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N4349BZ4
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par Ghizlane Loukili, Docteur en droit privé, spécialité droit du numérique
le 14 Mars 2023
Mots-clés : oeuvre d'art • droit privé • fiscalité • propriété littéraire
La notion d’œuvre d’art [1] est, d’une part, évolutive dans l’espace et dans le temps, et, d’autre part, polymorphe en ce qu’elle recouvre un éventail de diverses formes créatives. Voici les deux grandes caractéristiques qui régissent la notion et qui se dégagent lors de son étude de prime abord.
Quant à la question de qualification et de l’appréhension d’une œuvre, en tant qu’œuvre d’art, ces dernières sont empreintes d’une grande subjectivité [2] qui résulte d’une idéologie sociologique et esthétique propre à chacun. Ces difficultés se répercutent, de facto, sur la question de l’œuvre d’art numérique [3].
Dans le cadre de l’œuvre d’art numérique, les difficultés juridiques à l’appréhension des biens numériques et la difficulté de qualification de l’œuvre d’art qui ne connaît pas de définition en droit positif se cumulent.
C’est donc sans difficulté et dans la stricte lignée des éléments exposés supra que la définition de l’œuvre d’art peut être qualifiée de problématique, car l’esprit de cette dernière reste difficile à sonder, en ce qu’elle se prête difficilement à la systématisation ou à la catégorisation.
En droit privé, la définition de la notion d’œuvre d’art a été si laborieuse à trancher que ce sont ses caractéristiques qui sont appréhendées à la défaveur du recours à une définition rigide [4]. En effet, la notion d’œuvre d’art n’est pas invoquée par le Code civil, et le Code de la propriété intellectuelle ne se penche que sur les œuvres de l’esprit, notion plus large.
La Directive (CE) n° 2006/12, du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2006, relative aux déchets N° Lexbase : L4374HIT, quant à elle, déroule une liste d’œuvres d’art, laquelle est codifiée à l’article 98 A, II de l’annexe III du Code général des impôts N° Lexbase : L2271HM3, rappelons ici que cette liste consiste en une énumération limitative qui doit faire l’objet d’une interprétation restrictive.
Via l’étude des éléments présentés par cette liste, on peut conclure que l’œuvre d’art n’est pas une œuvre de l’esprit, mais, qu’elle a en commun un certain nombre d’éléments avec cette dernière, notamment le critère de création originale.
D’aucuns soutiennent que l’œuvre d’art se distingue de l’œuvre de l’esprit par la rareté, cette conception est remise en cause par certaines formes d’art numérique [5].
En droit fiscal, la notion d’œuvre d’art se trouve définie à l’article 98 A de l’annexe III du Code général des impôts N° Lexbase : L2271HM3, sous forme d’une liste limitative. Cette définition est issue de l’article 2 du décret n° 95-172, du 17 février 1995, relatif à la définition des biens d'occasion, des œuvres d'art, des objets de collection et d'antiquité pour l'application des dispositions relatives à la taxe sur la valeur ajoutée [6] N° Lexbase : O4085BRQ. Cette définition en provenance du système commun de TVA est critiquable sous différents aspects, tout d’abord, elle enclave la notion dans un certain nombre d’exemples qui agissent comme des limites, de plus, elle ne prend pas en compte le principe de spécificité de chaque impôt, ainsi que celui de non-autonomie du droit fiscal à l’égard de droit privé.
Malgré ces lacunes avérées, la doctrine a fait de cet article un pilier de l’application de dispositions fiscales, en subordonnant la mise en œuvre de certaines dispositions aux œuvres visées par l’article 98 A N° Lexbase : L2271HM3. Voir en ce sens, les dispositions fiscales de l’article 238 bis AB du Code général des impôts [7] N° Lexbase : L3994LYL, mais aussi les dispositions de l’article 150 VI du même code [8] N° Lexbase : L1871L3P.
Dans un autre ordre d’idées, le droit privé a souvent fait appel à l’article 98 A N° Lexbase : L2271HM3 dans le cas d’œuvres d’art statuaires et plus particulièrement dans le cas de la refonte et la question de savoir s’il s’agit d’une œuvre originale ou d’une reproduction.
Dans ce cas de figure, l’article 9 du décret Marcus [9] N° Lexbase : L1604AZG qui trouve application et qui fait application de l’article 71 A [10], ancêtre de l’article 98 A N° Lexbase : L2271HM3, en matière de limite quantitative pour distinguer l’œuvre originale de la reproduction, affirme dans sa rédaction que : « Tout fac-similé, surmoulage, copie ou autre reproduction d’une œuvre d’art originale au sens de l’article 71 de l’annexe III du Code général des impôts, exécuté postérieurement à la date d’entrée en vigueur du présent décret, doit porter de manière visible et indélébile la mention “Reproduction” ».
