Le Quotidien du 22 août 2023 : Fiscalité internationale

[Conclusions] DAC 6 et secret professionnel : le Conseil d’État tire les conséquences de la jurisprudence européenne – Conclusions du Rapporteur public

Réf. : CE, 3°-8° ch. réunies, 14 avril 2023, n° 448486, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A18659Q7

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[Conclusions] DAC 6 et secret professionnel : le Conseil d’État tire les conséquences de la jurisprudence européenne – Conclusions du Rapporteur public. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/98721840-0
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par Romain Victor, Rapporteur public au Conseil d’État

le 24 Août 2023

Mots-clés : secret professionnel • avocat • Directive « DAC 6 »

Par une décision du 14 avril 2023, le Conseil d'État confirme que l'avocat ne peut pas notifier l'obligation déclarative à tout autre intermédiaire qui n'est pas son client, se mettant ainsi en conformité avec la jurisprudence récente de la Cour de justice de l'Union européenne.

Lexbase Fiscal vous propose les conclusions du Rapporteur public, Romain Victor.


1. Vous vous souvenez sans doute que, le 7 janvier 2021, le Conseil national des barreaux, ensemble la Conférence des bâtonniers et l’Ordre des avocats au barreau de Paris vous ont saisi de conclusions tendant à l’annulation pour excès de pouvoir des commentaires administratifs publiés au BOFIP-Impôts le 25 novembre 2020 sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-10-20 N° Lexbase : X0221CKE et BOI-CF-CPF-30-40-20 N° Lexbase : X0320CK3, qui ont été pris pour éclairer l’application des articles 1649 AD N° Lexbase : L9972LS7 à 1649 AH N° Lexbase : L9976LSB et 1729 C ter N° Lexbase : L9977LSC du Code général des impôts, issus de l’article 1er d’une ordonnance du 21 octobre 2019 [1] ayant transposé en droit interne les dispositions de la Directive « DAC 6 », c’est-à-dire la Directive (UE) n° 2018/822, du 25 mai 2018, modifiant la Directive (UE) n° 2011/16 du 15 février 2011 en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration N° Lexbase : L6279LKR. Pour mémoire, la Directive « DAC 6 » a institué une obligation de déclaration à l’administration fiscale des montages juridiques susceptibles d’entraîner une perte de matière fiscale impliquant plusieurs États membres de l’Union européenne ou un État membre et un pays tiers, les informations issues de ces déclarations ayant vocation à être spontanément échangées entre les administrations des États membres par l’intermédiaire du réseau commun de communication (RCC) mis en place au sein de l’Union européenne.

Nous rappelons que l’article 1649 AD du CGI est relatif à la déclaration d’un dispositif transfrontière devant être souscrite auprès de l’administration fiscale, au premier chef, « par l’intermédiaire ayant participé à la mise en œuvre de ce dispositif », à défaut seulement « par le contribuable concerné ». Il définit les critères de qualification d’un tel dispositif « transfrontière » (celui-ci doit comporter un élément d’extranéité quelconque) et précise que ce dispositif doit faire l’objet d’une déclaration auprès de l’administration lorsqu’il comporte au moins un « marqueur », c’est-à-dire une caractéristique ou une particularité qui indique un risque potentiel d’évasion fiscale.

Il y a cinq catégories de marqueurs (A, B, C, D, E), tous détaillés à l’article 1649 AH. Certains ne sont retenus qu’à la condition que soit rempli un critère supplémentaire qui tient à ce que l’avantage principal qu’une personne peut raisonnablement s’attendre à retirer du dispositif en cause est l’obtention d’un avantage fiscal. Pour ne prendre qu’un exemple, constitue un marqueur de la catégorie C un dispositif qui prévoit la déduction de paiements transfrontières effectués entre entreprises liées, lorsque le bénéficiaire du paiement est établi dans une juridiction qui ne lève pas d’impôt sur les sociétés ou qui figure sur une liste de juridictions non coopératives.

