ETUDE : L’accord de performance collective : le pari gagnant de la négociation collective * Rédigée le 25.06.2020
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avec cacheDernière modification le 23-12-2020
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En se substituant aux -inefficaces et délaissés- dispositifs antérieurs (à savoir l’accord de réduction du temps de travail, l’accord de maintien de l’emploi, l’accord de mobilité interne ou encore l’accord de préservation ou de développement de l’emploi), l’APC a su apporter une réponse adaptée aux besoins variés des entreprises. Le nombre d’accords conclus depuis son entrée en vigueur le 24 septembre 2017 ne cesse de croître : de 47 accords au 18 décembre 2018, ce nombre est passé à 170 au 30 juin 2019 puis à 350 aujourd’hui.
Pourquoi un tel engouement ? L’APC, dès l’origine, a été pensé comme un instrument permettant « aux entreprises d’anticiper et de s’adapter rapidement aux évolutions à la hausse ou à la baisse du marché par des accords majoritaires simplifiés sur le temps de travail, la rémunération et la mobilité » (Rapport au Président de la République, relatif à l'ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017, relative au renforcement de la négociation collective N° Lexbase : L7631LGQ).
Etendu dans son domaine d’application et souple dans ses modalités d’adoption, l’APC parait donc en mesure d’apporter des solutions individualisées aux difficultés que peuvent rencontrer les entreprises.
Post-covid, la conclusion d’un APC permet de responsabiliser les acteurs du dialogue social dans la recherche des équilibres et mesures nécessaires au fonctionnement de l’entreprise, qui devront en outre emporter l’adhésion des salariés concernés.
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Ainsi, l’article L. 2254-2 du Code du travail (N° Lexbase : L9871LL8) prévoit :
- « répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l'entreprise » : situations très variées pouvant renvoyer à toutes décisions de gestion ou d’organisation utiles au fonctionnement de l’entreprise ;
- ou « préserver, ou de développer l'emploi » : finalité ici aussi étendue car le législateur n’a pas exigé des objectifs chiffrés en matière d’emploi préservés/développés, d’autant que l’APC n’est pas conditionné à la démonstration de difficultés économiques.
- « aménager la durée du travail, ses modalités d'organisation et de répartition » (exemples : définition d’un nouvel horaire de travail, réduire la durée du travail en réduisant proportionnellement ou non la rémunération, préciser les majorations de salaire, modifier un forfait annuel en jours…) ;
- « aménager la rémunération […] dans le respect des salaires minima hiérarchiques » (exemples : réduction de la rémunération de l’ensemble des salariés, la suppression d’une prime ou la modification de ses règles d’acquisition, le gel de toute augmentation de salaire pour une période déterminée…) ;
- « déterminer les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l'entreprise » (exemples : modification des fonctions, l’organisation de la polyvalence, l’instauration d’une politique de mobilité à l’intérieur de l’entreprise…).
Focus. Un APC peut-il prévoir des dispositions relatives au télétravail ? A notre sens, l’APC ne peut être utilisé pour imposer le télétravail. En effet, l’article L. 1222-9 du Code du travail (N° Lexbase : L0292LMR) précise que le « le refus d'accepter un poste de télétravailleur n'est pas un motif de rupture du contrat de travail ». En revanche, certains accords prévoient des dispositions relatives au télétravail pour accompagner la mobilité géographique imposée dans le cadre de l’APC. |
D’ailleurs, la liberté des parties se trouve renforcée car, à la différence des accords collectifs « classiques », l’APC n’est en principe pas intégré dans la base de données des accords collectifs publiée sur Légifrance (Certes, s’il s’avère en pratique que certains APC ont été versés sur cette base, il s’agit d’une erreur et les entreprises concernées devraient être en mesure de solliciter le retrait de leur APC de cette base de données).