Quant à l’œuvre d’art numérique, elle n’entre pas dans le champ des œuvres d’art listées au Code général des impôts, cette vision passéiste est la résultante d’un droit fiscal européen et national totalement figé dans le temps. Au-delà de ce constat, une définition de l’œuvre d’art numérique n’est pas chose aisée, car la notion englobe des expressions artistiques extrêmement variées.
Cette étude se propose d’établir les contours de la notion d’œuvre d’art en droit fiscal (I), mais aussi de mettre en exergue les obstacles doctrinaux et pratiques à ce droit propre (II).
I. La définition de l’œuvre d’art en droit fiscal
La définition de l’œuvre d’art en matière fiscale est logée dans l’article 98 A du Code général des impôts N° Lexbase : L2271HM3 (A), son champ d’application rend compte de ses limites (B).
A. La définition de l’œuvre d’art de l’article 98 A de l’annexe III du Code général des impôts
Cette définition est considérée comme désuète pour de multiples raisons. En effet, cette définition est décrite comme vieillissante, de facto, en raison de la date de son entrée en vigueur, mais aussi par sa forme.
Ainsi, il est légitimement soutenable que : cette définition est énumérative et donc limitative, mais aussi parce qu’elle est la résultante d’une codification des usages existants dans le marché de l’art à l’heure de son adoption.
En ce sens, elle reste en cohérence avec la définition du décret de 1991 [11] N° Lexbase : O9568B7I. Elle ne vise donc que les formes de création les plus classiques et ignore les formes créatives contemporaines, comme celles réalisées avec le concours de l’intelligence artificielle [12], à moins d’y rajouter des éléments relatifs aux œuvres d’art numériques dans le futur, par exemple.
Par ailleurs, la spécificité de la définition se loge dans une lecture étroite de la notion d’authenticité de Desbois [13] qui devient dans ce cadre un critère exclusif, celui « de la main de l’auteur [14] ». Cette dépendance exclusive à ce critère est une des raisons principales d’une conception gravée dans le temps qui ne connaît aucune souplesse, contrairement au droit privé dans lequel le critère n’est pas exclusif, en effet, dans cette matière, deux critères distincts se côtoient, celui de l’originalité [15] de l’œuvre de l’esprit au sens de l’article L. 111-1 du Code de propriété intellectuelle N° Lexbase : L3636LZP et celui de l’authenticité. Ainsi, ce double critère jumelé au jeu des qualifications qui découle des nombreux régimes applicables permet une prise en charge plus large de la notion en droit privé.
La notion d’œuvre d’art en droit fiscal est donc autonome du droit privé de la propriété littéraire et artistique [16] ,mais aussi, de la définition de l’objet d’art en droit du marché de l’art [17].
En effet, l’article de 98 A N° Lexbase : L2271HM3 réserve la qualification d’œuvre et l’éligibilité au taux réduit de la TVA, aux œuvres visées par les dispositions de ce dernier, donc à celles créées de la main d’un auteur qui ne peut être qu’une personne physique [18] ou dans le cas d’œuvre à originaux multiples, aux exemplaires tirés en quantité limitée spécifiée par le texte.
Or la rédaction de l’article 98 A N° Lexbase : L2271HM3 est issue de la transposition de la Directive TVA N° Lexbase : L7664HTZ, sa version initiale provient du décret n° 91-1326, du 23 décembre 1991 N° Lexbase : O9568B7I qui a été codifié sous l’article 71 A de l’annexe III N° Lexbase : L2119HMG qui n’a pas été transformée depuis.
Quant à la question du droit de suite, l’ancien article 71 A de l’annexe III N° Lexbase : L2119HMG vise la codification des usages de marché de l’art au moment de son adoption. C’est la codification des usages professionnels qui transparaît dans l’interprétation administrative relative aux estampes et lithographies.
B. Le champ d’application de la définition
L’article 98 A N° Lexbase : L2271HM3 ne saurait dépasser ces bornes établies lors de sa rédaction, sauf dispositions légales contraires. Si, dans les faits, cette situation se produit, elle serait en opposition avec le principe de spécificité de l’impôt et celui de non-autonomie du droit fiscal par rapport au droit privé.
