ETUDE : Le pouvoir de police des maires dans la crise sanitaire * Rédigée le 23.04.2020
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sans cacheDernière modification le 06-07-2021
Depuis toujours, la commune est l’échelon territorial préféré des français. Dans un sondage IFOP réalisé en 2016, près d’un français sur deux déclaraient être plus attachés à leur commune, qu’à un autre échelon territorial.
Dès lors, nul doute que le maire a un rôle considérable à jouer en période de crise sanitaire, notamment sur la question de l’utilisation de ses pouvoirs de police.
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Et l’article L. 3131-15 du même code (N° Lexbase : L8570LWC) d’ajouter : « Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : 1° Restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par décret ; 2° Interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ; […] 6° Limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature […] ».
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Mais la situation sanitaire évolue et la réglementation a dû s’adapter. C’est ainsi que le décret n° 2020-360 du 28 mars 2020 est venu compléter le précédent décret et a restreint les déplacements jusqu’au 11 mai 2020.
• En second lieu, le pouvoir de police administrative générale du maire est fondé à venir compléter, au niveau local, la réglementation prise au niveau national, si celle-ci s’avère insuffisante ou inappropriée à prévenir les risques épidémiques. Cette faculté est expressément prévue par la jurisprudence administrative qui reconnaît que le maire, s’il fait état d’un danger grave ou de circonstances locales particulières, est en capacité d’adopter des mesures plus strictes que celles adoptées par le préfet (CE, 18 avril 1902, n° 04749 N° Lexbase : A2252B8W), le ministre (CE, Sect., 18 décembre 1959, n° 36385 N° Lexbase : A2581B84), ou le Premier ministre (CE, 8 août 1919, n° 56377 N° Lexbase : A5793B7P).
Si des circonstances locales particulières sont invoquées par le maire pour justifier son action, il faut garder à l’esprit que ces dernières sont contrôlées par le juge depuis sa décision de principe « Benjamin » (CE, 19 mai 1933, n° 17413 N° Lexbase : A3106B8K). Ce contrôle, qui se décompose en trois temps, tend à vérifier que la mesure est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu’elle poursuit (CE Ass., 26 octobre 2011, n° 317827 N° Lexbase : A0171HZD). Dès lors, l’intervention du maire doit être adaptée, nécessaire et proportionnée. La plus grande prudence est de rigueur. Ainsi, en cas de danger grave ou de circonstances locales particulières, le concours entre deux pouvoirs de police distincts n’empêche pas l’action de l’édile communal :
« Ces dispositions qui confèrent au préfet compétence pour réglementer l’usage des produits phytosanitaires ne sont pas exclusives d’une éventuelle intervention du maire au titre de ses pouvoirs de police générale définis notamment par les articles L. 2212-2 N° Lexbase : L0892I78 et L. 2542-3 N° Lexbase : L9232AA8 du Code général des collectivités territoriales » (CAA Nancy, 10 mai 2007, n° 05NC01554 N° Lexbase : A2223DWA).
A titre d’illustration, durant l’été 2014, le maire de Béziers, invoquant l’explosion de la délinquance juvénile, avait-il décidé d’adopter une mesure de couvre-feu visant les mineurs de treize ans, entre 23 heures et 6 heures du 15 juin au 15 septembre. Le Conseil d'Etat avait annulé cette décision en considérant qu’il n’existait pas « d'éléments précis et circonstanciés de nature à étayer l'existence de risques particuliers relatifs aux mineurs de moins de 13 ans dans le centre-ville de Béziers et dans le quartier de la Devèze pour la période visée par l'arrêté attaqué » (CE, 6 juin 2018, n° 410774 N° Lexbase : A4563XQ3).
S’agissant des mesures de couvre-feu dès lors que celles-ci interviennent, d’une part, en renfort des mesures d’état d’urgence sanitaire prises au niveau national et, d’autre part, dans un contexte où, précisément, l’urgence sanitaire est avérée.
• Un contentieux récent est venu illustrer les limites de l’intervention du maire en renforcement des mesures de confinement.
Le maire de Lisieux avait, par arrêté du 25 mars 2020, décidé d’interdire toute circulation des personnes sur le territoire de sa commune après 22 heures et avant 5 heures en dehors des exceptions prévues aux 1° à 4° et 6° à 8° de l’article 3 du décret du 23 mars 2020 susmentionné. Cet arrêté a été déféré par le préfet du Calvados selon la procédure du référé-liberté de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3058ALT) qui soutenait, à titre principal, l’incompétence du maire pour prendre de telles mesures.
Dans son ordonnance rendue le 31 mars 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Caen énonce tout d’abord la compétence du maire selon les principes dégagés supra en rappelant que le pouvoir de police spéciale dévolu au préfet « ne fait pas obstacle à ce que, pour assurer la sécurité et la salubrité publiques et notamment pour prévenir les maladies épidémiques, le maire fasse usage, en fonction de circonstances locales particulières, des pouvoirs de police générale qu'il tient des articles L. 2212-1 N° Lexbase : L8688AAZ et suivants du Code général des collectivités territoriales ».
Toutefois, « la légalité de mesures restreignant à cette fin la liberté de circulation est subordonnée à la condition qu'elles soient justifiées par l'existence de risques particuliers de troubles à l’ordre public ou de circonstances particulières au regard de la menace d'épidémie ». En l’espèce, le juge des référés suspend l’arrêté litigieux en considérant que les circonstances locales n’étaient pas suffisantes pour justifier une telle mesure :
« Les circonstances que les sapeurs-pompiers de Lisieux sont intervenus durant les nuits des 18 au 19 mars et 22 au 23 mars 2020 pour éteindre des feux de poubelles et qu’il a été constaté le matin du 25 mars 2020 des traces d’effraction et des dégradations au stade Bielman ne sont pas suffisantes pour justifier au plan local la nécessité des restrictions supplémentaires imposées par l’arrêté contesté tant au regard du risque de propagation de l'épidémie de covid-19 que de la sécurité publique » (TA Caen, 31 mars 2020, n° 2000711 N° Lexbase : A49823KQ).
• Le Conseil d'Etat a récemment entendu durcir sa position en revenant sur sa jurisprudence traditionnelle ci-dessus exposée.
Dorénavant, le maire doit simplement veiller à « contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’Etat » et peut « notamment » interdire « au vu des circonstances locales, l’accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements ». Si l’emploi de l’adverbe « notamment » a pour but de mettre en exergue l’absence de caractère non-limitatif de l’exemple fourni, le message est pourtant limpide : les pouvoirs du maire sont désormais bridés. Le Conseil d'Etat considère plus loin que la police spéciale résultant de l’état d’urgence sanitaire « fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’Etat » (CE, référé, 17 avril 2020, n° 440057 N° Lexbase : A87973KZ).
• En statuant ainsi, le Conseil d'Etat rompt avec sa jurisprudence « Société des Films Lutétia précitée » (CE, Sect., 18 décembre 1959, n° 36385 N° Lexbase : A2581B84).
Il considère en effet que le maire n’est fondé à prendre des mesures au niveau local pour renforcer une mesure de police nationale qu’en présence « de raisons impérieuses liées à des circonstances locales », tout en conditionnant la légalité de ces mesures à un élément peu objectif : la cohérence et l’efficacité avec les mesures prises au niveau national. Le changement de formule a un poids considérable puisqu’il conduit à durcir le contrôle du juge sur les arrêtés de police des maires dans des proportions telles que cela confine à un véritable contrôle d’opportunité.
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