Le Quotidien du 17 août 2023 : Filiation

[Jurisprudence] L’adoption de l’enfant né d’une assistance à la procréation par son parent d’intention

Réf. : Cass. civ. 1, 11 mai 2023, n° 21-17.737, FS-B N° Lexbase : A39569TP

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N5724BZZ

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[Jurisprudence] L’adoption de l’enfant né d’une assistance à la procréation par son parent d’intention. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/98366072-0
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par Adeline Gouttenoire, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux et Directrice du CERFAP, Directrice scientifique des Ouvrages Lexbase de droit de la famille

le 28 Juillet 2023

Mots-clés : adoption • enfant né d’une assistance à la procréation (PMA) • enfant du conjoint • parent d'intention • projet parental • intérêt de l'enfant

Il résulte des articles 345-1, 1°, 348-1 et 348-3 du Code civil, applicables à l'espèce que l'adoption plénière de l'enfant du conjoint, permise lorsque l'enfant n'a de filiation établie qu'à l'égard de ce conjoint, requiert le consentement de celui-ci, lequel peut être rétracté pendant deux mois. Sous cette réserve, le consentement donné, qui ne se rattache pas à une instance particulière, n'est pas limité dans le temps.


 

L’arrêt du 11 mai 2023 illustre, s’il en était besoin, combien il était nécessaire que le législateur intervienne pour admettre l’établissement de la filiation d’un enfant né d’une assistance à la procréation dans un couple de femmes. En effet, jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi n° 2021-1017, du 2 août 2021, relative à la bioéthique N° Lexbase : L4001L7C, seule l’adoption par la mère d’intention permettait à l’enfant d’être rattaché juridiquement à sa mère d’intention. Cette adoption ne suscitait plus de difficulté depuis qu’elle a été admise par la Cour de cassation dans un avis du 22 septembre 2014, même si l’AMP avait été pratiquée à l’étranger [1]. Encore fallait-il que les conditions de l’adoption du conjoint soient réunies, ce qui n’était pas le cas lorsque le couple s’était séparé avant l’adoption.

La question se révèle encore plus complexe lorsque la séparation intervient, comme c’était le cas en l’espèce, alors que la procédure d’adoption est en cours. En effet, une première procédure d’adoption avait été initiée par la mère d’intention en octobre 2016 après que la mère biologique eut donné son consentement en février de la même année. En janvier 2017, la mère d’intention renonçait à l’adoption en raison de la procédure de divorce en cours et de l’intérêt supérieur de l’enfant, la mère biologique [2] ayant informé le parquet en octobre 2016 de son souhait que son fils ne soit pas adopté par son ex-femme. Alors qu’un droit de visite et d’hébergement lui a été refusé par le juge aux affaires familiales, la mère d’intention a formulé une nouvelle demande d’adoption plénière [3] qui a été prononcée par le tribunal de grande instance de Bordeaux le 13 juin 2019 et confirmée par la cour d’appel de Bordeaux le 6 avril 2021. La mère biologique s’est pourvue en cassation contre cet arrêt en invoquant trois arguments : l’absence de validité, du consentement donné par la mère biologique, l’absence de qualité de conjoint au moment du prononcé de la décision d’adoption, et enfin l’absence de respect du principe de primauté de l’intérêt de l’enfant.

Ce dernier point n’a pas été examiné par la Cour de cassation qui considère qu’en application de l’article 1014, alinéa 2, du Code de procédure civile N° Lexbase : L5917MBR, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation. Il aurait été sans doute été préférable de déclarer, comme la Cour l’a fait dans des arrêts antérieurs, que le moyen fondé sur l’intérêt supérieur de l’enfant ne tendait qu’à remettre en cause le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond et répondre ainsi au moyen du pourvoi qui prétendait que la cour d’appel s’était prononcée uniquement au regard de l’intérêt de la requérante sans rechercher quel était l’intérêt de l’enfant. Mais la Cour de cassation semble considérer qu’elle a déjà répondu à cette question et qu’il n’est pas nécessaire d’y revenir.

L’arrêt répond donc aux deux premières branches du moyen concernant d’une part le consentement de la mère biologique (I) et d’autre part la qualité de conjoint (II).