Petite parenthèse, la définition de l’article 98 A N° Lexbase : L2271HM3 s’étend au régime de taxation sur la marge. Ce système dérogatoire est prévu aux articles 297 A N° Lexbase : L5697HLL et 297 F N° Lexbase : L5703HLS du Code général des impôts, il permet aux assujettis – revendeurs d’œuvres d’art d’asseoir la TVA sur la marge, c’est-à-dire, sur la différence entre le prix de vente et d’achat. Cet article 297 N° Lexbase : L5697HLL renvoi au pouvoir réglementaire la responsabilité de définir ce qui est une œuvre d’art. Voir l’article 297 A, I, 1°, alinéa 2 du Code général des impôts N° Lexbase : L5697HLL sur cette question.
Ici encore, le texte fixant cette définition est le décret de 1995 N° Lexbase : O4085BRQ ayant établi l’article 98 A N° Lexbase : L2271HM3 : les œuvres qui peuvent donc bénéficier de ce régime de faveur sont ceux limitativement définies par l’article 98 A N° Lexbase : L2271HM3. La doctrine administrative en étend l’application à d’autres pièces [19].
Le principe de spécificité de l’impôt exige que l’interprétation et l’application de notions spécifiques à chaque impôt se fassent selon des critères propres. Dans la pratique, on peut sans danger soutenir qu’il y a une irrégularité à opérer une qualification dans le cadre d’une situation précise par application de critères qui appartiennent à un autre impôt sans vérifier que cette situation soit transposable à l’impôt concerné [20]. Par application de ce principe, l’interprétation administrative qui consiste à transposer les critères de l’œuvre d’art fixés dans la liste de l’article 98 A N° Lexbase : L2271HM3 mène à l’application de textes qui relèvent d’autres impositions que la TVA, ce qui s’inscrit dans une opposition frontale au principe de spécificité de l’impôt.
Notion d’œuvre d’art dans l’imposition sur les revenus des particuliers et des bénéfices des entreprises. L’article 238 bis AB du Code général des impôts N° Lexbase : L3994LYL met en place un régime dérogatoire en matière de charges déductibles du bénéfice imposable des entreprises. Il permet à ces dernières de déduire de son bénéfice imposable une partie du prix d’acquisition pour les œuvres originales d’artistes vivants, et cela, dans la limite de 20 000 euros ou de 5 pour 1000 du chiffre d’affaires, à condition que l’exposition soit dans un lieu public ou dans un endroit accessible par les salariés hors bureaux [21].
Ce régime provient de l’article 7 de la loi n° 87-571, du 23 juillet 1997, sur le développement du mécénat N° Lexbase : L8334AGR ayant pour vocation première la dynamisation du marché de l’art. Ce dispositif n’ayant pas réalisé l’objectif escompté a subi un double assouplissement : le premier en provenance de la loi du 1er aout 2003 [22] N° Lexbase : L3710BLY qui réduit la durée de réduction de déduction du prix d’acquisition, mais aussi un aménagement des conditions d’exposition des œuvres au public. Dans ce cadre Valérie Varnerot soutient en guise conclusion ici qu’« il résulte de la doctrine administrative, qui, pour être dépourvue de toute portée normative, n’en forme pas moins un “écran” entre la loi fiscale et le contribuable, que la notion “d’œuvres originales d’artistes vivants”, visée par l’article 238 bis AB, devrait être ici entendue dans le sens que donne à la notion d’œuvre d’art l’article 98 A de l’annexe III [23] » [24].
L’interprétation administrative de l’article 150 VI du Code général des impôts N° Lexbase : L1871L3P agit sensiblement dans le même sens. Le dispositif en vigueur soumet selon l’article 150 VK du Code général des impôts N° Lexbase : L9367LHE à une taxe forfaitaire de 6 % le prix de cessions réalisées à titre onéreux par des particuliers d’objets d’art ou d’objets précieux visés par le texte, cette dernière étant considérée comme une imposition sur la plus-value [25].
La notion d’objet d’art ne faisant l’objet d’aucune définition légale, la doctrine tente de combler ce manque en dégageant deux traits majeurs : une définition commune avec celle des objets d’antiquité, d’une part, et, d’autre part, la mise à disposition de la formule de l’article R. 122-3 du Code de la propriété intellectuelle N° Lexbase : L3359ADR qui liste des exemples éligibles de manière non exhaustive [26].
