Le Quotidien du 16 août 2023 : MARD

[Le point sur...] L’article 750-1 du Code de procédure civile ou le phénix de l’amiable préalable obligatoire – À propos du décret n° 2023-357, du 11 mai 2023

Réf. : Décret n° 2023-357 du 11 mai 2023 relatif à la tentative préalable obligatoire de médiation, de conciliation ou de procédure participative en matière civile N° Lexbase : N5723BZY

Lecture: 30 min

N5723BZY

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Le point sur...] L’article 750-1 du Code de procédure civile ou le phénix de l’amiable préalable obligatoire – À propos du décret n° 2023-357, du 11 mai 2023. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/98458264-0
Copier

par Corinne Bléry, Professeur de droit privé à l’Université Polytechnique Hauts-de-France (Valenciennes), Directrice du Master Justice, procès et procédures, Membre du conseil scientifique de Droit & Procédure

le 31 Juillet 2023

Mots-clés : CPC, art. 750-1 • amiable préalable • saisine du tribunal judiciaire • irrecevabilité • dispense • conciliateur • indisponibilité

Le décret n° 2023-357, du 11 mai 2023, relatif à la tentative préalable obligatoire de médiation, de conciliation ou de procédure participative en matière civile, rétablit l’article 750-1 du Code de procédure civile, à compter du 1er octobre 2023. Sa rédaction, peu modifiée, tient compte des motifs du Conseil d’État pour annuler la version précédente, le 22 septembre 2022.


 

1. « En application de l’article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, la demande en justice est précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation ou d’une tentative de procédure participative, lorsqu’elle tend au paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 euros ou lorsqu’elle est relative à l’une des actions mentionnées aux articles R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du Code de l’organisation judiciaire ou à un trouble anormal de voisinage. 

Les parties sont dispensées de l’obligation mentionnée au premier alinéa dans les cas suivants :

1° Si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord ;

2° Lorsque l’exercice d’un recours préalable est imposé auprès de l’auteur de la décision ;

3° Si l’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime tenant soit à l’urgence manifeste, soit aux circonstances de l’espèce rendant impossible une telle tentative ou nécessitant qu’une décision soit rendue non contradictoirement, soit à l’indisponibilité de conciliateurs de justice entraînant l’organisation de la première réunion de conciliation dans un délai supérieur à trois mois à compter de la saisine d’un conciliateur ; le demandeur justifie par tout moyen de la saisine et de ses suites ;

4° Si le juge ou l’autorité administrative doit, en application d’une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation ;

5° Si le créancier a vainement engagé une procédure simplifiée de recouvrement des petites créances, conformément à l’article L. 125-1 du Code des procédures civiles d’exécution ».

2. C’est ce que prévoira l’article 750-1 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6401MHK, à compter du 1er octobre 2023 [1] : tel un phénix, cet oiseau fabuleux qui renaît de ses cendres, l’article, annulé par le Conseil d’État le 22 septembre 2022 [2], est « rétabli » en ces termes par le décret n° 2023-357, du 11 mai 2023, relatif à la tentative préalable obligatoire de médiation, de conciliation ou de procédure participative en matière civile N° Lexbase : L6288MHD.

Comme l’ancienne version, la nouvelle impose au justiciable qui veut former une action en justice de tenter de s’accorder avec l’éventuel défendeur sous peine que son action soit déclarée irrecevable, au besoin d’office par le juge. Cette obligation substantielle ne concerne que certaines actions relevant de la compétence du tribunal judiciaire, mais le demandeur en est dispensé dans certains cas, eux aussi prévus au texte.

3. L’obligation substantielle est complétée par une obligation formelle, qui l’a précédée.

Cette obligation formelle issue du décret n° 2015-282, du 11 mars 2015 [3] N° Lexbase : L1333I8U était unique à l’origine ; elle n’est plus que la suite de l’obligation substantielle, depuis le décret n° 2019-1333, du 11 décembre 2019 N° Lexbase : L8421LT3. Depuis le 1er janvier 2020, l’acte introductif d’instance précise les diligences entreprises en vue d’une résolution amiable du litige ou la justification de la dispense d’une telle tentative (art. 54, 5° N° Lexbase : L8645LYT), lorsque la demande initiale doit être précédée d’une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure participative. Cette mention existait antérieurement, sans être prescrite à peine de nullité ; c’est désormais le cas, mais elle ne concerne plus que les domaines dans lesquels la demande initiale doit être précédée d’une tentative d’accord.

