ;

    5. Mais considérant qu'ayant ainsi retenu que les fautes commises par les médecins avaient entraîné une perte de chance de 90 % d'éviter que l'enfant doive subir les soins au cours desquels il avait contracté une infection nosocomiale mortelle, la cour n'a pu, sans entacher son arrêt d'une erreur de droit, juger que ces fautes étaient à l'origine de la moitié seulement des préjudices ayant résulté du décès ».

    Il convient de préciser que ce n’est qu’en cas de faute que les caisses de Sécurité sociale peuvent exercer leur recours subrogatoire contre l’établissement. Elles ne peuvent pas l’exercer contre l’ONIAM intervenant sur le fondement de la solidarité nationale, en l’absence de faute.

    CE 4° et 5° s-s-r., 17 février 2016, n° 384349, CPAM de l’Artois c. ONIAM, Mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4131PLL) : « 4. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des dispositions précitées de l'article L. 376-1 du Code de la Sécurité sociale que le recours de la caisse de Sécurité sociale, subrogée dans les droits de la victime d'un dommage corporel, s'exerce contre les auteurs responsables de l'accident ; que si, en application des dispositions des articles L. 1142-1-1 et L. 1142-22 du Code de la santé publique, l'ONIAM doit indemniser au titre de la solidarité nationale les victimes des infections nosocomiales les plus graves, cet établissement public ne peut être regardé comme le responsable des dommages que ces infections occasionnent ; qu'il suit de là que la caisse qui a versé des prestations à la victime d'une telle infection ne peut exercer un recours subrogatoire contre l'ONIAM ;

    5. Considérant, en second lieu, qu'il résulte des dispositions du septième alinéa de l'article L. 1142-17 et du deuxième alinéa de l'article L. 1142-21 du Code de la santé publique que le législateur, dérogeant dans cette hypothèse aux dispositions du second alinéa du I de l'article L. 1142-1, qui prévoit un régime de responsabilité de plein droit des établissements de santé en cas d'infection nosocomiale, a entendu que la responsabilité de l'établissement où a été contractée une infection nosocomiale dont les conséquences présentent le caractère de gravité défini à l'article L. 1142-1-1 ne puisse être recherchée qu'en cas de faute établie à l'origine du dommage, notamment un manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales ; qu'il suit de là que, lorsque le degré de gravité des dommages résultant de l'infection nosocomiale excède le seuil prévu à l'article L. 1142-1-1, c'est seulement au titre d'une telle faute qu'une caisse de Sécurité sociale ayant versé des prestations à la victime peut exercer une action subrogatoire contre l'établissement où l'infection a été contractée ; »

     

    ♦ Illustrations :

    Le fait de poser une voie veineuse périphérique, identifiée par la suite comme la porte d’entrée du germe, et de la maintenir trop longtemps en dépit du risque infectieux est une faute établie à l’origine du dommage.

    CAA Nantes, 20 juillet 2018, n° 16NT03687, ONIAM (N° Lexbase : A44603SY) : « Considérant que si l'expert judiciaire a considéré, dans un rapport qui est très peu étayé sur ce point, que la porte d'entrée du staphylocoque doré responsable du décès de Gérald B. était " sans aucun doute " le cathéter veineux central à chambre implantable, l'expert mandaté par la CRCI d'Ile-de-France, à l'issue d'une analyse particulièrement détaillée et sur la base d'éléments non pris en compte par l'expert judiciaire, a conclu que l'infection nosocomiale dont a été victime Gérald B trouve son origine dans l'infection d'une voie veineuse périphérique mise en place dans le bras gauche du patient peu de temps avant l'intervention du 23 mars 2007 ; que cette hypothèse est confirmée par une note médicale établie le 19 novembre 2013 par un médecin-conseil de l'ONIAM ; qu'il résulte de l'instruction que la voie veineuse périphérique, qui doit donc être regardée comme la porte d'entrée du germe, a été maintenue en place pendant plus de 100 heures alors qu'il est fortement recommandé de ne pas la laisser plus de 96 heures pour éviter notamment les risques infectieux ; qu'en outre, le diagnostic et le traitement de cette infection nosocomiale n'ont pas été conformes aux règles de l'art et aux données acquises de la science à l'époque où ils ont été dispensés, dès lors que, faute d'une observation suffisamment attentive des symptômes infectieux que présentait Gérald B., le traitement antibiotique, qui aurait dû impliquer dès le matin du 29 mars 2007 la prescription probabiliste d'une antibiothérapie de large spectre, n'a débuté que le matin du 31 mars 2007 ; qu'il s'ensuit que l'infection nosocomiale contractée par Gérald B., responsable de son décès, trouve son origine dans une défaillance de l'hôpital universitaire de la Pitié-Salpêtrière qui constitue un manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales, au sens de l'article L. 1142-21 du Code de la santé publique, justifiant que ce centre hospitalier soit condamné à supporter la charge totale et définitive de l'indemnisation des préjudices subis par les époux B.. »

    Une prise en charge très défaillante qui aggrave le phénomène infectieux.

    CAA Marseille, 2ème ch., 15 mars 2018, n° 15MA00615, centre hospitalier de Nice (N° Lexbase : A1111XKD) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment des rapports des expertises ordonnées par l'autorité judiciaire et par le juge des référés du tribunal administratif, que l'infection pulmonaire dont souffrait Xavier T. a fait l'objet d'une prise en charge inadaptée en l'absence de radiographie pulmonaire après le 15 août 2006, d'une part, et du caractère inapproprié du mode d'administration du traitement antibiotique par amoxicilline et de son insuffisante posologie, d'autre part ; qu'en outre, hormis une oxygénothérapie par intermittence et la mise en position latérale de sécurité du patient, le personnel hospitalier n'a pris aucune mesure pour pallier le syndrome de détresse respiratoire présenté par Xavier T. dans la nuit précédant son décès ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que le patient n'aurait pas survécu s'il avait été correctement pris en charge à sa sortie du service de réanimation ; qu'il suit de là que la défaillance de l'établissement de soins dans la prise en charge de l'infection respiratoire dont souffrait Xavier T. a aggravé les conséquences dommageables de l'épisode infectieux qui est ainsi directement à l'origine de son décès par choc septique ; que, dès lors, le centre hospitalier régional universitaire de Nice a commis un manquement caractérisé au sens des dispositions précitées de l'article L. 1142-21 du Code de la santé publique. »

    En revanche, le simple fait que le bloc opératoire soit contaminé ne révèle pas par lui-même, l’existence d’une faute.

    CAA Marseille, 2ème ch., 20 septembre 2018, n° 16MA03182, ONIAM (N° Lexbase : A5969YES) : « Il résulte de l’instruction, et notamment du rapport de l’expertise ordonnée par une ordonnance du 18 novembre 2014 du juge des référés du tribunal administratif de Marseille que deux patients ont été contaminés par le germe aspergillus flavus au bloc opératoire de chirurgie cardiaque de l’hôpital de la Timone au cours de l’année 2002 et que le jour suivant l’intervention réalisée sur F.P., qui a eu lieu le 14 mai 2004, la contamination fongique a été à nouveau détectée, consécutive à une fuite d’eau. À la suite des deux premières contaminations, des stratégies conventionnelles de décontamination des locaux et l’optimisation des procédures du traitement de l’air ont permis de contrôler rapidement la contamination fongique aérienne. Par ailleurs, le contrôle hebdomadaire de l’air et des surfaces n’a pas détecté le champignon durant les deux années suivantes. La contamination par le germe aspergillus flavus a été ponctuelle et non, comme le soutient l’ONIAM, récurrente. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le contrôle de l’air qui a été réalisé pendant cette période était défaillant ni que les règles d’hygiène et d’asepsie n’auraient pas été respectées. En outre, aucune norme ou recommandation n’était applicable au mois de mai 2004 en matière de gestion du risque aspergillaire dès lors que le plan de prévention n’est entré en vigueur qu’en 2012. Enfin, la possibilité d’une origine peropératoire de la contamination par aspergillus flavus en cas de manifestations cliniques tardives plusieurs années après l’intervention n’était pas connue avant la publication le 24 mai 2012 dans une revue médicale, d’un article rédigé par le chef du service cardio-thoracique de l’hôpital de la Timone et le chef du laboratoire de parasitologie et mycologie du même hôpital. Ainsi, leur analyse n’est pas susceptible d’établir l’existence d’une faute, notamment d’un manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales à la date des soins dispensés. Dès lors, l’ONIAM n’est pas fondé à soutenir que l’infection du patient par aspergillus flavus révèlerait une faute de l’AP-HM.9. Il résulte de l’instruction, et notamment du rapport d’expertise, que la contamination du bloc opératoire de chirurgie cardiaque n’était pas connue à la date de l’intervention chirurgicale et n’a été relevée que le lendemain de l’opération. Les traitements administrés au patient lors des deux interventions en 2004 et 2010 étaient conformes aux règles de l’art. Par ailleurs, les bonnes pratiques médicales en vigueur en 2004 n’imposaient pas un suivi spécifique des patients ayant fait l’objet d’un remplacement d’une valve aortique dans un bloc opératoire contaminé deux ans auparavant. Il suit de là que l’AP-HM n’a pas commis de faute en s’abstenant de mettre en place une antibiothérapie précoce ni dans la prise en charge de F.P.. »

3-8. Responsabilité du fait des SAMU et SMUR

  • L’aide médicale urgente est une mission du service public hospitalier :

    Article L. 6112-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L9810KXM) : « Le service public hospitalier exerce l'ensemble des missions dévolues aux établissements de santé par le chapitre Ier du présent titre ainsi que l'aide médicale urgente, dans le respect des principes d'égalité d'accès et de prise en charge, de continuité, d'adaptation et de neutralité et conformément aux obligations définies à l'article L. 6112-2 (N° Lexbase : L1704LIX). »

    L’aide médicale urgente est définie aux articles L. 6311-1 (N° Lexbase : L5030DYX) et L. 6311-2 (N° Lexbase : L5051IES) du Code de la santé publique et le service d’aide médicale urgente (SAMU) participe de cette mission, notamment en ce qu’il organise l’orientation et le transport des patients, le cas échéant en faisant appel au SMUR (structure mobile d’urgence et de réanimation).

    Les centres hospitaliers sont responsables de ces services, soit parce qu’ils les ont mis en place, soit parce qu’ils ont passé une convention avec eux.

    Ainsi, une erreur fautive de diagnostic commise par un médecin régulateur du SAMU engagera la responsabilité du Centre hospitalier duquel le SAMU dépend.

    Voir jurisprudence citée supra dans les développements relatifs aux fautes de diagnostic.

    Cette responsabilité sera engagée que le médecin régulateur soit un praticien hospitalier, ou qu’il s’agisse d’un médecin libéral mis à la disposition du SAMU par convention. Mais cela n’empêche pas le Centre hospitalier, si ladite convention le permet, d’appeler en garantie la personne privée coresponsable du dommage :

    CE 4° et 5° s-s-r., 20 décembre 2006, n° 262280, A., mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1408DTC) : « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par jugement du 20 juillet 1998, le tribunal administratif de Nantes a, d’une part, condamné le Centre hospitalier général de Saint-Nazaire à réparer les conséquences dommageables résultant, pour les consorts Bourcereau – Puissieux, du décès de M. P. à raison de la faute commise lors du traitement des appels téléphoniques le 12 janvier 1993 par le médecin d’exercice libéral, alors mis à disposition, en qualité de médecin régulateur, du centre de réception et de régulation des appels du service d’aide médicale urgente (SAMU) de l’estuaire de la Loire par l’association pour la médecine d’urgence de l’estuaire de la Loire (AMUEL), et qu’il a, d’autre part, condamné l’association pour la médecine d’urgence de l’estuaire de la Loire à garantir le Centre hospitalier général de Saint-Nazaire de l’intégralité des condamnations prononcées à son encontre à ce titre ; que l’association pour la médecine d’urgence de l’estuaire de la Loire demande l’annulation de l’arrêt du 31 juillet 2003 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté sa requête contre le jugement du 20 juillet 1998 en tant que celui-ci l’a condamnée à garantir le Centre hospitalier des condamnations prononcées à son encontre ; [...]

    Considérant [...] que la cour a pu déduire des stipulations précitées de la convention [...], que ladite association devait garantir le Centre hospitalier général de Saint-Nazaire des condamnations prononcées à son encontre au titre de la faute commise par le médecin d’exercice libéral que cette association avait mis à disposition du centre de réception et de régulation des appels du service d’aide médicale urgente (SAMU) de l’estuaire de la Loire le 12 janvier 1993 en qualité de médecin régulateur, sans avoir à rechercher si celui-ci devait être regardé comme un agent public ou comme un collaborateur occasionnel du service public de l’aide médicale urgente ».

    ⇒ Jurisprudence confirmée par CE 4° et 5° s-s-r., 14 janvier 2009, n° 296020, SAMU 67, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3291ECU).

  • La loi « HPST » a consacré la responsabilité administrative de l’activité de régulation par un médecin libéral :

    Article L. 6314-2 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L5180IEL) : « L'activité du médecin libéral assurant la régulation des appels au sein d'un service d'aide médicale urgente hébergé par un établissement public de santé est couverte par le régime de la responsabilité administrative qui s'applique aux agents de cet établissement public. Ce même régime s'applique dans le cas où, après accord exprès de l'établissement public en cause, le médecin libéral assure la régulation des appels depuis son cabinet ou son domicile. Toute clause d'une convention contraire aux principes énoncés dans le présent article est nulle. »

    Ainsi les incidents ou retards dans le transport engage la responsabilité du Centre hospitalier duquel le SAMU dépend, même en cas de pluralités d’intervenants.

    Le régime de responsabilité pour faute lourde a été abandonné pour les SAMU en 1997.

    CE Section, 20 juin 1997, n° 139495, T., publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0095AEA) : « Considérant [...] qu'en se fondant, pour rejeter la demande de M. T., sur le fait qu'aucune faute lourde n'avait été commise par le Centre hospitalier, la cour administrative d'appel a méconnu les règles qui régissent, en la matière, l'engagement de la responsabilité des personnes publiques ».

