ETUDE : L'allocation de dommages et intérêts
E7567ETG
avec cacheDernière modification le 03-10-2023
Lors d’un divorce, l’un des époux peut parfois subir un préjudice qui n’est pas réparable par la prestation compensatoire ; il peux alors réclamer des dommages-intérêts, sur la base de deux fondements bien distincts :
- les dommages intérêts de l'article 266 du Code civil réparent le préjudice causé par la rupture du lien conjugal, indépendant de la disparité des conditions de vie des époux ;
- ceux prévus par l'article 1240 (ancien 1382) réparent celui résultant de toutes autres circonstances.
E7710ETQ
Confusion des fondements. Les juges ne peuvent pas rejeter une demande fondée sur l'article 1382 du Code civil (désormais, C. civ., art. 1240) en se basant sur l'article 266 du même code.
Pour aller plus loin : M. Brusorio-Aillaud, Chronique de droit patrimonial du divorce - Janvier 2012, Lexbase Droit privé, janvier 2012, n° 469 N° Lexbase : N9755BS4. |
E7711ETR
Même s'il en est prononcé moins de 8 000 par an, la séparation de corps, alternative ou préalable au divorce, suscite parfois des difficultés, notamment quant à l'application des dispositions expressément prévues pour le divorce, tel l'article 266 du Code civil (N° Lexbase : L2833DZX).
Dans une affaire où un homme a demandé un divorce aux torts exclusifs de son épouse, et où cette dernière a formé une demande reconventionnelle en séparation de corps, un tribunal a, en 2008, prononcé une séparation de corps aux torts exclusifs du mari et condamné ce dernier à verser 1 200 euros par mois à son épouse, au titre du devoir de secours. En 2010, la cour d'appel de Basse-Terre a rejeté la demande de dommages-intérêts formée par l'épouse, sur le fondement de l'article 266 du Code civil, au motif que celle-ci "vis[ait] à réparer l'importance du préjudice né de la rupture totale des relations conjugales, ce qui n'est pas réellement le cas en matière de séparation de corps puisque le devoir de secours subsiste".
Le 5 janvier 2012 (Cass. civ. 1, 5 janvier 2012, n° 10-21.838, F-D N° Lexbase : A0259H9H), la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d'appel, mais seulement en ce qu'il avait débouté l'épouse de sa demande de dommages-intérêts présentée sur le fondement de l'article 266 du Code civil. Cette décision donne l'occasion de rappeler quelles sont les règles en cas de demandes en divorce et en séparation de corps concurrentes, que la séparation de corps laisse subsister le devoir de secours entre époux et de préciser que l'article 266 du Code civil est applicable.
I - Les demandes en divorce et en séparation de corps concurrentes
La séparation de corps est une décision de justice qui maintient le mariage mais dispense les époux du devoir de cohabitation, en organisant la séparation de leurs biens. Elle est souvent classée parmi les hypothèses de dissolution des liens du mariage, alors qu'en réalité ceux-ci sont simplement relâchés, parce qu'elle aboutit, généralement, à la dissolution du mariage. En effet, la séparation de corps doit, en principe, être provisoire. Au-delà d'un certain délai, de réflexion, d'organisation..., les époux doivent reprendre la vie commune ou divorcer et, généralement, ils divorcent.
La séparation de corps peut être prononcée pour les mêmes causes que le divorce : sur demande conjointe, pour acceptation du principe de la rupture, pour altération du lien conjugal et pour faute (C. civ., art. 296 N° Lexbase : L2595LBQ). Aucune autre cause n'est admise. La procédure aussi est identique à celle du divorce. Cela signifie, par exemple, que l'époux qui demande une séparation de corps pour faute ou pour altération du lien conjugal doit prouver que son conjoint a commis une faute ou que le couple est séparé depuis au moins deux ans.
En cas de demandes en séparation de corps et en divorce concurrentes, comme dans l'affaire commentée, plusieurs hypothèses doivent être distinguées. Il est admis que l'époux qui a formé une demande en séparation de corps ne peut plus former une demande en divorce (1). En revanche, l'époux contre lequel est présentée une demande en séparation de corps peut former une demande reconventionnelle en divorce. De même, l'époux contre lequel est présentée une demande en divorce peut former une demande reconventionnelle en séparation de corps (C. civ., art. 297 N° Lexbase : L2854DZQ). Cependant, lorsque la demande principale en divorce est fondée sur l'altération définitive du lien conjugal, la demande reconventionnelle ne peut tendre qu'au divorce. Lorsqu'une demande en divorce et une demande en séparation de corps sont concurremment présentées, le juge examine en premier lieu la demande en divorce. Il prononce celui-ci dès lors que les conditions en sont réunies. A défaut, il statue sur la demande en séparation de corps. Toutefois, lorsque ces demandes sont fondées sur la faute, le juge les examine simultanément et, s'il les accueille, prononce à l'égard des deux conjoints le divorce aux torts partagés (C. civ., art. 297-1 N° Lexbase : L2855DZR).
