Le refus d'octroi de prestation compensatoire fondé sur l'équité
E7552ETU
sans cacheDernière modification le 21-12-2019
Avant la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 la prestation compensatoire était exclue en cas de divorce pour faute au détriment de l'époux à l'encontre de qui le divorce pour faute avait été prononcé et l'ancien article 280-1 alinéa 2 permettait à ce dernier d'obtenir cependant une indemnité à titre exceptionnel, si, compte tenu de la durée de la vie commune et de la collaboration apportée à la profession de l'autre époux, il apparaissait manifestement contraire à l'équité de lui refuser toute compensation pécuniaire à la suite du divorce. Après la loi de 2004, tout époux peut obtenir une prestation compensatoire sauf si l'équité le commande.
Voici une cour d’appel qui rejette une demande de prestation compensatoire sur le fondement de l’équité, alors que le débiteur potentiel n’avait jamais soutenu un moyen pris de l’équité, s’étant borné à dire qu’il n’existait pas de disparité, ce qui n’est pas du tout la même chose… La Cour de cassation a corrigé avec raison l’erreur ainsi commise, ce moyen relevé d’office heurtant directement l’article 16 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1133H4Q), dès lors que la cour n’avait pas invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen ainsi relevé. Tout ceci est fort logique, et bien jugé. Reste à se demander, au-delà du respect du principe de la contradiction, s’il est opportun que les juges du fond relèvent d’office des moyens fondés sur l’équité, alors même que la partie qui y a intérêt ne l’a pas fait. Pour notre part, nous y sommes fermement hostiles car le procès est l’affaire des parties, et leur cause leur appartient, sauf question touchant à l’ordre public. Clairement, on n’en est pas là avec un moyen pris de l’article 270 et de la suppression de la prestation compensatoire en équité. Dans ces conditions, la violation de l’article 16 du Code de procédure civile n’en était que plus patente.
👉 Quel impact dans ma pratique ?
Lorsque l’on conseille le débiteur potentiel de la prestation compensatoire, il est vivement recommandé d’envisager toutes les causes de suppression de ladite prestation, y compris celles fondées sur l’équité. L’article 270 a beau être une curiosité qui n’aurait pas dû survivre aux réformes de 2000 et 2004, tant qu’il existe on aurait tort de ne pas s’en prévaloir. Encore faut-il y penser (arrêt ici commenté), et le faire à bon escient (v., les arrêts précités de 2018).
J. Casey, extrait de Pan., obs. n° 2, Lexbase, éd. priv., n° 794, 2019 (N° Lexbase : N0280BYZ).
Il faut le redire sans cesse : pour supprimer une prestation compensatoire au nom de l’équité (laquelle dépend évidemment du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond), il n’existe que deux possibilités, ainsi que le dit expressément l’article 270 du Code civil (N° Lexbase : L2837DZ4), qui pose deux critères alternatifs :
- d’une part, en cas de divorce prononcé aux torts exclusifs d’un époux (le demandeur à la prestation compensatoire), et encore pas dans tous les cas, puisqu’il faudra en plus motiver en quoi les «circonstances particulières de la rupture» justifient une telle suppression ;
- d’autre part, au regard des dispositions de l’article 271 du Code civil (N° Lexbase : L3212INB) (durée du mariage, nombre d’enfants, sacrifices personnels et professionnels, droit à retraire, choix personnels, etc.).
En l’espèce, la cour d’appel a prononcé le divorce aux torts partagés. Il lui était donc impossible de supprimer la prestation compensatoire en équité, sauf à expliquer en quoi l’équité commandait une telle suppression au regard des critères de l’article 271.
Tout ceci semble fort logique. Cependant, à la réflexion, on hésite quand même à trouver cette construction convaincante. En effet, depuis l’apparition (assez tonitruante) de l’équité dans la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de prestation compensatoire (Cass. civ. 1, 8 juillet 2010, n° 09-66.186, F-P+B+I [LXB=A1244E4T, Bull. civ. I, n° 165 ; AJ fam., 2010, 492, obs. C. Siffrein-Blanc ; RTDCiv., 2010, 770, obs. J. Hauser ; Dr. fam., 2010, n° 162, note V. Larribau-Terneyre ; RJPF, 2010-11/23, obs. Th. Garé ; D., 2010, 2952, note L. Mauger-Vielpeau), un doute de plus en plus grand se fait jour quant à l’utilité de ce tempérament. En effet, on sait que cette disposition a été voulue comme exceptionnelle par le législateur, mais il n’en demeure pas moins que la rédaction du texte ouvre la voie à bien des abus. En effet, mélanger l’équité aux critères de l’article 271 ne fait pas très bon ménage, car ce texte donne une liste qui n’est pas «fermée» des critères d’appréciation de la prestation compensatoire (songeons à l’adverbe «notamment» qui précède l’énumération des critères). Ce qui pourrait potentiellement ouvrir la voie à des suppressions de prestation compensatoire en équité à tout va, habillées du commode manteau de l’appréciation souveraine des juges du fond, et ceci alors même que chacun sait que le législateur de 2004 a voulu objectiviser au maximum les critères de la prestation compensatoire. L’arrêt commenté montre en tout cas les erreurs à ne pas commettre lorsque l’on veut obtenir la suppression de la prestation compensatoire en équité. En effet, il est certain qu’en l’espèce le mari a été mal conseillé, car eût-il fondé sa demande sur les critères de l’article 271 (plutôt que sur les griefs), que le résultat eût pu être fort différent. Avocats, attention au fondement de vos demandes…
Reste que cette possibilité de suppression de la prestation compensatoire en équité est au mieux une bizarrerie législative, au pire une verrue dans le droit du divorce contentieux. En ces temps de réforme perpétuelle du divorce, quelqu’un ne pourrait-il avoir la bonne idée de nous en débarrasser ?!
J. Casey, extrait de Sommaires de jurisprudence - Droit du divorce (année 2018), note n°1, paru dans Lexbase, éd. priv., n° 773, 2019 (N° Lexbase : N7757BXL)