Le Quotidien du 15 août 2023 : Fiscal général

[Focus] Une voie juridique pour interdire la « Puff » ?

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par Thomas Gallice, Elève-Avocat au sein du cabinet Sand Avocats

le 26 Juillet 2023

Mots-clés : puff • cigarettes électroniques • taxe dissuasive

Si la « taxe dissuasive » votée le 8 novembre 2022, par les sénateurs sur les cigarettes électroniques jetables n’a pas été reprise au sein de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 adopté par voie de 49-3 (loi n° 2022-1616, du 23 décembre 2022, de financement de la sécurité sociale pour 2023 N° Lexbase : L3789MGG), une seconde voie semble aujourd’hui envisageable pour faire interdire ces nouveaux produits particulièrement prisés par les jeunes.


 

Qu’est-ce que la « puff » ?

Depuis plus d’un an, difficile de passer à côté du phénomène, la « puff », signifiant « bouffées » en anglais, fait un tabac auprès des adolescents et fleurit aux abords des collèges et lycées. Cette nouvelle tendance venue d’outre-Atlantique et de Chine consiste en une cigarette électronique jetable, à l’aspect et aux goûts particulièrement attirants.

Ces vapoteuses, popularisées par les influenceurs sur les réseaux sociaux dont Tik-tok et Instagram, disposent de coloris fluo et de « saveurs récréatives » telles qu’ice-cream banane, limonade, cola ice, barbe à papa, noisette-chocolat ou encore milk-shake.

Existant sous une vingtaine de marques, ces cigarettes électroniques aux goûts sucrés et fruités et pourtant interdites à la vente aux mineurs sont ainsi très prisées des jeunes comme le démontrent les chiffres d’un sondage réalisé par la Fédération d'associations de lutte contre le tabagisme avec l'institut de sondage BVA.

Plus de 13 % des adolescents âgés de 13 à 16 ans l'auraient déjà consommée, 20 % pour ceux ayant un parent fumeur et 29 % si les deux parents sont fumeurs tandis que 9 % en auraient déjà achetée.

Des produits plus dangereux qu’une cigarette

Sous une apparence inoffensive, ces produits sont en réalité de véritables bombes à retardement.

Augmentant les risques de développer une inflammation des voies respiratoires et pouvant contenir jusqu'à 20 mg/ml de nicotine, l’absorption de cette substance hautement addictive se fait de manière plus insidieuse qu’avec le tabac classique.

Plus « fun » qu’une cigarette, ne produisant ni cendre ni résidu, ne nécessitant ni briquet ni chargeur, avec une odeur parfumée qui ne colle ni à la peau ni aux vêtements, ces e-cigarettes n'apparaissent pas réellement auprès des jeunes comme des dérivés du tabac et peuvent facilement se cacher aux parents grâce à leur apparence colorée comme un fluo.

Un marketing ciblé vers les jeunes

Couleurs et motifs chatoyants à base de smileys et de fruits, goûts ludiques, facilité d’utilisation… Interdite aux mineurs, c’est pourtant la clientèle cible de ces « puffs ».

En effet, contrairement aux vapoteuses classiques, celles-ci ne nécessitent aucun entretien : pas besoin de les charger, pas besoin de changer la résistance, pas besoin de les recharger en liquide, il suffit de les sortir de leur emballage et de tirer des bouffées dedans pour qu’elles se mettent en fonctionnement.

Et un danger bien réel

Les défenseurs de ces nouveaux produits arguent que le véritable problème est l’addiction à la nicotine mais surtout le tabac qui tue et que l’effet passerelle vers ce dernier a été démenti. C’est cependant omettre que l’existence de ces « puffs » sous une forme dénuée de toute nicotine est d’autant plus perverse que cela créer un faux sentiment de « vapoteuse à goût, inoffensive » destinée aux non-fumeurs.

Il ne faut en effet pas en sous-estimer le pouvoir addictif : création d’une habitude et initiation au geste qui sont souvent aussi addictifs que la nicotine en elle-même. Précision enfin qu’en plus de perturber le bon développement du cerveau de l’adolescent, il est d’autant plus difficile de se sevrer lorsqu’on a commencé tôt.

Comme le rappelle le Sénat le 8 novembre dernier, ces cigarettes électroniques à usage unique sont à différencier des cigarettes électroniques habituelles en ce qu’elles ne sont pas un outil de sortie de la cigarette, mais se révèlent être un produit d’initiation pour des non-fumeurs et particulièrement pour de jeunes mineurs.

