Le Quotidien du 11 avril 2023 : Actualité judiciaire

[A la une] Six ans après, la mort du petit Tony repose la question de la dénonciation des mauvais traitements

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par Vincent Vantighem

le 11 Avril 2023

Qui aurait pu penser que le dossier de la mort du « petit Tony » se retrouverait, un jour, devant le Conseil constitutionnel ? C’est pourtant bien ce qui pourrait arriver et surtout ce qui pourrait faire évoluer les mentalités sur la question de la « dénonciation des mauvais traitements ». En novembre 2016, le petit Tony, 3 ans, magnifique bouille blonde sur les photos, était mort après avoir subi l’enfer d’un mois de coups de la part de son beau-père dans un immeuble de Reims (Marne). Nez cassé, côtes brisées, rupture du frein de la lèvre, ecchymoses sur tout le corps, lésions au cuir chevelu, aux parties génitales, éclatement de la rate : la langue française ne contient pas de mots assez durs pour décrire le calvaire que lui a fait subir Loïc Vantal. En toute logique, il a été condamné définitivement, en 2021, à vingt ans de réclusion criminelle. L’affaire aurait pu s’arrêter là. Aurait dû s’arrêter là ?

C’est toute la question. Car, en parallèle, quelques temps après les faits, le parquet de Reims avait décidé de lancer une enquête pour poursuivre un voisin, coupable à ses yeux de ne pas avoir dénoncé les faits avant que le bambin ne décède. Ainsi résumé par Matthieu Bourrette, la procureur de Reims, à l’époque : « Cet enfant a subi un calvaire. Il en est sorti pour connaître le cimetière. Son histoire a croisé celle d’une dizaine de personnes qui auraient pu l’en sortir vivant, avait-il balancé. Si les services de police avaient été alertés par le voisinage, cet enfant aurait pu passer la Noël 2016. »

À l’époque, le magistrat parlait d’une « dizaine de personnes », du « voisinage ». Mais il pensait déjà, peut-être, à Jonathan L. Le voisin du-dessous du petit Tony qui avait forcément entendu le bruit des mauvais traitements. Celui-ci ne s’en était pas caché d’ailleurs. Peu après le drame, dans les médias, il avait reconnu, avec ses mots : « Tous les matins, vers 7 heures, le petit allait à l’école et il se réveillait. [Le beau-père] voyait qu’il avait fait pipi au lit. À trois ans, c’est normal… Mais on entendait crier « ta gueule dans la pisse, tu vois ce que ça fait ! Des coups et tout ça, c’était atroce... »

Forcer les voisins à témoigner ou les dissuader de le faire ?

Appuyé par l’association Innocence en danger à l’époque, le parquet de Reims avait donc poussé pour que Jonathan L. soit poursuivi pour « non-dénonciation de mauvais traitements ». Peu importe qu’il ne fût pas le seul à avoir entendu le bruit des coups… Peu importe qu’il ait aussi tenté de faire ce qu’il pouvait malgré la peur des représailles… Le jeune homme d’une trentaine d’années s’est retrouvé à la barre du tribunal correctionnel pour cette affaire. Avec une question presque sociétale : le fait de condamner un voisin pour les mauvais traitements qu’il a entendus et non pas dénoncés va-t-il pousser les autres à parler plus facilement ? Ou au contraire les dissuader complètement de le faire ?

Le parquet de Reims avait fait son choix. Et c’est ainsi que Jonathan L. a été jugé. À l’audience, en première instance, il paraissait ne pas comprendre vraiment ce qu’il faisait là. Expliquant qu’il était légèrement handicapé. Indiquant aussi qu’au moment des faits, il était en formation en région parisienne et n’était chez lui que le week-end. Se justifiant de son inaction en pointant du doigt que son épouse était alors en phase terminale d’un cancer et qu’il craignait que Loïc Vantal ne s’en prenne à elle s’il le dénonçait. C’est pourquoi il avait fait les choses « a minima ». Choisissant d’avertir le bailleur pour du « tapage » et allant jusqu’à scotcher dans l’ascenseur de la résidence un papier avec un numéro d’urgence pour les femmes et enfants battus, avec l’aide de son épouse.

Pas suffisant aux yeux de Matthieu Bourrette qui avait requis sa condamnation. Mais le président du tribunal, convaincu que ce jeune homme au pull trop grand et aux yeux apeurés n’avait rien à faire là avait, très rapidement, décidé de le relaxer.

Mais le parquet n’avait pas dit son dernier mot et décidait de faire appel. Rebelote devant la Cour. Même protagoniste. Mêmes arguments. Et même décision de relaxe. Toujours convaincu de l’intérêt de faire bouger les choses, le parquet général avait alors décidé de former un pourvoi en cassation. Et là, empêtré dans cette affaire depuis de trop longues années, le prévenu avait alors vu sa relaxe censurée par la Cour de cassation qui ordonnait un nouveau procès, en raison d’un problème d’écriture du jugement. Toujours devant une cour d’appel.

Une QPC sur la définition des « mauvais traitements »

Nous en étions donc là, mercredi 5 avril 2023, lorsque Jonathan L. se retrouva sur le banc des prévenus de la cour d’appel de Reims autrement composée pour cette nouvelle audience, en se demandant sans doute comment il sortirait un jour de ce guêpier. Le parquet général, toujours sur la ligne initiale, ne voulait pas abandonner les poursuites. Il considère que Jonathan L. ne mérite sans doute pas une peine de prison mais qu’il est incontestablement coupable de non-dénonciation de mauvais traitements.

Excepté que Ludivine Braconnier, l’avocate du jeune homme, a décidé de changer de stratégie. Persuadée pendant des années qu’elle parviendrait un beau jour à convaincre les magistrats de l’absurdité de s’acharner contre lui, elle a finalement changé de paradigme. C’est ainsi qu’elle a donc déposé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Moyen de transférer le débat sur un autre plan. Et sa QPC n’est pas inintéressante. Qu’est-ce qu’un « mauvais traitement » ? L’article 434-3 du Code pénal précise bien les peines encourues pour non-dénonciation de mauvais traitements mais sans jamais préciser ce qu’il entend par là...

Elle a donc demandé à la cour d’appel de transmettre sa question au Conseil constitutionnel afin de vérifier la légalité des arguments qu’on oppose à son client depuis six ans maintenant. La cour d’appel de Reims rendra sa décision le 26 avril 2023. Ce jour-là, Jonathan L. saura si son calvaire se poursuit avec une reprise de l’audience et un risque de condamnation ou si tout cela aura eu le mérite de forcer la justice à se pencher sur la question, voire au législateur de modifier sa position. En attendant, une seule certitude : la publicité des poursuites du parquet de Reims envers ce jeune homme n’a pas fait baisser, considérablement, le nombre d’enfants tués, chaque année, sous les coups de leurs parents. Pas plus qu’il n’a fait exploser le nombre de signalements…

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