Dans l'affaire commentée, l'époux avait demandé un divorce aux torts exclusifs de son épouse et l'épouse une séparation de corps. Or, les juges du fond ont retenu des fautes à l'égard de l'époux et aucune à l'encontre de l'épouse. Ce fut donc une séparation de corps aux torts exclusifs du l'époux qui fut prononcée.
II - Le maintien du devoir de secours
La séparation de corps constitue une situation intermédiaire entre le mariage (et tous ses effets) et le divorce (et tous ses effets). Le mariage n'est pas dissous et le divorce n'est pas prononcé. Comme les époux, les "séparés de corps" sont tenus à l'obligation de fidélité, de secours... peuvent user du nom de l'autre, sauf disposition contraire (C. civ., art. 300 N° Lexbase : L2857DZT). Comme les divorcés, les "séparés de corps" ne sont plus tenus au devoir de cohabitation. De manière générale, le Code civil prévoit que, sous réserve des dispositions spécifiques, les conséquences de la séparation de corps obéissent aux mêmes règles que les conséquences du divorce (C. civ., art. 304 N° Lexbase : L2712AB3).
S'agissant des rapports patrimoniaux entre époux, la séparation de corps entraîne la séparation de biens (C. civ., art. 302 N° Lexbase : L2710ABY). Cela signifie que les biens communs sont partagés et la communauté liquidée. Etant donné la suppression du devoir de cohabitation, le devoir de secours subsiste, mais prend la forme d'une pension alimentaire. Cette pension est attribuée sans considération des torts. L'époux débiteur peut néanmoins invoquer, s'il y a lieu, l'alinéa 2 de l'article 207 du Code civil (N° Lexbase : L2273ABS) selon lequel "néanmoins, quand le créancier aura lui-même manqué gravement à ses obligations envers le débiteur, le juge pourra décharger celui-ci de tout ou partie de la dette alimentaire". En principe, cette pension est soumise aux règles des obligations alimentaires. Toutefois, lorsque la consistance des biens de l'époux débiteur s'y prête, la pension alimentaire est remplacée, en tout ou partie, par la constitution d'un capital, selon les règles relative à la prestation compensatoire en matière de divorce. Si ce capital devient insuffisant pour couvrir les besoins du créancier, celui-ci peut demander un complément sous forme de pension alimentaire (C. civ., art. 303 N° Lexbase : L2859DZW). Contrairement à la prestation compensatoire, l'objectif n'est pas de mettre un terme à tout rapport entre les époux, puisque le mariage subsiste.
Dans l'affaire examinée, l'épouse avait demandé une pension alimentaire, au titre du devoir de secours. D'après les moyens annexes, il ressortait qu'au regard de son avis d'imposition 2007, l'époux était redevable d'un impôt total avant imputation de 17 158 euros pour un total des salaires déclarés de 123 169 euros et que son avis d'imposition 2009 -sur les revenus de l'année 2008- mentionnait un montant d'impôt sur le revenu de 15 580 euros. L'épouse, en revanche, avait la qualité de femme au foyer et ne disposait d'aucun revenu. Les juges du fond, qui pouvaient parfaitement décider d'accorder une pension alimentaire à l'épouse, sur le fondement de l'article 303 du Code civil, étaient souverains dans la fixation du montant. La Cour de cassation n'aurait rien pu leur reprocher.
III - L'octroi de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 266 du Code civil
La solution était moins évidente à propos de la seconde demande de l'épouse : l'octroi de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 266 du Code civil.