« Poids juridique » de l’interprétation administrative de la notion d’œuvre d’art dans le cadre dans l’imposition du bénéfice et du revenu du particulier. Les interprétations administratives de la notion d’œuvre d’art en matière de dispositions relatives à l’impôt sur le revenu des particuliers ou à l’impôt des bénéfices des entreprises, qui reposent sur des critères relatifs à la notion dans le cadre de l’imposition sur la TVA sont en opposition frontale au principe de spécificité de l’impôt, car ces deux types d’impôts précités sont indépendants de l’impôt sur la TVA. Dans ce sens, l’arrêt Amirkhanian [27] N° Lexbase : A8478DHH abonde vers cette affirmation en précisant que les critères de la notion d’œuvre d’art qui régissent l’application des règles relatives à l’imposition sur la TVA ne peuvent être exportés dans une autre matière d’imposition, si elles ne sont pas transposables à cette forme d’imposition.
II. Les freins à la prise en charge légale plénière de la notion d’œuvre d’art en droit fiscal
Les obstacles à cette prise en charge indépendante et autonome sont en provenance de deux corps de règles, le principe doctrinal de non-autonomie du droit fiscal par rapport au droit privé (A) et l’absence de procédure pratique de calcul de droits de mutation des œuvres numériques pour l’administration fiscale (B).
A. Le principe de non-autonomie du droit fiscal par rapport au droit privé
Symbole de sécurité juridique le principe de non-autonomie du droit fiscal à l’égard du droit privé signifie qu’en l’absence de dispositions dérogatoires, c’est le droit privé qui permet de dégager les critères applicables à l’œuvre d’art lorsque l’imposition est autre que la TVA. C’est donc l’acceptation du droit civil de l’œuvre d’art qui s’impose en droit fiscal, or la définition de cette dernière en droit privé est polysémique, elles se répercutent en ces termes en droit fiscal.
Cette absence d’autonomie du droit fiscal quant à la définition de la notion d’œuvre d’art, en dehors des règles applicables à la TVA souligne la dépendance extrême du droit fiscal à l’égard du droit privé en la matière et explique l’impossibilité de former un droit fiscal propre à la question de l’œuvre d’art.
Néanmoins, certains traits communs peuvent être dégagés avec la notion voisine d’œuvre de l’esprit codifiée à l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle N° Lexbase : L3636LZP. Rappelons que l’article L. 111-1, alinéa 1er et 2 N° Lexbase : L3636LZP affirme que : « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent code ». Cet article insiste sur le critère de création originale, propre à son auteur, [28] qui implique des choix créatifs et libres [29]. Cette ressemblance intervient dans le cas où la loi fiscale fait recours à l’expression « droits de l’auteur ». Cette dernière est reprise dans l’article 92, 2, 2° du Code général des impôts N° Lexbase : L5856LT3 au sujet des BNC.
Cette similarité avec l’œuvre de l’esprit est amenée à disparaitre dans certaines situations, comme en témoigne l’article 238 bis AB N° Lexbase : L3994LYL qui fait utilisation de l’expression « d’œuvre originale d’artiste vivant », car le droit privé n’exige pas la réalisation de l’œuvre par la main de l’auteur, ce qui signe ici une différence majeure. En effet, « le droit privé ne fait plus du critère de l’exécution par la main de l’auteur l’alpha et l’oméga de l’originalité de l’œuvre, que celle-ci soit entendue comme la manifestation de l’arbitraire créateur ou comme synonyme d’authenticité. C’est donc avec cette souplesse, à rebours de la rigidité de l’article 98 A de l’annexe III, que la notion “d’œuvre originale” doit être entendue ici [30] ».
Suivant un raisonnement similaire, l’article 150 VI N° Lexbase : L1871L3P fait appel à la notion « d’objet d’art » concept dont la signification est à rechercher en droit privé, et plus particulièrement dans le droit du marché de l’art, plus précisément dans le décret Marcus de 1981 N° Lexbase : L1604AZG, qui ne définit pas la notion, mais pose le critère de rattachement à l’auteur comme central, mais ne le lie pas strictement « à la main de l’auteur », sauf dans certains cas comme les tableaux [31].
B. Les obstacles à l’évaluation par l’administration fiscale des œuvres d’art numériques
D’un point de vue pratique, l’évaluation des œuvres d’art par l’administration fiscale est essentielle pour le calcul des droits de mutation. Cette évaluation des œuvres d’art s’opère classiquement en vertu d’un système dit en tiroirs conformément aux dispositions des articles 764 N° Lexbase : L7320MBQ et 805 N° Lexbase : L0544IHM du Code général des impôts. La première question ou écueil à surmonter est de savoir si ces œuvres seront assurées, comment et pour quelle valeur ?
Cette valeur d’assurance sera prise en compte par l’administration fiscale pour fixer sa valeur dans la succession, mais pour l’heure, ces œuvres ne sont généralement pas assurées. Ce prérequis doit être inscrit dans la loi comme une obligation afin d’éviter les conséquences sur la question de calcul des droits de mutation.