    Néanmoins, à l’occasion de cette affaire dans laquelle les difficultés rencontrées lors du transport avaient causé un retard dommageable de soins, aucune faute ne fut reconnue, précisément parce que le juge a pris en compte les difficultés intrinsèques à ce type d’activité :

    « Considérant qu'eu égard aux conditions météorologiques et de visibilité existant vers 21 heures 25 le jour de l'accident, la décision de renoncer au transport du malade par hélicoptère n'a pas constitué une faute de nature à engager la responsabilité du Centre hospitalier ; que la circonstance que M. T. n'a pu être opéré qu'à 2 heures 30 du matin est imputable, non au retard de quelques minutes avec lequel le SAMU de Toulouse aurait prévenu les sapeurs-pompiers de Masseube de l'impossibilité du transport du blessé par hélicoptère, mais aux difficultés de son transport par la route en raison de la gravité de ses blessures ».

    Si la victime est prise en charge par un SMUR commun à deux centres hospitaliers, mais rattaché à un SAMU d’un seul centre hospitalier, elle peut rechercher la responsabilité de cet établissement de rattachement, alors même que le dommage serait imputable à une faute de l’équipe médicale basée dans l’autre Centre hospitalier dans lequel le patient avait été admis :

    CE 4° et 5° s-s-r., 9 décembre 2009, n° 307529, B. c. Centre hospitalier de Chambéry, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4287EPH) : « Considérant que M. B., victime d'un accident de plongée le 19 juin 1996, a recherché devant la juridiction administrative la responsabilité du Centre hospitalier de Chambéry au titre des conséquences d’une décision prise par une équipe d’un service mobile d'urgence et de réanimation (SMUR) dépêché par le SAMU du département de la Savoie, rattaché à ce Centre hospitalier ; que sa demande a été rejetée [...] au motif que le SMUR qui était intervenu dépendait du Centre hospitalier d'Aix-les-Bains et que, par suite, la faute qui lui était imputée n’était pas de nature à engager la responsabilité du Centre hospitalier de Chambéry [...] ; Considérant que le dossier soumis aux juges du fond comprenait une convention conclue le 8 novembre 1993 par les centres hospitaliers de Chambéry et d’Aix-les-Bains à l’effet de créer un SMUR commun aux deux centres hospitaliers généraux, placé sous la responsabilité du chef de service du SAMU 73 et rattaché administrativement au Centre hospitalier de Chambéry ; [...] qu’il ressortait de ces stipulations que le SMUR constituait un service unique rattaché au Centre hospitalier de Chambéry et placé sous la responsabilité du chef du service du SAMU, également rattaché à cet établissement ; que, par suite, et alors même que le dommage était imputé à une faute de l’équipe basée au Centre hospitalier d’Aix-les-Bains, la cour a commis une erreur de droit en rejetant comme mal dirigé le recours tendant à la condamnation du Centre hospitalier de Chambéry ».

    Solution confirmée à propos d’un patient transporté par une ambulance privée sollicitée par le SMUR placé sous la responsabilité du SAMU lui-même rattaché à un Centre hospitalier, dont la responsabilité a été reconnue du fait du retard de plus de deux heures pour effectuer les 20 kms séparant les deux centres hospitaliers :

    CE 4° et 5° s-s-r., 18 février 2010, n° 318891, A., mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0237ESL) : « Considérant que, eu égard à la collaboration étroite que ces dispositions organisent entre le SAMU, les services mobiles d’urgence et de réanimation (S.M.U.R) et les services d’accueil et de traitement des urgences, la victime d’une faute commise à l’occasion du transfert d’un patient d’un établissement de santé vers un autre peut, lorsque les services impliqués dépendent d’établissements de santé différents, rechercher la responsabilité de l’un seulement de ces établissements ou leur responsabilité solidaire, sans préjudice des appels en garantie que peuvent former l’un contre l’autre les établissements ayant participé à la prise en charge du patient ».

    Arrêt de renvoi : CAA Marseille, 17 juillet 2011, n° 10MA00726, A. (N° Lexbase : A7005HY4) : « la circonstance que le retard dans ce transfert soit le fait d’une société d’ambulances privée, chargée par le SMUR d’assurer ledit transfert, est sans influence sur l’engagement de la responsabilité du Centre hospitalier de Pertuis à l’égard des consorts A. ; que, contrairement à ce que soutient le Centre hospitalier de Pertuis, ce retard anormal a compromis les chances de M. A. d’obtenir une amélioration de son état de santé ou d’échapper à son aggravation ; qu’ainsi, la faute commise par le service hospitalier est en lien de causalité directe avec le décès de M. A. »

4. Le défaut d’information et de consentement et les autres manquements déontologiques

E52953RK

4-1. Préambule

  • Le devoir d’information participe du recueil d’un consentement éclairé. Tous deux étaient d’abord des devoirs déontologiques avant d’être consacrés en tant que droits des patients.

    Les autres manquements déontologiques peuvent également engager la responsabilité du service.

4-2. Le devoir d’information

4-2-1. Préambule

  • Loi n° 2002-303, 04-03-2002

    Article R. 4127-35 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1223ITH) : « Le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension ».

    Article L. 1111-2 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L9646KXK) : « Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver. »

    À la fois manquement déontologique et violation de la loi, le moyen tiré du défaut d’information est pour le requérant une sorte de moyen « balai » soulevé en sus des allégations de faute médicale, ou inversement en l’absence de faute, lorsqu’il s’agit de mettre en cause la responsabilité d’un établissement public de santé.

    D’abord issu de la jurisprudence, le champ d’application du devoir d’information porte sur tous les actes et tous les risques, y compris graves, y compris exceptionnels, la charge de la preuve pesant sur l’établissement de santé.

    La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a codifié la jurisprudence, en inscrivant à l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique un contenu exhaustif pour l’obligation d’information. Ainsi, aux termes de la loi, l’information doit porter sur tous les actes médicaux (« investigations, traitements ou actions de prévention »), leur justification (« utilité » et « urgence éventuelle »), leurs conséquences (y compris en cas de refus), leurs alternatives, et leurs « risques fréquents ou graves normalement prévisibles », y compris les risques apparaissant postérieurement à l’acte de soin stricto sensu.

E52983RN

4-2-2. Information sur les risques encourus

  • Le considérant de principe a été posé dans l’arrêt « Telle » du 5 janvier 2000 :

    CE Section. 5 janvier 2000, n° 181899, T., publié au recueil Lebon : « Considérant que lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que, si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité, de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation ».

  • 1) Connaissance du risque
  • Le risque doit faire l’objet d’une information dès qu’il est connu :

    CE 5° et 7° s-s-r., 15 janvier 2001, n° 184386, C., mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8853AQX) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction que les angioplasties, même effectuées dans les règles de l'art, présentent des risques d'infarctus avec une fréquence de 5 % et de décès avec une fréquence de 0,9 à 1,5 % ; qu'il n'est pas contesté que M. C., n'avait pas été informé de l'existence de tels risques ; qu'une telle information n'était pas impossible contrairement à ce que soutient le Centre hospitalier ; que ce défaut d'information a constitué une faute susceptible d'engager la responsabilité du Centre hospitalier à l'égard de M. C. ».

    CE Contentieux, 19 mai 2004, n° 216039, n° 216040, Caisse régionale d’assurance maladie d’Ile-de-France et CPAM du Val-de-Marne c. T., publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2355DC9) : « Considérant que l'intervention subie par M. T., même conduite dans les règles de l'art, présentait des risques connus, notamment de séquelles neurologiques ; que ces risques devaient être portés à la connaissance du patient ; que, si l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris soutient que M. T. avait été informé de ces risques, elle n'apporte pas la preuve qui lui incombe qu'elle lui a donné cette information ».

    Le risque ne doit pas être considéré comme connu par le patient, ni l’information comme dûment donnée à ce titre, sous prétexte que ledit patient a déjà subi une ou plusieurs fois la même intervention :

    CE 4° et 5° s-s-r., 24 novembre 2004, n° 252140, S., inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0172DE4) : « Considérant [...] que c'est par une appréciation souveraine des faits que la cour, qui n'était pas tenue de répondre expressément à l'allégation de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris selon laquelle Mme W. ayant accepté de subir une nouvelle embolisation en décembre 1995, était nécessairement informée des risques qu'elle encourait lors de la première intervention de janvier 1995, a estimé que la preuve de ce que la patiente avait été informée du risque d'accident, n'était pas rapportée ».

    De plus et conformément aux termes de la loi, lorsqu’un risque nouveau est identifié, même après l’intervention, il doit également faire l’objet d’une information :

    CE, 2 septembre 2009, n° 292783, P., mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7450EK7) : « Considérant que, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, le cliché utile rétro-tibial a été suggéré dans le compte rendu radiographique rédigé alors que Mme P. avait déjà quitté l’hôpital ; que cette information ne lui a pas été transmise à l’initiative de l’hôpital et qu’elle n’en a eu connaissance qu’à la suite de la demande de communication de son dossier médical qu’elle a obtenu le 27 avril 1999 ; que cette abstention a constitué une faute de nature à engager la responsabilité du service hospitalier ; que cette faute a fait perdre à Mme P. une chance que sa fracture soit diagnostiquée plus précocement et traitée par immobilisation ; qu’il sera fait une juste appréciation des faits de l’espèce en fixant à 50 % la perte de chance d’une guérison sans séquelles imputable à la faute de l’hôpital ».

    Dans cet arrêt « Peignien », les faits de l’espèce ne se prêtaient pas à l’application de l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L9646KXK) dans la mesure où ils étaient antérieurs à son entrée en vigueur. Néanmoins, le juge a pris soin de préciser :

    « Considérant qu’aux termes de l’article L. 710-2 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L9227DKX), dans sa rédaction applicable à la date des faits en litige : Les établissements de santé, publics ou privés sont tenus de communiquer aux personnes recevant ou ayant reçu des soins, sur leur demande et par l’intermédiaire du praticien qu’elles désignent, les informations contenues dans leur dossier médical ; que ces dispositions ne dispensaient pas le service public hospitalier, en cas d’identification de risques nouveaux postérieurement à l’exécution d’une investigation, de l’obligation, désormais consacrée à l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique, d’en informer la personne concernée, sauf impossibilité de retrouver celle-ci ».

    Un risque imprévisible ne peut évidemment et par définition pas faire l’objet d’une information. Les jurisprudences sont rares :

    CAA Bordeaux, 29 novembre 2007, n° 05BX01462, R. (N° Lexbase : A6422D4M) : « Considérant, qu’en l’espèce, ainsi qu’il a déjà été dit, au regard des données médicales, l’évolution particulièrement rapide de l’affection dont souffrait Mlle R. revêtait un caractère imprévisible ; que, par suite, les conséquences du délai d’intervention chirurgicale de trois jours écoulé entre l’hospitalisation de Mlle R. et la réalisation de l’intervention du 5 mai, étaient elles-mêmes imprévisibles et ne sauraient avoir constitué un risque connu présenté par un acte médical pour lequel une information spécifique aurait dû être délivrée ».

  • Mais un risque qui n’est pas encore connu n’est pas nécessairement un risque imprévisible lorsque la technique est trop récente pour tous les connaître :

    CE 4° et 5° ch.-r., 10 mai 2017, n° 397840, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1107WCY) : « Lorsqu’il est envisagé de recourir à une technique d’investigation, de traitement ou de prévention dont les risques ne peuvent être suffisamment évalués à la date de la consultation, notamment parce que cette technique est récente et n’a été mise en œuvre qu’à l’égard d’un nombre limité de patients, l’information du patient doit porter à la fois sur les risques fréquents ou graves normalement prévisibles déjà identifiés de cette technique et sur le fait que l’absence d’un recul suffisant ne permet pas d’exclure l’existence d’autres risques ; qu’en estimant que M. C. n’avait pas été informé de l’insuffisante connaissance des risques de la technique opératoire innovante qui lui était proposée, la cour administrative d’appel a porté sur les faits de l’espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation ; qu’en retenant en conséquence l’existence d’un manquement au devoir d’information, de nature à engager la responsabilité du service public hospitalier, elle n’a pas commis d’erreur de droit ni d’erreur de qualification juridique ».

    Le Conseil d’État a dû préciser qu’un aléa était un risque comme un autre :

    CE 5° ch., 10 mars 2017, n° 396432, V., inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4841T3P) : « 3. Considérant qu’il appartient aux juges du fond devant lesquels est invoquée la violation de ces dispositions de rechercher dans la littérature médicale si le risque qui est survenu était connu ou s’il se rattache à une catégorie de risque connu, la circonstance qu’il constitue un aléa thérapeutique ne permettant pas par elle-même de conclure à son imprévisibilité ; qu’en se bornant à relever que l’accident médical dont Mme V. a été victime présentait le caractère d’un aléa thérapeutique et devait de ce fait être regardé comme imprévisible, sans rechercher si le risque de lésion du nerf fibulaire commun au cours de l’opération subie était répertorié dans la littérature médicale, et sans examiner, dans l’affirmative, s’il présentait une fréquence statistique significative ou pouvait emporter des conséquences graves, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit ; que son arrêt doit, pour ce motif, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, être annulé ».

    Il a également dû rappeler qu’à l’évidence, une conséquence normale d’un acte de soin (en l’espèce une cicatrice) devait également faire l’objet d’une information :

    CE 5° ch., 8 février 2018, n° 404190, n° 405079, M., inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6169XCH) : « 4. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme M. a conservé de la laparotomie qu’elle a subie une cicatrice de 18 centimètres en travers de l’abdomen, particulièrement apparente ; qu’en jugeant que les médecins n’avaient pas à l’informer que l’intervention aurait une telle conséquence, au motif qu’elle ne pouvait être regardée comme un risque de l’acte pratiqué au sens des dispositions de l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L9646KXK), alors que ces dispositions exigent également que le patient soit informé des conséquences de cet acte, la cour a commis une erreur de droit ; que son arrêt doit par suite être annulé en tant qu’il statue sur la réparation des conséquences d’un manquement de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris à son obligation d’information ».