Selon ce texte : "sans préjudice de l'application de l'article 270 [relatif à la prestation compensatoire], des dommages et intérêts peuvent être accordés à un époux en réparation des conséquences d'une particulière gravité qu'il subit du fait de la dissolution du mariage soit lorsqu'il était défendeur à un divorce prononcé pour altération définitive du lien conjugal et qu'il n'avait lui-même formé aucune demande en divorce, soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de son conjoint. Cette demande ne peut être formée qu'à l'occasion de l'action en divorce". Ainsi, bien que les conséquences financières du divorce soient désormais dissociées de l'attribution des torts, il existe une action en dommages et intérêts spécifique en faveur du conjoint "victime". Les juges exigent, pour accorder réparation sur le fondement de l'article 266 du Code civil, un préjudice, matériel ou moral, issu de la dissolution du lien matrimonial, distinct des fautes à l'origine du divorce. Dans une affaire où une épouse avait quitté le domicile conjugal et laissé à son conjoint l'essentiel de la charge éducative et matérielle des enfants communs, la Cour de cassation a cassé l'arrêt d'appel qui avait condamné celle-ci à verser des dommages et intérêts, sur le fondement de l'article 266 du Code civil, au motif "qu'en statuant [...] sans rechercher en quoi le préjudice indemnisé résultait de la dissolution du mariage", la cour d'appel n'avait pas donné de base légale à sa décision (2).
La question de l'application de ce texte à la séparation de corps était pertinente. Certes, d'un côté, l'article 304 du Code civil (N° Lexbase : L2712AB3) prévoit que les conséquences de la séparation de corps obéissent aux mêmes règles que les conséquences du divorce. Cependant, d'un autre côté, la dissolution du mariage est une conséquence du divorce mais pas de la séparation de corps. L'article 266 du Code civil, qui vise les conséquences de la dissolution du mariage, ne doit pas être applicable à la séparation de corps. Et telle était justement la position de la cour d'appel de Basse-Terre qui a rejeté la demande de dommages-intérêts formée par l'épouse, sur le fondement de l'article 266 du Code civil, au motif que celle-ci "vis[ait] à réparer l'importance du préjudice né de la rupture totale des relations conjugales, ce qui n'est pas réellement le cas en matière de séparation de corps puisque le devoir de secours subsiste".
Pourtant, la Cour de cassation a cassé cet arrêt, en énonçant que, ayant relevé que les pièces produites par l'épouse démontraient une violence ancienne et habituelle de son conjoint envers elle, la cour d'appel n'avait pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et avait violé l'article 266 du Code civil. Même si la séparation de corps aboutit à un relâchement, et non à une dissolution du mariage, l'article 266 du Code civil trouve application. L'époux aux torts exclusifs duquel la séparation de corps a été prononcée peut être condamné à verser des dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel ou moral résultant du relâchement du mariage, malgré l'absence de rupture totale des relations conjugales.
D'un point de vue humain et pratique, la solution peut se comprendre. Elle permet à l'épouse d'obtenir réparation pour un dommage qui ne fait aucun doute -les violences- et lui évite d'avoir à engager une nouvelle procédure, en invoquant un autre fondement, pour obtenir probablement le même résultat.
D'un point de vue juridique, en revanche, la solution est critiquable. D'une part, comme l'a énoncé la cour d'appel, l'article 266 vise la dissolution du mariage. Or la séparation de corps, si elle aboutit très souvent à un divorce, permet aussi aux époux de décider de reprendre la vie commune. L'époux qui obtient des dommages et intérêts pour la dissolution -même partielle- d'une union doit-il les rendre si, finalement, l'union est officiellement et pleinement rétablie. D'autre part et surtout, et cela n'était bizarrement pas soulevé en l'espèce, le préjudice invoqué, les violences, ne résultait en rien de la dissolution ou même du relâchement des liens du mariage. La Cour de cassation, très vigilante lorsqu'il s'agit de divorce (3), a fait en l'occurrence preuve d'une surprenante souplesse.
Il aurait été plus adéquat d'agir sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1018KZQ), droit commun de la responsabilité civile délictuelle. En effet, selon ce texte, "Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer" est également applicable au divorce. Ainsi, dès lors qu'il parvient à démontrer que son conjoint a commis une faute avant la dissolution du mariage, que lui-même a subi dommage, et qu'il existe un lien de causalité entre ce dommage et cette faute, un époux peut demander des dommages et intérêts à l'autre. Alors que l'article 266 du Code civil vise à réparer les conséquences résultant de la dissolution, dans deux hypothèses particulières, l'article 1382 du même code permet de réparer les fautes distinctes de la dissolution, quelle que soit la situation de l'époux dans le divorce ou la séparation de corps. Même si en l'espèce les violences sont signalées comme anciennes, il peut probable que le délai pour agir (dix ans puisqu'il s'agit de dommages corporels) ait expiré.