L’article 1649 AE se préoccupe, quant à lui, de définir qui sont les intermédiaires soumis à l’obligation déclarative. Constitue un intermédiaire, au sens de ses dispositions, toute personne qui « conçoit, commercialise ou organise un dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration, le met à disposition aux fins de sa mise en œuvre ou en gère la mise en œuvre » ou qui « compte tenu des faits et circonstances pertinents et sur la base des informations disponibles ainsi que de l’expertise en la matière et de la compréhension qui sont nécessaires pour fournir de tels services, sait ou pourrait raisonnablement être censée savoir qu’elle s’est engagée à fournir, directement ou par l’intermédiaire d’autres personnes, une aide, une assistance ou des conseils concernant la conception, la commercialisation ou l’organisation d’un dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration, ou concernant sa mise à disposition aux fins de mise en œuvre ou la gestion de sa mise en œuvre ».

Au vu de cette définition, un avocat peut – pourquoi pas ? – avoir la qualité d’intermédiaire.

Le 4° du I de l’article 1649 AE prévoit justement que, lorsque l’intermédiaire est soumis à une obligation de secret professionnel dont la violation est prévue et réprimée par l’article 226-13 du Code pénal N° Lexbase : L5524AIG – tel est le cas des avocats soumis au secret professionnel en vertu de la loi du 31 décembre 1971 [2] – il appartient à cet intermédiaire de recueillir l’accord de son client avant de souscrire la déclaration du dispositif transfrontière.

À défaut de cet accord, ces mêmes dispositions prévoient que l’intermédiaire « notifie à tout autre intermédiaire l’obligation déclarative qui lui incombe » ou, en l’absence d’autre intermédiaire, au contribuable concerné par le dispositif transfrontière, ces notifications étant à effectuer « par tout moyen permettant de leur conférer date certaine ».

L’ensemble de ces dispositions ont été adoptées dans le cadre de la transposition du paragraphe 5 de l’article 8 bis ter de la Directive (UE) n° 2011/16 qui a autorisé les États membres à prendre les mesures nécessaires pour accorder aux intermédiaires le droit d’être dispensés de l’obligation de fournir des informations concernant un dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration lorsque l’obligation de déclaration serait contraire aux règles nationales en matière de secret professionnel, les États membres devant alors mettre en place des règles faisant obligation aux intermédiaires soumis au secret de notifier les obligations déclaratives « […] à tout autre intermédiaire ou, en l’absence d’un tel intermédiaire, au contribuable concerné ».

Enfin, l’article 1729 C ter du CGI dispose que les manquements à une obligation de déclaration ou de notification prévue aux articles 1649 AD et 1649 AE entraînent l’application d’une amende qui ne peut excéder 10 000 euros. Il prévoit que le montant de l’amende ne peut excéder 5 000 euros lorsqu’il s’agit de la première infraction de l’année civile en cours et des trois années précédentes et que le montant de l’amende appliquée à un même intermédiaire ne peut excéder 100 000 euros par année civile.

La requête du CNB et autres a été dirigée contre tous les commentaires de la racine BOI-CF-CPF-30-40 « dont en particulier les paragraphes nos 10 à 210 de ces commentaires publiés sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-10-20 », comme l’indique le « Par ces motifs » de la requête, ces paragraphes correspondant au titre relatif aux « Intermédiaires » (le titre suivant, relatif au « Contribuable concerné » et comprenant les paragraphes nos 220 à 350, n’étant pas contesté).

Même si le « Par ces motifs » n’en porte pas la trace, la requête critique également le paragraphe n° 370 des commentaires publiés sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-20, qui se borne à reprendre les termes de l’article 1729 C ter du CGI relatif à la sanction applicable notamment en cas de manquement par un intermédiaire à ses obligations déclaratives.

La requête est appuyée sur une critique de la validité des dispositions du paragraphe 5 de l’article 8 bis ter de la Directive (UE) n° 2011/16 au regard des droits fondamentaux.

Par une décision du 25 juin 2021, vous avez :

  • admis l’intervention de l’Ordre des avocats au barreau des Hauts-de-Seine ;
  • annulé pour incompétence les alinéas trois à sept du paragraphe n° 180 des commentaires attaqués ;
  • et sursis à statuer sur le surplus de la requête jusqu’à ce que la Cour de justice de l’Union européenne se soit prononcée sur la double question de savoir si l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de la Directive « DAC 6 » méconnaît le droit à un procès équitable garanti par les articles 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales en ce qu’il n’exclut pas, par principe, les avocats intervenant au titre d’une mission juridictionnelle du champ des intermédiaires devant fournir à l’administration fiscale les informations nécessaires à la déclaration d’un montage fiscal transnational ou devant notifier cette obligation à un autre intermédiaire et si ces mêmes dispositions méconnaissent les droits au respect de la correspondance et de la vie privée garantis par les articles 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, en ce qu’elles n’excluent pas, par principe, les avocats intervenant au titre d’une mission d’évaluation de la situation juridique de leur client du champ des intermédiaires devant fournir à l’administration fiscale les informations nécessaires à la déclaration d’un montage fiscal transnational ou devant notifier cette obligation à un autre intermédiaire.