L'Alliance contre le tabac donne à ce titre des chiffres éloquents : « parmi les adolescents utilisant la « puff », 28 % d'entre eux ont commencé leur initiation à la nicotine à travers ce produit et 17 % d'entre eux se sont ensuite tournés vers une autre forme de produit de la nicotine ou du tabac ».

Ces produits d’initiation au tabac sont également particulièrement accessibles en termes de prix : moins cher qu’un paquet de cigarettes ou qu’une cigarette électronique rechargeable, elles coutent entre 6 à 10 euros pour 600 bouffées et sont ainsi à portée des adolescents.

Une tentative de fiscalisation… …puis d’interdiction

Alors qu’il est très facile pour un mineur de s’en procurer que ce soit chez un buraliste ou sur internet, le Sénat avait voté un amendement au sein du projet de loi du financement de la sécurité sociale visant à la mise en place d’une accise sur les liquides de ces « puffs » [en ligne].

Cet amendement ciblait précisément les liquides des cigarettes électroniques à usage unique et visait à instaurer une accise à hauteur de 6 euros par millilitre de produit ce qui revenait à porter le prix d’une « puff » aux alentours de 20 euros ce qui aurait pu se montrer dissuasif pour les adolescents.

La formulation de ce texte définissait la cigarette électronique jetable comme étant : « un dispositif électronique permettant de vaporiser un liquide contenant ou non de la nicotine, et qui n’est pas rechargeable en liquide, que ce soit avec un flacon de recharge dans un réservoir ou par le remplacement de cartouches contenant du liquide ».

Ainsi et bien que louable, cet amendement laissait la possibilité d’une mise sur le marché de cigarettes électroniques jetable dotée de plus grosses batteries non rechargeables et permettant de remplacer les cartouches de liquides scellées et préremplies par comme il en existe déjà sur le marché américain.

Le gouvernement avait cependant émis un avis défavorable, préférant attendre une révision de la Directive européenne de 2011 sur les produits du tabac.

Quelques jours plus tard et alors que cette taxe n’a pas été conservée au sein de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, une proposition de loi visant l’interdiction des « puffs » est enregistrée à l’Assemblée nationale [en ligne].

Portée par une députée Europe Écologie Les Verts, ce texte bien plus sévère à l’encontre de ces dispositif jetables et polluants ne sera pas adopté à l’issu des débats.

Une telle initiative, bien qu’intéressante, serait cependant plus efficace si elle était adoptée à l’échelle européenne, permettant ainsi une harmonisation et une disparition sur le sol européen de ces « puffs » dont de nombreux jeunes font l’achat par le biais d’internet.

Un angle mort législatif

Les deux initiatives parlementaires ayant échouées, il convient d’élargir le débat et de voir comment sont aujourd’hui encadrés ces produits.

Sur le plan national, les « puffs » sont pour l’instant parfaitement légales.

Au niveau européen, plusieurs directives sont intéressantes à étudier :

  • La Directive 2010/13/UE, sur les Services de Médias Audiovisuels (SMA) n’encadre que la publicité alimentaire à destination des enfants et laisse le champ libre à la publicité ciblée envers les enfants pour les autres types de produits. De même, elle n’encadre pas l’ensemble des supports marketing ou le packaging, ce dernier étant pourtant l’un des nombreux atouts de la « puff » (Directive (UE) n° 2010/13 du Parlement européen et du Conseil du 10 mars 2010, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels N° Lexbase : L9705IGK) ;
  • La Directive 2001/95/CE, relative à la sécurité générale des produits vise uniquement à assurer que les produits mis sur le marché européen sont sûrs, c’est-à-dire ne présentant aucun risque dans des conditions d’utilisation normales ou raisonnablement prévisibles conformément à la règlementation nationale. Les « puffs » semblant respecter les prescriptions nationales en la matière, elles seraient ainsi considérées comme des produits sûrs aux yeux de cette Directive (Directive (CE) n° 2001/95 du Parlement européen et du Conseil du 3 décembre 2001, relative à la sécurité générale des produits N° Lexbase : L1146AXQ).
  • La Directive 2014/40/UE sur la fabrication, la présentation et la vente des produits du tabac et des produits connexes encadre plus précisément ces cigarettes électroniques jetables et notamment l’interdiction de la publicité ainsi que la teneur en nicotine maximale, mais ne s’aventure pas sur le terrain du packaging (Directive (UE) n° 2014/40 du Parlement européen et du Conseil, 3 avril 2014, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes N° Lexbase : L1190I3H).
  • La Directive 2019/904/UE relative à la réduction de l’incidence de certains produits en plastique sur l’environnement, célèbre pour avoir interdit les pailles et les cotons-tiges en plastique, ne fait quant à elle référence qu’aux « produits du tabac » à usage unique, excluant de facto les cigarettes électroniques jetables puisque ces dernières ne contiennent pas de tabac (Directive (UE) n° 2019/904 du Parlement européen et du Conseil, 5 juin 2019, relative à la réduction de l'incidence de certains produits en plastique sur l'environnement N° Lexbase : L4638LQT).
  • La Directive 2011/64/UE concernant la structure et les taux des accises applicables aux tabacs manufacturés ne vise pas non plus les « puffs » pour les mêmes raisons puisqu’elle ne se concentre que sur le tabac manufacturé (Directive (UE) n° 2011/64 du Conseil, 21 juin 2011, concernant la structure et les taux des accises applicables aux tabacs manufacturés N° Lexbase : L1920ITB).

