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par Naël Dupeu, Doctorant en Droit fiscal à l’Université de Toulon, Cabinet Guidet & Associés
le 05 Août 2022
Mots-clés : opposition à contrôle fiscal • administration fiscale • rectification contradictoire • imposition d’office • Livre des procédures fiscales
« Ennemie jurée de l’arbitraire, la forme est la sœur jumelle de la liberté. » [1]
Si la procédure de rectification contradictoire constitue la procédure de droit commun (LPF, art. L. 55 N° Lexbase : L5685IEB), il arrive parfois que l’administration fiscale puisse mettre en œuvre la procédure – plus violente – d’imposition d’office. L’application de cette procédure place le contribuable dans une position de faiblesse puisque d’une part, elle permet à l’administration fiscale de fixer d’office les bases d’impositions et d’autre part, elle a pour effet de transférer la charge de preuve sur ses épaules. Fort heureusement, cette procédure est encadrée. En effet, cette procédure peut être mise en œuvre dans les situations précisées aux articles L. 65 N° Lexbase : L8461AE4 à L. 74 N° Lexbase : L0428IYI du Livre des procédures fiscales. La présente étude porte sur l’une de ces situations à savoir l’opposition à contrôle fiscal. Il s’agit ici d’esquisser les contours de cette notion (I) tout en mettant l’accent sur le risque de détournement de procédure (II).
I. Les contours de la notion d’opposition à contrôle fiscal
L’étude de la notion d’opposition à contrôle fiscal nous amène à pénétrer dans l’intimité d’un couple en phase de rupture. Ce voyeurisme est toutefois justifié par la nécessité de veiller au respect des règles qui encadrent l’opposition à contrôle fiscal (A). Cette curiosité touchera son paroxysme lorsque nous étudierons quelques cas justifiés d’opposition à contrôle fiscal (B).
A. La notion d’opposition à contrôle fiscal
Le contrôle fiscal est le corollaire nécessaire du système déclaratif. En effet, selon le Professeur Martin Collet « il est impératif que l’administration dispose d’importants pouvoirs de contrôle pour s’assurer que les assujettis respectent leurs obligations » [2]. La loi fiscale permet ainsi à l’administration de mener un contrôle fiscal malgré l’absence de coopération du contribuable.
En ce sens, l’article L. 74 du Livre des procédures fiscales dispose que « les bases d’imposition sont évaluées d’office lorsque le contrôle fiscal ne peut avoir lieu du fait du contribuable ou de tiers ». Les agents de l’administration fiscale ont donc les moyens de réagir face à un contribuable réfractaire au contrôle.
Champ d’application – L’article L. 74 du Livre des procédures fiscales vise l’ensemble des contrôles sur place auxquels l’administration est en droit de procéder et pas seulement les vérifications de comptabilité. Ces dispositions s’appliquent notamment au contrôle dont une société civile immobilière peut faire l’objet au titre de ses revenus fonciers [3].
Obligation de coopération du contribuable – L’administration fiscale mentionne de plus en plus souvent l’existence d’une obligation de coopération entre le service et le contribuable. Ce dernier doit, en effet, accepter « les règles du jeu » en satisfaisant aux demandes du vérificateur. Lorsque tel n’est pas le cas, le fisc peut agiter la menace dissuasive d’une opposition à contrôle fiscal. Toutefois, il faut garder à l’esprit que cette menace ne peut être mise à exécution que lorsque les conditions de l’opposition à contrôle fiscal sont remplies.
Conditions d’application – L’application des dispositions de l’article L. 74 du Livre des procédures fiscales nécessite la caractérisation d’une opposition à contrôle fiscal. Rappelons que l’opposition à l’exercice du contrôle peut émaner du contribuable lui-même ou d’un tiers. Le Professeur Thierry Lambert définit l’élément matériel de l’opposition à contrôle fiscal comme « tout obstacle apporté par toute personne, contribuable ou tiers, à l’exercice légal des fonctions des agents habilités à constater les infractions à la législation fiscale, et ayant pour effet de mettre les agents de l’administration dans l’impossibilité d’accomplir leur mission » [4]. L’exercice du contrôle doit ainsi être rendu quasi impossible. En outre, une telle opposition ne peut être caractérisée en l’absence d’un élément moral. Il doit en effet résulter des circonstances de l’espèce que l’obstacle a été apporté volontairement, consciemment et de façon délibérée [5].