Le 23 janvier 2023, le greffier de la Cour de justice de l’Union européenne vous a transmis la copie de l’arrêt rendu le 8 décembre 2022 par cette Cour ayant statué, en formation de Grande chambre, dans l’affaire « Orde van Vlaamse Balies » [3] (CJUE, 8 décembre 2022, aff. C-694/20, Orde van Vlaamse Balies N° Lexbase : A02048Y9) e.a., en vous demandant de bien vouloir lui indiquer en retour si, à la lumière de cet arrêt, vous mainteniez le renvoi préjudiciel.

Votre 8ème chambre a informé le président de la Cour de justice que vous retiriez la demande de décision préjudicielle, l’arrêt rendu le 8 décembre 2022 vous permettant de trancher le litige, ce qu’il vous revient à présent de faire.

Par une ordonnance du président de la Cour de justice du 7 mars 2023, l’affaire a été effectivement radiée du registre de la Cour le 7 mars 2023.

2. Dans son arrêt du 8 décembre 2022, la Cour de justice a dit pour droit que l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de la Directive n° 2011/16, telle que modifiée par la Directive (UE) n° 2018/822, était invalide au regard de l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui reconnaît à toute personne le droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications, et correspond à l’article 8, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

La Cour, après avoir rappelé qu’il lui appartenait de tenir compte, dans l’interprétation qu’elle fait des droits garantis par l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, des droits correspondants garantis par l’article 8, paragraphe 1, de la CESDH, en tant que seuil de protection minimale, a rappelé la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme selon laquelle l’article 8, paragraphe 1, de la convention protège la confidentialité de toute correspondance entre individus et accorde une protection renforcée aux échanges entre les avocats et leurs clients, la protection recouvrant non seulement l’activité de défense, mais également la consultation juridique, dont le secret doit être nécessairement garanti, qu’il s’agisse de son contenu aussi bien que de son existence.

La Cour de justice a rappelé que, hormis des situations exceptionnelles, les personnes qui consultent un avocat doivent pouvoir légitimement avoir confiance dans le fait que leur avocat ne divulguera à personne, sans leur accord, qu’elles le consultent et que la mission fondamentale de défense des justiciables confiée aux avocats comportait une exigence de loyauté de l’avocat envers son client.

Or, elle a observé que l’obligation faite à un avocat intermédiaire dispensé d’effectuer lui-même la déclaration du dispositif transfrontière en raison du secret professionnel auquel il est tenu, par les dispositions du paragraphe 5 de l’article 8 bis ter de la Directive (UE) n° 2011/16, de notifier sans retard aux autres intermédiaires qui ne sont pas ses clients les obligations de déclaration qui leur incombent, comportait nécessairement la conséquence que ces autres intermédiaires acquièrent connaissance de l’identité de l’avocat intermédiaire notifiant, de son appréciation selon laquelle le dispositif en cause doit faire l’objet d’une déclaration ainsi que du fait qu’il est consulté à son sujet, cette situation étant constitutive d’une ingérence dans le droit au respect des communications entre les avocats et leurs clients, redoublée par le fait que l’obligation de notification aboutissait à la divulgation à l’administration fiscale, par les tiers intermédiaires ainsi notifiés, de l’identité et de la consultation de l’avocat intermédiaire.

La Cour a reconnu que l’ingérence était prévue par la loi (en l’occurrence par les dispositions nationales transposant la Directive).

Elle a aussi reconnu que les dispositions critiquées de la Directive n’induisaient que de manière limitée la levée, à l’égard d’un tiers intermédiaire et de l’administration fiscale, de la confidentialité des communications entre l’avocat intermédiaire et son client (c’est cela qui est protégé).