I. La validité du consentement de la mère de l’enfant

Projet parental commun. Si la séparation intervient avant la procédure d’adoption et que la mère biologique de l’enfant ne consent pas à celle-ci, l’adoption devient impossible. La loi relative à la bioéthique a partiellement remédié à ce problème en permettant, pendant trois ans, une reconnaissance anticipée pour les AMP réalisées à l’étranger avant l’entrée en vigueur de la loi et en prévoyant une sorte d’adoption forcée lorsque la mère biologique refuse cette reconnaissance conjointe [4]. L’idée est que le projet parental commun de départ implique un engagement de la mère biologique à admettre la filiation de l’enfant à l’égard de la mère d’intention. Le tribunal prononce l’adoption s’il estime que le refus de la reconnaissante conjointe est contraire à l’intérêt de l’enfant et si la protection de ce dernier l’exige (loi n° 2021-1017, du 2 août 2021 N° Lexbase : L4001L7C, art. 9 bis).

Adoption forcée. Cette adoption forcée a également été admise par la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 3 novembre 2021 [5], a validé l’adoption plénière de deux jumelles conçues par assistance médicale à la procréation, après la séparation du couple et alors que la femme qui en avait accouché y était opposée.  La Cour de cassation se fonde sur le fait que la naissance des enfants résultait d'un projet de couple, auquel l’adoptante avait participé tant lors de la grossesse de sa compagne qu'après la naissance des enfants sur sa tentative de maintenir les liens avec celles-ci malgré la séparation. La cour d’appel avait estimé que l'intérêt de l'enfant était de connaître ses origines et sa filiation et non de faire disparaître l’ex-femme de leur mère de l'histoire familiale des petites filles. Ainsi elle pouvait souverainement en déduire que l'adoption plénière des enfants par celle-ci était conforme à leur intérêt. Ce faisant, la loi comme la Cour de cassation consacre une présomption implicite selon laquelle l’établissement d’une filiation adoptive d’un enfant né d’une AMP par la femme qui a participé au processus de leur conception est conforme à son intérêt, et ce malgré l’opposition de sa mère biologique.

Aide non médicale à la procréation. Dans l’arrêt commenté, l’adoption sans consentement de la mère biologique prévue par la loi dite « bioéthique » (loi n° 2021-1017, du 2 août 2021 N° Lexbase : L4001L7C) ne s’appliquait pas car l’AMP, avait eu lieu en France et de manière non officielle. Mais la mère biologique avait donné son consentement à l’adoption de l’enfant par la mère d’intention et ne s’était rétractée que neuf mois plus tard. Il s’agissait de savoir si cette rétractation après le délai de deux mois prévu par l’article 348-3, alinéa 2, du Code civil N° Lexbase : L5152MEK peut empêcher le prononcé ultérieur de l’adoption dans une autre procédure. La Cour de cassation, comme les juges du fond (tribunal judiciaire et cour d’appel) répondent de manière négative. En effet, la Cour de cassation affirme que « après avoir constaté que le consentement de [la mère biologique], reçu par acte notarié dans les formes requises, n’avait pas été rétracté dans le délai de deux mois, la cour avait justement retenu que celui-ci ne comportait aucune limite dans le temps ni ne se rattachait à une instance particulière ». Autrement dit, la séparation du couple ne doit pas permettre à la mère biologique d’exclure son ex-femme de la vie de l’enfant. La cour d’appel précise que l’adoption de l’enfant du conjoint ne relève pas du régime de droit commun de l’adoption plénière qui comporte un placement de l’enfant en vue de son adoption. Plus particulièrement, l’article 348-2 du Code civil N° Lexbase : L5146MEC qui permet une rétraction du consentement des parents au-delà du délai de deux mois, jusqu’au placement en vue de l’adoption, ne saurait s’appliquer à l’adoption de l’enfant du conjoint.