Focus. L’APC est-il contrôlé par l’administration ? A la différence par exemple de l’accord portant rupture conventionnelle collective, l’APC n’est pas soumis à l’agrément préalable de l’Administration. Toutefois, après sa signature, et s’il conduit à ce que le licenciement sui generis de salariés protégés soit envisagé, l’inspecteur du travail devra être saisi préalablement d’une demande d’autorisation. A cette occasion, et avant d’autoriser le(s) licenciement(s), l’inspecteur du travail contrôlera la légalité de l’APC. L’Administration a précisé néanmoins que les accords collectifs bénéficiant d’une présomption de conformité, l’inspecteur du travail n’aura pas à porter son contrôle sur la pertinence des mesures mises en œuvre au regard du fonctionnement de l’entreprise. |
A cet effet, une clarification de la hiérarchie des normes conventionnelles et une primauté de l’accord d’entreprise ont été instaurées.
Pour autant, un obstacle aurait pu subsister : celui de la résistance traditionnelle du contrat de travail. En effet, un accord collectif ne peut modifier que dans un sens plus favorable les dispositions figurant dans un contrat de travail.
Tel n’est pas le cas de l’APC, qui a pour objet de permettre la primauté de l’accord collectif sur le contrat de travail : « les stipulations de l'accord se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail » (C. trav., art. L. 2254-2 N° Lexbase : L9871LL8).
Focus. Le propre de l’APC est de permettre aux partenaires sociaux de négocier de façon transparente et loyale en anticipation :
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Compte tenu de la formulation adoptée par le législateur, il faut admettre que le silence du salarié au-delà de ce délai vaut acceptation de l’APC. Autrement dit, en cas d’absence de réponse dans le délai d’un mois, l’acceptation du salarié est par principe présumée.
En cas de refus, l’employeur dispose d'un délai de deux mois à compter de la notification du refus du salarié pour engager une procédure de licenciement, conformément aux modalités et conditions applicables au licenciement pour motif personnel.
Un tel licenciement repose non pas sur un motif économique ni sur un motif personnel, mais sur un motif « sui generis ».
Ainsi, la rupture du contrat de travail est sécurisée par l’application d’une cause réelle et sérieuse prédéterminée par la loi.
Focus. Quid de la situation des salariés en CDD ayant refusé l’application d’un APC ? Il ne semble pas que le motif « sui generis » puisse s’appliquer aux salariés en CDD. En effet, l’article L. 1243-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0887I7Y) qui réglemente les motifs de rupture anticipée du CDD, ne prévoit pas l’hypothèse d’un APC. En pratique, le salarié en CDD qui refusera l’application d’un APC restera aux effectifs de l’entreprise jusqu’au terme de son contrat, sans que celui-ci ne puisse être modifié. |
D’autres entreprises s’engagent à faire bénéficier les salariés des droits afférents au licenciement économique (CSP, congé de reclassement, indemnisation chômage…), et, par voie de conséquence, le cas échéant, du régime fiscal de faveur réservé aux indemnités de rupture dans le cadre d’un PSE (voir notamment l’APC signé chez CORA) qui effectivement n’a pas été prévu dans l’APC.
Il n’est pas nécessaire de démontrer un motif économique au sens des dispositions restrictives du Code du travail pour conclure un APC.
Un tel accord pourra alors concerner tant les entreprises faisant face à une baisse de l’activité ou des commandes, que celles confrontées à un surcroit de leur activité.
→ L’APC n’est pas conditionné à des seuils d’effectif
L’APC est ouvert à toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, il n’y a pas d’effectif minimal ou maximal requis.
En ce sens la ministre du Travail a pu dévoiler, lors d’un débat parlementaire (Débat parlementaire du 30 avril 2019), que sur les 142 APC signés au 31 mars 2019, 88 concernent des PME de moins de 250 salariés, dont 11 petites entreprises.
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L’esprit de la réforme menée par les ordonnances « Macron » vise à conforter la possibilité de négocier et conclure des APC dans toutes les entreprises, qu’elles soient ou non pourvues d’organisations syndicales ou d’élus.