Elle a en outre relevé que ces dispositions avaient été adoptées pour concourir à la réalisation des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union européenne de la lutte contre la planification fiscale agressive (une nouveauté dans sa jurisprudence) et de la prévention du risque d’évasion et de fraude fiscales

Elle a cependant estimé que l’ingérence dans le droit au respect des communications était disproportionnée, après avoir relevé que les autres intermédiaires demeuraient soumis à l’obligation déclarative et que l’avocat intermédiaire dispensé de l’obligation déclarative restait tenu de notifier sans retard à son client l’obligation de déclaration incombant à ce dernier en l’absence d’autre intermédiaire, ces règles garantissant que l’administration fiscale soit informée dans tous les cas des dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration.

En substance, elle a estimé que l’obligation de notification par l’avocat dispensé à un autre intermédiaire déjà soumis à l’obligation déclarative constituait une ingérence dans le droit au respect des communications qui n’était pas nécessaire.

3. Il reste à confronter cette solution avec les différents passages incriminés des deux BOI qui sont plus spécialement critiqués.

En ce qui concerne le BOI commentant les obligations faites aux intermédiaires, il convient de circonscrire la requête aux seuls paragraphes nos 150 à 200 qui explicitent le cas de dispense de déclaration lorsqu’est en cause un intermédiaire soumis au secret professionnel n’ayant pas obtenu l’accord de son client pour déclarer les informations, étant rappelé que vous avez déjà annulé un morceau du paragraphe n° 180.

Les paragraphes nos 150, 160 et 165, qui correspondent au point « a. Définition » du « 2. Secret professionnel », ne nous paraissent pas devoir être annulés.

Le paragraphe n° 150 rappelle qu’en application du premier alinéa du 4° du I de l’article 1649 AE, l’intermédiaire soumis au secret professionnel dont la violation est réprimée par l’article 226-13 du Code pénal « souscrit sa déclaration avec l’accord de son client ».

Ces énonciations réitèrent ces dispositions législatives dont on ne peut pas raisonnablement dire qu’elles ont été prises pour assurer la transposition d’une partie du dispositif du paragraphe 5 de l’article 8 bis ter de la Directive (UE) n° 2011/16 qui aurait elle-même été déclarée invalide par la Cour de justice.

L’étape amont dans laquelle l’intermédiaire soumis au secret professionnel demanderait à son client s’il lui donne son accord pour qu’il procède à la déclaration du dispositif transfrontière ne figure pas, en effet, telle quelle, dans la Directive.

Les requérants soutiennent que ces dispositions internes portent une atteinte injustifiée à la protection du secret professionnel de l’avocat protégé par des normes ayant une autorité supérieure à celle de la loi, en l’occurrence par les articles 7 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et les articles 8 et 6 de la CESDH.

Ainsi que nous l’avons dit, la Cour de justice a relevé, au point 27 de son arrêt, que les clients d’un avocat « doivent pouvoir légitimement avoir confiance dans le fait que leur avocat ne divulguera à personne, sans leur accord, qu’elles le consultent ».

À première vue, il semblerait en résulter a contrario que, lorsque le client autorise son avocat à divulguer un élément de leur relation à un tiers, en l’espèce une administration de l’État, il ne saurait y avoir une méconnaissance des textes conventionnels assurant la protection du secret professionnel de l’avocat.

Mais, il faut sans doute pousser plus loin l’analyse et l’inscription de l’affaire à votre rôle, après un premier passage en chambre jugeant seule, nous en donne l’occasion.

Nous commençons par rappeler une évidence : seul l’avocat est tenu au secret professionnel. Pas son client.

Aussi la Cour de cassation juge-t-elle qu’il est loisible au client, qui n’est tenu à aucune obligation de secret, de rendre lui-même publics des éléments de sa correspondance avec son avocat (Cass. civ. 1, 4 avril 2006, n° 04-20.735, FS-P+B, « Salvati c/ Sté Ryv » N° Lexbase : A9671DNI ; Cass. civ. 1, 30 avril 2009, n° 08-13.596, F-D, « Me Achoui c/ Bâtonnier de l’Ordre des avocats au barreau de Paris » N° Lexbase : A6517EGH ; Cass. civ. 1, 14 décembre 2016, n° 15-27.349, F-P+B, « Sainpy c/ Guillon » N° Lexbase : A2178SXX).