Obligations formelle et substantielle ne doivent pas être mélangées, chacune ayant sa place et son régime, mais au contraire articulées correctement tant par les justiciables que par le juge. Autrement dit, « il y a deux étapes à distinguer : l’une substantielle, l’autre formelle qui n’a de sens que dans le prolongement de la première. Le demandeur doit les respecter sous peine d’encourir deux sanctions distinctes, qui s’appliquent distributivement : l’absence de tentative de MARD est sanctionnée par une FNR, l’absence de mention de l’échec de la tentative ou de la dispense est passible de nullité de forme. Le juge doit tout autant distinguer les deux obligations et la sanction de leur non-respect » [4].

Notons que le 5° de l’article 54 est actuellement vidé de sa substance, mais qu’il retrouvera son sens avec le décret du 11 mai 2023.

4. Le décret du 11 mai 2023 constitue donc une renaissance du phénix « article 750-1 », mort après un premier cycle de vie [5] (I) ; il ouvre un nouveau cycle non dépourvu d’incertitudes (II).

I. Premier cycle de vie du phénix « 750-1 »

5. L’article 750-1 du Code de procédure civile est le décret d’application (B) d’un texte de loi (A). Cette loi, c’est la loi n° 2016-1547, du 18 novembre 2016, de modernisation de la justice du XXIe siècle N° Lexbase : L1605LB3 […], dont l’article 4 non codifié impose une tentative de résolution amiable du litige préalablement à certaines actions.

A. Loi

6. Initialement, en 2016, cette obligation concernait la déclaration au greffe, formule procédurale utilisable pour introduire l’instance devant le tribunal d’instance, à côté, notamment de l’assignation (à toutes fins), lorsque le montant de la demande n’excédait pas 4 000 euros [6].

Selon l’article 4 de la loi « JXXI », qui n’appelait pas de décret d’application spécifique, le juge pouvait déclarer d’office irrecevable la déclaration au greffe du tribunal d’instance, non précédée d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice ; ceci sauf si le demandeur se trouvait dans un des trois cas de dispense prévus par le même texte : « 1° Si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord ; 2° Si les parties justifient d’autres diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige [7] ; 3° Si l’absence de recours à la conciliation est justifiée par un motif légitime ».

7. Cet article a été modifié, d’abord par la loi n° 2019-222, du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice N° Lexbase : L6740LPC (art. 3. II), puis par la loi n° 2021-1729, du 22 décembre 2021, pour la confiance dans l’institution judiciaire N° Lexbase : Z459921T : ce sont trois modes amiables qui peuvent être choisis pour une tentative d’accord, étant rappelé que parmi eux, seule la conciliation est gratuite, donc choisie plus volontiers que les modalités payantes ; les cas de dispense ont été étendus.

L’article 4 de la loi « JXXI », en son dernier état, dispose ainsi que :

« Lorsque la demande tend au paiement d’une somme n’excédant pas un certain montant ou est relative à un conflit de voisinage ou à un trouble anormal de voisinage [loi « Confiance »], la saisine du tribunal judiciaire doit, à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, être précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation, telle que définie à l’article 21 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, ou d’une tentative de procédure participative, sauf :

1° Si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord ;

2° Lorsque l’exercice d’un recours préalable est imposé auprès de l’auteur de la décision ;

3° Si l’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime, notamment l’indisponibilité de conciliateurs de justice dans un délai raisonnable ;

4° Si le juge ou l’autorité administrative doit, en application d’une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation ;

5° Si le créancier a vainement engagé une procédure simplifiée de recouvrement des petites créances [loi « Confiance »] ».

