ETUDE : Application pratique des nouveaux textes afin de maîtriser les délais de procédure civile pour faire face à l’épidémie de Covid-19 * Mise à jour le 08.06.2020
E06853NP
avec cacheDernière modification le 09-12-2020
E06863NQ
Il s’agit de la période pendant laquelle les délais de procédure et pour agir font l’objet d’une adaptation du fait de l’épidémie de Covid-19.
L’adoption d’une date déterminée pour la fin de la période, objet des ordonnances n° 2020-560 et n° 2020-595, garantit un niveau de sécurité élevé aux parties.
Mais le régime mis en place tient malheureusement plus du foisonnement baroque que de l’épure classique : chaque type de délais bénéficie de son propre régime de prorogation qui s’apparente en réalité la plupart du temps à une suspension innommée, avec des aménagements et des exceptions complexifiant la structure d’ensemble.
Cet article a pour objet d’éclairer le praticien en rappelant brièvement les mécanismes mis en place et en en présentant les dernières évolutions, puis en les illustrant grâce à des exemples pratiques.
►Visionner notre webinaire Maîtriser les délais imposés par l'urgence sanitaire" animé par Charles Simon,avocat au Barreau de Paris, accompagné de Julie Couturier, avocate au Barreau de Paris, ancien membre du conseil de l’Ordre et ancienne présidente de l’association Droit & Procédure ainsi que de Frédéric Kieffer, Avocat à la Cour et Président d'honneur de l’AAPPE, |
E06873NR
Une intervention du législateur était donc nécessaire pour garantir la sécurité juridique de tout un chacun en aménageant les délais. De nombreux articles ont déjà été consacrés à ce sujet (voir notamment, dans la même revue, R. Laher, Ch. Simon, Les délais de procédure civile face à l’épidémie de covid-19, Lexbase, éd priv n°820, avril 2020 N° Lexbase : N2925BYY ; A. Martinez-Ohayon, Ch. Simon, Aménagements de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 portant prorogation des délais en matière d’astreinte, Lexbase éd priv n°820, avril 2020 N° Lexbase : N3089BY3).
Comme le titre de l’ordonnance n° 2020-306 l’indique, la période juridiquement protégée correspond au laps de temps pendant lequel les délais font l’objet d’aménagements, du fait des difficultés pratiques liées à l’épidémie de covid-19.
Les délais sur lesquels cette ordonnance intervient sont ceux :
Cette première ordonnance était accompagnée d’une deuxième de la même date, portant le n° 2020-304 (N° Lexbase : L5722LWT) et adaptant les règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété.
Cette deuxième ordonnance traite aussi de la question des délais en matière de saisie immobilière (article 2 II. 3°).
Il est à noter que l’expression « période juridiquement protégée » ne résulte d’aucun texte contraignant mais de la circulaire du ministère de la Justice accompagnant l’ordonnance n° 2020-306 (Direction des affaires civiles et du Sceau, ministère de la Justice, Circulaire de présentation des dispositions du titre I de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période, publiée le 26 mars 2020, rectifiée le 30 mars 2020, n° NOR JUSC 2008608C).
Elle a, en pratique, été adoptée par l’ensemble des commentateurs.
E06903NU
L’état d’urgence sanitaire prend désormais fin le 10 juillet 2020 inclus, sous réserve d’une éventuelle nouvelle prorogation ou d’un abrègement futur.
La fin de la période juridiquement protégée étant liée à la fin de l’état d’urgence sanitaire, elle se trouvait mécaniquement allongée par la loi n° 2020-546.
Mais cet allongement supplémentaire des délais a fait l’objet de critiques dès avant l’adoption définitive de la loi.
Adapter les délais pour tenir compte de situation liée à l’épidémie en cours perdait donc en légitimité dès lors que l’activité reprenait (Conseil d’État, avis du 1er avril 2020 sur un projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire. Cf. en particulier le point 7. : « les dérogations au droit commun des délais étaient justifiées par la situation d’arrêt massif de l’activité du pays provoquée par la mesure générale de confinement de la population à partir du 17 mars. Dès lors que ce confinement va être progressivement levé et que l’activité va reprendre, ces dérogations ne pourront plus se fonder sur leurs justifications initiales. Aussi le Conseil d’Etat estime-t-il que la nécessité et proportionnalité de ces dérogations doivent faire, de la part du Gouvernement, l’objet, dans les semaines qui viennent, d’un réexamen systématique et d’une appréciation au cas par cas »).