Vous vous prononcez dans le même sens. Vous jugez ainsi que la confidentialité des correspondances entre l’avocat et son client ne s’impose qu’au premier et non au second qui, n’étant pas tenu au secret professionnel, peut décider de lever ce secret, sans y être contraint. Ainsi, la circonstance que l’administration fiscale ait pris connaissance du contenu d’une correspondance échangée entre un contribuable et son avocat au cours d’une vérification de comptabilité demeure sans incidence sur la régularité de la procédure d’imposition suivie à l’égard de ce contribuable dès lors que celui-ci a préalablement donné son accord en ce sens (CE, 3°-8° ch. réunies, 12 décembre 2018, n° 414088, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1490YQA).

Cependant, en l’espèce, si le client donne son accord à l’avocat pour déclarer un dispositif transfrontière sujet à déclaration, ce n’est pas le client qui divulguera les éléments pertinents, mais l’avocat lui-même. La jurisprudence que nous avons rappelée n’est donc pas applicable.

La critique formulée devant vous implique par conséquent de répondre à la question de savoir si le secret professionnel de l’avocat est un absolu qu’il conviendrait de protéger y compris, le cas échéant, contre la volonté du client ou en dépit de la permission accordée par celui-ci, ou s’il s’agit essentiellement d’une exigence dont la portée serait relative, le client pouvant décider à son gré de renoncer à la confidentialité de ses échanges avec son avocat et de la consultation de celui-ci, en déliant son conseil de son obligation au secret.

Assurément, on serait tenté de répondre que le client peut délier l’avocat de son obligation au secret, si l’on avait la conviction que ce secret n’était institué que dans l’intérêt du client. Toutefois cette vision nous paraît difficile à défendre. La jurisprudence et la doctrine retiennent en effet que le secret professionnel de l’avocat est d’abord et avant tout institué dans l’intérêt de la justice.

On relèvera à cet égard qu’aux points 27 et 28 de son arrêt du 8 décembre 2022, la Cour de justice a analysé le secret professionnel comme une charge pour l’avocat et comme une garantie pour son client mais aussi pour le fonctionnement général de la justice dans une société démocratique, compte tenu de la possibilité de s’adresser en toute liberté à un avocat appelé à donner un avis juridique en toute indépendance.

Dans le même sens, statuant sous l’empire des dispositions de l’article 378 de l’ancien Code pénal, comme désormais de l’article 226-13 du Code pénal N° Lexbase : L5524AIG, la Cour de cassation retient que l’obligation au secret professionnel est établie et sanctionnée par cet article « pour assurer la confiance nécessaire à l’exercice de certaines professions » et s’impose aux membres de ces professions « comme un devoir de leur état ». Elle ajoute que cette obligation est « générale et absolue » et qu’il « n’appartient à personne de les en affranchir » (Cass. crim., 8 mai 1947, « Dr Degraene », D., 1948, pp. 109-111 – Cass. crim., 22 décembre 1966, n° 66-92-897, Bull., 1966, n° 305 : pour un médecin également). Cela vaut pour les médecins comme pour les avocats. L’obligation au secret produit en outre ses effets de manière illimitée dans le temps et dans l’espace, comme l’indique le règlement intérieur national de la profession d’avocat adopté par le Conseil national des barreaux, dont vous avez jugé les dispositions conformes aux dispositions de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 (CE, 6 s-sect., 16 décembre 2008, n° 289940 N° Lexbase : A8796EBE).

Signe de ce caractère absolu, il est jugé que la circonstance que le fait couvert par le secret soit connu par d’autres personnes n’est pas de nature à enlever à ces faits leur caractère confidentiel et secret (Cass. crim., 16 mai 2000, n° 99-85304, publié au bulletin N° Lexbase : A7207CHE). La circonstance que la personne à laquelle le fait couvert par le secret professionnel soit elle-même tenu à un secret professionnel est également inopérante (même décision).

Et la Cour de cassation juge que caractérise le délit de violation du secret professionnel la cour d'appel qui constate que l'avocat a révélé à un tiers, fût-ce avec l'accord de son client, le contenu de leur entretien avant la première comparution devant le juge d'instruction (Cass. crim., 27 octobre 2004, n° 04-81.513, FS-P+F N° Lexbase : A8547DDW).