8. Depuis 2019, l’article 4 ajoute encore qu’« un décret en Conseil d’État définit les modalités d’application du présent article, notamment les matières entrant dans le champ des conflits de voisinage ainsi que le montant en-deçà duquel les litiges sont soumis à l’obligation mentionnée au premier alinéa. Toutefois, cette obligation ne s’applique pas aux litiges relatifs à l’application des dispositions mentionnées à l’article L. 314-26 du Code de la consommation [8] ». Cet alinéa a été rédigé en conséquence de la décision prise par le Conseil constitutionnel en 2019, saisi de la contitutionalité de la loi « Belloubet ». Par sa décision n° 2019-778 DC, du 21 mars 2019 N° Lexbase : A5079Y4U, le Conseil a en effet imposé d’expliciter les notions de motif légitime et de délai raisonnable, trop imprécis eu égard à l’accès au juge. C’est là l’origine de l’article 750-1 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6401MHK – placé dans les dispositions communes du tribunal judiciaire : créé par le décret n° 2019-1333, du 11 décembre 2019 N° Lexbase : L8421LT3, il a ensuite été retouché par le décret n° 2022-245, du 25 février 2022.

B. Décret

9. L’article 750-1, alinéa 1er, consolidé en 2022, reproduisait le principe de l’obligation et sa sanction tels qu’énoncés à l’article 4 de la loi. En outre, il définissait plus précisément le domaine de la tentative préalable obligatoire de règlement amiable, afin d’être conforme aux prescriptions du Conseil constitutionnel : il chiffrait le montant de l’obligation à 5 000 euros et renvoyait aux articles R. 211-3-4 N° Lexbase : L0421LSE et R. 211-3-8 N° Lexbase : L0425LSK du Code de l’organisation judiciaire pour les conflits de voisinage. Si les conflits de voisinage étaient entendus strictement dans un premier temps – les articles du Code de l’organisation judiciaire visés évoquent les actions en bornage, les actions relatives au curage des fossés, les contestations relatives à l’établissement et à l’exercice de certaines servitudes… qui relèvent de la compétence des chambres de proximité des tribunaux judiciaires, à savoir les tribunaux de proximité, successeurs des tribunaux d’instance –, l’ajout des troubles anormaux de voisinage, par un amendement en commission (CL387) avait étendu en revanche considérablement la notion [9] : l’amendement avait aussi pleinement fait de l’article 750-1 N° Lexbase : L6401MHK une disposition commune au tribunal judiciaire, et non plus spéciale à la procédure orale ordinaire, car les TAV peuvent en effet relever de la procédure écrite ordinaire – héritière de la procédure du tribunal de grande instance.

L’article 750-1, alinéa 2, reprenait aussi les cinq cas de dispense de l’article 4 de la loi « JXXI », consolidé, mais développait le troisième.

10. Or, le 22 septembre 2022 [10], le Conseil d’État a annulé l’article 750-1. Il reprochait l’imprécision du motif légitime justifiant une dispense de préalable amiable obligatoire tenant au délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux de l’affaire pour obtenir un premier rendez-vous avec un conciliateur de justice. L’annulation jouait sans rétroactivité, « sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision », c’est-à-dire sous réserve des instances en cours. Les effets du texte jusqu’au jour de sa décision n’étaient pas remis en cause [11], mais les demandes en cours, qui n’auraient pas été précédées d’une tentative de résolution amiable, ne pouvaient plus être déclarées irrecevables (et les actes introductifs ne mentionnant pas la tentative ne pouvaient plus être annulés pour vice de forme [12]).

11. Le préalable obligatoire a donc disparu pour les demandes introduites depuis le 22 septembre 2022, mais il était certain que la Chancellerie allait réécrire le texte. Alors que celle-ci aurait pu être englobée dans une réforme plus ambitieuse des MARD [13], elle n’est qu’un simple « petit pas » – selon la politique actuelle en matière de procédure civile –, en ce sens qu’elle est à peu près le seul objet du décret n° 2023-357, du 11 mai 2023 N° Lexbase : L6288MHD : ce texte rétablit l’article 750-1 en tenant compte des motifs de l’annulation [14].

II. Nouveau cycle de vie du phénix « 750-1 »

12. L’article 750-1 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6401MHK est réécrit, il imposera de nouveau de chercher à s’entendre avant de saisir le tribunal judiciaire, dans certains cas, à compter du 1er octobre 2023. Si le phénix qui renaîtra de ses cendres à cette date a fait peau neuve (A), il demeure la même « créature », le même article 750-1, qui avait suscité des questions – qui n’ont pas toutes trouvé une réponse (B).

A. « Peau neuve »

13. La comparaison des deux versions, celle de 2019 consolidée en 2022, et celle de 2023, débouche sur le constat qu’elles sont très proches.