En cas d’absence d’assurance, la question se pose de savoir si l’œuvre peut ou non être qualifiée de meuble meublant. En effet, les meubles peuvent être évalués, à l’occasion du règlement d’une succession, forfaitairement à 5 % en ce compris les œuvres d’art dès lors qu’elles ne forment pas une collection et qu’il s’agit uniquement d’objets de décoration comme le préconise l’article 764 du Code général des impôts N° Lexbase : L7320MBQ. L’administration fiscale peut écarter l’application de ce forfait, dans le cas où elle rapporte la preuve de l’acquisition des biens peu avant le décès pour un prix supérieur au forfait notamment.
Quand l’œuvre d’art ne dispose pas d’un support, il est possible de considérer qu’elle est constitutive d’un élément de décoration, c’est le cas pour les photographies numériques. Il demeure cependant extrêmement délicat d’argumenter devant l’administration fiscale pour que les NFTs puissent intégrer la classification de meubles meublants.
En guise de démarche efficiente à adopter pour une évaluation des œuvres d’art numériques pour le calcul de droits de mutation, deux cas de figure sont à distinguer : « En matière de succession : Il faudra donc recourir :
– soit à une déclaration estimative des parties dans la déclaration de succession, le cas échéant appuyée par une expertise d’un homme de l’art ;
– soit à l’intégration de l’œuvre d’art numérique et de sa valorisation dans l’inventaire des meubles meublants conduit par le notaire avec le concours d’un commissaire-priseur judiciaire ;
– soit à l’intégration dans la déclaration de succession du prix d’acquisition de l’œuvre si celle-ci a été acquise peu avant le décès. Face à un actif dont l’évaluation est complexe, il est toujours possible de recourir à une mention expresse dans la déclaration fiscale prévue à l’article 1727 du CGI.
On peut par exemple révéler l’existence de cet actif, mais réserver sa valeur lors d’une déclaration complémentaire. Les intérêts de retard sur les droits de mutation exigibles ne sont pas dus en application de cet article.
En matière de donation de la même manière, il faudra annexer à l’acte de donation l’avis d’un expert qui pourra être un commissaire-priseur ou, à tout le moins, le conserver à son dossier numérique jusqu’au terme du délai de contrôle des valeurs, contrôle que l’administration fiscale peut opérer au cours des trois années civiles qui suivent l’enregistrement de l’acte de donation. » [32]
[1] V. G. Goffaux Callebaut, Quelques réflexions autour de la définition des œuvres d’art, in Mélanges en l’honneur de Jérôme Fromageau, Un patrimoine vivant, entre nature et culture, Mare & Martin, 2019, p. 369.
[2] S. Travers de Faultrier, Les mots du droit sur et dans l’œuvre, Les cahiers de la justice 2012, p. 25.
[3] M. Jacquet, Christie’s, première maison à vendre une œuvre d’art digitale, n° 1, 17 février 2021 [en ligne] (dernière consultation le 3 mars 2021).
E. Couchot et N. Hillaire, L’art numérique – Comment la technologie vient au monde de l’art, Flammarion, coll. Champs arts, 2003, p. 38.
[4] M. Cornu, La notion juridique d’œuvre d’art, Dr. & patr., 2016, n° 264 – G. Goffaux et F. Burneau, La transmission des œuvres d’art numériques, JCP N, 2022, 1087.
[5] Le concept de NFT va dans le sens de cette rareté : Vol au-dessus des enchères pour le Nyan Cat, le plus célèbre des GIFs animés, Courrier international, 23 février 2021 [en ligne] (dernière consultation le 2 mars 2021).
[6] Décret n° 95-172, du 17 février 1995, relatif à la définition des biens d’occasion, des œuvres d’art, des objets de collection et d’antiquité pour l’application des dispositions relatives à la taxe sur la valeur ajoutée N° Lexbase : O4085BRQ.
[7] BOI-BIC-CHG-70-10, 3 février 2021 N° Lexbase : X7779ALP – et déjà, Instr. 1er septembre 1980 (BOI-A-18-80) – interprétant CGI, art. 71, annexe III N° Lexbase : L7931LWN – adde QE n° 6086 de M. Jacques Blanc, JOANQ 27 septembre 1993, réponse publ. 24 janvier 1994, p. 363, 10e législature [en ligne] ; Dr. fisc., 1994, n° 15, comm. 727.