Conséquences – Jouer les durs ou faire l’autruche lors d’un contrôle fiscal est une fausse bonne idée. Une opposition à contrôle fiscal emporte des conséquences désastreuses pour le contribuable. En effet, l’opposition à contrôle fiscal autorise l’administration à fixer d’office les bases d’imposition à l’aide des éléments d’appréciation dont elle dispose. La procédure de rectification contradictoire est ainsi exclue au profit de la procédure d’imposition d’office. L’article L. 76 du Livre des procédures fiscales prévoit simplement que l’administration est tenue de porter à la connaissance du contribuable les « bases ou éléments d’assiette » ainsi que les « modalités de calcul » à partir desquelles elle a établi les impositions d’office. Cela étant, l’application de la procédure d’imposition d’office a également pour effet de renverser la charge de la preuve (LPF, art. L. 193 N° Lexbase : L8356AE9). Ainsi, en cas de contestation, il incombe au contribuable de prouver le caractère exagéré des impositions (LPF, art. R. 193-1 N° Lexbase : L1588IN7).
Majoration de droits – Au titre des conséquences de l’opposition à contrôle fiscal, il faut ajouter l’application d’une majoration de 100% aux droits rappelés ou aux créances de nature fiscale qui doivent être restituées à l’État et l’interdiction, pour le contribuable, de siéger dans une des commissions fiscales instituées par les articles 1650 à 1651 M et 1653 A (CGI, art. 1732 N° Lexbase : L0571LZ8).
B. Les cas justifiés d’opposition à contrôle fiscal
La gravité des situations menant à caractériser une opposition à contrôle fiscal doit être à la hauteur des conséquences et sanctions encourues. En effet, comme l'a indiqué le commissaire du gouvernement J. Arrighi de Casanova dans ses conclusions sous la décision « Di Fazio », « l'application de l'article L. 74 suppose que le contrôle n'ait pas seulement été rendu plus difficile par l'inertie du contribuable. Il faut qu'il ait été rendu quasiment impossible, compte tenu, tant de l'attitude de l'intéressé que des diligences normales que l'on est en droit d'attendre en pareil cas d'un vérificateur » [6]. Ainsi, la caractérisation de l’obstacle procède de la conjugaison de l’attitude négative du contribuable ou du tiers et de l’attitude positive de l’agent de l’administration fiscale. En clair, l’un doit tout mettre en œuvre pour court-circuiter le contrôle tandis que l’autre doit tout faire pour le mener à bien.
Sous cette réserve, l’article L. 74 du Livre des procédures fiscales s’applique lorsque le contribuable a délibérément tenté d’empêcher la vérification mais également lorsque par son attitude, et notamment son inertie, il a rendu impossible le contrôle. En effet, l’opposition à contrôle fiscal est caractérisée lorsque le contribuable refuse de communiquer sa comptabilité [7] ou des éléments permettant de la reconstituer [8] ou lorsque l’intéressé laisse sans réponse plusieurs mises en demeure d’avoir à présenter celle-ci [9] ou décide de fermer son siège sans fournir une nouvelle adresse [10]. L’opposition à contrôle fiscal peut également être caractérisée par un report systématique des rendez-vous convenus avec l’inspecteur [11] ou l’utilisation de différents moyens pour repousser la vérification [12] [13].
Ainsi, lorsqu’il résulte des circonstances de fait que le contribuable, ou un tiers a eu la volonté avérée de se soustraire au contrôle, l’application de la procédure d’imposition d’office est légalement justifiée. Toutefois, il existe des situations où l’excès de zèle des agents de l’administration fiscale conduit à appliquer injustement la procédure d’imposition d’office (II).