Focus. Quel rôle pour le CSE ? En principe, le CSE n’a pas à être consulté dans le cadre d’un APC. En effet et pour rappel, les projets d’accords collectifs, leur révision ou leur dénonciation ne sont plus soumis à la consultation du CSE (C. trav., art. L. 2312-14 N° Lexbase : L0986LTP). Toutefois, cette position doit être tempérée lorsque le projet implique une réorganisation de l’entreprise : ici la consultation du CSE s’impose au titre de ses attributions générales (politique de rémunération, projet important modifiant les conditions de travail ou l’organisation du travail…). L’article L. 2315-92 (N° Lexbase : L2829LTX) prévoit expressément que le CSE peut « mandater un expert-comptable afin qu'il apporte toute analyse utile aux organisations syndicales pour préparer les négociations » d’un APC. Si ce texte réserve cet accompagnement aux entreprises pourvues d’organisations syndicales, les entreprises peuvent envisager d’accepter plus largement le recours à l’expertise pour aider les élus et, les cas échéant, les salariés dans la négociation de l’APC et favoriser sa conclusion. En tout état de cause, l’encadrement de cette négociation par un accord de méthode reste une piste à privilégier pour sécuriser le process de négociation et l’intervention des différents acteurs du dialogue social (groupe de négociation, CSE, expert) dans un calendrier déterminé. |
Raison pour laquelle l’une des clefs du succès de l’APC est d’obtenir l’adhésion des salariés, afin de limiter au maximum le licenciement de ceux qui auraient refusé de voir leurs contrats de travail modifiés.
D’où l’intérêt, en pratique, de coconstruire l’APC avec les salariés afin de les sensibiliser aux enjeux de cet accord et emporter ainsi leur adhésion, que ce soit par une information étendue et/ou leur participation à des ateliers ou groupes de travail.
L’entreprise qui songe à conclure un APC doit donner du sens à la négociation en démontrant et en expliquant le bien-fondé et l’intérêt des mesures envisagées. Idéalement, cette communication doit être la plus large possible.
Certaines entreprises n’ont pas hésité, en accord avec les partenaires sociaux, à associer leurs salariés aux choix des mesures qui pourraient être déclinées dans le cadre de l’APC (baisse de salaire ou congé sans solde, concertation sur la nouvelle organisation du travail…).
Il est par ailleurs nécessaire d’anticiper sur les demandes légitimes de contreparties qui seront formulées par les partenaires sociaux en échange des efforts consentis.
Ainsi, l’APC signé récemment au sein de la société Derichebourg, en juin 2020, prévoit notamment qu’« aucune rupture de contrat de travail pour motif économique ne sera réalisée jusqu’en juin 2022 ».
En outre, cet accord prévoit qu’une renégociation sera ouverte dès que l’entreprise retrouvera une profitabilité usuelle de 4 %.
Dans l’esprit de solidarité partagée ces dernières semaines, certains accords envisagent une contribution personnelle des dirigeants aux efforts consentis, comme le suggère l’article L. 2254-2 (N° Lexbase : L9871LL8).
D’une manière générale, la recherche d’un collectif solidaire pour affronter la crise doit guider la négociation, la conclusion et la mise en œuvre d’un APC.
Par conséquent, ce sont les règles de droit commun prévues à l’article L. 2222-4 du Code du travail (N° Lexbase : L7173K9K) qui ont vocation à s’appliquer : les parties seront donc libres de conclure un APC pour une durée déterminée ou indéterminée.
Toutefois, un tel choix, discuté avec les partenaires sociaux, dépendra principalement des mesures que l’entreprise souhaite prévoir dans l’accord mais aussi des objectifs qu’elle se fixe.
Dans le contexte actuel, il sera plus facile d’obtenir l’adhésion des partenaires sociaux et des salariés en proposant un APC à durée déterminée en cas, par exemple, de mesures portant sur la réduction de la rémunération des salariés.
En pratique, il sera important de prévoir la suspension temporaire des clauses contraires du contrat de travail et non sa substitution, si c’est la volonté des parties.
A défaut de précision contraire dans l’accord, l’acceptation de l’APC modifie définitivement le contrat de travail (De nombreux débats doctrinaux subsistent sur cette question relative notamment aux effets de la dénonciation d’un APC. Il convient d’attendre une saisine du juge pour que cette question soit tranchée).
En guise de conclusion...
Au regard de ce qui précède, l’APC apparaît comme un outil dont le potentiel a pleinement vocation à s’exprimer dans le contexte actuel.
Pour autant, cet accord ne traduit pas une solution transposable à tous les problèmes, et l’entreprise qui souhaite y recourir devra au préalable se poser un certain nombre de questions parmi lesquelles :
Par conséquent, si la réponse à l’une de ces questions est positive, alors le recours à d’autres outils devra nécessairement être envisagé. |