[8] BOI-RPPM-PVBMC-20-10, 31 décembre 2018, § 40 N° Lexbase : X4795AL8. La liste des œuvres visées n’est pas limitative en raison du recours à l’adverbe notamment. Toutefois, elle emprunte à l’article 98 A N° Lexbase : L2271HM3 auquel elle renvoie par ailleurs expressément.
[9] Décret n° 81-255, du 3 mars 1981, sur la répression des fraudes en matière de transactions d'œuvres d'art et d'objets de collection N° Lexbase : L1604AZG.
[10] Décret n° 91-1326, du 23 décembre. 1991, pris en application du 3 du i de l'article 4 de la loi n° 91-716 du 26 juillet 1991et relatif à la définition des œuvres d'art originales visées a l'article 291 du Code général des impôts N° Lexbase : O9568B7I modifiant le décret n° 92-953, du 7 septembre 1992 N° Lexbase : O2874B3T – ajoutant à la liste limitative des œuvres d’art répertoriées, les pièces d’ébénisterie de plus de cent ans d’âge dont la rareté et l’estampille ou l’attribution établissent l’originalité du travail de l’artiste, à l’exclusion des articles d’orfèvrerie et de joaillerie, QE n° 2017, JO Sénat, 5 novembre 1992, p. 2480.
[11] Le décret n° 91-1326, du 23 décembre 1991, pris en application du 3 du I de l'article 4 de la loi n° 91-716, du 26 juillet 1991, et relatif à la définition des œuvres d'art originales visées à l'article 291 du Code général des impôts N° Lexbase : O9568B7I qui a été codifié sous l'article 71 A de l'annexe III N° Lexbase : L7931LWN qui n'a pas été transformée depuis.
[12] R. Demichelis, Une œuvre générée par une intelligence artificielle adjugée 350 000 dollars, Les Échos, 25 octobre 2018. R. Azimi, Que valent les œuvres d’art créées par intelligence artificielle ?, Le Monde, 27 janvier 2020.
[13] H. Desbois, Le droit d’auteur en France, Dalloz, 3e éd., 1978, n° 68.
[14] A. Tricoire, Le droit pénal au secours du ready-made : n’est pas Duchamp qui veut, D., 2006, p. 1827.
[15] V. not. J. Chatelain, La notion d’œuvre d’art originale, in Le marché commun et le marché de l’art, 1982, p. 19 – J.-M. Pontier, La notion d’œuvre d’art, RDP, 1990, p. 1403, n° 5 – N. Heinich, « C’est un oiseau ! » Brancusi vs États-Unis, ou quand la loi définit l’art, Dr. et société, 1996, p. 649 – B. Edelman, L’adieu aux arts, 1926 : l’affaire Brancusi, Aubier Flammarion, 2001 – A. Raynouard, L’inutile définition de l’œuvre d’art, exemple de réalisme juridique, RLDC, 2012, p. 98 – M. Cornu, La notion juridique d’œuvre d’art et le marché, in Dossier « Le marché de l’art », Dr. & patr., décembre 2016, p. 56 – G. Goffaux Callebaut, Quelques réflexions autour de la définition des œuvres d’art, in Mélanges en l’honneur de Jérôme Fromageau, Un patrimoine vivant, entre nature et culture, Mare & Martin, 2019, p. 369.
[16] A. Lucas et P. Sirinelli, L’originalité en droit d’auteur, JCP G, 1993, I, 3681. CJUE, 4e ch., 16 juillet 2009, aff. C-5/08, Infopaq International A/S c/ Danske Dagblades Forening [LXB= A9796EIN], JurisData n° 2009-010992 ; Comm. com. électr., 2009, comm. 97, note Ch. Caron ; JCP G, 2009, 272, note L. Marino ; Propr. intell., 2009, n° 33, p. 379, note V.-L. Bénabou ; RTDE, 2010, p. 944, obs. E. Treppoz. – V. GAPI : Dalloz, 3e éd., 2020, n° 41, note V.-L. Benabou. 15. CJUE, 3e ch., 1er décembre 2011, aff. C-145/10, Eva-Maria Painer c/ Standard VerlagsGmbH N° Lexbase : A4925H3S, Comm. com. électr., 2012, comm. 26, note C. Caron ; Propr. intell. 2012, p. 30, obs. A. Lucas ; RTD com., p. 109, obs. F. Pollaud Dulian ; Légipresse, 2012, p. 161, note J. Antippas. 16. TGI Paris, 3 juin 1969, D., 1970, p. 136, note J.-P. – G. Loiseau, Le corps, objet de création, JAC, 2015, n° 22, p. 30. QE n° 987 de M. Franck Marlin, JOAN Q, 29 août 2006, réponse publ. 23 janvier 2007, p. 9077, 12e législature [en ligne]. CE, 8e-3e s.-sect. réunies, 21 octobre 2013, n° 358183, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4467KNR, Auville ; Dr. fisc., 2014, n° 3, comm. 80 ; BDCF 1/2014, n° 4, concl. B. Bohnert – L. Valette, LPA, 25 mai 2012, n° 105, p. 19 à 22. CE, 3e-8e ch. réunies, 7 juillet 2022, n° 448012, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A10528A9, Dr. fisc., 2022, n° 42, comm. 373 ; Dalloz Actualité, 15 septembre 2022, obs. O. Wang.