Une intervention gouvernementale était ainsi attendue pour détacher fin de l’état d’urgence sanitaire et fin de la période juridiquement protégée.
L’ordonnance n° 2020-560 date du 13 mai 2020. Elle fixe les délais applicables à diverses procédures pendant la période d'urgence sanitaire. Elle modifie notamment l’ordonnance n° 2020-306.
L’ordonnance n° 2020-595 date du 20 mai 2020 et modifie l'ordonnance n° 2020-304.
Elles modifient toutes deux la date de fin de la période juridiquement protégée pour les différents types de délais évoqués plus haut (cf. 1.2.).
E06953N3
Cette définition a cependant posé des difficultés.
Un débat s'est en effet élévé sur la question de savoir quand l’état d’urgence prenait fin (Ph. Dupichot, Covid-19 | Date de fin de l'état d'urgence sanitaire : à la recherche du dies ad quem, 7 avril 2020), ce qui, par ricochet, avait une influence sur la date de fin de la période juridiquement protégée un mois plus tard.
La date majoritairement retenue était le 23 mai 2020 pour la fin de l’état d’urgence sanitaire (Cf. la position de la Direction des Affaires civiles et du Sceau dans la circulaire de présentation des dispositions du titre I de l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19, publiée le 17 avril 2020, n° NOR JUSC2009856C).
Le raisonnement était le suivant : l’état d’urgence sanitaire a été déclaré à compter de l’entrée en vigueur de la loi n° 2020-290, soit le jour de sa publication le 24 mars 2020, et devait durer deux mois en application de ses articles 4 et 22.
S’agissant d’un délai « ordinaire » et non de procédure, l’article 641 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6802H73) prévoyant la computation des délais exprimés en mois de quantième à quantième ne lui était pas applicable aux termes de la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass, civ. 1, 12 décembre 2018, n° 17-25.697, FS-P+B+I N° Lexbase : A1401YQX).
En conséquence, la date de fin de l’état d’urgence sanitaire devait être fixée au 23 mai 2020.
La période juridiquement protégée arrivant à échéance un mois plus tard et n’étant pas non plus un délai de procédure, on aurait pu penser que la majorité des commentateurs s’accorderait également pour fixer sa fin au 22 juin 2020.
Mais cela n’a pas été le cas et elle était majoritairement fixée au 23 juin 2020.
Deux remarques :
E06993N9
Les ordonnances n° 2020-560 et n° 2020-595 n’ont pas modifié ce mécanisme.
L’impact de la fixation au 23 juin 2020 inclus pour la fin de la période juridiquement protégée doit donc être étudié en distinguant selon le type de délais.
Dans les exemples pratiques qui suivent, les délais prorogés sont calculés en adoptant la position la plus conservatrice, c’est-à-dire en les computant à compter du 23 juin 2020 à minuit et non du 24 juin à 00h00.
« tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office, application d'un régime particulier, non avenu ou déchéance d'un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l'article 1er sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois.
Il en est de même de tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l'acquisition ou de la conservation d'un droit.
Le présent article n'est pas applicable aux délais de réflexion, de rétractation ou de renonciation prévus par la loi ou le règlement, ni aux délais prévus pour le remboursement de sommes d'argent en cas d'exercice de ces droits. »
La période mentionnée à l’article 1er est la période juridiquement protégée comprise entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus.
Comme il a été expliqué dans un précédent article, le mécanisme mis en place consiste à faire courir un nouveau délai de la même durée que celui initial à partir de la fin de la période juridiquement protégée, dans la limite de deux mois 5R. Laher, Ch. Simon, ibid., 3.1.3).
Ce mécanisme ne concerne pas les délais de procédure résultant de calendriers fixés par les juges de la mise en état des tribunaux judiciaires par exemple car il ne s’agit pas de délais prescrits par la loi ou le règlement. En pratique, ce type de délais a été balayé par l’arrêt de l’activité des tribunaux et des nouveaux calendriers seront fixés par les juridictions dans le cadre de leur reprise d’activité.
