Le Quotidien du 24 août 2023 : Environnement

[Questions à...] Droit pénal de l’environnement, quelles pistes pour une mise en place concrète des ambitions affichées ? - Questions à François Molins, procureur général près la Cour de cassation

Réf. : Rapport du 7 décembre 2022, « Le traitement pénal du contentieux de l’environnement »

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[Questions à...] Droit pénal de l’environnement, quelles pistes pour une mise en place concrète des ambitions affichées ? - Questions à François Molins, procureur général près la Cour de cassation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/98308727-0
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le 24 Août 2023

Mots clés : droit pénal de l’environnement • moyens financiers • délits environnementaux • pôles régionaux de l’environnement • accessibilité du droit

Le 7 décembre 2022, le groupe de travail relatif au droit pénal de l’environnement présidé par M. François Molins, procureur général près la Cour de cassation, a présenté les conclusions de son rapport intitulé « Le traitement pénal du contentieux de l’environnement ». Pour pallier l’insuffisance des moyens humains et matériels et le manque d’ambition dans la mise en œuvre des politiques affichées en la matière, ce rapport préconise notamment trois pistes de réflexion : le renforcement de la coordination et du dialogue des différents acteurs du contentieux, la modification de l’organisation judiciaire au service de l’efficacité du traitement du contentieux de l’environnement et l’amélioration de la réponse pénale et de son suivi. Pour faire le point sur cette thématique, Lexbase Public a interrogé François Molins*.


Lexbase : Quelles sont selon vous les principales défaillances observées dans le traitement du contentieux pénal de l’environnement ?

François Molins : Aujourd’hui, les moyens alloués à la justice pour traiter du contentieux pénal de l’environnement ne sont pas à la hauteur des ambitions affichées, et ne permettent pas de lutter efficacement contre les multiples atteintes portées quotidiennement à l’environnement. La place donnée aux délits environnementaux reste encore trop anecdotique dans les tribunaux, alors que leur nombre ne cesse de croître. Les atteintes à l’environnement ne représentent qu’1 % de l’ensemble des affaires pénales. Ce n’est pas normal.

Mais le droit pénal de l’environnement a été remodelé par l’ordonnance n° 2012-34  du 11 janvier 2012, portant simplification, réforme et harmonisation des dispositions de police administrative et de police judiciaire du Code de l'environnement N° Lexbase : L7242IRN, qui a généralisé le principe des sanctions administratives, si bien que le volet pénal intervient souvent de façon subsidiaire, lorsque la sanction administrative, à travers les mises en demeure ou les amendes administratives, n’a pas permis de régler la situation.

Et lorsque les procédures sont traitées judiciairement, elles font l’objet pour un peu plus de 60 % d’entre elles, d’une alternative aux poursuites.

Ces réponses sont bien sûr très utiles et ont permis d’augmenter significativement le taux de réponse judiciaire aux infractions environnementales. Cependant, cela ne doit pas se faire au détriment du procès. Et il faut également pouvoir sanctionner rapidement et fermement les comportements délictueux les plus graves.

Mais le droit pénal de l’environnement est un droit extrêmement technique, et éparpillé dans plusieurs codes et textes de loi, ce qui en rend sa maîtrise d’autant plus difficile. ll exige des compétences qui nécessitent une véritable spécialisation de tous les intervenants, enquêteurs comme magistrats. Et il nécessite qu’on lui consacre du temps. Or, les enquêteurs spécialisés sont trop peu nombreux et aucun magistrat aujourd’hui, que ce soit au parquet ou au siège, et ce, malgré la création de pôles régionaux de l’environnement, n’exerce ce contentieux à plein temps.

Lexbase : Comment faire en sorte que les différents acteurs impliqués dans la lutte contre les atteintes à l’environnement travaillent davantage en symbiose ?

François Molins : Aujourd’hui, les services d’enquête ne sont pas assez centralisés, ni assez spécialisés. Il y a l’Office français de la biodiversité (OFB) avec des enquêteurs qui n’ont pas tous les mêmes pouvoirs. Il y a également un service national avec l’OCLAESP mais qui s’occupe en réalité plus de santé publique que d’environnement. Si la fusion de l’Agence française de la biodiversité et de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage est déjà une avancée, les missions du service d’enquête ne sont pas seulement judiciaires. Or il est important d’avoir non seulement une vraie expérience dans la biodiversité, mais il faut aussi une réelle maîtrise de la procédure judiciaire pour monter des enquêtes.