Une nouveauté, assez théorique, provient de l’invocation expresse de la loi « JXXI », en ouverture de l’article 750-1 dans sa version de 2023. S’agit-il d’un « bouclier », afin de rappeler que la loi a été déclarée constitutionnelle [15] et que, tenter de mettre le phénix à mort une nouvelle fois, ne l’empêchera pas de renaître puisque la loi le protège. En réalité, il nous semble que la nouvelle formulation ne fait que montrer davantage la redontance des dispositions de la loi et du décret, redondance qui interroge quant à la répartition entre ces deux normes [16]… même si la codification de la règle a le mérite de la rendre plus accessible ; la mention de la loi « JXXI » attire peut-être aussi davantage l’attention sur le fait que celle-ci est paralysée lorsque son décret d’application est invalidé, ainsi qu’il en est depuis le 22 septembre 2022 et qu’il en sera jusqu’au 1er octobre 2023.

14. La différence pratique résulte dans l’abandon d’un délai imprécis au profit d’un délai chiffré, une nouvelle fois en conséquence de la décision d’annulation du 22 septembre dernier. Le phénix doit quitter un de ses vieux oripeaux pour renaitre : la dispense de tentative préalable de MARD sera justifiée en cas d’« indisponibilité de conciliateurs de justice entraînant l'organisation de la première réunion de conciliation dans un délai supérieur à trois mois à compter de la saisine d'un conciliateur », étant en outre précisé que « le demandeur justifie par tout moyen de la saisine et de ses suites ».

Il a été relevé [17] que « ce délai est suffisamment long pour permettre aux conciliateurs eux-mêmes contraints par des jours voire des demi-journées de permanence hebdomadaire de s’organiser et de recevoir le plus grand nombre possible de justiciables. Mais il n’est pas trop long, pour ne pas trop retarder l’éventuelle procédure contentieuse en cas d’indisponibilité. Il ne saurait ainsi constituer un obstacle substantiel à l’accès au juge, encore qu’il ne délimite que le temps de la mise en œuvre de la conciliation, pas la durée de celle-ci ». C’est aussi un délai « connu des modes de résolution amiable des différends », puisqu’« il fixe généralement, la durée maximale de la tentative de résolution. Ainsi, la durée maximale de la mission du conciliateur de justice dans une conciliation déléguée est de trois mois, renouvelable une fois pour une même durée (CPC, art. 129-1 N° Lexbase : L1447I84). Il en est de même de la durée du médiateur dans le cadre d’une médiation de justice (CPC, art. 131-3 N° Lexbase : L5934MBE) ».

15. Délai précis, pas trop long et connu ? Il n’est pas certain que cette fixation consiste en un progrès pour le justiciable. Il nous semble au contraire que « c’est assez regrettable car cela laissait une certaine souplesse aux magistrats qui pouvaient tenir compte de la situation des parties et de la nature de l’affaire » [18], sans parler du fait qu’un délai de trois mois avant de pouvoir saisir un juge est, en réalité, très long surtout pour qui se heurte à un adversaire qui « joue la montre » et qui souvent déjà attendu.

Il faudra prouver la saisine du conciliateur et ses suites. Certes, cette preuve peut être rapportée par tout moyen, mais cela n’est pas forcément simple [19] : faudra-t-il penser à enregistrer un appel téléphonique au conciliateur, par exemple, pour attester qu’il a accepté de s’occuper du cas du justiciable… mais que la première réunion n’est organisée que plus de trois mois après cet appel ? Quid si ledit justiciable ne sait pas enregistrer ou n’y pense pas. Et d’ailleurs quelle validité pour un enregistrement qui serait occulte? Un échange de courriels serait sans doute plus sûr, permettant plus facilement de garder une trace de la « saisine ».

Que « désigne concrètement “l’organisation de la première réunion de conciliation” » [20] ? Une réunion d’information des parties qui ne serait pas suivie d’autres démarches faute de volonté des parties est-elle suffisante ? Il faut l’espérer.

Qu’est-ce que la « saisine » du conciliateur ? Est-ce le moment où il accepte la mission ? Le conciliateur est un bénévole, il n’est pas obligé d’accepter. Il est dès lors envisageable qu’un justiciable se heurte à plusieurs refus.