A présent, il va revenir à la cour d'appel de Basse-Terre, autrement composée, de s'incliner devant la décision des Hauts magistrats, et de fixer le montant des dommages et intérêts, ou de résister à la Cour de cassation et de refuser d'appliquer l'article 266 du Code civil, ce qui nécessitera, alors, la réunion de l'Assemblée plénière.
Dans tous les cas, il n'est très pas cohérent qu'un couple soit à la fois marié et dispensé du devoir de cohabitation, devoir fondamental du mariage. La séparation de corps est tolérée à condition d'être provisoire. En principe, elle ne constitue qu'une étape entre un retour au mariage "normal" ou un divorce. Elle peut prendre fin dans deux hypothèses : si les époux reprennent la vie commune ou s'ils demandent sa conversion en divorce. Lorsque la séparation de corps est convertie en divorce, deux situations doivent être distinguées. D'une part, lorsqu'elle a duré deux ans, la séparation de corps est de plein droit converti en divorce (C. civ., art. 306 N° Lexbase : L2860DZX). L'expression "de plein droit" ne signifie pas automatiquement. Il faut que l'un des époux (celui qui avait demandé la séparation de corps ou l'autre ; ou les deux en cas de séparation de corps sur demande conjointe) le demande. Dans une telle hypothèse, le juge n'examine pas de nouveau les faits qui ont conduit à la séparation. L'attribution des torts n'est pas modifiée. D'autre part, lorsque des faits nouveaux surviennent depuis le prononcé de la séparation de corps (violation d'un devoir du mariage, à l'exception du devoir de cohabitation), un divorce peut être demandé, quelle que soit la durée de la séparation de corps.
En l'espèce, il est possible que l'époux, qui avait sollicité un divorce mais avait dû "se contenter" d'une séparation de corps demandée par l'épouse, souhaite cette conversion, même si cela aboutit à ce que le divorce soit prononcé à ses torts exclusifs. Le devoir de secours sera alors supprimé et vraisemblablement remplacé par une prestation compensatoire. Il en effet fort probable que les éléments qui ont permis aux magistrats d'accorder à l'épouse une pension alimentaire, sur le fondement de l'article 303 du Code civil, soient également retenus pour l'obtention d'une prestation compensatoire, en application de l'article 271 du même code (N° Lexbase : L3212INB). La dissolution du mariage sera alors complète, certes, mais les dommages et intérêts, demandés et -peut-être d'ici là obtenus- sur le fondement de l'article 266 du Code civil resteront tout autant critiquables.
Si l'on peut admettre que la séparation de corps est une dissolution suffisante du mariage, les violences ne peuvent en aucun cas être considérées comme une conséquence "d'une particulière gravité subie du fait de la dissolution du mariage". La Cour de cassation pouvait admettre que l'article 266 du Code civil est applicable à la séparation de corps, en général, mais pas dans cette affaire, en particulier.
M. Brusorio, Extrait de Chronique de droit patrimonial du divorce - Février 2012, Lexbase Droit privé, février 2012, n° 471 N° Lexbase : N9976BSB.
Le juge apprécie souverainement quelle est la modalité la plus adéquate pour assurer la réparation intégrale du préjudice subi.
La possibilité d'accorder l'attribution d'un bien en nature au titre des dommages et intérêts de l'article 266 du Code civil ne fait pas l'objet d'une solution certaine, la première et la deuxième chambre civile ayant rendu des décisions contradictoires sur ce point. |
E7709ETP
Dans l'arrêt rendu le 29 février 2012 (Cass. civ. 1, 29 février 2012, n° 10-25.734, F-D N° Lexbase : A8807IDK), la cour d'appel avait prononcé le divorce aux torts partagés des conjoints et avait rejeté la demande en paiement de dommages-intérêts formée par l'époux, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, au motif que ce dernier était responsable, au même titre que l'épouse, de la rupture du lien conjugal. La Cour de cassation a sanctionné cet arrêt. Elle a reproché à la cour d'appel de ne pas avoir répondu aux conclusions de l'époux qui avait fait état de l'abandon du domicile conjugal et de l'infidélité de son épouse.