    Il a par ailleurs estimé que l’information doit porter sur les risques d’un accouchement par voie basse, lequel n’est pourtant pas regardé comme un acte de soin :

    CE 4° et 5° ch.-r., 27 juin 2016, n° 386165, centre hospitalier de Poitiers, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4258RUA) : « 3. Considérant que la circonstance que l’accouchement par voie basse constitue un événement naturel et non un acte médical ne dispense pas les médecins de l’obligation de porter, le cas échéant, à la connaissance de la femme enceinte les risques qu’il est susceptible de présenter eu égard notamment à son état de santé, à celui du fœtus ou à ses antécédents médicaux, et les moyens de les prévenir ; qu’en particulier, en présence d’une pathologie de la mère ou de l’enfant à naître ou d’antécédents médicaux entraînant un risque connu en cas d’accouchement par voie basse, l’intéressée doit être informée de ce risque ainsi que de la possibilité de procéder à une césarienne et des risques inhérents à une telle intervention ».

  • 2) Fréquence ou gravité du risque
  • Fréquence du risque. Tel que résultant du régime jurisprudentiel, le risque fait l’objet d’une information même s’il est exceptionnel, ce que dit l’arrêt « Telle », et un autre arrêt « AH-HP » du même jour :

    CE Contentieux, 5 janvier 2000, n° 198530, AP-HP c. M.G., inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9408AGK) : « Considérant [...] qu'ainsi, et alors même que l'absence d'intervention aurait présenté des risques, la cour administrative d'appel de Paris n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que le risque de paraplégie que comportait l'intervention proposée à M. G. quoiqu'exceptionnel, était connu, et qu'eu égard à sa gravité, les praticiens de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris étaient tenus d'en informer l'intéressé ».

    Ainsi, la jurisprudence antérieure exonérant le Centre hospitalier lorsque la réalisation du risque est « tout à fait exceptionnelle », ne s’applique plus :

    CE Contentieux, 9 janvier 1970, n° 73067, C., publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6184B78) : « Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'il ait été procédé à l'acte de diagnostic ainsi pratiqué sans le consentement du sieur C. ; qu'en admettant même que le requérant n'ait pas été averti des risques que comporte une injection intra-rachidienne, il résulte du rapport d'expertise que les suites fâcheuses d'une telle injection ne sont qu'exceptionnelles ; que le sieur C. n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que la responsabilité de l'Administration générale de l'Assistance publique à Paris serait engagée par le motif qu'il n'aurait pas été averti des risques courus ».

    CE 5° et 10° s-s-r., 1er mars 1989, n° 68434, G., publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1618AQY) : « Considérant qu'il résulte également de l'instruction que M. G. avait été informé des risques d'abolition du réflexe cornéen provoqué dans 10 à 20 % des cas par la technique employée de la thermocoagulation ; qu'il ne saurait être reproché au Centre hospitalier de n'avoir point également signalé à l'intéressé la possibilité de survenance d'une kératite neuroparalytique dès lors qu'il s'agit d'une complication tout à fait exceptionnelle ; qu'ainsi, M. G. n'est pas fondé à soutenir qu'il n'avait pas été correctement informé des risques encourus du fait de l'intervention chirurgicale subie ».

    On relève incidemment qu’un risque dont l’occurrence de réalisation est de 1 % ou 2 % ne constitue pas aux yeux du juge administratif un risque exceptionnel :

    CE 5° et 7° s-s-r., 15 janvier 2001, n° 184386, C. et a., mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8853AQX), et,

    CE 5° et 7° s-s-r., 15 janvier 2001, n° 195774, AP-HP c. B., mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8863AQC) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction que le risque d'hémiplégie lié à l'opération pratiquée doit être évalué à 2 % ; que sa réalisation ne peut donc être regardée comme exceptionnelle ; que, par suite, la responsabilité sans faute de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris ne saurait être engagée ».

    Un risque très exceptionnel, dont l’occurrence est inférieure à 0.1 % n’en est pas moins prévisible et doit faire l’objet d’une information.

    CE 4° et 5° ch.-r., 19 octobre 2016, n° 391538, centre hospitalier d’Issoire, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7802R9T) : « 3. Considérant que, pour juger qu’un défaut d’information imputable au centre hospitalier d’Issoire avait fait perdre à Mme V. une chance de se soustraire au risque qui s’est réalisé, la cour administrative d’appel a retenu qu’il résultait de l’instruction, en particulier du rapport déposé le 30 juillet 2008 par l’expert désigné par la commission régionale de conciliation et d’indemnisation d’Auvergne, que des paralysies transitoires pouvaient survenir à la suite d’anesthésies locales telles que celle pratiquée en l’espèce dans 0,1 % des cas et des paralysies définitives dans 0,02 à 0,03 % des cas ; que la cour en a déduit qu’alors même qu’ils ne se réalisaient qu’exceptionnellement, ces risques connus constituaient des risques graves normalement prévisibles au sens des dispositions de l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L9646KXK) et auraient dû, par suite, être portés à la connaissance de la patiente ; qu’il résulte de ce qui a été indiqué au point 2 qu’elle n’a pas commis d’erreur de droit en se déterminant par ce motif ; qu’elle n’a pas davantage entaché son arrêt d’une erreur de qualification juridique ou d’une dénaturation des faits de l’espèce ».

  • Gravité du risque. Aux termes de la jurisprudence, le risque doit faire l’objet d’une information dès que sa réalisation est susceptible d’entraîner « un décès ou une invalidité ». Aux termes de l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L3822IB8), il fera l’objet d’une information dès qu’il sera « grave ».

    Le critère de gravité est apprécié au cas par cas par le juge.

    Pour illustration, le risque de bris dentaire lors d’une intubation ne rencontre pas le critère de gravité :

    CAA Marseille, 28 février 2008, n° 06MA02059, Centre hospitalier universitaire de Montpellier (N° Lexbase : A7629D83) : « Considérant, [...] qu’alors que Mme A. conteste avoir été avertie des risques que comporte un acte anesthésique pour ses dents, le Centre hospitalier universitaire de Montpellier n’apporte pas la preuve qu’une telle information lui aurait été délivrée en se prévalant d’un document du département d’anesthésie de réanimation A qui indique que la patiente a été informée du risque de bris dentaire, dès lors que l’intéressée n’a pas signé ledit document ; que, toutefois, le risque de bris dentaire qui s’est finalement réalisé, qui n’a entraîné aucune incapacité partielle permanente ni aucun préjudice esthétique, mais qui se trouve être à l’origine de seules douleurs qualifiées de très légères par l’homme de l’art, bien que normalement prévisible, n’est pas d’une gravité telle qu’il devait lui être signalé ; qu'en outre, il n’est pas soutenu et il ne résulte, par ailleurs, pas de l’instruction que le risque de bris dentaire au cours d’un acte anesthésique constitue un effet secondaire habituel d’une fréquence telle qu’il devait lui être signalé ; que, dans ces circonstances, aucun manquement fautif ne saurait être reproché au Centre hospitalier universitaire de Montpellier ».

    Dans cet arrêt (qui a fait l’objet d’un pourvoi, mais pas sur le moyen du défaut d’information : CE 4° et 5° s-s-r., 21 octobre 2009, n° 314759, A., mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2548EMC) le juge considère à la fois que le risque était bénin et que sa fréquence n’était pas telle qu’elle devait être signalée, fut-il normalement prévisible.

    La même solution fut retenue à propos d’une nécrose sur une suture à l’issue d’une intervention chirurgicale :

    CAA Bordeaux, 30 décembre 2008, n° 07BX02547, D. (N° Lexbase : A3764EP4) : « Considérant que le Centre hospitalier de Mont-de-Marsan n’apporte pas la preuve qu’avant la réalisation de l’opération du 7 janvier 2005, il aurait informé Mme D. des risques qu’elle encourait du fait de cette intervention ; que toutefois, ce défaut d’information ne constitue pas une faute de nature à engager la responsabilité du Centre hospitalier dès lors qu’il résulte de l’instruction que les risques normalement prévisibles inhérents à cette intervention n’étaient ni fréquents ni graves ».

  • Un risque fréquent ou grave. Les juges du fond ont dû préciser que la fréquence et la gravité du risque ne sont pas des critères cumulatifs, mais alternatifs.

    Ainsi un risque fréquent, mais peu grave, du moment qu’il était fréquent, doit faire l’objet d’une information :

    CAA Lyon, 10 juin 2010, n° 08LY00073, G. (N° Lexbase : A7626E3T) : « Considérant qu’il n’est pas contesté que Mme G. n’a pas reçu d’information spécifique sur le risque de fracture mandibulaire et d’anesthésie du nerf alvéolaire inférieur en cas d’avulsion de dents de sagesse ; qu’elle demande la réparation des séquelles consécutives à cette opération, auxquelles elle soutient qu’elle aurait pu renoncer si elle avait été informée du risque qu’elle présentait ; que, si le Centre hospitalier de Roanne soutient que le risque en cause n’était pas d’une gravité suffisante pour relever de l’obligation d’information, telle qu’elle est définie par les dispositions précitées, il admet toutefois lui-même que le risque de complication est évalué à 10 %, chiffre retenu par l’expert désigné par les premiers juges, et doit donc être regardé comme fréquent ».

    Et inversement un risque peu fréquent, mais grave, dès lors qu’il est grave, doit faire l’objet d’une information :

    CAA Lyon, 7 avril 2011, n° 09LY01837, n° 09LY01838, n° 09LY02013, T. et CPAM de Saint-Étienne (N° Lexbase : A4039HTR) : « que la seule circonstance que ce risque n’est pas fréquent est sans incidence sur l’obligation d’en informer le patient, compte tenu de sa gravité ; que ce risque est connu, l’expertise en date du 18 octobre 2008 l’évaluant à 0,5 % environ, tout en précisant que, dans la très grande majorité des cas, les complications sont mineures et transitoires ; qu’ainsi, il ne peut davantage être regardé comme n’ étant pas normalement prévisible ; que ce défaut d’information constitue ainsi une faute imputable au CHU de Saint-Étienne ».

    Le Conseil d’État a synthétisé ce critère alternatif par la formule suivante :

    CE 4° et 5° ch.-r., 19 octobre 2016, n° 391538, centre hospitalier d’Issoire, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7802R9T) : « doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l’accomplissement d’un acte médical, les risques connus de cet acte qui soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence ».

    ♦ Illustrations :

    L’absence d’information sur l’existence d’une alternative moins risquée est évidemment fautive :

    CE 5° s-s., 13 février 2015, n° 366133, L., inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0268NCW) : « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond et notamment du rapport de l’expert que, d’une part, Mme L. n’avait pas été informée de la possibilité pour le chirurgien d’utiliser une autre technique opératoire que celle mise en œuvre, présentant un moindre risque d’écartement et par suite de lésion du nerf laryngé et que, d’autre part, une alternative thérapeutique à une intervention chirurgicale était envisageable dès lors que la patiente ne présentait pas de signe de paralysie ; que, par suite, en jugeant, par les motifs rappelés au point 3, que le manquement du chirurgien à son obligation d’informer Mme L. sur le risque de dysphonie lié à l’intervention envisagée ne lui avait pas fait perdre une chance d’échapper à ce risque, la cour administrative d’appel a entaché son arrêt de dénaturation ; ».

    L’absence d’information sur l’existence d’une alternative moins risquée combinée à l’absence d’information sur les risques graves de l’intervention pratiquée est évidemment fautive :

    CE 4° et 5° s-s-r., 6 mars 2015, n° 368010, CHU de Grenoble, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9156NC4) : « Considérant que, pour juger que le centre hospitalier de Grenoble ne s’était pas acquitté des obligations qui pesaient sur lui en vertu de ces dispositions législatives, la cour administrative d’appel a retenu que l’établissement n’apportait pas la preuve que Mme F. avait été informée, d’une part, des risques de tétraplégie que comportait l’intervention projetée et, d’autre part, de l’existence d’alternatives thérapeutiques moins efficaces, mais moins risquées que l’exérèse complète du méningiome ; qu’en jugeant que le centre hospitalier avait méconnu les dispositions précitées, la cour a implicitement, mais nécessairement retenu que le risque de tétraplégie était au nombre des risques graves normalement prévisibles de l’intervention pratiquée ; que si elle a admis que la patiente avait été informée de l’existence de « risques fonctionnels », elle a pu, sans entacher son arrêt de contradiction de motifs ni de dénaturation, estimer que cette information était insuffisante et qu’une information spécifique sur le risque de tétraplégie était nécessaire en l’espèce ; que la cour n’a pas davantage dénaturé les faits de l’espèce en admettant l’existence d’alternatives thérapeutiques moins efficaces, mais moins risquées que l’exérèse complète du méningiome ; qu’il ne ressort pas des motifs de l’arrêt qu’elle ait estimé que seul un document écrit signé par la patiente aurait été de nature à apporter la preuve de l’information ».

E52993RP

4-2-3. Le défaut d’information non fautif et la perte de chance nulle

  • 1) Le défaut d’information non fautif
  • Aux termes de l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L9646KXK), le défaut d’information n’est pas fautif en cas d’urgence ou d’impossibilité d’informer le patient.

    Article L. 1111-2, alinéa 2, du Code de la santé publique : « Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. »

    Face à la volonté du patient d’être tenu dans l’ignorance, l’établissement est également exempt d’informer.

    La jurisprudence antérieure proposait les mêmes critères :

    CE Sect., 5 janvier 2000, n° 181899, Telle, publié au recueil Lebon : « Considérant [...] que, si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité, de refus du patient d'être informé, [...] ».

    Le défaut d’information n’est pas non plus fautif lorsque le risque est à la fois exceptionnel et bénin ou lorsqu’il est imprévisible (cf. supra).

  • a) L'urgence
  • CE 5° et 3° s-s-r., 19 mai 1983, n° 33587, M., mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1554AMI) : « Considérant qu'il n'est pas établi que M. M. n'ait pas donné son consentement à l'opération subie le 24 avril 1975 ; que, compte tenu des risques que présentait son état, et de la complexité et l'urgence de l'intervention que cet état rendait nécessaire, la circonstance à la supposer établie, qu'il n'ait pas été informé de toutes les suites possibles de cette opération n'est pas constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration générale de l'assistance publique à Paris ».

    Dans les contentieux disponibles par la suite, les références aux situations d’urgence sont plus souvent négatives que positives. Et c’est l’absence d’urgence qui tend à transformer le défaut d’information non fautif en défaut d’information fautif.