Plutôt que d’ériger « les suites de la saisine » en événement, c’est « l’absence de suites » qui devrait être prise en compte : l’impossibilité – ou la difficulté (pendant trois longs mois) – d’obtenir une conciliation devrait permettre d’être dispensé de ce préalable obligatoire [21] : il est vrai qu’il faudrait alors prouver l’existence de démarches infructueuses pour approcher un conciliateur.

Il n’est pas sûr que cet aspect de la nouvelle rédaction du « phénix » ne le conduise pas vers une nouvelle mort – une nouvelle annulation – qui pourrait être suivie d’une deuxième renaissance…

16. Le remplacement de l’impératif « doit être précéd[é] » par l’indicatif « est précéd[é] » ne change rien au caractère obligatoire de la tentative de MARD préalable (sauf dispense).

17. Pour le reste, c’est le même phénix qui renait, ce qui est assez surprenant au regard des difficultés suscitées par l’« oiseau », dans son premier cycle de vie… En outre, comme hier [22], l’assignation délivrée doit mentionner les diligences entreprises en vue d’une résolution amiable du litige, qui ont été vaines, ou la justification de la dispense ; à défaut, l’acte de procédure serait nul (nullité de forme) pour non-respect de l’article 54, 5° du Code de procédure civile N° Lexbase : L8645LYT.

B. Même « créature »

18. L’article 750-1 N° Lexbase : L5912MBL, ancienne(s) version(s), avait suscité des interrogations, dont certaines avaient donné lieu à des arrêts ; les leçons ainsi données par la jurisprudence sur le texte ancien (voire sur l’article 4 de la loi « JXXI ») ne doivent donc pas être oubliées. Des questions demeurent en suspens…

19. Pas plus que précédemment, l’article 750-1 ne précise comment calculer le « taux de conciliation », qu’il fixe à 5 000 euros. Il a déjà été constaté que l’article 750-1 ne renvoie pas expressément au droit commun de l’évaluation de la demande, prévue au titre de la compétence d’attribution et du taux de ressort (CPC, art. 35 et s. N° Lexbase : L1182H4K), à la différence des articles 761 N° Lexbase : L8600LY8 et 853 N° Lexbase : L5414L8Z, qui prévoient désormais un « taux de procédure » : ce taux permet de savoir si la représentation est obligatoire par avocat devant le tribunal judiciaire et le tribunal de commerce, et si la procédure est écrite ou orale devant le tribunal judiciaire [23].

Des cours d’appel ont cependant appliqué les règles des articles 35 et suivants, par exemple en additionnant le demandes connexes [24] ; ce qui est de bon sens. En outre, il n’est pas discuté que les sommes réclamées au titre de l’article 700 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5913MBM ne doivent pas être prises en compte en raison de leur nature [25] ; pas plus que les dépens, dont ni le montant ni la partie qui en aura la charge ne sont définis lors de la demande, doivent logiquement être exclus du calcul. Il est sans doute permis de voir une confirmation de cette jurisprudence dans la reprise de la rédaction du « phénix ».

20. Par ailleurs, les cas de dispense [26] sont reconduits à l’identique sous la réserve du délai du 3°. Or au-delà de la question du motif légitime réécrit en 2023, le 3° a posé et continue de poser des difficultés.

Rappelons que ce 3° dispose : « Si l’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime tenant soit à l’urgence manifeste, soit aux circonstances de l’espèce rendant impossible une telle tentative ou nécessitant qu’une décision soit rendue non contradictoirement, soit à l’indisponibilité de conciliateurs de justice entraînant l’organisation de la première réunion de conciliation dans un délai supérieur à trois mois à compter de la saisine d’un conciliateur ; le demandeur justifie par tout moyen de la saisine et de ses suites ».

Des réponses ont été apportées, au moins par analogique, dont on peut aussi penser qu’elles n’ont pas été condamnées à défaut d’avoir été consacrées en 2023.

21. Comment apprécier le motif légitime tenant aux « circonstances de l’espèce rendant impossible une telle tentative [de résolution amiable] » ? La généralité de la formule laisse, autant en 2023 qu’auparavant, aux juges du fond une large marge d’appréciation. Il a ainsi pu être jugé que « la situation financière que traverse le requérant depuis le non-paiement des loyers par la société preneuse constitue un motif légitime au sens de l’article 750-1 du Code de procédure civile » [27].