Anticipation. Dans cet arrêt, la Cour de cassation anticipe et élargit le domaine la reconnaissance de la filiation fondée sur un projet parental. Elle impose clairement à la mère biologique le respect de son engagement que traduit son consentement à l’adoption de l’enfant de son ex-conjointe, en soumettant celui-ci au droit commun de l’adoption. Cette validité du consentement de l’adoption n’est pas non plus remise en cause par le fait que l’adoptante s’était désistée de sa première demande d’adoption, en appel du jugement qui prononçait celle-ci. Elle explique ce retrait par la volonté d’apaiser le conflit, et par la promesse qui lui avait été faite de pouvoir entretenir des relations avec l’enfant. Mais le refus du juge aux affaires familiales de lui accorder un droit de visite et d’hébergement l’a sans doute incitée à solliciter à nouveau le prononcé de l’adoption plénière de l’enfant en mars 2018. La Cour de cassation fait ainsi produire au consentement à l’adoption un effet illimité dans le temps, lorsqu’il s’inscrit dans un projet, constaté par la cour d’appel, de vie familiale réfléchi et concerté qui passait par un mariage en vue d’une adoption de l’enfant par la mère qui n’a pas porté l’enfant. Elle affirme en outre très clairement que le consentement à l’adoption donné dans la perspective d’une procédure d’adoption qui n’a pas abouti, n’a pas besoin d’être renouvelé pour une procédure ultérieure ayant le même objet et concernant le même adoptant. Cette solution donne au consentement à l’adoption une grande portée sur laquelle les notaires doivent attirer l’attention des mères biologiques. Il en sera de même pour la nouvelle reconnaissance anticipée qui permettra à la mère qui ne porte pas l’enfant de voir sa filiation à l’égard de l’enfant établie, sans que la mère biologique puisse s’y opposer. Ce nouveau dispositif a sans doute influé sur le raisonnement de la Cour de cassation qui n’a pas voulu « laisser de côté » les mères d’intention qui ne remplissaient pas les conditions pour accéder au nouveau dispositif de reconnaissance conjointe.

Intérêt de l’enfant. La cour d’appel affirme qu’« en considération de l’intérêt de l’enfant dont il est démontré que la conception a procédé d’un choix de couple et dont la filiation ne saurait dépendre des changements de partenaires, il convient de confirmer le jugement ayant prononcé son adoption [par la mère d’intention] ». Selon les juges du fond l’enfant doit pouvoir se construire par référence à son histoire. Or les conditions de sa conception et le fait qu’il ait été le fruit d’un projet commun des deux femmes participe de cet intérêt. Il apparaît donc que la cour d’appel a estimé que l’adoption était conforme à l’intérêt de l’enfant tel qu’elle l’a souverainement apprécié.

II. La qualité de conjoint

Conditions. L’adoption plénière de l’enfant du conjoint est soumise à un régime moins strict que l’adoption par un tiers, mais elle doit, en contrepartie, satisfaire des conditions spécifiques telle que l’absence de filiation à l’égard de l’autre conjoint (C. civ., art. 345-1 N° Lexbase : L5150MEH). Son régime spécifique se manifeste également en ce qui concerne ses effets, et notamment le maintien de l’exercice de l’autorité parentale par le parent biologique.

Couple. Compte tenu de la spécificité de l’adoption du conjoint, il est doit être établi que le candidat à l’adoption est toujours le conjoint du parent de l’enfant. La loi n° 2022-219, du 21 février 2022, visant à réformer l'adoption N° Lexbase : L4154MBH a élargi l’accès à l’adoption de l’enfant d’un membre du couple par l’autre, au pacsé et concubin de l’autre parent. Le nouveau dispositif n’était pas applicable à l’espèce, non seulement car la cour d’appel de Bordeaux a rendu son arrêt le 6 avril 2021, mais également parce qu’au moment de la seconde requête en adoption le couple était déjà séparé. La loi élargit l’accès de l’adoption à tous les couples, mais encore faut-il que le couple existe. En l’espèce, il fallait établir que l’adoptant était toujours marié à l’autre parent de l’enfant pour que sa requête soit recevable.