Le mécanisme choisi faisant courir un nouveau délai de même durée que le délai initial, dans la limite de deux mois, à compter de la fin de la période juridiquement protégée, la fraction du délai potentiellement écoulé avant le début de la période juridiquement protégée est indifférente.
À titre d’exemple, un délai de procédure de quinze jours prorogé par ce mécanisme s’achèvera toujours le 8 juillet 2020, quelle que soit la date de son point de départ initial.
Le délai de trois mois pour déposer les conclusions d’appelant en application de l'article 908 du Code de procédure civile sera quant à lui traité ainsi, du fait du délai-butoir de deux mois :
Une précision doit être apportée concernant les délais de prescription qui sont aussi concernés par ce mécanisme : n’étant pas des délais de procédure, ils ne sont pas computés de quantième à quantième lorsqu’ils sont typiquement exprimés en années. De même, ils ne sont pas prorogés au lundi lorsqu’ils s’achèvent un samedi ou un dimanche. En effet, les articles 640 (N° Lexbase : L6801H7Z) et suivants du Code de procédure civile ne s’appliquent pas à eux ainsi qu’il a été vu ci-dessus (3.1).
En conséquence, la situation sera la suivante dans leur cas :
En conséquence, les délais s’achevant immédiatement après celle-ci continuent de ne bénéficier d’aucune prorogation.
Ainsi :
Nous avons déjà écrit à quel point cette situation nous paraissait illogique et injuste (R. Laher, Ch. Simon, ibid., en particulier 3.1.6. c. et d.).
En tout état de cause, la prudence reste de mise, en particulier à l’égard des délais qui ont commencé ou commenceront à courir pendant la période juridiquement protégée.
Nous avons testé l’outil et les résultats qu’il donne sont les mêmes que les nôtres, à l'exception des délais de prescription. En effet, ces derniers délais semblent calculés de quantième à quantième quand ils sont exprimés en mois et en années, alors même que l’article 641 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6802H73) prévoyant cette règle de computation ne leur est pas applicable ainsi qu’il a été dit. Il nous semble donc falloir retirer un jour aux délais de prescription prorogés calculés par l’outil, en se rappelant que ces délais ne sont pas reportés au premier jour ouvrable s’ils tombent un samedi, dimanche ou jour férié, l’article 642 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6803H74) ne leur étant pas plus applicable que l’article 641.
« Les mesures administratives ou juridictionnelles suivantes et dont le terme vient à échéance au cours de la période définie au I de l'article 1er sont prorogées de plein droit jusqu'à l'expiration d'un délai de trois mois suivant la fin de cette période :
1° Mesures conservatoires, d'enquête, d'instruction, de conciliation ou de médiation ;
2° Mesures d'interdiction ou de suspension qui n'ont pas été prononcées à titre de sanction ;
3° Autorisations, permis et agréments ;
4° Mesures d'aide, d'accompagnement ou de soutien aux personnes en difficulté sociale ;
5° Mesures judiciaires d'aide à la gestion du budget familial.
Les dispositions du présent article ne font pas obstacle à l'exercice, par le juge ou l'autorité compétente, de ses compétences pour modifier ces mesures ou y mettre fin, ou, lorsque les intérêts dont il a la charge le justifient, pour prescrire leur application ou en ordonner de nouvelles en fixant un délai qu'il détermine. Dans tous les cas, le juge ou l'autorité compétente tient compte, dans la détermination des prescriptions ou des délais à respecter, des contraintes liées à l'état d'urgence sanitaire. »
À nouveau, la période mentionnée à l’article 1er est la période juridiquement protégée comprise entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus.
À nouveau également et comme il a été expliqué dans un précédent article, le mécanisme mis en place présente l’avantage de la simplicité. Il consiste à reporter à une date unique la date d’échéance de mesures prenant normalement fin pendant la période juridiquement protégée (R. Laher, Ch. Simon, ibid., 3.2.).
L’administration justifie cette prorogation additionnelle de la façon suivante : il faut éviter que ces mesures viennent à échéance le 23 août 2020 (23 juin + deux mois) et permettre aux intéressés d'accomplir les formalités nécessaires dans le courant du mois de septembre (Ministère de l’action et des comptes publics, Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 fixant les délais applicables à diverses procédures pendant la période d’urgence sanitaire in Journal officiel, 14 mai 2020, n° NOR CPAX2011459P).
