Le Quotidien du 25 août 2023 : Syndicats

[Le point sur...] L’émergence des écosyndicats au sein des entreprises : écologistes oui, mais syndicats avant tout !

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par Frédéric-Guillaume Laprévote, Avocat associé, cabinet Flichy Grangé Avocats et Sarah Amoussou, Juriste en droit social

le 24 Août 2023

Mots clés : écosyndicat • syndicat • écologie • élections professionnelles • représentativité syndicale • action syndicale • dialogue social • transition écologique

Les écosyndicats sont des organisations syndicales d’un genre nouveau dont la volonté est de mettre l’urgence climatique au centre du dialogue social. Si la question écologique est importante dans tous les aspects de notre société actuelle, il convient de veiller à ce que l’écosyndicalisme s’organise dans le respect du Code du travail qui définit strictement l’objet des organisations syndicales. À l’heure du renouvellement de nombreux CSE, l’enjeu pour les organisations syndicales étant celui de la représentativité, certains bons réflexes sont à adopter afin de s’assurer du respect des critères cumulativement énumérés par le Code du travail. 


Après le pouvoir d’achat, l’écologie serait la deuxième préoccupation des Françaises et des Français [1]. Des affaires médiatiques, telles que « l’Affaire du siècle » soutenue par plus de 2,3 millions de personnes et qui a conduit à la condamnation inédite de l’État pour son inaction climatique en octobre 2021 [2], témoignent de l’importance de la question écologique dans notre société actuelle.

Historiquement, les questions environnementales étaient le plus souvent abordées sous le prisme de la santé et la sécurité des salariés [3]. Peut être évoqué à ce titre le rôle que jouait déjà le CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail), instance représentative du personnel dont les attributions ont depuis été transférées au CSE (comité social et économique). Ainsi, depuis 2013, les représentants du personnel, disposent d’un droit d’alerte en cas de risque grave pour la santé publique et l’environnement [4].

Ces dernières années, l’éveil écologique de la population n’a pas laissé le milieu syndical à la marge. De ce fait, les syndicats « classiques » se sont saisi des enjeux liés à la transition écologique. Entre formation des salariés sur les questions environnementales, création d’un outil de diagnostic de politiques des entreprises, partenariat avec les associations écologiques, les partenaires sociaux étaient déjà à l’œuvre. En effet, des lois successives ont progressivement inscrit la question environnementale dans l’entreprise et les missions des élus[ 5]. Notons également que ces derniers avaient commencé à se saisir de la question environnementale à travers la RSE comme levier d’amélioration des conditions de travail. Le projet d’accord national interprofessionnel relatif à la transition écologique qui vient d’être soumis à la signature des organisations syndicales démontre encore un peu plus l’importance du sujet dans les relations de travail [6].

Toutefois, certains militants écologistes, estimant ces efforts insuffisants, ont souhaité créer de véritables syndicats écologiques ou « écosyndicats ». L’écosyndicalisme consiste à placer la transition écologique au centre de l’action collective pour la défense des intérêts physiques et moraux des salariés. Ainsi, les écosyndicats se veulent des organisations syndicales d’un type nouveau, en mettant l’urgence climatique au centre du dialogue social. Pour cela, ces « néosyndicats » souhaitent investir les prochaines élections professionnelles des membres du CSE.

Aussi noble que soit la cause, se pose la question de la licéité de leurs objets, dans lesquels la défense des intérêts des salariés peut paraître marginale. 

I. Les écosyndicats : des syndicats comme les autres en droit du travail

Le Code du travail définit les syndicats professionnels comme des groupements de personnes exerçant la même profession. Ils ont exclusivement pour objet l’étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels, des personnes visées par leurs statuts (C. trav., art. L. 2131-1 N° Lexbase : L3761IBW).

Un syndicat n’est pas une association et encore moins un parti politique. Si l’activité syndicale a bien entendu une connotation politique, elle ne peut se limiter à cette dernière. En effet, cela rendrait son objet illicite (Cass. mixte, 10 avril 1998, n° 97-17.870, publié N° Lexbase : A1381AC7).  