Moment de l’appréciation. La réponse à la question dépendait du moment où il faut se situer pour apprécier la qualité pour agir de la mère d’intention, candidate à l’adoption. Le pourvoi considérait que la mère biologique n’avait pas qualité pour demander l’adoption de l’enfant puisqu’au moment où le juge a statué sur la demande d’adoption, le divorce était prononcé et qu’elle n’avait plus qualité pour solliciter l’adoption de l’enfant de son conjoint. Il critique en conséquence l’arrêt d’appel qui avait considéré que la qualité pour agir s’analyse au moment du dépôt de la requête alors que le couple était encore uni par les liens du mariage sans rechercher s’il l’était encore le jour où elle a statué.

Rendu de la décision. La Cour de cassation donne raison au pourvoi en affirmant qu’« en application des articles 345-1, 348-1 et 353 du Code civil, le juge doit vérifier si les conditions légales de l’adoption de l’enfant du conjoint sont remplies au moment où il se prononce », comme elle l’a déjà affirmé dans un arrêt antérieur [6]. Cette précision importante a pour effet d’exclure l’adoption de l’enfant d’un membre du couple par l’autre si la séparation a eu lieu avant le prononcé de l’adoption. Cette exigence reprend celle qui est requise dans le processus de procréation assistée. Elle paraît logique puisque l’objectif est de consacrer une vie familiale entre les deux membres du couple et l’enfant. On remarque cependant que cette exigence n’est pas reprise dans le dispositif de reconnaissance anticipée du couple de femmes ayant eu recours à une AMP. En effet, la vie commune doit perdurer jusqu’à la fin du processus d’AMP, mais celle-ci n’est pas exigée lors de la remise de la reconnaissance anticipée à l’officier d’état civil pour établir la filiation de l’enfant à l’égard de « l’autre femme », selon l’expression mal choisie du Code civil.

Divorce non définitif. Toutefois les époux sont mieux traités que les partenaires ou les concubins car ils peuvent avoir mis fin à la vie commune tout en restant des époux jusqu’au prononcé de leur divorce par une décision définitive. Et c’est ce point qui va permettre à la Cour de cassation de « sauver » l’adoption du conjoint dans cette affaire par un motif de pur droit substitué à ceux critiqués en vertu des articles 620, alinéa 1 N° Lexbase : L6779H79, et 1015 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5802L8E. La Cour de cassation reprend en effet le constat de la cour d’appel selon lequel il avait été interjeté appel du jugement de divorce rendu le 12 décembre 2019, par la mère d’intention, peut être justement pour gagner du temps. Cet appel étant toujours pendant, le divorce n’était pas donc définitivement prononcé. Ainsi les deux femmes étaient encore unies par les liens du mariage au moment où la cour d’appel a statué. La Cour de cassation peut ainsi conclure que « les conditions légales de l’adoption de l’enfant du conjoint étaient réunies au moment où elle a statué ».

Protection du lien de l’enfant avec sa mère d’intention. L’arrêt du 11 mai 2023 favorise indiscutablement l’adoption de l’enfant du conjoint après la séparation de l’enfant et s’inscrit, comme certaines dispositions de la loi relative à la bioéthique, dans un mouvement de protection de la relation de l’enfant avec l’ancienne conjointe de sa mère. Cette relation n’est plus dépendante de la relation de couple, car elle est fondée sur le projet parental commun élaboré par hypothèse lorsque le couple allait bien.


[1] Cass. avis, 22 septembre 2014, n° 15010 et 15011 N° Lexbase : A9174MWP.

[2] Cette expression désigne la mère qui a porté l’enfant à et l’égard de qui la filiation de l’enfant a été établie par l’inscription de son nom dans l’acte de naissance.

[3] En réalité l’adoption a été prononcée le 12 octobre 2017 mais la cour d’appel a constaté le désistement de la requérante laquelle a formulé une nouvelle requête le 8 mars 2018

[4] A. Gouttenoire, La filiation monosexuée, Lexbase Droit privé, septembre 2021, n° 878 N° Lexbase : N8824BYH

[5] Cass. civ. 1, 3 novembre 2021, n° 20-16.745, F-D N° Lexbase : A06747BL

[6] Cass. civ. 1, 13 mai 2020, n° 19-13.419, F-P+B N° Lexbase : A06533M7.

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