ETUDE : La force majeure et l'imprévision
E32283L7
avec cacheDernière modification le 03-06-2020
Dans le contexte actuel de pandémie de Covid-19, l’exécution des contrats devient subitement plus compliquée, voire impossible dans certains cas. Le principe est celui du maintien et donc de la poursuite du contrat à ses conditions habituelles. Mais, quelles sont les solutions offertes par le droit français pour se protéger contre des inexécutions contractuelles ?
Pour, à l’inverse, excuser des manquements causés par cette pandémie sans engager sa responsabilité civile et risquer des poursuites ou des dommages-intérêts ? Voire pour renégocier les termes d’un contrat devenu subitement trop onéreux ou compliqué à exécuter ?
La force majeure et l’imprévision peuvent être invoquées en droit français, dans des conditions spécifiques que nous détaillerons ci-après.
E32293L8
A savoir. Elle doit remplir trois conditions : imprévisibilité, extériorité et irrésistibilité. La DAJ reconnaît que les premiers critères sont remplis. Quant au troisième critère, elle énonce qu’il « convient de vérifier si la situation résultant de la crise sanitaire actuelle, notamment le confinement, ne permet effectivement plus au prestataire de remplir ses obligations contractuelles ». Par ailleurs, il est prévu la possibilité de mettre en œuvre une procédure accélérée de passation des marchés publics (réduction des délais de publicité ou absence de publicité) : dans l’hypothèse où le titulaire d’un marché public est empêché d’exécuter ses prestations, et compte tenu de l’urgence voire urgence impérieuse d’avoir recours à un prestataire. |
E32313LA
En l’absence de telles clauses : deux possibilités s’offrent au cocontractant en droit français : la force majeure et l’imprévision.
E32333LC
La force majeure nécessite ainsi que deux conditions cumulatives soient présentes :
l’imprévisibilité : l’événement ne doit pas pouvoir être raisonnablement prévu à la date de la signature du contrat ;
l’irrésistibilité : l’évènement doit être inévitable dans sa survenance et insurmontable dans ses effets ;
une troisième condition avait été dégagée par la jurisprudence mais n’a pas été reprise par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations : il s’agit de la condition d’extériorité. L’événement constitutif de la force majeure doit être extérieur (ou résulter d’une cause étrangère), c’est-à-dire qu’il devait être indépendant de la volonté du cocontractant, à tout le moins à son activité.
Cela dépendra des circonstances propres à chaque contrat, de ses conditions d’exécution, voire du lieu d’exécution des prestations (par exemple, s’il est prévu de recourir à un sous-traitant précis qui est empêché, de faire appel à un prestataire installé en Chine, etc.).
Dans le cas de précédentes épidémies, la jurisprudence avait considéré qu’il n’était pas possible d’invoquer la force majeure lorsque l’épidémie était connue au moment de la signature du contrat, qu’elle était endémique et non létale (pour le virus du chikungunya : CA Basse-Terre, 17 décembre 2018, n° 17/00739 N° Lexbase : A5434YRP ; dans le même sens, pour la dengue en Martinique, qui n’est ni imprévisible ni irrésistible : CA Nancy, 22 novembre 2010, n° 09/00003 N° Lexbase : A1459GLM).
Or, le Covid-19 est apparu récemment, il peut être létal et des mesures d’une ampleur inédite et affectant la liberté de circulation des personnes ont été prises mondialement pour en éviter la propagation. Cet article ne peut donc être invoqué que pour les contrats signés après l’entrée en vigueur de ladite ordonnance, donc les contrats signés après le 1er octobre 2016.
A savoir. La condition d’irrésistibilité pourra être démontrée ici si le débiteur est personnellement affecté par la maladie et qu’elle l’empêche d’exécuter la prestation (en cas d’isolement ou d’hospitalisation, par exemple), ou encore s’il démontre qu’il est dans l’impossibilité absolue de le faire compte tenu des mesures prises (en cas de confinement lui interdisant de se déplacer, par exemple). En revanche, s’il s’agit d’un proche du débiteur ou de salariés malades, il faudra déterminer les possibilités de recourir à des remplaçants ou d’appliquer « les mesures appropriées » visées par l’article 1218 du Code civil pour éviter les effets de la force majeure. |
E32343LD
« Si l'empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 (N° Lexbase : L0998KZY) et 1351-1 (N° Lexbase : L0732KZ7). »
Les conséquences sont différentes selon que l’empêchement d’exécuter est temporaire ou définitif.
Le débat se déplacera alors sur le surcoût qui en résultait pour le débiteur de l’obligation. Le débiteur pourrait alors invoquer l’imprévision.
E32353LE
L’imprévision contractuelle est subordonnée à trois conditions :
Dès lors que les conditions de l’imprévision sont remplies, les parties peuvent entrer dans un processus de révision du contrat.
Première étape : la formulation d’une demande de révision du contrat : les parties sont libres de refuser de renégocier. Par ailleurs, cette demande ne dispense pas son auteur d’exécuter le contrat dans les conditions initialement prévues. Donc, si le débiteur suspend d’office la fourniture de sa prestation, sa responsabilité pourrait être engagée.
Deuxième étape : la résolution ou révision amiable. En cas d’échec ou de refus de négociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat ou solliciter amiablement le juge aux fins de procéder à l’adaptation du contrat aux nouvelles circonstances. On s’interroge sur l’intérêt pratique d’une telle saisine dans la mesure où elle ne peut intervenir que si les parties se sont au préalable entendues. Or, si tel est le cas, pourquoi saisir le juge pour réviser un contrat qu’elles auraient pu modifier elles-mêmes ?
Troisième étape : résolution ou révision judiciaire. À défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie ainsi qu’à la date et aux conditions qu’il fixe : soit réviser le contrat, soit y mettre fin. Dans le contexte actuel, et compte tenu de la fermeture des tribunaux, il est vivement conseillé aux parties de trouver un accord amiable sur la révision du contrat entre elles ou entre leurs avocats afin que les nouvelles conditions puissent intervenir rapidement.