22. Il nous semble aussi que la formule englobe le cas de dispense prévu au 2° en 2016, et qui n’est plus mentionné en l’état ni dans la loi « JXXI » consolidée ni dans l’article 750-1 – ancien et rétabli : dès lors, l’existence de « pourparlers » antérieurs et vains – pas forcément formalisés par une conciliation, une médiation ou une convention de procédure participative – serait bien un tel motif de dispense. Un jugement du tribunal judiciaire d’Amiens du 24 juillet 2020 [28] a pu aller en ce sens : à la suite d’une mise en demeure d’avocat, l’adversaire s’est opposée de façon catégorique aux demandes. Le tribunal judiciaire en déduit que « compte tenu de cette opposition ferme et sans appel, il est manifeste que la résolution amiable du litige était impossible. Dès lors, [le demandeur] justifie d’un motif légitime pour s’exonérer de la tentative de résolution amiable mentionnée à l’article 750-1 du Code de procédure civile » [29].

Mais une cour d’appel a considéré qu’un courrier de l’huissier de justice « ne constitue pas la tentative de règlement amiable prévue par ce texte, d’une part, parce qu’il ne contient aucune allusion aux diverses possibilités de résolution amiable prévues par la loi mais une mise en demeure peu compatible avec une telle démarche, d’autre part, en raison de son ancienneté puisque l’arriéré de charges réclamé par le syndicat de copropriétaires correspond aux appels de fonds postérieurs » [30]. Une autre a estimé que « de manière erronée […], pour écarter la fin de non-recevoir soulevée par les [défendeurs] tirée de l’absence de recours à l’une des tentatives visées à l’article 750-1 susvisé, ce juge a tout d’abord relevé qu’il résultait des pièces communiquées par les [demandeurs] qu’ils avaient, […], accompli des démarches épistolaires en vue de trouver une solution amiable au litige, alors qu’une telle circonstance n’est pas visée par l’article 750-1 comme pouvant justifier une dispense de l’obligation mentionnée au premier alinéa de ce texte » [31]...

En l’absence d’arrêt de la Cour de cassation sous l’empire du régime de 2019, les justiciables, leurs avocats et les juges devront être prudents…

23. Qu’est-ce que l’« urgence manifeste » ? Un cour d’appel avait jugé que les demandes, devant la juridiction des référés, d’expertises et provisionnelles, au visa des articles 834 N° Lexbase : L8604LYC, 835 N° Lexbase : L8607LYG et 145 N° Lexbase : L1497H49, « n’entrent pas dans les cas énoncés à l’article 750-1 » [32].

En revanche, la Cour de cassation a estimé, le 14 février 2022, que celui qui délivre une assignation en référé n’est pas, par principe, dispensé d’avoir cherché un accord avec le défendeur, préalablement [33]. Dès lors, comme pour une action au fond, ce n’est qu’en cas d’échec de la tentative de MARD ou en cas de dispense de MARD préalable, que le juge peut être saisi ; à défaut, la demande serait irrecevable pour non-respect de l’article 750-1. Dans l’affaire en question, le fondement était l’évidence – il s’agissait d’un référé provision dont la seule condition d’ouverture est l’absence de contestation sérieuse ; cependant, la présence du terme « manifeste » dans l’article 750-1 et la généralité de l’attendu de l’arrêt de 2022 exclut une dispense automatique dans tous les cas de référé. C’est sévère, mais pas étonnant…

24. La question de la preuve s’est aussi posée, à propos de l’article 4 ancien de la loi « JXXI » et la Haute juridiction a fourni des indications à propos du 2° qui nous paraissent transposables au 3° de l’article 750-1 – tant dans la première vie du phénix que dans sa nouvelle existence. Il résulte ainsi de deux arrêts du 15 avril et du 1er juillet 2021 [34] que les juges doivent analyser concrètement les éléments apportés par le demandeur, les examiner pour vérifier si le demandeur justifie de démarches en vue de parvenir à une résolution amiable du litige, sans s’abriter derrière un formalisme non prévu aux textes… Ainsi, par exemple d’un courrier adressé à l’adversaire en vue d’un accord pour mettre un terme au litige (arrêt du 15 avril) ou d’écritures dans lesquelles le demandeur fait valoir diverses tentatives de résolutions amiables et offre de les prouver (arrêt du 1er juillet).