La justification paraît particulièrement hypocrite : ainsi que leurs noms l’indiquent, ces mesures « administratives ou juridictionnelles » concernent au premier chef les tribunaux. Or, ceux-ci seront en vacances en juillet et en août cette année comme les autres années, malgré le retard accumulé dans le traitement des dossiers du fait d’abord de la grève des avocats à compter de la fin 2019 puis de l’épidémie de Covid-19
Les délais visés par l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 concernent quant à eux leur délai-butoir de prorogation de deux mois à l’issue de la période juridiquement protégée, soit au 23 août 2020, alors qu’ils sont plus manifestement à la charge des parties.
On peut donc regretter que l’administration utilise une justification de nature à irriter les usagers du service public de la justice. Ceux-ci seront contraints d’accomplir les formalités nécessaires à la sauvegarde de leurs droits en juillet et en août 2020 alors que les juridictions pourront laisser filer le suivi des mesures administratives et juridictionnelles pendant leurs vacances d’été.
Les mesures arrivant à échéance hors de la période juridiquement protégée, soit avant le 12 mars 2020 et après le 23 juin 2020, ne font l’objet d’aucune prorogation, de même que celles non listées à l’article 3 de l’ordonnance n° 2020-306 puisque la liste que cet article fixe est manifestement limitative.
« Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n'avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l'article 1er. »
« Si le débiteur n'a pas exécuté son obligation, la date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets est reportée d'une durée, calculée après la fin de cette période, égale au temps écoulé entre, d'une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l'obligation est née et, d'autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée. »
« La date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses prennent effet, lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation, autre que de sommes d'argent, dans un délai déterminé expirant après la période définie au I de l'article 1er, est reportée d'une durée égale au temps écoulé entre, d'une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l'obligation est née et, d'autre part, la fin de cette période. »
« Le cours des astreintes et l'application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période définie au I de l'article 1er. »
La période mentionnée à l’article 1er est toujours la période juridiquement protégée comprise entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus.
Le système mis en place est particulièrement difficile à lire et à comprendre, ce qui est d’autant plus regrettable que, au final, il paraît inutilement compliqué : il se décompose en effet en trois hypothèses qui se réduisent en réalité toutes à une suspension des délais pendant la période juridiquement protégée. Malheureusement, ces trois hypothèses comprennent des exceptions qui compliquent le tableau.
« Le cours des astreintes et l'application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période définie au I de l'article 1er. »
Cet alinéa crée implicitement deux régimes distincts : un régime nommé de suspension pour les astreintes et les clauses pénales et un régime innommé, en creux, sans aucune prorogation pour les clauses résolutoire et prévoyant une déchéance.
L’articulation de ces deux régimes n’est cependant pas sans incohérence concernant les clauses pénales dont l’application devrait être suspendue ou non selon que leurs effets sont instantanés ou s’étalent dans le temps ainsi qu’il sera vu.
Le régime des astreintes et clauses pénales ayant commencé à courir ou ayant pris effet avant le début de la période juridiquement protégée le 12 mars 2020 peut être illustré ainsi :
Les astreintes et les clauses pénales qui ont commencé à courir avant le début de la période juridiquement protégée le 12 mars 2020 sont suspendues pendant toute sa durée et reprennent leur cours et recommencent à être appliquées à sa fin, soit à compter du 23 juin 2020 à minuit.
Cette hypothèse ne présente pas de difficulté particulière.
Si rien n’est dit sur les clauses résolutoires et prévoyant une déchéance qui ont pris effet avant le 12 mars 2020, la logique dicte que la période juridiquement protégée n’ait aucun effet sur elles.
En effet, elles se sont exécutées en un trait de temps avant le début de la période juridiquement protégée et tous leurs effets ont été immédiatement consommés avant elle.
Ainsi :
L’exemple ci-dessus est tiré d’une fiche technique que le ministère de la Justice a produite (Direction des affaires civiles et du Sceau, ministère de la Justice, Conséquences de l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 en matière de baux d’habitation en cas de défaut de paiement du locataire, 11 mai 2020).