    Par exemple :

    CE Contentieux, 19 mai 2004, n° 216039, Caisse régionale d’assurance maladie d’Ile-de-France et CPAM du Val de Marne, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2355DC9) : « Considérant [...] que, si l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris soutient que M. Y avait été informé de ces risques, elle n'apporte pas la preuve qui lui incombe qu'elle lui a donné cette information, alors qu'il n'existait, contrairement à ce qu'elle allègue, aucune situation d'urgence de nature à dispenser les médecins de leur obligation d'information ».

    CE 4° et 5° s-s-r., 25 octobre 2006, n° 281933, T., mentionné au recueil Lebon (N° Lexbase : A3240DSS) : « Considérant [...] que, par suite, en l'absence d'urgence rendant impossible l'information préalable de la patiente, ce défaut d'information a constitué une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'hôpital ».

    On trouve néanmoins quelques illustrations chez les juges du fond, pour des actes typiquement réalisés en urgence tels qu’une césarienne :

    CAA Bordeaux, 12 octobre 2004, n° 01BX01397, Centre hospitalier de Niort : « Considérant que, compte tenu de l’urgence qui était attachée à la réalisation de la césarienne, aucun manquement au devoir d’information ne peut être retenu à l’encontre du Centre hospitalier quant aux risques présentés par l’intervention chirurgicale pratiquée ; »

    Ou une intubation :

    CAA Bordeaux, 2 novembre 2010, n° 09BX02055, M. c. Groupe hospitalier sud Réunion : « Considérant, en premier lieu, que lorsque l’acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l’art, comporte des risques connus de décès ou d’invalidité, le patient doit, sauf en cas d’ urgence, d’impossibilité ou de refus de sa part, en être informé ; qu’il résulte de l’instruction que le pronostic vital de l’enfant des requérants était en jeu 48 heures après sa naissance et que cet enfant souffrait d’apnées bradycardisantes ; que cette situation nécessitait la réalisation d’une intubation trachéale immédiate pour instaurer une ventilation artificielle efficace du nouveau-né ; qu’ainsi, le groupe hospitalier Sud Réunion était confronté à une situation d’urgence, laquelle le dispensait d’informer les représentants légaux de l’enfant des risques liés à l’acte médical pratiqué ; qu’en l’absence de faute, compte tenu de cette situation d’urgence, la responsabilité du groupe hospitalier Sud Réunion à raison du devoir d’information ne saurait être engagée ni à l’égard de M. et Mme M. en leur qualité de représentants légaux de leur l’enfant , ni à leur égard en leur nom propre ».

    Ou l’administration, au demeurant conforme aux données acquises de la science, d’un antiépileptique sur un bébé de 7 mois pris de convulsions après un traumatisme crânien :

    CAA Bordeaux, 17 décembre 2019, n° 17BX03814, A. (N° Lexbase : A4245Z94) : « Dans ces conditions, c’est aussi à bon droit que les premiers juges ont considéré que l’utilisation de phénytoïne, prescrite dans le cadre d’une prise en charge urgente et compte tenu de convulsions de l’enfant résistantes aux traitements entrepris, quand bien même elle a été réalisée sans information préalable des parents, ne révèle aucun manquement fautif de la part du CHU de Limoges en lien avec les dommages subis par l’enfant, en l’absence de conséquences péjoratives sur l’évolution de son état de santé. »

  • b) L’impossibilité
  • On estime généralement que l’impossibilité d’informer se pose lorsque le patient ne dispose pas de ses facultés mentales (ex : Alzheimer), qu’il est inconscient ou dans le coma, ou encore qu’il refuse d’être informé.

    Il convient bien sûr d’ajouter l’impossibilité de retrouver le patient lorsque « postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés » (CSP, art. L. 1111-2 N° Lexbase : L9646KXK), ceux-ci devant également faire l’objet d’une information.

    Il existe très peu d’illustration contentieuse de cette impossibilité d’informer ou sur le refus du patient d’être informé.

    D’ailleurs, s’agissant d’une personne ne parlant pas français, il a été jugé que cela ne tenait pas lieu d’exemption à un devoir extensif d’information :

    TA Montpellier, 20 septembre 2010, n° 0903907, B. : « Considérant que Mme B. affirme n’avoir donné son consentement qu’à une myomectomie et non à une hystérectomie, et n’avoir pas été informée qu’une telle intervention serait réalisée en cas d’échec de la tentative de myomectomie ; que s’il résulte de l’instruction, [...] ; qu’il ressort du dossier de consultation [...] ; que ce document mentionne également la difficulté d’interroger Mme B. qui ne parle pas la langue française, et comporte les mentions "parentèle informée des risques de l’intervention chirurgicale - patient va réfléchir et contacter la secrétaire si souhaite programmer l’intervention" puis, in fine, "patiente pris directement rendez-vous pour l’intervention" ; que si le Centre hospitalier du bassin de Thau fait valoir que le principe et les risques tant de la myomectomie que de l’hystérectomie auraient été oralement expliqués lors de la consultation du 14 juin 2007 au mari de Mme B., lequel aurait fait office d’interprète, ces allégations, au demeurant insuffisamment établies par les pièces du dossier, ne sont pas de nature à établir que Mme B. a été informée dans des conditions permettant de donner son consentement libre et éclairé à l’intervention chirurgicale projetée ; que Mme B. est par suite fondée à soutenir que le Centre hospitalier de Béziers a commis une faute résultant de l’absence d’information dans des conditions ayant permis de recueillir son consentement éclairé ».

    Mais il ne suffit pas d’alléguer ne pas parler français pour que le juge conclue à un défaut d’information :

    TA Strasbourg, 26 janvier 2016, n° 1204173, S. :  « Que, si Mme S. de nationalité française, entend soutenir, qu’eu égard au manque de compréhension de la langue française, elle n’a pas compris les informations qui lui ont été données lors de cet entretien, ces allégations sont contredites par les termes du documents qu’elle a signé ; qu’en outre, Mme S. n’a engagé entre le 21 novembre 2008 et le 15 décembre 2008 aucune démarche auprès des Hôpitaux universitaires de Strasbourg visant à se faire expliciter si elle l’estimait utile les informations reçues lors de l’entretien individuel susmentionné ; qu’elle n’a pas davantage, conformément aux dispositions de l’article R. 4127-76 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L9183GTB), demandé à obtenir la traduction de la fiche d’information au patient qu’elle avait signée ; qu’ainsi, dans les circonstances de l’espèce, Mme S. doit être regardée comme ayant bénéficié des informations requises par l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique ».

  • 2) Le défaut d’information sans perte de chance : l’absence d’alternative thérapeutique et le caractère indispensable de l’intervention
  • Reste fautif le défaut d’information, alors même que le pronostic vital est engagé et/ou qu’il n’existe pas d’alternative thérapeutique moins risquée. Néanmoins, en raison de l’absence de perte de chance de se soustraire à un tel risque, ce défaut d’information n’engagera pas la responsabilité du service de santé.

    N’entraîne pas de perte de chance une intervention visant à désobstruer des coronaires :

    CE 5° et 7° s-s-r., 15 janvier 2001, n° 184386, C. et a., mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8853AQX) : « Considérant toutefois qu'il résulte de l'instruction, d'une part, que l'état de santé de M. C. nécessitait de manière vitale une intervention visant à désobstruer ses coronaires et, d'autre part, qu'il n'y avait pas d'alternative thérapeutique moins risquée que l'opération réalisée ; que, par suite, la faute commise par le Centre hospitalier régional de Toulouse n'a pas entraîné, dans les circonstances de l'espèce, de perte de chance pour M. C., de se soustraire au risque qui s'est réalisé ; qu'aucune indemnisation n'est, par conséquent, due à ce titre ».

    Ni celle visant à retirer un utérus pour stopper une évolution défavorable que d’autres traitements n’ont pas jugulée :

    CE 4° et 5° s-s-r., 25 octobre 2006, n° 281933, T., mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3240DSS) : « Considérant que le Centre hospitalier régional universitaire de Caen ne conteste pas que Mme T. n'a pas été informée de l'existence de risques de lésions de l'uretère consécutives à une ablation de l'utérus ; que, par suite, en l'absence d'urgence rendant impossible l'information préalable de la patiente, ce défaut d'information a constitué une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'hôpital ; qu'il résulte toutefois de l'instruction que les hémorragies très importantes et résistantes aux différents traitements administrés à Mme T. rendaient nécessaire, en l’absence d’alternative thérapeutique moins risquée, l’ablation de son utérus ; que, dans ces conditions, et compte tenu de la survenance exceptionnelle d’hydronéphrose à la suite de ce type d’opération, la faute commise par le Centre hospitalier régional universitaire de Caen n'a pas entraîné, dans les circonstances de l'espèce, de perte de chance pour Mme T. de se soustraire au risque qui s'est réalisé ; qu'aucune indemnisation n'est, par suite, due à ce titre ».

    Ni une intervention comportant un risque de cécité (qui s’est réalisé), mais visant à prévenir une évolution certaine vers la cécité :

    CE 4° et 5° s-s-r., 24 juillet 2009, n° 305372, Centre hospitalier universitaire de Nantes c. U. Mendia, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1066EKP) : « Considérant [...] que la cour administrative d’appel a relevé qu’il n’était pas établi que M. U. ait été informé avant l’intervention du risque connu qu’elle comportait de cécité causée par une hémorragie choroïdienne, mais qu’il n’existait aucune alternative thérapeutique moins risquée à cette intervention nécessaire pour prévenir une évolution dont l’issue certaine était la cécité à l’échéance de quelques semaines ; qu’elle a pu en déduire sans commettre d’erreur de droit, et alors même que le risque auquel exposait l’absence de traitement n’était pas vital, que le défaut d’information n’avait pas privé l’intéressé d’une chance de se soustraire au dommage et ne lui ouvrait droit à aucune indemnisation ».

  • Il en va de même pour le choix d’un traitement médicamenteux :

    CE 4° et 5° s-s-r., 9 décembre 2009, n° 308914, B., inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4289EPK) : « Considérant, en second lieu, que les parents du jeune W. soutiennent ne pas avoir été informés des risques d’intoxication médicamenteuse susceptibles de découler de l’administration de dépakine ; qu’il résulte de l’instruction et notamment des constatations de l’expert qu’il existait un risque bien connu d’atteinte hépatique en cas d’administration de ce médicament à un enfant de moins de trois ans ; qu’il est établi que les parents, informés des modalités de traitement, ne l’ont pas été de ces risques particuliers d’intoxication ; que lorsque l’acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l’art, comporte des risques connus de décès ou d’invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que si cette information n’est pas requise en cas d’urgence, d’impossibilité ou de refus du patient d’être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu’exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation ; que, cependant, il résulte de l’instruction et notamment du rapport d’expertise, que la sévérité des troubles manifestés par le jeune patient et la gravité des troubles épileptiques qu’il présentait n’auraient permis aucune alternative thérapeutique plus légère ; que l’hypothèse d’interruption du traitement par dépakine, pourtant envisagée en mai 1999, a été écartée compte tenu de la gravité des risques de récidive de crise convulsive ; que, dans ces circonstances, le Centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye est fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Versailles a jugé que le défaut d’information imputable à ce centre serait à l’origine d’une perte de chance de la prolongation de la survie de l’enfant ».

    Les notions d’« intervention indispensable » et d’« absence d’alternative » sont autonomes l’une de l’autre :

    CE 4° et 5° s-s-r., 11 juillet 2011, n° 328183, A., mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0259HWI) : « Considérant qu’un manquement des médecins à leur obligation d’information n’engage la responsabilité de l’hôpital que dans la mesure où il a privé le patient de la possibilité de se soustraire au risque lié à l’intervention ; que dès lors, pour juger que la faute consistant à ne pas avoir informé M. A. du risque que comportait l’ostéotomie n’avait fait perdre à ce dernier aucune chance d’échapper au dommage, la cour a à bon droit recherché si cette intervention présentait un caractère indispensable ; qu’elle a toutefois dénaturé les faits de l’espèce en reconnaissant un tel caractère à l’ostéotomie subie par M. A., alors qu’elle relevait seulement la circonstance qu’une abstention thérapeutique aurait comporté un risque de complications cardio-vasculaires sensiblement supérieur à la moyenne, d’asthénie prononcée et de somnolences diurnes et qu’il n’existait pas d’alternative thérapeutique moins risquée ; que l’arrêt attaqué doit, par suite, être annulé en tant qu’il statue sur la responsabilité des Hôpitaux universitaires de Strasbourg au titre d’un manquement à leur obligation d’information ».

    Certaines interventions sont à la fois « impérieusement requises » et « sans alternative possible » (par ex. l’amputation d’un doigt) :

    CE 5° et 6° ch.-r., 20 décembre 2018, n° 415729, Consorts A., inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8408YRT) : « 5. Considérant qu’en retenant que, comme l’indiquait l’expert, aucune option thérapeutique autre que l’amputation complète de l’index ne pouvait être raisonnablement envisagée, de sorte que l’absence d’information suffisante de la patiente sur l’opération envisagée, qui était impérieusement requise à brève échéance, ne l’avait pas privée d’une chance de se soustraire à cette amputation, le tribunal, qui a suffisamment motivé son jugement sur ce point, n’a pas commis d’erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis ; que, toutefois, Mme A. faisait également valoir qu’elle avait subi un préjudice moral du fait qu’elle n’avait pas été informée du type d’intervention qui serait pratiqué ; que le tribunal n’a pas statué sur la réparation d’un tel préjudice ; que, par suite, son jugement doit être annulé dans cette mesure ».