Même si la Cour de cassation devait ne plus admettre que des pourparlers antérieurs vains soient un motif de dispense [35] – ce qui semblerait contraire à l’esprit du texte –, les indications des deux arrêts quant au rôle des juges eu égard à la preuve continueraient d’être utiles, au moins pour la tentative de conciliation [36].

25. Notons, enfin, que la compétence du juge pour connaître de l’article 750-1 s’est posée qui n’a pas changé avec le rétablissement du texte : il a été jugé, par la cour d’appel de Metz, que « l’irrecevabilité des demandes des appelants fondée sur leur prescription et le non-respect des dispositions de l’article 750-1 du Code de procédure civile relatives à la conciliation préalable, aurait pour conséquence, si elle était accueillie, de remettre en cause les dispositions au fond du jugement, de sorte que l’examen de cette fin de non-recevoir ne relève pas de la compétence du conseiller de la mise en état »[37].

26. La renaissance du phénix de ses cendres a été saluée par les partisans de l’amiable, qui déploraient la disparition de la fin de non-recevoir de l’article 750-1. De notre côté, nous sommes beaucoup plus dubitatifs, pour ne pas dire critiques… comme pendant le premier cycle de vie de l’oiseau fabuleux : « l’amiable consenti, l’amiable “amiable” (!) est évidemment une bonne chose, l’amiable imposé ne l’est pas du tout, “d’une part, parce qu’on ne fait pas s’entendre des personnes qui ne le souhaitent pas, d’autre part, parce qu’il est source lui-même de contentieux !”… » [38] En outre, il n’est pas certain que notre phénix ne mourra pas à nouveau si sa nouvelle mouture est à nouveau attaquée devant le Conseil d’État.


[1] V. décret n° 2023-357, art. 4 N° Lexbase : Z38404UT. Les articles 2 N° Lexbase : Z38398UT et 3 N° Lexbase : Z38402UT du décret sont des dispositions de coordination ou de correction.

[2] CE, 22 septembre 2022, n° 437002 N° Lexbase : Z352792I ; M. Barba, Gaz. Pal., 15 novembre 2022, p. 15, obs. N. Reichling ; S. Amrani Mekki, JCP G, 2022, act. 1186.

[3] C. Bléry et J.-P. Teboul, Une nouvelle ère pour la procédure civile (suite et sans doute pas fin). – À propos du décret no 2015-282 du 11 mars 2015, Gaz. Pal., 17-18 avril 2015, p. 7, spéc. n° 6 et s. ; C. Bléry, D. actu., 10 mai 2021.

[4] C. Bléry, D. actu., 12 mai 2022.

[5] V. G. Maugain, D. actu., 20 janvier 2020 et D. actu., 23 mai 2023 ; C. Bléry, D. actu., 10 mai 2021, 15 juillet 2021 et 12 mai 2022 ; V. Egéa, JCP G, 2023, act. 596 – adde C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile, Précis Dalloz, 36e éd., 2022, n° 2241 ; É. Vergès, Étude : La procédure devant le tribunal judiciaire, in Procédure civile, Lexbase, sp. n° 3-1 N° Lexbase : E91567G9.

[6] V. CPC, art. 843 N° Lexbase : L8610LYK, issu du décret n° 2010-1165, du 1er octobre 2010 N° Lexbase : L0992IN3 et abrogé par le décret n° 2019-1333, du 11 décembre 2019 N° Lexbase : L8421LT3.

[7] V. infra, n° 22.

[8] C’est-à-dire aux litiges concernant les crédits à la consommation et aux crédits immobiliers.

[9] F.-X. Berger, D. actu., 3 mars 2022. Cette extension nous semble être « l’aveu flagrant d’un déni de justice assumé », l’auteur de l’amendement ayant estimé, sans suscité d’objection, que « ces contentieux du quotidien, qui empoisonnent la vie de nos concitoyens, peuvent souvent être résolus par la voie de la médiation, sans passer par des procédures longues, lourdes et coûteuses » (v. déjà D. actu., 12 mai 2022).

[10] V. supra, n° 2.