La première difficulté soulevée par les écosyndicats est donc liée à la prééminence de la cause environnementale sur la défense des intérêts des salariés. En effet, ces syndicats semblent poursuivre un objectif essentiellement politique lié à la transition écologique et ne poursuivre que marginalement la défense exclusive des intérêts des salariés visés dans leurs statuts, conformément à ce que commande la loi. 

La deuxième difficulté est relative au champ professionnel des écosyndicats. La défense des intérêts environnementaux qui s’assimile à une lutte d’intérêt général se manifeste notamment par une volonté de représenter le plus grand nombre de salariés, aux professions pourtant diverses.

Or, l’article L. 2131-2 du Code du travail N° Lexbase : L2110H9Z dispose que : « Les syndicats ou associations professionnels de personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou des métiers connexes concourant à l’établissement de produits déterminés ou la même profession libérale peuvent se constituer librement. […] ». Il résulte de cette définition qu’un syndicat ne peut, en principe, être constitué par des personnes exerçant des activités très différentes.

La jurisprudence a eu l’occasion de sanctionner une organisation syndicale dont les statuts ne respectaient pas ces dispositions au motif qu’ils déclaraient défendre « tout salarié, quel que soit le type de son travail ou sa branche d’activité » en la requalifiant en association (Cass. soc., 8 octobre 1996, n° 95-40.521, publié N° Lexbase : A0811ACZ). 

Récemment, la Cour de cassation a encore rappelé que « si les unions de syndicats peuvent être intercatégorielles, les syndicats professionnels primaires doivent respecter dans leurs statuts les prescriptions de l’article L. 2131-2 et ne peuvent dès lors prétendre représenter tous les salariés et tous les secteurs d’activité » (Cass. soc., 21 octobre 2020, n° 20-18.669, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A31953YY).

Les salariés visés par les statuts doivent donc avoir des activités similaires ou connexes, à défaut, ces organisations risquent d’être requalifiées en associations.

II. L’enjeu de la représentativité pour les écosyndicats : la participation à la négociation collective et l’accès à de plus amples moyens d’action

C’est justement en raison de leur mission de défense de droits et intérêts des personnes visées par leurs statuts que les syndicats disposent de certaines prérogatives, notamment en raison de leur représentativité. Ainsi, les syndicats représentatifs sont habilités à désigner des délégués syndicaux, négocier et conclure des accords collectifs. Ils disposent par ailleurs d’un monopole s’agissant de la présentation des candidatures au premier tour des élections professionnelles.

Compte tenu de la mise en place de très nombreux premiers CSE en 2019, de nombreuses entreprises organiseront les premières élections professionnelles relatives au renouvellement de leurs instances en 2023-2024 [7]. Ces élections professionnelles pourraient être l’occasion pour des écosyndicats de tenter de s’implanter dans des entreprises en créant des sections syndicales, en désignant des représentants de section syndicale et en participant aux élections.

Pour rappel, la loi énonce sept critères de représentativité cumulatifs (C. trav., art. L. 2121-1 N° Lexbase : L3727IBN) :

  • le respect des valeurs républicaines ;
  • l’indépendance ;
  • la transparence financière ;
  • une ancienneté minimale de deux ans dans le champ professionnel et géographique de l’entreprise. Cette ancienneté s’apprécie à compter de la date de dépôt légal des statuts ;
  • l'audience de 10 % au niveau de l’entreprise ;
  • l'influence, prioritairement caractérisée par l’activité et l’expérience ;
  • les effectifs d’adhérents et les cotisations.

L’émergence des écosyndicats étant relativement récente, la question de l’ancienneté est importante. La loi dispose que le syndicat doit avoir « une ancienneté minimale de 2 ans dans le champ professionnel et géographique couvrant le niveau de négociation. Cette ancienneté s’apprécie à compter de la date de dépôt légal des statuts ».

L’autre question qui peut se poser est celle du champ professionnel et géographique du syndicat. En effet, un syndicat ne peut exercer ses prérogatives que dans l’entreprise ou le secteur d’activité dans lequel, il est implanté. Le syndicat doit donc couvrir les champs professionnel et géographique de ce dernier. Ainsi, un syndicat ne peut prétendre à la désignation d’un délégué syndical ou d’un représentant de section syndicale dans une entreprise ne rentrant pas dans son champ professionnel et géographique. 