    D’autres interventions, pour impérieusement requises qu’elles soient (ex. un pontage) laissent toutefois le choix entre deux modalités (pontage prothétique ou pontage veineux) et il convient d’informer sur l’existence de l’alternative et, pour chacune, sur les risques encourus :

    CE 5° et 6° ch.-r., 23 octobre 2019, n° 420485, centre hospitalier de Cannes, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6190ZS3) : « Il résulte de ces dispositions qu’un manquement des médecins à leur obligation d’information engage la responsabilité de l’hôpital dans la mesure où il a privé le patient d’une chance de se soustraire au risque lié à l’intervention en refusant qu’elle soit pratiquée. Ce n’est que dans le cas où l’intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d’aucune possibilité raisonnable de refus, que les juges du fond peuvent écarter l’existence d’une perte de chance. 5. Il ressort des termes mêmes de l’arrêt attaqué que la cour s’est fondée, pour juger que le centre hospitalier avait méconnu son obligation d’information, sur ce que M. C. n’avait pas été informé des alternatives, des risques d’échec et des risques de complications liés à la technique du pontage prothétique. Le manquement à l’obligation d’information retenu par la cour portant ainsi, non sur le principe même de la réalisation d’un pontage, mais sur le choix du pontage prothétique plutôt que du pontage veineux, la circonstance que la réalisation d’un pontage aurait été impérieusement requise était sans incidence sur la perte de chance résultant spécifiquement du choix de la technique utilisée. Par suite, la cour n’a pas commis d’erreur de droit ni entaché son arrêt d’insuffisance de motivation en s’abstenant de rechercher si, ainsi que cela était soutenu devant elle par le centre hospitalier requérant, la réalisation d’un pontage était, le 23 septembre 2009, impérieusement requise. »

E55843RA

4-2-4. La preuve de l’information

  • Loi n° 2002-303, 04-03-2002
    La charge de la preuve a été renversée par le juge au profit de la victime en la faisant peser sur l’établissement depuis l’arrêt Telle :

    CE Sect., 5 janvier 2000, n° 181899, Telle, publié au recueil Lebon : « Considérant que M. T. soutenait qu'il n'avait pas été informé des risques de l'intervention ; que les hospices civils de Lyon, qui n'ont contesté cette affirmation ni au cours des opérations d'expertise, ni devant le tribunal administratif ont produit en appel une attestation établie par un praticien postérieurement à l'intervention et aux termes de laquelle le patient avait été informé des risques du traitement envisagé ; que, dans les circonstances de l'espèce, un tel document n'est pas de nature à établir que les praticiens se sont acquittés de leur obligation d'information ».

    Ce que la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a consacré :

    Article L. 1111-2, alinéa 7, du Code de la santé publique (N° Lexbase : L9646KXK) : « En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen ».

    La loi a également précisé que l’information devait être le fruit d’un entretien individuel.

    Article L. 1111-2, alinéa 3, du Code de la santé publique : « Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. »

    Ainsi, et même si la pratique des professionnels de santé tend à faire signer des documents au patient énonçant notamment la liste des risques encourus par l’intervention ou le traitement, il ne s’agit pas d’un moyen de preuve toujours efficace.

    Les juges apprécient au cas par cas et au regard des éléments disponibles de l’instruction, ce qui constitue ou non un élément probant de délivrance de l’information.

    Il été jugé que la production de documents établis postérieurement aux faits ne constitue pas une preuve suffisante aux yeux du juge. C’est le cas d’espèce dans l’arrêt Telle, mais aussi dans :

    CE 4° et 5° s-s-r., 10 mars 2004, n° 251594, J., inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5729DBS) : « Considérant que, si le chirurgien hospitalier atteste, dans des correspondances en date des 9 juin 1997 et 16 janvier 1998, soit quatre ans après le décès de M. J. survenu le 18 janvier 1993, avoir correctement informé ce dernier des risques de l'intervention envisagée, en particulier lors d'une consultation, le 29 décembre 1992, ces documents ne sont pas, à eux seuls, de nature à établir que ce praticien se serait acquitté de son obligation d'information ».

  • Sauf si la force probante de ce document est suffisante et que rapport d’expertise vient l’appuyer :

    CAA Nancy, 24 septembre 2009, Centre hospitalier de Saint-Claude, n° 08NC01316 (N° Lexbase : A8672ELR) : « Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment du rapport d’expertise [...], que M. Y  a bien été informé du diagnostic retenu après le scanner pratiqué le 10 juillet 2002 et de la nécessité d’être transféré au Centre hospitalier de Bourg-en-Bresse pour qu’il y soit procédé en urgence à un examen d’imagerie par résonance magnétique (IRM) ; qu’il résulte toutefois du compte rendu d’hospitalisation du Centre hospitalier de Saint-Claude que M. Y  avait, pour des motifs personnels, fait le choix de subir les examens complémentaires en externe et qu’il n’est pas contesté que, dans ce cas, les délais d’attente pour procéder à un tel examen sont plus longs ; qu’ensuite, si l’intéressé soutient ne pas avoir été informé du risque de graves conséquences en cas de report de cet examen, il n’a pas contesté formellement devant l’expert avoir été informé de la confirmation d’un diagnostic d’hémorragie méningée par le scanner du 10 juillet 2002 et de la nécessité de son transfert dans un service de neurologie ou de neurochirurgie au Centre hospitalier de Bourg-en-Bresse ; qu’enfin, le neurologue du Centre hospitalier de Lons-Le-Saunier a indiqué, dans une correspondance du 8 septembre 2004 adressée à son confrère du Centre hospitalier de Saint-Claude, et dont le caractère tardif ne remet pas en cause la force probante, que lors de son entretien avec M. Y, celui-ci avait refusé de façon catégorique toute hypothèse d’hospitalisation pour procéder à l’IRM et qu’il n’était pas parvenu à lui faire prendre conscience de la gravité de son état ; qu’en dernier lieu, il n’est pas contesté que M. Y n’était pas alors affecté de troubles qui auraient pu altérer son discernement, l’hémorragie méningée isolée survenue en juillet 2002 n’ayant pas porté atteinte à sa capacité de jugement et de raisonnement ; que, dans ces circonstances, le Centre hospitalier de Saint-Claude n’a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité au regard de l’accident cérébral dont M. Y a été ultérieurement victime ».

    Les documents établis préalablement à l’opération constituent à l’évidence des éléments de preuve moins discutables. L’existence d’un délai de réflexion entre la consultation et l’intervention constitue également un indice que l’information a été délivrée.

    CAA Paris, 10 juin 2010, D., n° 09PA04044 (N° Lexbase : A2117E3S) : « Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment de deux courriers produits au dossier émanant du professeur ayant opéré Mme D. et préalables à l’intervention, que celle-ci a été informée des risques liés à l’opération et notamment du risque de paraplégie ; qu’elle a d’ailleurs, à la suite de cette information, demandé un délai de réflexion avant de consentir à ladite intervention ; qu’ainsi l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris doit être regardée comme apportant la preuve que Mme D. a été informée de l’existence des risques connus de séquelles neurologiques de l’intervention qu’elle a subie ».

    CAA Marseille, 1er décembre 2016, n° 14MA04687, L. (N° Lexbase : A2282SP9) : « 3. Considérant que M. L., s’il reconnaît avoir été informé par le praticien du centre hospitalier régional universitaire de Montpellier du programme chirurgical indiqué, portant sur la réalisation, étalée sur plusieurs mois, de plusieurs interventions, indique ne pas l’avoir été des risques liés aux opérations prévues et n’avoir pas disposé d’un délai de réflexion d’une durée suffisante avant que ne soit effectuée la première intervention ; que l’établissement de santé, auquel il incombe d’apporter, par tout moyen, la preuve que l’information a été délivrée à l’intéressé dans les conditions prévues par les dispositions de l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L9646KXK), ne produit aucun commencement de justification de l’accomplissement de son obligation de nature à établir que le patient a été mis en mesure de donner un consentement éclairé au programme d’interventions qui lui avait été proposé et dont la réalisation ne présentait pas un caractère d’urgence ; que dès lors, la responsabilité de l’établissement public de soins est engagée à ce titre ».

    Mais ce délai de réflexion ne suffit pas par lui-même à établir la réalité d’une information :

    CAA Paris, 15 mai 2017, n° 14PA04641, Caisse des dépôts et consignations (N° Lexbase : A2753WDC) : « Pour apporter la preuve, qui lui incombe, de l’information préalable de Mme A. , l’Assistance publique - hôpitaux de Paris fait tout d’abord valoir que l’intéressée aurait signé un formulaire par lequel elle reconnaîtrait avoir été informée des risques inhérents à l'intervention. Toutefois, l’établissement n’a pas produit ce document, lequel ne ferait, au demeurant, état, selon l’avis de la CRCI du 30 juin 2009, que de risques sans autres précisions et n’aurait été signé que la veille de l’intervention. Par ailleurs, si le compte-rendu opératoire mentionne qu’une information sur les risques aurait été délivrée lors de la consultation du 24 janvier 2008, ce document n’a, sur ce point, qu’une faible valeur probante, dès lors qu’il a nécessairement été établi postérieurement à l’apparition des graves séquelles dont souffre Mme A. . Par ailleurs, les circonstances, invoquées par l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris, que Mme A. avait souscrit un contrat d’assurance garantie des accidents de la vie comprenant la couverture du risque accident médical en juillet 2005, qu’elle a bénéficié de plusieurs consultations préalablement à l’intervention ainsi que d’un délai de réflexion de plusieurs mois, qu’elle a consulté un chirurgien d’un autre établissement, que son époux soit dentiste et qu’elle-même exerçait la profession de secrétaire administrative au sein de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris ne suffisent pas, à elles seules, à apporter la preuve de ce que Mme A. aurait préalablement été informée, au cours d'un entretien individuel, du risque particulièrement grave de tétraplégie qui s’est réalisé. »

  • S’agissant de la réalité de la délivrance de l’information, le juge ne se contente pas de l’existence d’un entretien préalable entre un médecin et le patient :

    CE 4° et 5° s-s-r., 10 mars 2004, n° 251594, Mme J., inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5729DBS) : « que la circonstance que M. J. a été reçu par plusieurs praticiens avant l'intervention ne saurait davantage établir la réalité de ladite information ; que, dès lors, Mme J. est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a écarté l'existence d'un manquement à cette obligation ».

    La preuve d’une information suffisante n’est finalement établie que lorsque l’instruction révèle un suivi très sérieux et surtout « traçable » du patient.

    Ainsi dans cette affaire de rupture utérine à la suite d'un accouchement par voies naturelles :

    CAA Paris, 17 février 2005, n° 01PA01893, Centre hospitalier de Montmorency c. V. (N° Lexbase : A1068DIE) : « Considérant que l’accouchement par voie naturelle de Mme V. , même conduit dans les règles de l’art, présentait des risques connus tant pour la mère que pour l’enfant tenant à la présence d’un utérus cicatriciel, conséquence d’une précédente césarienne ; que ces risques devaient être portés à la connaissance de la parturiente ; que si Mme V., qui n’en avait pas fait état au cours des opérations d’expertise, a soutenu dans sa requête devant le tribunal administratif qu’elle n’avait pas été informée des risques de rupture utérine, ce qu’a contesté en défense le Centre hospitalier, il résulte de l’instruction que Mme V. avait accouché d’un premier enfant en 1989 par césarienne, indiquée du fait de l’échec d’un déclenchement artificiel du travail justifié par un dépassement du terme de la grossesse ; que l’intéressée a confié le suivi de sa seconde grossesse à partir du sixième mois au chef du service de gynécologie obstétrique du Centre hospitalier de Montmorency ; que ce praticien l’a examinée chaque mois selon les pratiques recommandées, a fait pratiquer les examens requis pour un accouchement par la voie naturelle - notamment une radiographie du bassin qui s’est avérée normale ainsi qu’une radiopelvimétrie -, a pris connaissance du compte rendu opératoire de la césarienne pratiquée en 1989, et a fait part de ces résultats à Mme V. ; qu’il a alors convenu avec celle-ci qu’elle accoucherait par voie naturelle ; que le terme de la grossesse ayant été atteint sans que le travail ne se soit spontanément déclenché, Mme V. a convenu avec le praticien hospitalier du déclenchement artificiel de l’accouchement afin d’éviter une seconde césarienne, et a été admise au Centre hospitalier le 1er juillet 1994 pour y accoucher le 2 juillet suivant ; que ces faits, non contestés, sont de nature à établir que Mme V. a été suffisamment informée des risques liés, dans son cas personnel, à un accouchement par voie naturelle du fait de la présence d’un utérus cicatriciel ».

    Il en résulte que dans le domaine de la gestion des risques, les hôpitaux préfèrent désormais la traçabilité du suivi, à la signature par le patient d’un document type de « décharge » qui ne sera pas reconnu par le juge.

    On relève cependant que les allégations contradictoires de la victime s’agissant du défaut d’information, sont de nature à remettre en cause l’existence d’un tel défaut :

    CAA Paris, 17 février 2005, n° 01PA02579, H. (N° Lexbase : A1087DI4) : « Considérant qu’en appel M. H. se prévaut d’un défaut d’information quant à la nature de l’intervention pratiquée le 15 juillet 1988 en ce qu’il n’aurait consenti qu’à la seule vagotomie et non à la cure de hernie hiatale ; que, toutefois, il a déclaré, le 3 novembre 1993 au médecin qui l’a examiné à la demande de son avocat, avoir été informé d’une opération (la première) pour hernie hiatale, il n’aurait pas été question d’une cure d’ulcère du bulbe, puis au même praticien, le 10 novembre 1994, n’avoir pas été informé du traitement de sa hernie hiatale pas plus que des risques de la chirurgie de l’ulcère alors envisagée ; qu’il a fait état dans sa requête devant le tribunal administratif de Paris d’une absence de consentement éclairé et notamment d’une absence de consentement pour la cure de hernie hiatale effectuée lors du premier geste chirurgical et non prévue initialement et, dans son mémoire en réplique, de complications liées à la première intervention ; qu’à l’expert désigné par ce tribunal, il a ensuite déclaré n’avoir donné son consentement qu’au seul traitement de la maladie ulcéreuse duodénale ; qu’enfin, devant la cour, le requérant, qui n’a d’ailleurs repris le moyen tiré d’un défaut d’information concernant la nature de l’intervention pratiquée le 15 juillet 1988 que dans son mémoire en réplique du 2 septembre 2002, prétend n’avoir consenti qu’à la seule vagotomie hyper sélective ; que l’expert a cependant relevé que le traitement chirurgical pratiqué le 15 juillet 1998 n’a pas comporté, comme le prétend M. H. une double intervention, mais une seule et même intervention pour des pathologies qui forment un tout, la cure de hernie hiatale faisant partie intégrante du traitement de l’ulcère duodénal, dont l’expert souligne en outre le caractère complexe ; que les déclarations contradictoires du requérant constituent des présomptions suffisantes pour établir que les praticiens se sont en l’espèce acquitté de leur obligation d’information ; que, dans ces conditions, l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif a reconnu l’existence d’un manquement à cette obligation de nature à engager sa responsabilité ».