Dans le cadre de la réflexion que nous avons menée au sein du groupe de travail que j’ai initié, nous avons proposé la création d’un service spécialisé d’enquêtes à compétence nationale qui pourrait mener plus efficacement des enquêtes sous la direction des parquets et des juges d’instruction pour les faits les plus importants, les plus graves.

Il faut aussi que les enquêteurs, comme les magistrats en charge de ce contentieux très spécifique, puissent s’y consacrer plus pleinement. Il faut organiser des formations dédiées communes aux magistrats, inspecteurs de l’environnement et enquêteurs de la police judiciaire. Il est aussi important que tous ces acteurs puissent échanger. Cela passe par exemple par la création de comités opérationnels, chargés de réunir périodiquement tous les acteurs judiciaires et administratifs, dans chaque département.

Enfin, il est important que les acteurs de ce contentieux échangent sur leurs bonnes pratiques. Et je sais que certaines initiatives très constructives ont été mises en place grâce à de jeunes collègues très motivés. Je pense notamment au collectif « les robes vertes ».

Lexbase : Comment améliorer efficacement la réponse pénale en la matière ?

François Molins : Notre groupe de travail a proposé un certain nombre de recommandations sur ce point.

Tout d’abord, il serait utile de réunir tous les textes dans un seul et même code afin que le droit en la matière ne soit plus aussi dispersé. Une meilleure accessibilité du droit de l’environnement permettrait de faciliter la spécialisation des acteurs judiciaires.

Le groupe de travail a également proposé la création d’un véritable délit de mise en danger de l’environnement. Dans le Code pénal aujourd’hui, la mise en danger délibérée est une infraction générale et autonome. Ce n’est pas le cas de la nouvelle incrimination instaurée par la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets N° Lexbase : L6065L7R, qui ne crée en réalité qu’une simple circonstance aggravante et uniquement de trois séries d’infractions limitativement énumérées par loi. De plus, l’aggravation prévue par ce texte a été conçue en termes très restrictifs qui réduisent beaucoup les possibilités de prononcer ces peines aggravées. L’exposition au risque doit en effet être directe et non indirecte, et elle doit consister en un « risque immédiat d'atteinte grave et durable ».

Concernant les sanctions pénales, je pense que plus que des peines de prison, il faut renforcer le niveau des amendes car, en général, quand on viole la réglementation, c’est pour faire des économies. On pourrait être extrêmement dissuasif si on prévoyait des amendes beaucoup plus fortes, notamment pour les entreprises polluantes.

Enfin, dans le cadre du rapport rendu par le groupe de travail mis en place à la Cour de cassation, nous préconisons le recours à deux procédures qui ne sont pas encore assez usitées aujourd’hui.

Il s’agit d’abord de renforcer le recours à la procédure de référé - le référé environnemental est prévu à l’article L. 216-3 du Code de l’environnement N° Lexbase : L0323MDC -  car en matière environnementale, il convient souvent d’agir vite sans attendre que le dommage environnemental ne s’aggrave et ne devienne irrémédiable. Le procureur de la République doit donc être très actif en la matière car son rôle est bien de défendre l’ordre public environnemental.

Il s’agit ensuite du recours à la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) qui permet au parquet – sous réserve de l’homologation du juge – de proposer à la personne qui a commis l’infraction environnementale de payer une amende de composition, de réparer le dommage subi, et surtout, de proposer un programme de mise en conformité. A ce jour, 9 CJIP ont été signées, et c’est un outil qui permet d’avoir des résultats très intéressants et qui est particulièrement adapté pour les entreprises. Je pense qu’il est donc très important de le développer. Il est apparu intéressant au groupe de travail de proposer que le montant des amendes récupéré dans ce cadre puisse être affecté à des actions pour la protection de l’environnement.

Lexbase : N'y a-t-il pas un risque que toutes les pistes d'amélioration se heurtent à l'éternel problème du manque de moyens alloués ?

François Molins : Bien sûr que le manque de moyens alloués à la lutte contre les atteintes à l’environnement reste un obstacle majeur. Et si le politique ne veut pas prendre à bras le corps cette question en affirmant que la lutte contre les atteintes à l’environnement est une priorité de politique pénale et qu’il est nécessaire de prévoir des moyens supplémentaires pour ce faire, rien n’avancera vraiment.

Mais il y a déjà eu des choses de faites : la création de pôles régionaux en est une. Il faut effectivement leur donner vie maintenant. De même que l’annonce faite par le ministre de l’intérieur de la création de 3 000 postes de « gendarmes verts ».

Et je préfère rester optimiste ! Si les pistes d’amélioration proposées convainquent, alors le reste suivra peut-être…

* Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public

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