Toutefois, il faut lire complètement cette jurisprudence pénale et civile. À chaque fois, les décisions rendues ont le soin de réserver, d’une part, les strictes exigences de la propre défense de l’avocat (Cass. soc., 12 mai 2017, n° 15-29.129, FS-P+B, « M. Cheula c/ Sté Fiducial » N° Lexbase : A8874WCN), mais aussi, d’autre part, les cas de déclaration ou de révélation prévus ou autorisés par la loi (Cass. civ. 1, 12 octobre 2016, n° 15-14.896, F-P+B, « Sté Christina c/ Sté Du Prado » N° Lexbase : A9566R7G – Cass. civ. 1, 6 avril 2004, n° 00-19.245, FS-D, « Mme Gering-Briggs c/ Procureur général près la cour d’appel de Paris » N° Lexbase : A8219DBZ).

D’ailleurs, l’article 226-14 du Code pénal N° Lexbase : L7491L9C n’écarte-t-il pas l’application de l’article 226-13 dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret ?

De même, l’article 12 du tout récent décret n° 2023-146, du 1er mars 2023, relatif au code de déontologie des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation N° Lexbase : L0638MH4 ne prévoit-il pas que « Le secret professionnel de l'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, qui est d'ordre public, est général et illimité dans le temps. L'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation ne peut en être relevé par son client ni par quelque autorité ou personne que ce soit, sauf dans les cas prévus par la loi » ?

Et l’article 4 du décret n° 2005-790, du 12 juillet 2005, relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat N° Lexbase : L6025IGA dispose pareillement que « Sous réserve des strictes exigences de sa propre défense devant toute juridiction et des cas de déclaration ou de révélation prévues ou autorisées par la loi, l'avocat ne commet, en toute matière, aucune divulgation contrevenant au secret professionnel ».

Le secret professionnel de l’avocat est donc un absolu…à moins que la loi n’en dispose autrement.

Et, puisque la critique est formulée sous l’angle de la Convention européenne, il est permis de rappeler que la Cour de Strasbourg, tout en soulignant que le secret professionnel des avocats a une grande importance dans les sociétés démocratiques et que les avocats occupent une situation centrale dans l’administration de la justice, leur qualité d’intermédiaires entre les justiciables et les tribunaux permettant de les qualifier d’auxiliaires de justice, retient que ce secret « n’est […] pas intangible » et peut s’effacer dans certains cas, sous réserve d’un encadrement légal approprié. La Cour retient ainsi que la Convention n’interdit pas d’imposer aux avocats un certain nombre d’obligations susceptibles de concerner les relations avec leurs clients. Il en va ainsi notamment en cas de constat de l’existence d’indices plausibles de participation d’un avocat à une infraction, ou encore dans le cadre de la lutte contre certaines pratiques, comme le blanchiment de capitaux (CEDH, 6 décembre 2012, Req. 12323/11, Michaud c/ France N° Lexbase : A3982IY7 – CEDH, 21 janvier 2010, Req. 43757/05, Xavier Da Silveira c/ France N° Lexbase : A4497EQM – CEDH, 24 juillet 2008, Req. 18603/03, André et autre c/ France N° Lexbase : A8281D9L).

Les dispositions de la loi, en l’occurrence de la loi fiscale, qui, aux fins de la lutte contre les pratiques de planification fiscale agressive et d’évasion fiscale, laquelle constitue un objectif d’intérêt général, prévoient qu’avec l’accord de son client, donc à l’abri de toute forme de déloyauté, l’avocat souscrit une déclaration d’un dispositif transfrontière, ne paraissent pas, dans ces conditions, porter une atteinte disproportionnée au secret professionnel protégé par l’article 7 de la Charte et l’article 8 de la Convention.

Et il n’y a pas davantage méconnaissance du droit à un procès équitable dans la mesure où, ainsi que l’a relevé la Cour de justice, l’obligation de notification naît à un stade précoce, au plus tard lorsque le dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration vient d’être finalisé et est prêt à être mis en œuvre, donc en dehors du cadre d’une procédure judiciaire et en dehors même de sa préparation.