    Les préjudices liés au défaut d’information (perte de chance, impréparation psychologique) sont détaillés dans l’étude sur les préjudices.

E56853RY

4-3. Le respect du consentement

4-3-1. Le recueil du consentement

  • Décret n° 95-1000, 06-09-1995, portant code de déontologie médicale
    Le devoir d’information est un préalable indispensable au recueil d’un consentement éclairé, lequel a d’abord été une règle déontologique

    Décret n° 95-1000 du 6 septembre 1995, portant Code de déontologie médicale, article 36, devenu l’article R. 4127-36 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L6348K9Y) : « Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas ».

    Avant d’être consacré par la loi du 4 mars 2002 qui en a particulièrement précisé les modalités aux articles L. 1111-4 (N° Lexbase : L4252KY7) à L. 1111-6 (N° Lexbase : L1610LIH) du Code de la santé publique.

    Article L. 1111-4, alinéa 3, du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4252KY7) : « Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. »

    On relève un cas un peu lointain de violation du consentement pour n’avoir pas tenu une promesse thérapeutique faite au patient :

    CE Contentieux, 17 février 1988, n° 76417, B., publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7586APN) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme B. n'avait choisi le Centre hospitalier de Saint-Cloud, pour la cure chirurgicale d'une hernie inguinale qu'à la condition que l'intervention serait précédée d'un traitement anti-coagulant ; que le respect d'une telle précaution lui avait été promis par le médecin anesthésiste ; que, cependant, le chirurgien s'est opposé à la mise en œuvre du traitement prévu ; que ces circonstances équivalent à une intervention sans le consentement de la patiente ; qu'en l'absence de toute urgence, elles sont constitutives d'une faute engageant la responsabilité du Centre hospitalier de Saint-Cloud ».

    Plus récemment, le fait de priver un patient de la possibilité d’émettre un consentement en décidant d’une intervention supplémentaire non justifiée par l’urgence :

    CAA Lyon, 7 avril 2009, n° 04LY01668, V. (N° Lexbase : A1922EIZ) : « Considérant, toutefois, que le Centre hospitalier de Bourg-en-Bresse n'apporte pas la preuve que Mlle V. avait été préalablement informée de ce qu'elle était susceptible, au cours de l'intervention initialement prévue, de faire également l'objet d'un curage axillaire ; que ces circonstances équivalent à une intervention sans le consentement de la patiente ; qu'en l'absence d’urgence, elles sont constitutives d'une faute engageant la responsabilité du Centre hospitalier, sans que ce dernier puisse utilement soutenir que Mlle V., même correctement informée, ne se serait pas soustraite à l’intervention litigieuse ; que par suite Mlle V. est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande indemnitaire ».

  • Le fait de transfuser un patient contre son gré, même s’il a été jugé à l’époque que cela ne portait pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative (CE Contentieux, 16 août 2002, n° 249552, F. N° Lexbase : A6294A4U).

    Le fait de conduire une intervention substantiellement différente de celle pour laquelle le patient avait consenti

    CE 4° et 5° s-s-r., 24 septembre 2012, n° 336223, C., mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6375ITB) : « Considérant que l’arrêt attaqué relève, au vu d’un document signé par l’intéressé le 7 juillet 1998 et du rapport d’expertise, que M. C. a donné son consentement à la pose d’un anneau péri-gastrique modulable, permettant un ajustement de la restriction alimentaire, et que le centre hospitalier universitaire de Nice a pratiqué une intervention de gastroplastie verticale consistant à scinder l’estomac en deux compartiments, technique qui ne permet aucun ajustement ultérieur, qui impose le respect de contraintes hygiéno-diététiques particulières et qui, sans être totalement irréversible, rend difficile la réfection de l’estomac ; que la cour n’a pas tiré les conséquences nécessaires de ces constatations, dont il ressortait que le patient n’avait pas donné son consentement à l’intervention réalisée par le chirurgien, mais à une intervention substantiellement différente, en limitant le droit à réparation de M. C. aux contraintes spécifiques liées à la technique utilisée et en ne lui reconnaissant pas le droit d’être indemnisé des complications survenues ; que le requérant est dès lors fondé à soutenir que l’arrêt attaqué est, sur ce point, entaché d’erreur de droit. »

    Le fait de procéder à une IRM non consentie :

    CAA Lyon, 26 octobre 2017, n° 16LY02814 (N° Lexbase : A1303WYW) : « Considérant que Mme G. soutient, sans être contredite par le centre hospitalier universitaire de Grenoble, n’avoir pas donné son consentement à l’examen d’imagerie par résonance magnétique réalisé le 10 mars 2011 ; qu’il ne résulte pas de l’instruction que la prescription de cet examen d’imagerie ait constitué un cas d’urgence ; que Mme G. était en état d’exprimer sa volonté ; que, par suite, en l’absence d’un tel consentement, le centre hospitalier universitaire de Grenoble est tenu de réparer les préjudices subis de ce fait par l’intéressée. »

    N’est en revanche pas fautif le défaut de consentement d’une personne qui n’a pas à le donner, comme un mari n’ayant pas consenti à l’IVG de sa femme. Cette solution vieille de quarante ans est parfaitement transposable au droit positif actuellement en vigueur :

    CE Ass., 31 octobre 1980, n° 13028, Lahache, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8793AII) : « Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'interruption de grossesse demandée par Mme L. a été pratiquée au Centre hospitalier de Dinan avant la fin de la dixième semaine ; qu'à supposer que le requérant, mari séparé de fait de Mme Lahache, ait été disposé à lui venir en aide au cas où elle aurait eu son enfant, ni cette circonstance, ni le fait que M. L. n'a pas été invite à participer à la consultation et à ses suites, ne faisaient légalement obstacle à la décision, prise à la demande de Mme L., de procéder à l'interruption volontaire de grossesse : qu'ainsi, sans qu'il y ait lieu de rechercher si, dans les circonstances de l'espèce, l'interruption de grossesse pouvait être également justifiée par des motifs thérapeutiques, le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'en accédant à la demande de Mme L., les services du Centre hospitalier de Dinan ont commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'établissement ».

    Ni, à l’instar du défaut d’information, celui qui est empêché par l’urgence.

    Enfin, le droit de consentir n’implique pas le droit de choisir un traitement :

    CE référé, 26 juillet 2017, n° 412618, M., publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7953WNU) : « Il résulte de ces dispositions que toute personne a le droit de recevoir les traitements et les soins les plus appropriés à son état de santé sous réserve de son consentement libre et éclairé. En revanche, ces mêmes dispositions ni aucune autre ne consacrent, au profit du patient, un droit de choisir son traitement. »

E57083RT

4-3-2. Le refus de soins

  • Article L. 1111-4, alinéa 2, du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4252KY7) : « Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d'interrompre tout traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d'accepter les soins indispensables. »

    Des contentieux sont nés vis-à-vis des refus de transfusions sanguines, notamment sur le fondement de convictions religieuses (Témoins de Jéhovah).

    À cette occasion, le Conseil d’État a écarté le moyen tiré de l’absence de consentement préalable, voire de la méconnaissance d’un refus de soins exprimé :

    CE, 26 octobre 2001, n° 198546, S., publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1915AX9) : « Considérant que, compte tenu de la situation extrême dans laquelle M. S. se trouvait, les médecins qui le soignaient ont choisi, dans le seul but de tenter de le sauver, d'accomplir un acte indispensable à sa survie et proportionné à son état ; que, dans ces conditions, et quelle que fût par ailleurs leur obligation de respecter sa volonté fondée sur ses convictions religieuses, ils n'ont pas commis de faute de nature à engager la responsabilité de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris ».

    Le Conseil d’Etat a ensuite reconnu au droit pour le patient de donner – et donc de refuser – son consentement à un soin, le caractère d’une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3058ALT), c’est-à-dire ouvrant la possibilité d’exercer un recours en référé-liberté.

    « Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l'intérêt thérapeutique d'autrui. Le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir. »

    Néanmoins, il a formulé une réserve lorsque l’urgence et le pronostic vital exigent la mise en œuvre du soin :

    CE Contentieux, 16 août 2002, n° 249552, F. (N° Lexbase : A6294A4U) : « Considérant que le droit pour le patient majeur de donner, lorsqu'il se trouve en état de l'exprimer, son consentement à un traitement médical revêt le caractère d'une liberté fondamentale ; que toutefois les médecins ne portent pas à cette liberté fondamentale, telle qu'elle est protégée par les dispositions de l'article 16-3 du Code civil (N° Lexbase : L6862GTC) et par celles de l'article L. 1111-4 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4252KY7), une atteinte grave et manifestement illégale lorsqu'après avoir tout mis en œuvre pour convaincre un patient d'accepter les soins indispensables, ils accomplissent, dans le but de tenter de le sauver, un acte indispensable à sa survie et proportionné à son état ».

  • LOI n° 2016-87 du 2 février 2016
    La loi n° 2016-87 du 2 février 2016, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie a inversé la logique à l’œuvre, et le refus du patient doit être respecté.

    Article L. 1111-4 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4252KY7) : Le médecin a l'obligation de respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité.

    Désormais, mais il n’existe plus aucune jurisprudence depuis 2002 sur cette question, le refus de transfusion ne semble pas devoir être pondéré par l’urgence vitale. Saisi d’un référé-liberté pour empêcher toute transfusion à venir, le juge de référés du TA de Versailles n’a pu que rejeter la requête, mais on relève tout de même qu’une transfusion non consentie a eu lieu dans ce dossier.

    TA Versailles, ord., 5 septembre 2018, n° 1806163, A. : « Le 1er septembre, Mme A. qui bénéficiait jusque là en service de réanimation d'une stratégie d'épargne transfusionnelle avec prescription d’érythropoïétine, de vitamine K et de fer, a subi contre sa volonté une transfusion de deux culots globulaires en raison d’un épisode d’ischémie digestive consécutif à son opération et engageant son pronostic vital à court terme. »

    Un consentement n’a pas nécessairement à être écrit pour exister. Ainsi, dans une affaire où les requérants faisaient valoir que leur proche n’avait pas consenti à la greffe hépatique qu’il avait subie, le juge a au contraire déduit des éléments de l’instruction qu’un tel consentement avait bien été recueilli :

    CAA Versailles, 25 mai 2010, n° 08VE02901-08VE02948, S. et a. c. AP-HP (N° Lexbase : A9211E4W) : « Considérant, toutefois, qu'il résulte de l'instruction que le diagnostic d’hépatocarcinome a été définitivement confirmé en juin 2003 et qu’à la suite du traitement par radiofréquence dont M. S. a fait l’objet en septembre 2003, l’équipe de praticiens de l’hôpital Beaujon a évoqué avec le patient la nécessité d’une transplantation hépatique ; que, dans cette perspective, M. S. s’est rendu dans le service d’hépatologie où a été pratiqué un bilan pré-transplantation ; qu’il a été procédé à son inscription sur la liste des patients en attente de greffe le 2 décembre 2003, l’ensemble des investigations et la laparotomie hépatique, réalisées en 2003, ayant confirmé que la transplantation hépatique était la seule solution envisageable ; que l’inscription de M. S. sur la liste des malades à transplanter, dont il n’est pas soutenu qu’elle lui aurait été imposée, révèle, dans les circonstances de l’espèce, le consentement du patient au principe d’une transplantation, alors même qu’il ne s’est pas présenté à deux consultations, les 22 mars et 19 avril 2004 ; que si la veuve de M. S. soutient qu’une transplantation intrafamiliale, à partir d’un greffon prélevé chez l’un de ses frères, a été évoquée avec les praticiens du Centre hospitalier, il résulte de l’instruction que cette perspective n’a été envisagée qu’en raison de l’évolution préoccupante des lésions hépatiques et de l’absence de greffon compatible depuis le mois de décembre 2003 ; qu’en outre, et alors que le risque de thrombose hépatique est le même pour le patient, que le greffon soit ou non d’origine familiale, une transplantation hépatique à partir d’un donneur vivant, qui ne peut être réalisée rapidement compte tenu des examens nécessaires au regard de la compatibilité de l’organe à transplanter, présente des risques pour le donneur qui doit subir une hépatectomie ; que, dès lors que l’hôpital Beaujon a été informé le 9 mai 2004 qu’un foie compatible était disponible, la solution du don familial n’avait plus lieu d’être, eu égard à la nécessité d’intervenir en urgence afin de préserver la qualité du greffon et en raison du pronostic vital qui était engagé ; que, dans ces circonstances, les inquiétudes que M. S. a pu exprimer le 9 mai 2004 n’étaient pas de nature à remettre en cause son adhésion au processus de transplantation ; qu’il résulte de ce qui précède que M. S. doit être regardé comme ayant reçu toutes informations utiles de la part du service d’hépatologie et du service de chirurgie digestive de l’hôpital Beaujon dès sa prise en charge par cet établissement et comme ayant donné son consentement libre et éclairé à la réalisation d’une transplantation hépatique, un consentement écrit n’étant exigé ni par l’article L. 1111-4 du Code de la santé publique, ni par l’article 16-3 du Code civil (N° Lexbase : L6862GTC) ».

E57093RU

4-3-3. Le choix ou le refus d’un praticien

  • Article L. 1110-8 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L0008KYX) : « Le droit du malade au libre choix de son praticien et de son établissement de santé est un principe fondamental de la législation sanitaire.