[11] CA Aix-en-Provence, ch. 1-5, 9 mars 2023, n° 22/07041 N° Lexbase : A57989H9.

[12] Par exemple, CA Reims, 1re ch., sect. civ., 15 novembre 2022, n° 22/01225 N° Lexbase : A54598UQ.

[13] Le garde des Sceaux a annoncé une recodification des MARD, une audience de règlement amiable (ARA) devrait être créée dans un article 750-2 du Code de procédure civile et une « césure » du procès civil, au stade de la mise en état devrait aussi voir le jour.

[14] V. la nouvelle version supra, n° 1.

[15] G. Maugain, D. actu., 23 mai 2023.

[16] C. Bléry, D. actu., 12 mai 2022 ; dans le même sens, S. Amrani-Mekki, JCP G, 2022, étude 436, sp. n° 10.

[17] G. Maugain, D. actu., 17 mai 2023.

[18] S. Amrani-Mekki, JCP G, 2022, act. 1186.

[19] Sur les difficultés de preuve déjà induites par l’ancien article 750-1, v. infra.

[20] G. Maugain, D. actu., 23 mai 2023.

[21] G. Maugain, D. actu., 23 mai 2023.

[22] V. supra.

[23] C. Bléry, D. actu., 12 mai 2022 ; v. le sujet du CRFPA 2021 ! – Adde C. Bahurel, N. Kilgus, R. Laher et T. de Ravel d’Esclapon, Épreuves écrites – Spécialité Droit civil, Dalloz, 2022, Spécial CRFPA 2022, sp. p. 370. – Sur les taux de procédure ou de conciliation, notions non inscrites dans les textes, v. C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile, Précis Dalloz, 36e éd., 2022, n° 1504 et 1505.

[24] CA Toulouse, 1re ch., 15 novembre 2021, n° 21/00102 N° Lexbase : A89297BC. De même, l’article 750-1 n’a pas vocation à s’appliquer lorsque la demande est indéterminée, par analogie avec l’article 40 N° Lexbase : L1192H4W (CA Fort-de-France, ch. civ., 19 juillet 2022, n° 22/00053 N° Lexbase : A52788E9 ; CA Basse-Terre, 2e ch. civ., 4 avril 2022, n° 21/01058 N° Lexbase : A15707SX).

[25] Cass. civ. 3, 6 janvier 1981, n° 79-10.651, publié au bulletin N° Lexbase : A8495AH4 ou Cass. civ. 2, 20 novembre 1991, n° 90-15.838, publié au bulletin N° Lexbase : A5369AHC.

[26] Sur ces cas, qui laissent parfois « perplexes », v. nos notes précitées.

[27] TJ Nanterre, 8e, 24 janvier 2022, n° 20/08660 N° Lexbase : A28377SU.

[28] TJ Amiens, 24 juillet 2020, n° 11-20-000327.

[29] D. actu., 12 mai 2022, C. Bléry. Dans le même sens É. Vergès, Panorama 2021 des arrêts de la Cour de cassation en procédure civile (1re partie), Lexbase Droit privé, janvier 2022, n° 891 N° Lexbase : N0103BZT.

[30] CA Rennes, 4e ch., 27 octobre 2022, n° 22/02355 N° Lexbase : A81958RX.

[31] CA Douai, ch. 1, sect. 1, 24 février 2022, n° 21/01821 N° Lexbase : A96597N3.

[32] CA Riom, 17 mars 2021, n° 20/01181 N° Lexbase : A39734LQ.

[33] Cass. civ. 2, 14 avril 2022, n° 20-22.886, F-B N° Lexbase : A44707TQ.

[34] Cass. civ. 2, 15 avril 2021, n° 20-14.106, F-P N° Lexbase : A80914PD ; Cass. civ. 2, 1er juillet 2021, n° 20-12.303, F-B N° Lexbase : A21064YN. Sur les deux, É. Vergès, Panorama 2021 des arrêts de la Cour de cassation en procédure civile (1re partie), Lexbase Droit privé, janvier 2022, n° 891 N° Lexbase : N0103BZT.

[35] V. supra, n° 22.

[36] V. supra, n° 22.

[37] CA Metz, 3e ch., 23 juin 2022, n° 21/00948 N° Lexbase : A623678H.

[38] D. actu., 12 mai 2022.

newsid:485723

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.