Le Quotidien du 20 février 2023 : Entreprises en difficulté

[Brèves] Autorité de la chose jugée attachée à la décision d’admission d’une créance au passif et contrôle des clauses abusives devant le juge de l’exécution

Réf. : Cass. com., 8 février 2023, n° 21-17.763, FS-B N° Lexbase : A97209BM

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[Brèves] Autorité de la chose jugée attachée à la décision d’admission d’une créance au passif et contrôle des clauses abusives devant le juge de l’exécution. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/93223201-0
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par Vincent Téchené

le 08 Mars 2023

► Un débiteur soumis à une procédure collective contre lequel a été rendue une décision, irrévocable, admettant à son passif une créance au titre d'un prêt immobilier, qu'il avait souscrit antérieurement en qualité de consommateur, peut, à l'occasion de la procédure de saisie immobilière d'un bien appartenant à ce débiteur, mise en œuvre par le créancier auquel la déclaration d'insaisissabilité de l'immeuble constituant la résidence principale du débiteur est inopposable, nonobstant l'autorité de la chose jugée attachée à cette décision, soulever, à l'audience d'orientation devant le juge de l'exécution, une contestation portant sur le caractère abusif d'une ou plusieurs clauses de l'acte de prêt notarié dès lors qu'il ressort de la décision revêtue de l'autorité de la chose jugée que le juge ne s'est pas livré à cet examen.

Faits et procédure. Une banque a consenti à un emprunteur des prêts destinés à l'acquisition d'un immeuble constituant sa résidence principale et garantis par un privilège de prêteur de deniers ainsi qu'une hypothèque conventionnelle.

Postérieurement, l’emprunteur a effectué une déclaration d'insaisissabilité de cet immeuble, qui a été publiée.

La banque a prononcé la déchéance du terme des prêts. Par la suite, l’emprunteur a été mis en redressement puis liquidation judiciaires. La banque a donc déclaré au passif ses créances au titre des prêts qui ont été admises.

La banque a délivré à l’emprunteur un commandement de payer valant saisie immobilière, puis l'a assigné à l'audience d'orientation devant le juge de l'exécution, afin que soit ordonnée la vente forcée de l'immeuble.

L’emprunteur s'est opposé à cette mesure d'exécution forcée en soulevant, à titre principal, la prescription de l'action de la banque et, subsidiairement, le caractère non exigible de la créance, en se prévalant, notamment, du caractère abusif de la clause d'exigibilité anticipée stipulée dans les prêts.

La cour d’appel (CA Versailles, 3 décembre 2020, n° 20/01525 N° Lexbase : A758238C) a rejeté la contestation de l’emprunteur relative à la prescription des créances de la banque. Elle a également déclaré irrecevables ses contestations relatives aux créances de la banque et, en conséquence, fixé le montant de ces dernières. L’emprunteur a donc formé un pourvoi en cassation

Décision. C’est par un long arrêt particulièrement argumenté que la Cour de cassation répond aux différents moyens soulevés.

En premier lieu, la Haute juridiction rappelle qu’il résulte des articles L. 526-1, alinéa 1er, du Code de commerce N° Lexbase : L5330IMD, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 juin 2010 applicable en la cause, et L. 622-24 de ce code N° Lexbase : L8803LQ4 que, si un créancier inscrit à qui est inopposable la déclaration d'insaisissabilité d'un immeuble appartenant à son débiteur peut faire procéder à la vente sur saisie de cet immeuble et use de la faculté de déclarer sa créance au passif de la procédure collective du débiteur, il bénéficie de l'effet interruptif de prescription attaché à sa déclaration de créance, cet effet interruptif se prolongeant jusqu'à la date de la décision ayant statué sur la demande d'admission, dès lors que ce créancier n'est pas dans l'impossibilité d'agir sur l'immeuble au sens de l'article 2234 du Code civil N° Lexbase : L7219IAM.

La Cour de cassation rappelle ici une solution précédemment dégagée (v. Cass. com., 12 juillet 2016, n° 15-17.321, FS-P+B N° Lexbase : A2003RXH ; Cass. com., 24 mars 2021, n° 19-23.413, F-P N° Lexbase : A67344MD, P.-M. Le Corre, comm., Lexbase Affaires, avril 2021, n° 673 N° Lexbase : N7169BY8).