    Les limitations apportées à ce principe par les différents régimes de protection sociale ne peuvent être introduites qu'en considération des capacités techniques des établissements, de leur mode de tarification et des critères de l'autorisation à dispenser des soins remboursables aux assurés sociaux. »

    L’une des rares jurisprudences mettant en cause l’application de l’article L. 1110-8 du Code de la santé publique met en œuvre les limitations légalement prévues, en l’occurrence s’agissant de la répartition territoriale des soins par l’Agence régionale de santé, laquelle peut mettre en péril le libre choix de son établissement :

    TA Nîmes, 16 septembre 2010, n° 0902963, Polyclinique La Garaud : « Considérant qu’il résulte de la combinaison de ces dispositions que les usagers du service public ont droit à accéder aux soins du service hospitalier dans les conditions qui leur permette de recevoir le traitement le plus adapté à leur état et sans qu’il soit porté atteinte au principe de l’égal accès à ce service ; que ces dispositions ne font cependant pas obstacle à ce que l’agence régionale de l’hospitalisation prenne, dans le cadre du schéma régional de l’organisation sanitaire, toutes les mesures nécessaires à l’optimisation et à la rationalisation des moyens mis en œuvre ; que l’article L 1110-8 précité du Code de la santé publique permet d’ailleurs une telle limitation ; Considérant que les mesures de planification et de répartition géographique des moyens de soins des pathologies cancéreuses prévues par le Code de la santé publique ne constituent nullement une atteinte au droit des patients de recevoir les soins les plus appropriés à leur état de santé ; que selon les dispositions de ce code, l’offre de soins susceptible de garantir ce droit des patients peut s’exercer dans un espace infra-régional ; que le territoire de Nîmes-Bagnols-sur-Cèze constitue un territoire infra-régional dont il n’est ni établi ni même allégué qu’il ne constituerait pas un cadre pertinent pour la prise en charge des patients dans le strict respect de leur liberté de choix ; que la circonstance qu’un patient qui ne désirerait pas être soigné de la pathologie dont il est atteint à Bagnols-sur-Cèze, mais à Nîmes, distante de 53 km, ne porte pas atteinte au principe de l’égalité devant le service public pas plus qu’à la liberté de choix du patricien auquel il désire recourir ».

    En vertu de la relation fonctionnelle qui s’établit entre le patient et l’établissement, celui-ci est réputé s’adresser au service plutôt qu’à un praticien nommément désigné.

    CE 5° et 3° s-s-r., 4 avril 1990, n° 61132, Centre hospitalier régional de Toulouse c. G., inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6976AQG) : « Considérant qu'en s'adressant au service de neurochirurgie du Centre hospitalier régional Mme G. ne s'est pas confiée personnellement au chef du service, le professeur L., mais à l'équipe médicale de ce service et qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'elle ait expressément subordonné son consentement à l'opération à la condition que celle-ci soit exécutée par le professeur L. ; qu'en chargeant, après avoir examiné la patiente, l'un de ses collaborateurs de pratiquer l'intervention, sans en avertir au préalable Mme G., le chef de service n'a pas commis une faute de service ; qu'il résulte de l'instruction que le docteur A., médecin de nationalité libanaise, attaché au service de neurochirurgie du Centre hospitalier régional de Toulouse était titulaire d'un doctorat d'université en médecine ; qu'il avait la compétence et l'expérience nécessaires pour pratiquer sur Mme G., l'acte médical dont son chef de service lui avait confié l'exécution et que d'ailleurs aucune faute technique n'a été relevée à sa charge ; qu'il suit de là que quelles qu'aient été les conditions de sa désignation, elles ne sont pas de nature, dans les circonstances de l'espèce, à engager la responsabilité du service public hospitalier ».

    Le patient doit néanmoins être informé de l’identité du praticien :

    CAA Douai, 6 août 2010, n° 09DA01632, R. (N° Lexbase : A3294E9U) : « qu’il est constant que M. R. qui avait été informé qu’il serait opéré par coeliochirurgie d’une hernie inguinale, par le Dr P. le 30 juin 1994, a constaté à son réveil qu’il avait été opéré par le Dr W. selon la méthode de Shouldice ; qu’en l’absence de toute urgence, ces circonstances constituent des fautes résultant du défaut d’information de l’hospitalisé quant à l’identité du praticien et à la technique opératoire utilisée, susceptible d’engager la responsabilité du Centre hospitalier régional et universitaire de Rouen ».

  • La question du refus d’un praticien en fonction de convictions discriminantes, en l’occurrence le sexe, n’a pas véritablement été réglée. Ce n’est qu’à l’occasion d’un dommage sur un bébé après que le père eut refusé que sa femme soit prise en charge par un homme, que le juge s’est prononcé :

    CAA Lyon, 10 juin 2008, n° 05LY01218, I. (N° Lexbase : A0324D9U) : « Considérant que Mme I., qui a accouché de ses trois premiers enfants par voie basse, ne présentait à son entrée à l’ hôpital aucun symptôme justifiant d’emblée l’intervention d’un médecin et le choix d’une césarienne ; qu’il résulte de l’instruction, et notamment du rapport d’expertise et des témoignages du personnel alors en service, que, dès les premiers épisodes de bradycardie fœtale apparus vers 9 heures 40, la sage femme a appelé l’ interne de garde et, qu’invoquant ses convictions religieuses, M. I. s’est, jusqu’à 10 heures 10, physiquement opposé à toute présence masculine dans la salle d’accouchement, notamment des médecins obstétriciens et anesthésistes et de l’interne de garde, malgré les demandes instantes de ces derniers ; que lorsque vers 10 heures 10, après négociation, M. I. ne s’est plus opposé à l’intervention des médecins masculins, il était trop tard pour commencer une césarienne et l’extraction de l’enfant a dû être effectuée par application de forceps ; que M. I. a ainsi fait obstacle aux examens nécessaires qui, malgré le caractère totalement imprévisible de la dystocie des épaules, auraient permis de constater la survenue d’une anoxie fœtale et de prévenir, par une césarienne prophylactique, les graves complications neurologiques dont a été victime le jeune M. ; qu’en ne faisant pas appel immédiatement aux forces de police pour expulser M. I., l’hôpital n’a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité ; qu’ainsi l’état de l’enfant est totalement imputable à l’attitude de M. I. et M. et Mme I. ne peuvent rechercher la responsabilité pour faute ou sans faute du Centre hospitalier de Bourg-en-Bresse ; que, par suite, et sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les fins de non recevoir opposées par le Centre hospitalier de Bourg-en-Bresse ni d’ordonner une nouvelle expertise, M. et Mme I. ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté leur demande ».

    Ainsi, au sein du service public le libre choix du praticien peut s’exercer, mais dans la limite de l’organisation et de la continuité du service.

    Notons inversement (en l’espèce dans le cadre d’un contentieux de l’annulation) qu’un praticien hospitalier peut vouloir cesser la prise en charge d’un patient, et être appuyé en cela par la direction, sans que cela ne porte atteinte aux dispositions de l’article L. 1110-8 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L0008KYX) :

    TA Paris, 25 septembre 2018, n° 1709094 (N° Lexbase : A0474ZQM) : « Il ressort des pièces du dossier et en particulier des écritures en défense, que le requérant ne conteste pas sérieusement, que M. A. , qui était pris en charge au sein du service d’hématologie de l’hôpital Cochin par le professeur B. depuis 2013 pour un lymphome, ne s’est pas présenté à plusieurs rendez-vous de consultation avec ce dernier. De plus, le 31 octobre 2016, l’intéressé, qui était hospitalisé en hématologie à la suite d’une greffe et dont l’état de santé était fragile, a quitté l’établissement contre l’avis de l’équipe médicale. À cette occasion, l’ensemble de son dossier médical, nécessaire à la poursuite de sa prise en charge, lui a été remis. Le 2 novembre 2016, M. A. a demandé à être réadmis à l’hôpital Cochin. Toutefois, en l’absence de place disponible dans le service d’hématologie à cette date et en l’absence d’urgence liée à l’état de santé du patient, ce dernier n’a pas été ré-hospitalisé. En outre, M. A., qui bénéficiait de cures de chimiothérapie à l’hôpital Cochin, a refusé d’effectuer les démarches nécessaires à la mise en place d’une radiothérapie complémentaire à l’Institut Curie, établissement collaborant avec l’hôpital Cochin. C’est dans ce contexte de perte de confiance entre le médecin et son patient, que le professeur Bouscary a refusé de poursuivre la prise en charge de M. A. en se prévalant des dispositions de l’article R. 4127-47 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L8329GTN). Il ressort également des pièces du dossier et en particulier d’un procès-verbal d’audition du directeur de la qualité des droits du patient de l’hôpital Cochin par les services de police, daté du 18 janvier 2017, dont l’intéressé ne conteste sérieusement pas les mentions, que M. A. s’était présenté à plusieurs reprises dans le service des soins et dans celui des droits du patient au cours du dernier mois et avait eu un comportement agressif et violent envers le directeur et un agent, allant jusqu’à menacer le personnel et importuner les patients qui attendaient dans le couloir. L’attitude de l’intéressé a justifié l’intervention des services de sécurité de l’hôpital Cochin, dont le responsable adjoint a été violenté physiquement par M. A.. Par suite, c’est sans commettre d’erreur de droit ou d’erreur manifeste d’appréciation et sans porter atteinte, dans les circonstances de l’espèce, au principe du libre choix de son praticien par le malade énoncé par les dispositions des articles L. 1110-8 et R. 4127-6 (N° Lexbase : L8700GTE) du Code de la santé publique, que l’adjointe au directeur du groupe hospitalier hôpitaux universitaires Paris centre, directrice du site Cochin, a décidé de mettre fin à la prise en charge de M. A. au sein de l’hôpital Cochin et l’a dirigé vers le centre hospitalier René Huguenin à Saint-Cloud. »

E57103RW

4-4. Violation du secret médical

  • Le respect du secret professionnel est une obligation légale :

    Article L. 1110-4, I., alinéas 1 et 2, du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1611LII) : « Toute personne prise en charge par un professionnel de santé, un établissement ou service, un professionnel ou organisme concourant à la prévention ou aux soins dont les conditions d'exercice ou les activités sont régies par le présent code, le service de santé des armées, un professionnel du secteur médico-social ou social ou un établissement ou service social et médico-social mentionné au I de l'article L. 312-1 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L5034LRU) a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant.

    Excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel, de tout membre du personnel de ces établissements, services ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s'impose à tous les professionnels intervenant dans le système de santé. »

    Une obligation déontologique :

    Article R. 4127-4 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L8698GTC) : « Le secret professionnel institué dans l'intérêt des patients s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi.

    Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris. » 

    Une obligation dont la violation est pénalement réprimée :

    Article 226-13 du Code pénal (N° Lexbase : L5524AIG) : « La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. »

    La violation du secret médical peut ainsi engager la responsabilité du service, mais également entraîner la condamnation sur les plans pénal et disciplinaire de la personne à l’origine de cette violation.

    L’établissement pourra prendre une sanction disciplinaire à l’encontre d’un agent qui aura porté atteinte au secret médical, en participant par exemple à un court-métrage sur le service de psychiatrie et en fournissant des éléments susceptibles d’identifier un patient hospitalisé dans ledit service (CE Contentieux, 1er juin 1994, n° 150870, Centre hospitalier spécialisé Le Valmont, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1761ASZ).

    Ou à l’encontre d’un praticien ayant remis une attestation relatant les faits d’une intervention à domicile et comportant des éléments couverts par le secret professionnel, même si les personnes à qui l’attestation était destinée, étaient présentes lors de l’intervention (CE 4° et 5° s-s-r., 15 décembre 2010, n° 330314, C., mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6716GN3).

    Le secret médical est particulièrement mis en danger par la communication des dossiers médicaux ou de tous documents comportant des informations couvertes par le secret professionnel.

    Ainsi un établissement peut refuser de communiquer le dossier médical d’un patient - en l’occurrence devenu majeur - à son père (CE 9° et 8° s-s-r., 14 juin 1995, n° 133190, S., inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4499ANX).

  • On note que depuis la loi du 4 mars 2002, l’article L. 1111-5 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L9647KXL) a consacré la possibilité, pour un enfant mineur, de refuser que ses parents soient informés de son hospitalisation ou de sa consultation. De fait, un établissement peut légalement refuser de communiquer le dossier médical aux parents, ou ne transmettre que la partie pour laquelle l’enfant mineur aura consenti à sa communication (CE 9° et 10° s-s-r., 17 novembre 2006, n° 270863, Mme X., inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5451DSP)

    Un établissement peut également refuser de communiquer la liste des personnes intoxiquées dans un incendie (CE 9° s-s. s-s-r., 31 janvier 1996, n° 105326, Lepelletier, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7044AN9).

    Un établissement engagera sa responsabilité, non seulement s’il viole le secret médical, mais aussi s’il ne le protège pas en laissant des documents à portée de vue des tiers :

    CAA Nantes, 15 octobre 2009, n° 09NT00165, M. G. (N° Lexbase : A5148EMM)  : « Considérant qu’il résulte de l’instruction que M. G., hospitalisé du 23 mai au 7 juin 2006 dans le service de dermatologie du CHU de Caen, a exprimé formellement, dès son arrivée dans le service, son opposition à ce que ses parents soient informés de sa séropositivité au virus de l'immunodéficience humaine ; que si cette demande du patient a été prise en compte par l'équipe médicale, il résulte de l'instruction et n'est d'ailleurs pas contesté que le 30 mai 2006, la mère de M. G., venue rendre visite à son fils, a pu, alors qu'une infirmière dispensait des soins à celui-ci, prendre connaissance de la feuille de soins, mentionnant sa séropositivité, déposée sur un chariot laissé dans le couloir ; qu’alors même que ladite fiche aurait été placée, ainsi que le soutient le Centre hospitalier, sous le cahier des soins infirmiers, il est constant que les documents médicaux confidentiels posés sur le chariot sont restés sans surveillance dans le couloir ; que la possibilité ainsi laissée par l'établissement hospitalier, aux personnes étrangères au service, d'accéder aisément à des documents médicaux couverts par le secret médical est constitutive, dans les circonstances de l'espèce, d'un défaut d’organisation du service engageant la responsabilité du CHU de Caen à l'égard de M. G. ».

    La loi prévoit que le secret médical ne peut pas être opposé à la famille, aux proches ou à la personne de confiance dans deux cas et à la condition que le patient n’ait pas refusé la communication du dossier :

    Article L. 1110-4 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1611LII) : « En cas de diagnostic ou de pronostic grave, le secret médical ne s'oppose pas à ce que la famille, les proches de la personne malade ou la personne de confiance définie à l'article L. 1111-6 (N° Lexbase : L1610LIH) reçoivent les informations nécessaires destinées à leur permettre d'apporter un soutien direct à celle-ci, sauf opposition de sa part. Seul un médecin est habilité à délivrer, ou à faire délivrer sous sa responsabilité, ces informations.