facile à combler

Alors que François Braun, ministre de la Santé se dit « favorable à l’interdiction » et si aucune législation n’existe aujourd’hui pour interdire les cigarettes électroniques jetables, il serait tout à fait possible de légiférer sur le sujet.

À l’heure où la préoccupation environnementale devient la priorité, il semble aberrant qu’une cigarette électronique jetable, composée de plastique et d’une batterie au lithium non rechargeable (et très polluante) puisse continuer à être commercialisée.

La première mesure pouvant être prise pourrait ainsi consister à introduire ces produits au sein de l’annexe de la Directive 2019/904/UE, relative à la réduction de l’incidence de certains produits en plastique sur l’environnement, ce qui entrainerait l’interdiction de leur commercialisation sur le territoire européen.

Mais si l’interdiction pure et simple peut sembler brutale et occasionner de nombreux recours intentés par les fabricants, il serait possible de se tourner alors vers la même législation sur le packaging qui fut mise en place pour les paquets de tabac classique.

Ainsi et selon Santé publique France, l'obligation d'un emballage neutre pour la distribution des produits du tabac, instaurée depuis le 1er janvier 2017, a sensiblement modifié la perception qu'ont les fumeurs de l'aspect extérieur de leur paquet de cigarettes.

Ce nouveau conditionnement est moins apprécié par les fumeurs et l'Agence nationale de santé publique a souligné l’importante baisse du nombre de fumeurs qui perçoivent positivement leur paquet : alors qu'en 2016, plus de la moitié (52,5 %) d'entre eux le trouvait attractif, cette proportion est tombée à 15,7 % depuis la réforme.

Dans le cas de la « puff », le paquet, la cigarette électronique en elle-même et leurs couleurs ou logos sont des outils de marketing très puissants sur les plus jeunes, particulièrement sensibles à ce type de publicité attrayante et pouvant plus facilement entrainer une confusion sur la dangerosité réelle de ces produits.

Ainsi, un conditionnement standardisé et des emballages neutres portant la même couleur, étant dénués de logos et affichant des avertissements sanitaires visuels mettant en avant leur dangerosité pourrait être une bonne mesure.

Une dernière mesure intéressante consisterait à règlementer les arômes caractérisant comme ce fut le cas lors de l’interdiction des cigarettes au menthol, à la vanille, aux fruits ou au chocolat. Il serait ainsi possible de restreindre les parfums disponibles pour ce type de produits, de manière à baisser leur attractivité pour les non-fumeurs.

L’exemple de la Nouvelle-Calédonie

L’exemple de la Nouvelle-Calédonie, collectivité française au statut particulier disposant du pouvoir de voter ses propres lois, est particulièrement éloquent à cet égard.

Après avoir, le 27 décembre 2021, interdit la vente de liquides et de matériel de vapotage aux mineurs, le gouvernement calédonien a pris le 27 avril 2022, la décision suivante : « au regard de l’attractivité et de l’ampleur de la commercialisation de la cigarette électronique jetable en Nouvelle-Calédonie, le gouvernement, qui est compétent en matière de santé publique, vient d’adopter un arrêté interdisant son importation sur le territoire calédonien ».

Il serait ainsi tout à fait possible de prendre la même législation sur le territoire métropolitain, voire même européen, la possibilité juridique existe, c’est avant tout une question de courage et de volonté politique.

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