Il est vrai que les dispositions contestées de l’article 1649 AE du CGI aboutissent à ce que l’avocat, s’il recueille l’accord de son client, révèle à l’administration qu’il a pu participer à la conception d’un dispositif transfrontière, mais c’est bien l’effet dissuasif recherché par la législation européenne. Il suffit de relire, à cet égard, les considérants 4 à 6 de la Directive « DAC 6 » : il y est rappelé que « le Parlement européen a plaidé en faveur de mesures plus strictes contre les intermédiaires qui participent à des dispositifs pouvant conduire à l’évasion et la fraude fiscales » et que « certains intermédiaires financiers et autres prestataires de services de conseils fiscaux semblent avoir aidé activement leurs clients à dissimuler des capitaux à l’étranger » ou encore que « La déclaration d’informations sur des dispositifs transfrontières de planification fiscale à caractère potentiellement agressif peut contribuer efficacement aux efforts déployés pour créer un environnement fiscal équitable dans le marché intérieur » et que « faire obligation aux intermédiaires d’informer les autorités fiscales de certains dispositifs transfrontières susceptibles d’être utilisés à des fins de planification fiscale agressive constituerait un pas dans la bonne direction ». Le meilleur moyen de n’avoir pas à signaler à l’administration fiscale, à peine de sanctions administratives, qu’on a œuvré à la confection d’un dispositif favorisant l’évasion fiscale, est encore de s’abstenir de fournir des prestations de conseil juridique en la matière.

Enfin, l’on persiste, dans un mémoire enregistré hier, à vous demander de renvoyer à la Cour de justice une question de « validité » du paragraphe 5 de l’article 8 bis ter de la Directive de 2011. Mais nous vous avons dit que les dispositions de la loi française selon lesquelles l’avocat souscrit la déclaration avec l’accord de son client ne transposent pas la Directive. Il n’y a de place que pour une critique tirée de la méconnaissance du droit de l’Union par le droit interne et cette critique n’est pas fondée pour les raisons que nous avons indiquées.

Nous passons au paragraphe n° 160 qui prévoit que le secret professionnel dont la violation est réprimée par l’article 226-13 du Code pénal s’applique aux seules professions dont les textes d’organisation (loi ou règlement) font référence de manière explicite à ce texte d’incrimination et il mentionne, à titre d’exemple, les avocats, les notaires et quelques autres professions.

Ces énonciations, qui ne traitent pas directement de l’obligation de notification à un autre intermédiaire qui ne serait pas le client, ne sont entachées d’aucune illégalité.

Enfin, le paragraphe n° 165 prévoit que l’intermédiaire soumis au secret professionnel informe son client et prend toute disposition pour que celui-ci soit en mesure de lui faire part de sa décision de lever le secret professionnel dans les délais prévus à l’article 1649 AG du CGI. Il fait par ailleurs courir le délai de trente jours imparti pour souscrire la déclaration, par mesure de tolérance, à compter du jour où l’intermédiaire obtient l’accord de son client.

La décision de la CJUE n’implique pas l’annulation de ces dispositions qui apparaissent, elles aussi, étrangères à l’obligation de notification par l’avocat intermédiaire dispensé de déclaration à un intermédiaire qui n’est pas son client.

Le paragraphe n° 170 figure dans un sous-titre « b. Transfert de l’obligation déclarative au cas l’absence d’accord pour la levée de secret professionnel » (sic).

Il prévoit que, « dans le cas où l’intermédiaire soumis au secret professionnel n’obtient pas l’accord de son client de souscrire sa déclaration, l’obligation déclarative incombe alors : à tout autre intermédiaire ; ou, en l’absence d’autre intermédiaire, au contribuable concerné ».

Nous ne voyons pas non plus matière à annulation car ce paragraphe ne traite pas directement et expressément de l’obligation faite à l’avocat intermédiaire de notifier l’obligation de déclarer à un autre intermédiaire qui ne serait pas son client.

Les paragraphes nos 180 à 200 font partie d’un sous-titre « c. Obligation de notification ».

Les deux premiers alinéas du paragraphe n° 180, qui ne sont pas divisibles, doivent être annulés, en complément de l’annulation déjà prononcée des alinéas trois à sept, dès lors que le premier alinéa rappelle l’obligation de notification par l’intermédiaire dispensé « aux personnes auxquelles elle [l’obligation déclarative] incombe et dont il a connaissance, qu’il s’agisse d’un intermédiaire ou d’un contribuable concerné » et que maintenir le deuxième alinéa relatif au procédé de « cette notification » (celle mentionnée au premier alinéa annulé) n’aurait aucun sens.