Lorsqu'une demande de dommages et intérêts leur est présentée, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, les juges du fond doivent vérifier si le demandeur prouve que le défendeur a commis une faute et que celle-ci lui a causé un préjudice (c'est-à-dire qu'il y a un lien de causalité entre la faute de l'un et le préjudice de l'autre). Ils ne peuvent pas se contenter d'écarter la demande au motif que, le divorce ayant été prononcé aux torts partagés, les fautes pouvant être invoquées sur le fondement de l'article 1382 du Code civil doivent aussi être "partagées" et "s'effacent" mutuellement.
En l'espèce, l'épouse reprochait à son conjoint son alcoolisme récurrent et la violence, tant verbale que physique, dont il avait fait preuve durant la vie commune à son endroit. De son côté, l'époux avançait que sa femme, également alcoolique, avait quitté le domicile conjugal pour aller vivre avec un autre homme.
Si chacun de ces comportements pouvait constituer des fautes, au sens de l'article 242 du Code civil, et donc aboutir à un divorce aux torts partagés, il ne fallait pas en conclure que cela aboutissait aussi à une "responsabilité délictuelle partagée".
Les juges auraient dû rechercher si le départ du domicile conjugal et la liaison adultère, affichée publiquement dans le quartier selon un moyen annexe, avaient causé un préjudice au demandeur. Ensuite, seulement, ils auraient pu rejeter la demande en constatant, par exemple, que l'époux n'avait pas rapporté une telle preuve (condition d'application classique de l'article 1382 du Code civil) ou que l'épouse avait démontré que ses fautes avaient pour origine le comportement -fautif- de son mari (cause d'exonération classique de l'auteur d'un dommage poursuivi sur le fondement de l'article 1382 du Code civil).
Voilà donc la dernière précision apportée par la Cour de cassation, quant à l'application de l'article 1382 du Code civil en matière de divorce : la demande en paiement de dommages-intérêts fondée sur ce texte ne peut pas être écartée au seul motif que le divorce a été prononcé aux torts partagés.
M. Brusorio-Aillaud, extrait de Chronique de droit patrimonial du divorce - Avril 2012, Lexbase Droit privé, avril 2012, n° 480 N° Lexbase : N1173BTM.
L’arrêt est d’espèce, mais il est intéressant car il illustre bien le champ que peuvent couvrir les dommages-intérêts de l’article 1240 (ex art. 1382) du Code civil (N° Lexbase : L0950KZ9), en marge du champ propre de la prestation compensatoire. Il est fréquent d’entendre que ces dommages-intérêts sont de faible montant et qu’il est difficile d’isoler un préjudice de droit commun en marge de la prestation compensatoire. Cela est sans doute vrai de l’article 266 du Code civil (N° Lexbase : L2833DZX), mais pas du droit commun de la responsabilité délictuelle. D’ailleurs, voici une affaire où les juges ont pris leurs responsabilités ! En l’espèce, le mari avait causé un réel préjudice à son ex-épouse en ayant empêché la vente d’un bien immobilier lors d’une période favorable, et il était, en plus, très obstructif dans le partage, refusant de permettre l’avancée des expertises ordonnées. Faisant masse de l’ensemble de son œuvre, la cour d’appel le condamne à verser à Juliette la coquette somme de 90 000 euros, en réparation du préjudice moral et financier de cette dernière. C’est une excellente nouvelle ! Voilà qui devrait faire réfléchir ceux qui jouent systématiquement la montre… On notera que cette tendance à sanctionner durement les parties se montrant obstructives se manifeste aussi dans le droit de l’indivision, lorsque la Cour de cassation autorise l’expulsion d’un coïndivisaire occupant un bien indivis depuis quelques années (v. Cass. civ. 1, 26 octobre 2011, n° 10-21.802, FS-P+B+I ; Cass. civ. 1, 1er février 2017, n° 15-22.412, F-D N° Lexbase : A4213TBN), ou encore lorsqu’elle approuve le juge des référés d’ordonner le départ des lieux dans un certain délai sous astreinte (Cass. civ. 1, 30 janvier 2019, n° 18-12.403, F-P+B ). La mode n’est plus à ceux qui pensent «qu’occuper c’est tenir». Désormais, occuper c’est surtout tenir… à payer pour son obstination ! Il y aurait donc un avenir à l’article 1240 dans le droit du divorce, ce qui mérite d’être souligné…
J. Casey, extrait de Sommaires de jurisprudence - Droit du divorce (année 2018), note n° 18, Lexbase Droit privé, février 2019, n° 773 N° Lexbase : N7757BXL.
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