[17] F. Mattatia, Œuvres créées par intelligence artificielle et droit d’auteur, Rev. pratique de la prospective et de l’innovation, 2019, dossier 9, p. 42 – F. Pollaud-Dulian, L’humanisme de la propriété intellectuelle au défi des objets produits par l’intelligence artificielle, RTD com., 2022, p. 2051 – adde, A. Bensamoun et J. Farchy, Rapport CSPLA, Mission Intelligence artificielle et Culture, 27 janvier 2020 [en ligne].
[18] CAA Paris, 2e, 1er juin 2022, n° 21PA00400 N° Lexbase : A61417Y4, Dalloz actualités, 23 juin 2022, note O. Wang.
[19] BOI-TVA-SECT-90-40, 4 mars 2015, § 200 N° Lexbase : X4086ALW.
[20] Concl. P. Collin sous CE, 8e-3e s.-sect. réunies, 13 avril 2005, n° 265562, min. c/ Amirkhanian N° Lexbase : A8478DHH ; Dr. fisc., 2005, n° 52, comm. 847 – v. JCP A, 2006, 106 ; RJF 7/2005, n° 709 – jugeant que commet une erreur de droit l’arrêt qui apprécie la notion de « vacance indépendante de la volonté du contribuable » en matière de taxe foncière à la lumière des critères applicables à la taxe sur les logements vacants sans rechercher si ces critères étaient transposables à un impôt de nature différente.
[21] V. J Fingerhut, Le régime fiscal des déductions des achats d’œuvres d’art contemporain, Dr. et patr., 1er mai 1998, n° 280.
[22] Loi n° 2003-709, du 1er août 2003, relative au mécénat, aux associations et aux fondations N° Lexbase : L3710BLY, art. 6.
[23] CE, 9e-10e s.-sect. réunies, avis, 1er avril 2010, n° 334465, publié au recueil Lebon N° Lexbase : O8476AA8 ; Dr. fisc., 2010, n° 17-18, comm. 299, concl. P. Collin ; RJEP, 2010, comm. 42, note M. Collet ; Dr. adm., 2010, comm. 102, note F. Melleray ; Procédures, 2010, comm. 256, note L. Ayrault ; RJF 6/2010, n° 632 ; AJDA, 2010, p. 1327, note H. Belrhali-Bernard ; Gaz. Pal., 2010, n° 185 à 187, p. 19, obs. B. Seiller.
Sur « l’effet écran de la doctrine administrative », v. Ph. Marchessou, L’interprétation des textes fiscaux, thèse, Economica, 1980.
BOI-BIC-CHG-70-10, 3 février 2021, § 20 N° Lexbase : X7779ALP – énonçant que « Les œuvres concernées sont celles qui sont définies à l’article 98 A de l’annexe III au CGI ».
[24] V. Varnerot, La notion d’œuvre d’art en droit fiscal, Revue de droit fiscal, n°51-52, 22 décembre 2022, p 3.
[25] É. Mirieu de Labarre, Le statut fiscal de l’objet d’art, Dr. fisc. 2006, n° 20, étude 20 – P. Schiele et E. Le Talec, La taxe sur les œuvres d’art : une législation elliptique qui nécessitait une « consolidation législative », Dr. fisc., 2006, n° 26, étude 4 – G. de la Taille, Peinture jurisprudentielle de la taxe forfaitaire sur les objets précieux, RJF, 5/2022, p. 7.