La clause résolutoire d’un bail a été acquise le 10 mars 2020 et le bail a cessé d’exister à cette date. La suspension des délais prévus au 4e et dernier alinéa de l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 ne peut donc pas suspendre cette résolution et faire renaître le bail le temps de la période juridiquement protégée.
La différence de traitement des astreintes et clauses pénales d’une part et des clauses résolutoire et prévoyant une déchéance d’autre part s’explique donc par la différence de nature de leurs effets : exécution successive pouvant être suspendue pour les premières ; exécution instantanée ne pouvant l’être pour les secondes.
On notera cependant une difficulté concernant les clauses pénales.
En effet, si elles s’exécutent fréquemment sur la durée, ce n’est pas toujours le cas. Les clauses pénales qui s’exécutent en un trait de temps et qui consomment immédiatement tous leurs effets sont même courantes. C’est, par exemple, le cas d’une violation contractuelle ponctuelle à laquelle le contrat attache une sanction pécuniaire forfaitaire.
Si la violation a eu lieu avant le 12 mars 2020 et a déclenché l’application d’une sanction pécuniaire instantanée sans autre effet pour le futur, on comprend mal comment l’application de la clause pénale qui a pris effet avant la période juridiquement protégée pourrait se trouver suspendue pendant la durée de celle-ci.
Ce type de clauses pénales à exécution instantanée devrait être traité comme les clauses résolutoires ou prévoyant une déchéance.
Malheureusement, il semble que le législateur ait appréhendé le problème de la suspension ou non des clauses sous le prisme de leur seule qualification plutôt que de leurs effets dans le temps, créant des incohérences.
Cette hypothèse est réglée par les deux premiers alinéas de l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 :
« les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n'avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l'article 1er. »
« Si le débiteur n'a pas exécuté son obligation, la date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets est reportée d'une durée, calculée après la fin de cette période, égale au temps écoulé entre, d'une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l'obligation est née et, d'autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée. »
Ainsi :
On reconnaît là, dans une formulation inutilement complexe, le mécanisme de la suspension prévue, en matière de prescription, à l’article 2230 du Code civil (N° Lexbase : L7215IAH) :
« la suspension de la prescription en arrête temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru. »
Pour schématiser :
« la date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses prennent effet, lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation, autre que de sommes d'argent, dans un délai déterminé expirant après la période définie au I de l'article 1er, est reportée d'une durée égale au temps écoulé entre, d'une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l'obligation est née et, d'autre part, la fin de cette période. »
Cet alinéa crée explicitement, deux régimes distincts : un régime de suspension pour les astreintes et clauses autre que portant sur l’exécution de sommes d’argent et un régime sans aucune prorogation pour les astreintes et clauses portant sur l’exécution de sommes d’argent.
Le régime des astreintes et clauses autres que portant sur l’exécution de sommes d’argent lorsqu’elles prennent cours ou effet après la fin de la période juridiquement protégée le 23 juin peut être illustré de la façon suivante, selon que l’obligation à exécuter est elle-même née avant ou après le début de la période juridiquement protégée :
Les calculs que cette hypothèse implique sont d’une complexité d’autant plus inutile que, en analysant les schémas ci-dessus, on comprend que la formulation particulièrement tortueuse du texte masque en réalité à nouveau purement et simplement une suspension des délais pendant la période juridiquement protégée.
En effet, le délai courant après la période juridiquement protégée est augmenté d’une durée égale au temps écoulé pendant la période juridiquement protégée.
C’est-à-dire que le cours des délais a été temporairement arrêté le temps de la période juridiquement protégée puis a repris, sans effacer le délai qui avait éventuellement couru avant la période juridiquement protégée.
Si l'on reformule les exemples ci-dessus, on obtient ainsi :
De façon quelque peu subreptice, le 3e alinéa de l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 écarte cependant du bénéfice de la suspension des délais qu’il organise les astreintes et clauses qui sanctionnent l’inexécution d’une obligation de sommes d’argent.
Il s’agit d’un choix volontaire et revendiqué par les auteurs de l’ordonnance.