    Le secret médical ne fait pas obstacle à ce que les informations concernant une personne décédée soient délivrées à ses ayants droit, son concubin ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, dans la mesure où elles leur sont nécessaires pour leur permettre de connaître les causes de la mort, de défendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits, sauf volonté contraire exprimée par la personne avant son décès. Toutefois, en cas de décès d'une personne mineure, les titulaires de l'autorité parentale conservent leur droit d'accès à la totalité des informations médicales la concernant, à l'exception des éléments relatifs aux décisions médicales pour lesquelles la personne mineure, le cas échéant, s'est opposée à l'obtention de leur consentement dans les conditions définies aux articles L. 1111-5 (N° Lexbase : L9647KXL) et L. 1111-5-1 (N° Lexbase : L9441KXX) ».

    Le fait pour les proches de vouloir confronter les avis médicaux n’entre pas dans le champ de l’exception prévue par la loi en matière de soutien au patient en cas de diagnostic ou pronostic grave :

    CAA Nantes, 30 mars 2007, n° 06NT01154, L. : « Considérant qu'il résulte des dispositions précitées de l’article L. 1110‑4 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1611LII) que la famille et les proches de la personne malade, sauf opposition de sa part, sont en droit de recevoir les informations nécessaires couvertes en principe par le secret médical lorsque celle-ci sont destinées à leur permettre de lui apporter un soutien direct et en cas de diagnostic ou de pronostic grave ; qu’il résulte de l’instruction que les Consorts L. ont été reçus à plusieurs reprises par les médecins du CHR d’Orléans et ont été informés de l’évolution de l’état de santé de M. L. ; que les demandes qu’ ils ont adressées au CHR d’Orléans, les 31 juillet et 5 août 2002, tendant à obtenir différentes pièces du dossier médical de M. L., émises dans le but d’obtenir un avis médical auprès d’un autre établissement, ne peuvent être regardées, dans les circonstances de l’espèce, comme motivées par le souci d’apporter un soutien direct à celui-ci au sens des dispositions précitées de l’article L. 1110‑4 du Code de la santé publique ; qu’il suit de là qu’alors même que le chef du service d’oncologie du CHR d’Orléans était tenu de transmettre lui-même ces demandes aux services administratifs et non pas d’inviter les requérants à renouveler leur démarche auprès de ces services, cette démarche ne pouvait recevoir une suite favorable ».

    Dans la même affaire, et le patient étant finalement décédé, le juge a rappelé à la famille qu’elle pouvait obtenir communication du dossier, dans la mesure où les informations étaient nécessaires au sens de l’article L. 1110-4, et sous réserve bien entendu de justifier de la qualité d’ayant droit :

    « Considérant, en outre, que les dispositions précitées du Code de la santé publique permettent aux ayants droit d’une personne décédée d’accéder aux informations médicales la concernant dans la mesure où elles leur sont nécessaires pour leur permettre de connaître les causes de la mort, de défendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits, sauf volonté contraire exprimée par la personne avant son décès ; [...] ; qu’après le décès de M. L. le conseil des Consorts L., agissant pour leur compte, a demandé au CHR d’Orléans, par lettre du 20 novembre 2002, communication de son dossier médical ; qu’en l’invitant à justifier de la qualité d’ayants droit de ses mandants, le CHR d’Orléans n’a pas davantage méconnu les dispositions du code de la santé publique relatives au secret médical ».

    Il peut enfin être porté légalement atteinte au secret médical dans le cadre des informations qui, au terme de la loi, peuvent, ou doivent être transmises.

4-5. Le comportement du personnel médical et hospitalier

  • Bénéficiant d’un terme consacré dans les pays anglo-saxons (« bedside manners »), le comportement du médecin « au chevet du patient » ou plus généralement du personnel médical est fréquemment critiqué dans les requêtes contentieuses.

    Les requérants s’appuient cependant rarement sur les textes réglementaires susceptibles de fonder juridiquement leur moyen.

    Article R. 4127-7 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L8701GTG) : « Le médecin doit écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience toutes les personnes quels que soient leur origine, leurs mœurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu'il peut éprouver à leur égard. Il doit leur apporter son concours en toutes circonstances. Il ne doit jamais se départir d'une attitude correcte et attentive envers la personne examinée. »

    De fait, les griefs sont rarement entendus. De plus, il est difficile d’établir par les pièces du dossier la réalité d’un comportement ou d’une parole :

    TA Paris, 26 janvier 2010, n° 0600041, M. : « Considérant enfin qu’aux termes de l’article R. 4127-2 (N° Lexbase : L8696GTA) : Le médecin, au service de l'individu et de la santé publique, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité ; qu’à ceux de l’ article R. 4127-7 du même code : Le médecin doit écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience toutes les personnes quels que soient leur origine, leurs mœurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu'il peut éprouver à leur égard. Il doit leur apporter son concours en toutes circonstances. Il ne doit jamais se départir d'une attitude correcte et attentive envers la personne examinée, qu’à ceux de son article R. 4127-3 (N° Lexbase : L8697GTB) : Le médecin doit, en toutes circonstances, respecter les principes de moralité, de probité et de dévouement indispensables à l'exercice de la médecine ; que Mme M. soutient que le diagnostic établi, tant par le fond que par les termes utilisés, traumatisant pour l’intéressée et de nature à accroître les difficultés intra-familiales existantes, méconnaîtrait ces exigences de respect et correction vis-à-vis de la personne examinée ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que le docteur Jonas, quand bien même son rapport contiendrait un diagnostic critique sur les relations familiales analysées et notamment sur la personnalité de l’intéressée, aurait méconnu les dispositions susmentionnées ».

  • On trouve néanmoins quelques rares jurisprudences condamnant le comportement du personnel médical :

    TA Clermont-Ferrand, 21 mars 2007, n° 0601460, C. et CPAM de la Corrèze c/ Centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand : « Considérant qu’il résulte de l’instruction, et en particulier des témoignages fournis par les requérants dont la réalité n’est pas sérieusement contestée en défense, que certains membres du service hospitalier en relation directe avec M. et Mme C. et leur fils ont tenu des propos et eu une attitude déplacés ; que ces faits sont constitutifs d’une faute dans le fonctionnement du service de nature à engager la responsabilité du Centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand qui ne saurait s’exonérer de cette responsabilité en invoquant l’état de détresse dans lequel se trouvaient M. et Mme C. et l’incompréhension ou le défaut de communication subséquent avec les personnels de l’établissement, ni davantage la circonstance que ces manquements ne seraient imputables qu’à certains praticiens ».

    L’annonce du diagnostic et du pronostic sont des moments délicats dans la vie d’un patient et de ses proches, et il relève également des obligations déontologiques des médecins de faire preuve de précaution :

    Article R. 4127-35, alinéa 3, du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1223ITH) : « Un pronostic fatal ne doit être révélé qu'avec circonspection ».

    Un centre hospitalier avait été condamné en première instance en raison de ce qu’un médecin avait annoncé sans ménagement un diagnostic – erroné – de sclérose en plaques, à un patient qui s’était suicidé à la suite de cette annonce. Mais aux vues des pièces du dossier, la cour administrative d’appel a annulé le jugement et a été confirmée en cela par le Conseil d’État :

    CE 5 s-s., 6 août 2008, n° 294453, D’Hallivillee c. AP-HP, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9586D9W) : « Considérant [...] l’erreur de diagnostic reprochée au professeur de neurologie n’était pas démontrée et, qu’à supposer qu’elle le soit, les témoignages du médecin traitant de M. H. et de son épouse selon lesquels l’annonce du diagnostic aurait été faite sans la prudence qu’imposait l’état psychique de l’intéressé étaient, au moins en partie, contredits par d’autres pièces du dossier [...] ».

    L’absence d’empathie peut être repérée et regrettée par le juge, sans que celui-ci ne puisse pour autant retenir une faute :

    TA Nantes 26 juin 2013, n° 1111467 : « Considérant qu’il résulte de l’instruction que les errances diagnostiques ont créé une profonde angoisse pour les parents du jeune Mélaine, notamment par l’évocation, eu égard aux troubles du langage présentés par leur enfant, de symptômes autistiques ; que le rapport d’expertise susvisé relève également que Mme P. et M. J. ont subi un préjudice moral, en raison du manque d’empathie manifesté par l’équipe médicale du CAMSP qui, en outre, ne s’est pas remise en cause. »

    Plus récemment, le Conseil d’État a jugé que la responsabilité du centre hospitalier pouvait être engagée à l’égard des proches, au sujet d’une annonce tardive et brutale du décès du patient :

    CE 5° ch., 12 mars 2019, n° 417038, Consorts G., inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5831Y3D) : « L’épouse du défunt ainsi que ses deux fils avaient nécessairement éprouvé, du fait du manque d’empathie de l’établissement et du caractère tardif de cette annonce, une souffrance morale distincte de leur préjudice d’affection. »

     

4-6. L’obstination déraisonnable

  • Loi n° 2005-370, 22-04-2005
    Parmi les manquements déontologiques susceptibles d’engager la responsabilité de l’établissement, il est intéressant de relever celui de l’« obstination déraisonnable » vis-à-vis d’un jugement retentissant longtemps resté isolé, du tribunal administratif de Nîmes qui a retenu la responsabilité fautive d’en Centre hospitalier pour avoir réanimé pendant 25 minutes un bébé né en état de « mort apparente », et désormais porteur de lourds handicaps mentaux et physiques.

    L’ « obstination déraisonnable » est un manquement déontologique.

    Article R. 4127-37 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L6349K9Z) : « En toutes circonstances, le médecin doit s'efforcer de soulager les souffrances du malade par des moyens appropriés à son état et l'assister moralement. Il doit s'abstenir de toute obstination déraisonnable et peut renoncer à entreprendre ou poursuivre des traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou qui n'ont d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. »

    Elle se matérialise généralement dans la gestion de la fin de vie, et à ce titre, fait l’objet d’une interdiction légale (et non pas seulement réglementaire) depuis la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie :

    Article L. 1110-5-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4208KYI) : « Les actes mentionnés à l'article L. 1110-5 (N° Lexbase : L4249KYZ) ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu'ils résultent d'une obstination déraisonnable. »

    Certains contentieux ont révélé des cas d’euthanasie et le juge a bien sûr rejeté le moyen en défense, tiré de l’obligation déontologique de ne pas s’obstiner déraisonnablement :

    CE 4° et 6° s-s-r., 29 décembre 2000, n° 212813, D., publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6484APT) : « Considérant qu'après avoir mentionné l'ensemble des graves pathologies dont était atteinte Mme J. et les traitements qui lui avaient été prodigués, y compris les soins palliatifs à base de morphine pour une personne en fin de vie programmée, la section disciplinaire du Conseil national de l'Ordre des médecins a retenu à l'encontre de M. D. le fait, d'ailleurs non contesté, d'avoir pratiqué sur la malade l'injection d'une dose de chlorure de potassium destinée à provoquer immédiatement la mort par arrêt cardiaque ; qu'elle a estimé que cet acte n'entrait pas au nombre de ceux prescrits aux médecins par les articles 37 et 38 précités du Code de déontologie médicale, mais constituait un acte d'euthanasie active, destiné à provoquer délibérément la mort de sa patiente ; qu'elle a enfin relevé que cet acte était interdit par l'article 38 du Code de déontologie, quelles que soient les circonstances, et notamment celles, invoquées par M. D., tirées des souffrances de la patiente et des inconvénients pour l'entourage et l'environnement immédiat de Mme J. de la progression de la gangrène dont elle était atteinte ».

  • Décret n° 95-1000, 06-09-1995, portant code de déontologie médicale
    Certaines requêtes ont tenté de mettre en cause à un « acharnement thérapeutique » à maintenir en vie, mais à ce jour, toutes ont été rejetées. Ici au sujet de soins de réanimation dispensés à la suite d’un arrêt cardiaque (TA Marseille, 31 mai 2011, n° 0807407), là, à propos de la réanimation d’un nouveau-né qui s’est avérée inutile (CAA Nancy, 5 juillet 2016, n° 14NC02090, P. N° Lexbase : A2494RXN).

    Le jugement du tribunal administratif de Nîmes est le seul à avoir condamné un hôpital pour faute en raison d’une « obstination déraisonnable », et il est d’autant plus remarquable qu’il s’agissait en l’espèce de s’obstiner durablement à « faire vivre » un être qui n’était pas encore né.

    TA Nîmes, 2 juin 2009, n° 0622251, P. et a. c. Centre hospitalier d’Orange (N° Lexbase : A6780ENG) : « Considérant toutefois qu’aux termes de l’article 37 du décret du 6 septembre 1995 susvisé portant code de déontologie médicale : "En toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances de son malade, l’assister moralement et éviter toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique" ; qu’il est constant que le jeune M. s’est présenté à la naissance en état de mort apparente ; que les médecins ayant conduit les opérations de réanimation, s’ils ont à juste titre entrepris celle-ci dès la naissance de l’enfant, ne pouvaient ignorer les séquelles résultant pour cet enfant de l’anoxie cérébrale de plus d’une demi-heure antérieure à sa naissance et de l’absence d’oxygénation tout au long de ladite réanimation ; que ces médecins ont poursuivi les opérations de réanimation pendant plus de vingt minutes puis même pendant que l’un d’eux allait annoncer aux requérants le décès de leur enfant ; que ce n’est que pendant cette deuxième phase que l’activité cardiaque de l’enfant a repris ; qu’en pratiquant ainsi sans prendre en compte les conséquences néfastes hautement prévisibles pour l’enfant, les médecins ont montré une obstination déraisonnable au sens des dispositions susmentionnées du Code de déontologie médicale constitutive d’une faute médicale de nature à engager la responsabilité du Centre hospitalier d’Orange ; que cet établissement doit par conséquent être condamné à réparer les conséquences résultant pour les requérants de cette faute ».

    Le jugement du tribunal administratif de Nîmes a finalement été annulé par la cour administrative d’appel de Marseille qui en a pris formellement le contre-pied :

    CAA Marseille, 12 mars 2015, n° 10MA03054, centre hospitalier d’Orange (N° Lexbase : A5044NQU) : « cette durée indicative de réanimation d’attente de 15 à 20 minutes doit être mise en rapport avec la difficile évaluation médicale de la chance de survie et de l’étendue des séquelles prévisibles de l’enfant » et que « les médecins ne pouvaient pas, à la naissance, évaluer la prévisibilité des séquelles de l’enfant et adapter en conséquence la durée de sa réanimation ; que, par suite et dans un contexte d’extrême urgence, les médecins n’ont pas fait preuve d’obstination déraisonnable ».