[26] BOI-RPPM-PVBMC-20-10, 31 décembre 2018, § 40 N° Lexbase : X4795AL8 : « Il s’agit notamment des articles suivants : – tableaux et peintures entièrement réalisés à la main (y compris les aquarelles, gouaches et dessins à la main) ; – gravures, estampes, lithographies originales ; – tapisseries et textiles muraux faits à la main, sur la base de cartons originaux fournis par les artistes, à condition qu’il n’existe pas plus de huit exemplaires de chacun d’eux ; – tapis et tapisseries de plus de cent ans d’âge ; – statues et sculptures originales, émaux et céramiques originaux. Constituent notamment des objets d’art au sens de ces dispositions, les productions originales de l’art statuaire ou de la sculpture en toutes matières, dès lors que ces productions sont exécutées par l’artiste. Il en est de même des fontes de sculptures contrôlées par l’artiste lui-même ou ses ayants droit. Ne sont pas considérées comme des objets d’art, même lorsqu’elles ont été conçues par des artistes, les sculptures ayant un caractère commercial (reproductions en série, moulages et œuvres artisanales notamment) ; – photographies d’art. Constituent notamment des objets d’art au sens de ces dispositions, les photographies prises par l’artiste, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de trente exemplaires, tous formats et supports confondus (CGI, art. 278 septies). Sur la définition des œuvres concernées, il convient de se reporter au III § 70 du BOI-TVA-LIQ-30-10-60 ; – œuvres d’art audiovisuelles sur support analogique ou numérique, ainsi que les biens mobiliers constitutifs de l’installation dans laquelle ils s’intègrent lorsqu’ils font l’objet d’une facturation globale, sous réserve que le tirage de celles-ci soit contrôlé par l’artiste ou ses ayants droit et limité au plus à douze exemplaires, et qu’elles soient signées et numérotées par l’artiste ou, à défaut, accompagnées d’un certificat d’authenticité signé par lui ; – meubles meublants et objets d’antiquité de plus de cent ans d’âge. En présence d’un meuble ou d’un objet de moins de cent ans et dont le prix de cession ou la valeur en douane excède 5 000 euros, il convient de s’assurer qu’il ne revêt pas le caractère d’un objet de collection (v. I-B-3 § 70) ; – livres et manuscrits ; – éléments faisant partie intégrante de monuments artistiques, historiques ou religieux et provenant du démembrement de ceux-ci, ayant plus de cent ans d’âge ».
[27] CE, 8e-3e s.-sect. réunies, 13 avril 2005, n° 265562, min. c/ Amirkhanian N° Lexbase : A8478DHH ; Dr. fisc., 2005, n° 52, comm. 847, concl. P. Collin ; JCP A, 2006, 106 ; RJF, 7/2005, n° 709.
[28] CJUE, 4e ch., 16 juillet 2009, aff. C-5/08, Infopaq International A/S c/ Danske Dagblades Forening N° Lexbase : A9796EIN ; Comm. com. électr., 2009, comm. 97, note Ch. Caron ; JCP G, 2009, 272, note L. Marino ; Propr. intell., 2009, n° 33, p. 379, note V.-L. Bénabou ; RTDE, 2010, p. 944, obs. E. Treppoz – V. GAPI, Dalloz, 3e éd., 2020, n° 41, note V.-L. Benabou – v. aussi, V.-L. Benabou, L’originalité, un Janus juridique. Regards sur la naissance d’une notion autonome en droit de l’Union, in Mélanges en l'honneur du professeur André Lucas, 2014.
[29] CJUE, 3e ch., 1er décembre 2011, aff. C-145/10, Eva-Maria Painer c/ Standard VerlagsGmbH N° Lexbase : A4925H3S, Comm. com. électr., 2012, comm. 26, note C. Caron ; Propr. intell., 2012, p. 30, obs. A. Lucas ; RTD com., p. 109, obs. F. Pollaud Dulian ; Légipresse, 2012, p. 161, note J. Antippas.
[30] V. Varnerot, La notion d’œuvre d’art en droit fiscal, Revue de droit fiscal, n° 51-52, 22 décembre 2022, p 3.
[31] Cass. civ. 1, 5 février 2002, D., 2003, p. 436, chron., B. Edelman – Cass. civ. 1, 15 novembre 2005, n° 03-20.597, FS-P+B N° Lexbase : A5484DLP ; Bull. civ. I, n° 412 ; JCP G, 2006, II, 10092, note J. Ickowicz ; Contrats, conc. consom., 2006, comm. 44, note L. Leveneur ; D., 2006, p. 1116, note A. Tricoire ; RDLC, 2006/28, note J.-M. Bruguiere ; LPA, 9 août 2007, p. 12, note E. Mouial Bassilana – Cass. civ. 1, 10 juillet 2013, n° 12-23.773, F-P+B N° Lexbase : A8946KI8 ; Bull. civ. I, n° 156 ; D., 2013, 1895 ; RTD com., 2013, 794, obs. B. Bouloc.
[32]. G. Goffaux Callebaut et F. Burneau, La transmission des œuvres d’art numériques, Revue droit du patrimoine, juillet 2022, p 7.
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