En second lieu, la Cour énonce que la décision d'admission d'une créance au passif de la procédure collective d'un débiteur a, en principe, autorité de la chose jugée sur l'existence, la nature et le montant de la créance admise. Cette autorité s'impose en particulier au juge de l'exécution statuant à l'audience d'orientation qui se tient en cas de saisie immobilière initiée par un créancier auquel est inopposable la déclaration d'insaisissabilité d'un immeuble appartenant à son débiteur et qui peut donc faire procéder à la vente sur saisie de cet immeuble, l'audience d'orientation ayant notamment pour objet, à l'instar de la procédure d'admission, de constater le principe de la créance du créancier poursuivant et d'en mentionner le montant retenu.

Mais l’apport principal de l’arrêt se situe ailleurs en ce qu'il répond à la question suivante : en matière de clauses abusives, le juge de l’exécution peut-il se fonder sur l’autorité de la chose jugée attachée à une décision d’admission pour rejeter une contestation soulevée à l’audience d’orientation, à l’occasion d’une saisie immobilière ?

Pour y répondre, la Cour de cassation se réfère alors à la jurisprudence de la CJUE, convoquant quatre arrêts importants (CJUE, 26 janvier 2017, aff. C-421/14 N° Lexbase : A9995TM7 ; CJUE, 4 juin 2020, aff. C-495/19 N° Lexbase : A81223MR ; CJUE, 17 mai 2022, aff. C-600/19 N° Lexbase : A16647XW ; CJUE,  17 mai 2022, affaires jointes C-693/19 et C-831/19 N° Lexbase : A16667XY).

Il s'en déduit alors, selon la Haute juridiction, que l'autorité de la chose jugée d'une décision du juge-commissaire admettant des créances au passif d'une procédure collective, résultant de l'article 1355 du Code civil N° Lexbase : L1011KZH et de l'article 480 du Code de procédure civile N° Lexbase : L2318LUE, ne doit pas être susceptible de vider de sa substance l'obligation incombant au juge national de procéder à un examen d'office du caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles.

Il en découle ensuite que le juge de l'exécution, statuant lors de l'audience d'orientation, à la demande d'une partie ou d'office, est tenu d'apprécier, y compris pour la première fois, le caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles qui servent de fondement aux poursuites, sauf lorsqu'il ressort de l'ensemble de la décision revêtue de l'autorité de la chose jugée que le juge s'est livré à cet examen.

Enfin, la Cour de cassation énonce qu’il en résulte qu'un débiteur soumis à une procédure collective contre lequel a été rendue une décision, irrévocable, admettant à son passif une créance au titre d'un prêt immobilier, qu'il avait souscrit antérieurement en qualité de consommateur, peut, à l'occasion de la procédure de saisie immobilière d'un bien appartenant à ce débiteur, mise en œuvre par le créancier auquel la déclaration d'insaisissabilité de l'immeuble constituant la résidence principale du débiteur est inopposable, nonobstant l'autorité de la chose jugée attachée à cette décision, soulever, à l'audience d'orientation devant le juge de l'exécution, une contestation portant sur le caractère abusif d'une ou plusieurs clauses de l'acte de prêt notarié dès lors qu'il ressort de la décision revêtue de l'autorité de la chose jugée que le juge ne s'est pas livré à cet examen.

Elle censure alors l’arrêt d’appel qui a rejeté les contestations de l’emprunteur. En effet, dans ses décisions d'admission, le juge-commissaire n'avait pas examiné le caractère abusif de la clause d'exigibilité anticipée des prêts notariés fondant la saisie immobilière litigieuse, de sorte qu'il appartenait au juge de l'exécution, saisi d'une contestation formée sur ce point pour la première fois devant lui lors de l'audience d'orientation, de procéder à cet examen.

Cet arrêt est accompagné d’une notice au rapport dans laquelle on peut notamment lire que cet arrêt « franchit une étape supplémentaire et essentielle dans l’office du juge en matière de clauses abusives, spécialement le juge de l’exécution, la solution adoptée valant quelle que soit la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée, et non pour le seul cas de la décision d’admission au passif. Il importe néanmoins de souligner que cette solution est doublement circonscrite : elle suppose, d’une part, qu’une clause contractuelle soit arguée d’abusive au sens de la Directive n° 93/13 N° Lexbase : L7468AU7, d’autre part, que, lors de la précédente décision revêtue de l’autorité de la chose jugée, le juge n’ait pas déjà effectivement exercé son contrôle sur ce point ».

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La décision du juge-commissaire en matière de déclaration et de vérification des créances, La portée de l'autorité de la chose jugée attachée à la décision d'admission de la créance, in Entreprises en difficulté, (dir. P.-M. Le Corre), Lexbase N° Lexbase : E61477CN.

 

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