Le rapport au Président de la République accompagnant l'ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 (N° Lexbase : Z008679T) qui a modifié l'ordonnance n° 2020-306 et introduit cette exception précise en effet que : « les clauses et astreintes sanctionnant les obligations de sommes d'argent sont exclues de ce second dispositif applicable aux échéances postérieures à la fin de la période juridiquement protégée. En effet, l'incidence des mesures résultant de l'état d'urgence sanitaire sur la possibilité d'exécution des obligations de somme d'argent n'est qu'indirecte et, passé la période juridiquement protégée, les difficultés financières des débiteurs ont vocation à être prises en compte par les règles de droit commun (délais de grâce, procédure collective, surendettement). » (Ministère de la Justice, rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19 in Journal officiel, 16 avril 2020, n° JUSX2009567P (N° Lexbase : Z008679T).
La date d’effet de ces astreintes et clauses ne bénéficie donc d’aucun aménagement d’aucune sorte dès lors qu’elles prennent effet postérieurement à la période juridiquement protégée le 23 juin 2020 à minuit, quand bien même leur date d’effet serait le 24 juin 2020.
Cette exception est importante car les clauses résolutoires sont très courantes en pratique : il s’agit notamment de celles introduites dans les baux d’habitation et commerciaux pour sanctionner le défaut de paiement du loyer.
L’exemple ci-après illustre le cas d’un commandement de payer visant la clause résolutoire d’un bail commercial délivré le 25 mai 2020. Cette clause prend effet un mois après la délivrance du commandement resté infructueux en application de l’article L. 145-41 du Code de commerce (N° Lexbase : L1063KZE) :
Cette solution soulève le même sentiment de malaise que son équivalent pour les délais de procédure et pour agir expirant après la fin de la période juridiquement protégée et qui ne bénéficient également, pour cette raison, d’aucune prorogation (cf. 4.2.3.).
Ainsi :
alors que :
Où sont ici la logique et la justice ?
Il s’agit cependant bien d’un choix volontaire, y compris dans ses conséquences prévisibles en matière de baux.
Le ministère de la Justice a en effet publié une fiche pratique concernant les baux d’habitation (Direction des affaires civiles et du Sceau, ministère de la Justice, Conséquences de l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 en matière de baux d’habitation en cas de défaut de paiement du locataire, 11 mai 2020). Elle confirme expressément qu’aucune prorogation de délai n’a vocation à s’appliquer aux commandements de payer visant la clause résolutoire du bail dont la date d’expiration est postérieure au 23 juin 2020.
« Les délais mentionnés aux articles L. 311-1 à L. 322-14 et R. 311-1 à R. 322-72 du code des procédures civiles d'exécution sont suspendus pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus ».
Les articles L. 311-1 (N° Lexbase : L5865IRN) à L. 322-14 (N° Lexbase : L5892IRN) et R.311-1 (N° Lexbase : L2387ITL) à R. 322-72 (N° Lexbase : L2491ITG) du Code des procédures civiles d’exécution correspondent à la procédure de saisie immobilière, hors distribution du prix.
Le mécanisme mis en place est clair : il s’agit d’une suspension de tous les délais pendant la période juridiquement protégée du 12 mars 2020 au 23 juin 2020 inclus.
À noter cependant que, alors que les autres régimes examinés jusqu’à présent renvoyaient tous à l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-306 pour définir la période juridiquement protégée, ce n’est pas le cas ici. La fenêtre temporelle de la suspension des délais en matière de saisie immobilière est définie directement dans le texte la prévoyant.
Cela semble dû à la confusion qui paraît avoir entouré la question.
En effet, l’ordonnance n° 2020-560 qui a modifié l’ordonnance n° 2020-306 pour fixer au 23 juin 2020 inclus la fin de la période juridiquement protégée n’a pas modifié l’ordonnance n° 2020-304 portant notamment sur les délais en matière de saisie immobilière. C’est l’ordonnance ultérieure n° 2020-595 qui l’a fait.
Dans l’intervalle, la suspension prévue à l’article 2 II. 3° de l’ordonnance n° 2020-304 devait durer pendant la période « mentionnée à l’article 1er » sans plus de précision.