Le paragraphe n° 190 est relatif au « cas particulier d’une notification au contribuable concerné » et ne nous paraît pas devoir être annulé dès lors que la Cour de justice n’a pas condamné l’obligation faite à l’avocat intermédiaire de notifier son obligation déclarative au contribuable concerné. La Cour a en effet soigneusement circonscrit la portée de la déclaration d’invalidité. Nous comprenons à cet égard que la problématique de protection du secret professionnel ne se pose tout simplement plus lorsque l’avocat intermédiaire notifie son obligation au contribuable concerné – alors même que celui-ci ne serait pas le client de l’avocat qui aurait été mandaté par un autre intermédiaire – car le contribuable concerné par le dispositif transfrontière doit être regardé comme ayant, par construction, connaissance du dispositif ou du projet de dispositif conçu dans son intérêt. L’article 3, point 22, de la Directive de 2011 définit en effet le contribuable concerné comme « toute personne à qui un dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration est mis à disposition aux fins de sa mise en œuvre, ou qui est disposée à mettre en œuvre un dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration, ou qui a mis en œuvre la première étape d’un tel dispositif ».

En outre, dans la mesure où, dans le système du paragraphe 5 de l’article 8 bis ter de la Directive, la notification au contribuable concerné n’intervient qu’à titre subsidiaire, à défaut d’autre intermédiaire, nous comprenons que si l’avocat est le seul intermédiaire dans le paysage, il est alors vraisemblable que le contribuable concerné soit son client, car il faut bien que l’avocat ait été mandaté par quelqu’un… de sorte que, dans cette hypothèse, le « contribuable concerné » et « le client » de l’avocat intermédiaire ne font qu’un.

En revanche, le paragraphe n° 200, qui concerne les modalités d’exécution de « l’obligation de déclaration à un autre intermédiaire » (sic), doit être annulé.

Il reste enfin à statuer sur le paragraphe n° 370 du BOI-CF-CPF-30-40-20 qui reproduit presque mot pour mot l’article 1729 C ter du CGI relatif aux sanctions prévues en cas de manquements « à une obligation de déclaration ou de notification prévue à l’article 1649 AD du CGI, à l’article 1649 AE du CGI et à l’article 1649 AG du CG ».

Il va de soi que si l’obligation de notification par un avocat intermédiaire à un autre intermédiaire qui n’est pas son client est invalide au regard du droit primaire, une telle obligation ne saurait être sanctionnée, fût-ce par le biais d’amendes administratives, et les dispositions de l’article 1729 C ter sont dans cette mesure inconventionnelles.

Simplement, cet article législatif et, par voie de conséquence, le paragraphe n° 370 des commentaires attaqués qui en réitère le contenu, se rapportent à différents manquements et il ne paraît pas impossible d’annuler seulement les mots : « ou de notification » et les mots « , à l’article 1649 AE du CGI et », le surplus ne posant pas de difficulté au regard du droit de l’Union européenne.

PCMNC :

  • à l’annulation des deux premiers alinéas du paragraphe n° 180 et du paragraphe n° 200 des commentaires administratifs publiés au BOFiP-Impôts le 25 novembre 2020 sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-10-20 ainsi qu’à l’annulation des mots « ou de notification » et « , à l’article 1649 AE du CGI et » figurant au premier alinéa du paragraphe n° 370 des commentaires administratifs publiés le même jour au BOFiP-Impôts sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-20 ;
  • à ce que l’État verse la somme globale de 3 000 euros au Conseil national des barreaux et autres au titre de l’article L. 761-1 du CJA N° Lexbase : L1303MAI ;
  • au rejet du surplus des conclusions du Conseil national des barreaux et autres ;
  • enfin, au rejet des conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du CJA par l’Ordre des avocats au barreau des Hauts-de-Seine qui n’a pas, comme intervenant, la qualité de partie au litige au sens de ces dispositions (CE, 6°-2° s.-sect. réunies, 19 janvier 1994, n° 143421 N° Lexbase : A9188ARQ).

[1] Ordonnance n° 2019-1068, du 21 octobre 2019, relative à l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration N° Lexbase : L9809LS4.

[2] Loi n° 71-1130, du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques N° Lexbase : L6343AGZ.

[3] Ordre des barreaux flamands représentant les treize barreaux néerlandophones de Belgique.

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