II. Le risque de détournement de procédure
Le Professeur Gérard Cornu définit le détournement de procédure comme une « irrégularité consistant à substituer à une procédure régulière une autre plus expédiente mais inapplicable » [14]. En ce sens, la recherche de l’efficacité fiscale peut conduire les agents de l’administration fiscale à appliquer, sans assez de précautions, la procédure d’imposition d’office (A). Le juge fiscal doit alors s’ériger en rempart, protecteur des garanties du contribuable (B).
A. Le pragmatisme de l’administration fiscale
L’inertie du contribuable est parfois source de détournement de procédure. En effet, à son tour, le vérificateur peut être tenté de faire l’autruche en interprétant, à la hâte, cette absence de réaction comme une opposition à contrôle fiscal. En pratique, le vérificateur va adresser, par lettre recommandée avec accusé de réception, un avis de vérification au contribuable en lui proposant une date de rendez-vous. En l’absence de réaction, il va multiplier les mises en garde et propositions de rendez-vous avant de perdre patience et de dresser un procès-verbal d’opposition à contrôle fiscal.
Ce procès-verbal emporte de lourdes conséquences sur la suite de la procédure. Dès lors, il est impératif de veiller à ce que les agents de l’administration fiscale prennent les précautions nécessaires afin de s’assurer que le contribuable s’oppose effectivement au contrôle. Ainsi, ces précautions ne peuvent se limiter à la multiplication de lettres recommandées avec accusé de réception retournées avec la mention « pli avisé non réclamé ». Les agents de l’administration fiscale doivent, en outre, chercher à joindre le contribuable par tout moyen afin de s’assurer qu’il s’agit de la bonne adresse et, le cas échéant, que l’inertie du contribuable n’est pas justifiée par des raisons objectives. Lorsque tel est le cas, il faut laisser au contribuable un délai raisonnable pour qu’il puisse appréhender sereinement le contrôle. En effet, rappelons que le juge fiscal exige de l’administration un certain devoir de loyauté.
Or, en pratique, il arrive parfois que de légères diligences conduisent les agents de l’administration fiscale à conclure, hâtivement, à une opposition à contrôle fiscal malgré des justifications objectives. En effet, la pandémie de Covid-19 a entraîné des restrictions de liberté exceptionnelles. Des contribuables se sont ainsi vu reprocher une opposition à contrôle fiscal alors qu’ils étaient à l’étranger, privés de leur liberté d’aller et venir. Aussi, plus simplement, il peut arriver que le contribuable s’absente quelques semaines en voyage et qu’à son retour, il perde brusquement le bienfait des vacances en découvrant le procès-verbal d’opposition à contrôle fiscal.
Ces situations ubuesques nuisent à la relation de confiance promue par la loi du 10 août 2018 [15]. Ainsi, afin de préserver cette relation, il faut veiller à ce que des précautions nécessaires soient prises pour s’assurer du caractère avéré de l’opposition.
En effet, gardons à l’esprit que la majoration de 100% appliquée en cas d’opposition à contrôle fiscal constitue la sanction la plus lourde prévue par les textes fiscaux. Dès lors, un tel traitement doit être exceptionnel [16] et réservé aux contribuables les plus récalcitrants.
B. Le juge fiscal, protecteur des garanties du contribuable
Le Professeur Gilles Noël indique que « le juge veille strictement à ce que l’administration fiscale utilise loyalement les différentes procédures de contrôle mises à sa disposition, et ne les détourne pas de leur objet pour confisquer des droits au contribuable » [17].
Ainsi, dans un arrêt du 27 juillet 2005 [18], les magistrats du Conseil d’État ont indiqué « qu’il ne ressort pas du dossier que le liquidateur, à supposer qu’il ait été sollicité par le vérificateur, a refusé de produire la comptabilité de la société ; que, dans ces conditions, en estimant que les éléments constitutifs d’une opposition à contrôle fiscal étaient réunis, à compter du 4 septembre 1990, la cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ».