Par ailleurs, un syndicat qui n’est pas représentatif, notamment en raison de son score électoral aux dernières élections professionnelles, peut toujours créer une section syndicale s’il possède au moins deux adhérents dans l’entreprise [8] et désigner un représentant de section syndicale.

Il est utile de rappeler que c’est bien au syndicat à l’origine de la création de la section syndicale de démontrer la présence de plusieurs adhérents dans l’entreprise. Toutefois, afin de préserver les salariés contre les représailles, le syndicat ne peut produire ou être contraint de produire une liste nominative de ses adhérents. Il « doit apporter les éléments de preuve utiles à établir la présence d’au moins deux adhérents dans l’entreprise, dans le respect du contradictoire, à l’exclusion des éléments susceptibles de permettre l’identification des adhérents du syndicat, dont seul le juge peut prendre connaissance » [9].

Les bons réflexes

Afin de s’assurer de la licéité des actions d’un écosyndicat dans une entreprise, à commencer par la désignation d’un représentant de section syndicale, il convient de vérifier différents points :

  • se procurer les statuts du syndicat. Il est parfois possible de retrouver ces derniers directement sur le site internet des syndicats, à défaut directement à la mairie de la localité où le syndicat est établi ;
  • vérifier la licéité de l’objet du syndicat conformément au préambule et à l’article correspondant. L’objet doit correspondre à la défense des salariés ;
  • vérifier l’ancienneté du syndicat, qui doit être constitué depuis au moins deux ans à compter de la date de dépôt des statuts en mairie ;
  • vérifier que le champ professionnel et géographique du syndicat couvre celui de l’entreprise, encore une fois conformément aux dispositions statutaires. Un syndicat couvrant le champ professionnel de l’audiovisuel, ne peut valablement se prévaloir d’une implantation dans une entreprise du BTP par exemple ;
  • en cas de recours contentieux, demander à l’organisation syndicale de démontrer qu’elle dispose d’au moins deux adhérents en communiquant au tribunal des éléments tels que les bulletins d’adhésion complétés par les adhérents, les récépissés de paiement des cotisations syndicales ou encore les cartes professionnelles de ses adhérents.

C’est à ces conditions seulement qu’il sera possible d’allier valablement la défense des salariés et de l’environnement, en veillant à ne pas dénaturer l’action syndicale.


[1] Selon la dixième vague du baromètre « Fractures françaises », réalisée par Ipsos-Sopra, publiée en octobre 2022 [en ligne].

[2] L’Affaire du siècle : l’État devra réparer le préjudice écologique dont il est responsable, actualités du tribunal administratif de Paris, 14 octobre 2021 [en ligne].

[3] Syndicalisme et écologie : en pratique, CAIRN, 2014 [en ligne].

[4] C. trav., art. L. 4133-2 N° Lexbase : L0928MCD, créé par la loi n° 2013-316, 16 avril 2013 N° Lexbase : L6336IWL.

[5] La loi « NRE » N° Lexbase : L8295ASZ qui obligeait de grandes entreprises françaises cotées à faire état des conséquences sociales et environnementales de leurs activités et de les inscrire dans leur rapport annuel de gestion ; la loi « Pacte » N° Lexbase : L3415LQK selon laquelle, toute société doit être « gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité » (v. C. civ., art. 1833 N° Lexbase : L8681LQL) ; la loi « LOM » N° Lexbase : L1861LUH par laquelle, les partenaires sociaux pouvaient négocier un forfait mobilité durable avec l’employeur et la loi "Climat et Résilience" N° Lexbase : L6065L7R, qui prévoit notamment l’information-consultation du CSE en ce qui concerne l’impact environnemental des mesures envisagées par l’employeur.

[6] ANI relatif à la transition écologique et au dialogue social, ouvert à la signature jusqu’au 24 avril [en ligne].

[7] Pour rappel, sauf, dispositions conventionnelles contraires, les membres du CSE sont élus pour quatre ans (C. trav., art. L. 2314-33 N° Lexbase : L1427LK3).

[8] C. trav., art. L. 2142-1 N° Lexbase : L3761IBW.

[9] Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.011, FS-P+B+R+I {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 2829558, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "Cass. soc., 08-07-2009, n\u00b0 09-60.011, FS-P+B+R+I, Cassation partielle", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A7069EIN"}}.

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