Un débat s’est élevé pour savoir s’il s’agissait de l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-304 ou n° 2020-306 (Militant pour une référence à l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-304, voir Fr.Kieffer, Nouvelle ordonnance « délai covid-19 » : impact sur la saisie immobilière in Dalloz Actualité, 18 mai 2020. En sens inverse, voir FI. Bacle , Derniers rebondissements de la crise du covid-19 sur les délais de saisie immobilière, 19 mai 2020), sachant que la période mentionnée à l’article 1er de ces deux ordonnances était initialement alignée puis a divergé à la suite de la modification de l’ordonnance n° 2020-306 par l’ordonnance n° 2020-560.
Plutôt que de préciser que l’article 1er dont il était question à l’article 2 II. 3° de l’ordonnance n° 2020-304 était celui de l’ordonnance n° 2020-306 comme pour les autres régimes de prorogation des délais, les dates de début et de fin de la période juridiquement protégée ont été directement mentionnés dans l’article.
Cette façon de procéder est critiquable car personne ne connaît l’évolution future de l’épidémie de Covid-19. Il est parfaitement possible que la période juridiquement protégée voit sa date de fin encore modifiée à l’avenir. Dans ce cas, il faudra intervenir deux fois au lieu d’une :
La plus grande prudence est donc ici de mise dans le cas où une modification de la période juridiquement protégée devait encore intervenir.
La situation est ainsi la suivante dans le cas d’un commandement de payer devant être publié au service de la publicité foncière dans les deux mois de sa signification, en application de l’article R. 321-6 du Code des procédures civiles d’exécution (N° Lexbase : L7862IUQ) :
En pratique, la difficulté est cependant que la procédure de saisie immobilière se caractérise par un grand nombre de délais s’enchaînant les uns après les autres et portant sur des actes qui ne sont pas tous à la charge du créancier poursuivant à l’origine de la procédure.
La situation peut ainsi, par exemple, être la suivante à l’issue d’un jugement d’orientation ordonnant la vente forcée du bien et fixant la date de l’audience d’adjudication :
On notera une difficulté, soulevée par notre confrère Frédéric Kieffer, concernant l’aménagement du délai d’appel sur le jugement d’orientation : l’article R. 322-19 du Code des procédures civiles d’exécution (N° Lexbase : L2438ITH) qui prévoit que l’appel doit être formé selon la procédure à jour fixe ne dit rien sur la durée du délai de recours (Fr. Kieffer, « Délais covid-19 » : L’ordonnance n° 2020-n° 595 du 20 mai 2020 et la saisie immobilière in Dalloz Actualité, 27 mai 2020). Ce sont donc les dispositions de droit commun de l’article R. 121-20 du Code des procédures civiles d’exécution (N° Lexbase : L7259LEL) qui s’appliquent en l’espèce, fixant le délai d’appel à quinze jours.
En conséquence, doit-on appliquer à ce délai :
Quoi qu’il en soit de la position de principe à adopter, il nous semble préférable, de façon pragmatique, d’adopter la position d’une suspension qui est moins favorable en termes de calcul des délais.
Cette solution est donc plus protectrice des intérêts de la personne devant faire appel qui ne peut ainsi être à risque de laisser expirer son délai.
Cette difficulté montre cependant les abîmes de complexité dans lesquels les régimes spéciaux mis en place par le Gouvernement plongent les praticiens.
Pour le reste, réfléchir en termes de suspension des délais a peu de sens dans le cas illustré ci-dessus : l’audience d’adjudication prévue pendant la période juridiquement protégée n’aura pas pu se tenir et les autres délais, en particulier de publicité, devront être remis à plat par rapport à la nouvelle date de l’audience d’adjudication que le tribunal fixera.
Nous avons déjà traité ce point dans un précédent article (R. Laher, Ch. Simon, ibid., 4.2). La situation est toujours confuse à ce jour, d’autant que les différentes juridictions reprennent leurs activités en ordre dispersée : certains juge de l’exécution immobilier ont déjà recommencé à traiter les dossiers de saisies immobilières dès la fin du confinement à la mi-mai 2020, d’autres annoncent qu’ils ne reprendront les ventes qu’à partir de fin septembre 2020, soit plus de quatre mois plus tard.
Il faut donc redoubler de prudence en la matière et se rapprocher de sa juridiction pour savoir ce qu’il en est du traitement de son dossier.