Les hauts magistrats précisent en outre que « les éléments constitutifs d’une opposition à contrôle fiscal n’étaient pas réunis ; qu’en procédant à l’évaluation d’office des résultats de l’EURL Sud Harmonie en application de l’article L. 74 du Livre des procédures fiscales, l’Administration a dès lors entaché d’irrégularité la procédure d’imposition ». Dans ces conditions, le haut Conseil n’a eu d’autre choix que d’ordonner la décharge des impositions établies dans le cadre de la procédure d’évaluation d’office prévue par l’article L. 74 du Livre des procédures fiscales.
Le juge fiscal, en contrôlant la qualification juridique des faits, s’érige en protecteur des garanties du contribuable et il faut s’en féliciter. Toutefois, s’agissant du comportement passif du contribuable, des précisions pourraient être apportées.
En effet, le Conseil d’État a eu l’occasion de juger que « la procédure de l'évaluation d'office pour opposition au contrôle fiscal du fait du contribuable s'applique lorsque le contribuable, régulièrement avisé du contrôle, n'est pas présent le jour où doit se dérouler la vérification et reste absent de son cabinet pendant plusieurs mois » [19].
Il faut toutefois garder à l’esprit que l’opposition à contrôle fiscal doit être intentionnelle. Dès lors, il est impératif de veiller à ce que le contribuable ait été effectivement avisé du contrôle et non seulement « régulièrement avisé ». Cette nuance, primordiale, doit permettre au juge fiscal de faire la différence entre les véritables cas « d’esquive du contrôle fiscal » [20] et ceux qui n’en sont pas.
[1] R. Von Jhering, L’esprit du droit romain dans les diverses phases de son développement, 2e éd., traduit par O. de Meulenaere, t. III, Paris, Marescq, 1877, p. 158 ; Bologne, Forni, 1969, p. 164.
[2] M. Collet, Procédures fiscales, PUF, 2020, p. 5.
[3] CE, 9°-10° ssr., 5 novembre 2014, n° 356148 et 357672, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9339MZW ; RJF, 2/15, n° 130 ; O. Négrin, Procédure n° 1, janvier 2015, comm. 27.
[4] T. Lambert, Procédures fiscales, 4e édition, LGDJ, p. 240.
[5] Ibid.
[6] Conclusions J. Arrighi de Casanova ss. CE, 8°-7° ssr., 10 avril 1991, n° 107710, Di Fazio N° Lexbase : A8950AQK : RJF, 6/1991, p. 425.
[7] CE, 7°-8° ssr., 16 février 1987, n° 50422.
[8] CAA Bordeaux, 25 février 2003, n° 99BX02355 N° Lexbase : A5778C9U.
[9] CE Contentieux, 15 juin 1987, n° 48864 N° Lexbase : A2460APS.
[10] CAA Paris, 6 février 1990, n° 1100.
[11] CE, 9°-10° ssr., 7 avril 2010, n° 325292 N° Lexbase : A5688EU9.
[12] CE, 9°-10° ssr., 29 décembre 2000, n° 196633 N° Lexbase : A2138AIZ.
[13] J-P. Casimir, Contrôle fiscal, Groupe Revue Fiduciaire, 16e édition, 2019, p. 213-215.
[14] G. CORNU, Vocabulaire juridique, 14e édition, PUF, 2022.
[15] Loi n° 2018-727, du 10 août 2018, pour un État au service d’une société de confiance N° Lexbase : L6744LLD.
[16] Charte des droits et obligations du contribuable vérifié, 2020, p. 22.
[17] G. Noël, La loyauté dans le couple administration fiscale-contribuable, in Mél., Cozian, Litec, 2009, op. cit., p. 96 in fine.
[18] CE, 9°-10° ssr., 27 juillet 2005, n° 253918 N° Lexbase : A1297DKA.
[19] CE, 7 décembre 1977, n° 3071: RJF, 1978. 56 ; Dr. fisc. 1978, comm. 379 et 381.
[20] O. Négrin, Procédures n° 1, janvier 2012, comm. 29.
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