Le Quotidien du 8 août 2022 : Baux commerciaux

[Jurisprudence] L’acceptation du principe du renouvellement vaut renonciation du bailleur à l'acquisition de la clause résolutoire

Réf. : Cass. civ. 3, 11 mai 2022, n° 19-13.738, FS-B N° Lexbase : A56197WZ

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N1694BZR

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par Sarah Andjechaïri-Tribillac, Maître de conférences en droit privé à l’Université de Perpignan Via Domitia, Membre du CDEDYS (EA n° 4216)

le 05 Août 2022

Mots-clés : bailleur • renouvellement du bail • acceptation du principe du renouvellement • fixation judiciaire du loyer du bail renouvelé • manifestation de la volonté du bailleur • renonciation à la résolution du bail • manquements du locataire dénoncés antérieurement au renouvellement

Il résulte des articles L. 145-10, alinéa 4, et L. 145-11 du Code commerce que l'acceptation par le bailleur du principe du renouvellement du bail, sous la seule réserve d'une éventuelle fixation judiciaire du loyer du bail renouvelé, manifeste la volonté du bailleur de renoncer à la résolution de celui-ci en raison des manquements du locataire aux obligations en découlant et dénoncés antérieurement.


 

La demande de renouvellement du bail commercial est l'acte par lequel le locataire, qui n'a pas reçu congé, déclare vouloir obtenir le renouvellement de son bail tout en mettant fin au bail initial. Lorsque le bailleur n'a pas donné congé pour l'échéance du bail au moins six mois à l'avance, le locataire a le droit de solliciter au bailleur le renouvellement du bail dans les six mois précédant l’expiration dudit bail ou à tout moment au cours de la tacite prolongation.

À compter de sa notification, la demande de renouvellement fait courir un délai de trois mois durant lequel le bailleur doit faire connaître au locataire s’il accepte le renouvellement ou s'il refuse le renouvellement en précisant les motifs de ce refus. À défaut d'avoir fait connaître ses intentions dans ce délai, le bailleur est réputé avoir accepté le principe du renouvellement du bail précédent (C. com., art. L. 145-10 N° Lexbase : L2008KGH), même si la Cour de cassation offre au locataire un droit d'option (C. com., art. L. 145-57 N° Lexbase : L5785AI4).

L’arrêt rendu le 11 mai 2022 offre la possibilité pour la troisième chambre civile de revenir sur la question de l’acceptation du principe de renouvellement du bail et de la renonciation du bailleur à l'acquisition de la clause résolutoire.

La chronologie des faits a son importance dans la compréhension de la décision rapportée.

En l’espèce, divers locaux ont été donnés à bail le 1er février 2003. Les locataires ont demandé, le 12 octobre 2017, renouvellement du bail commercial. Cependant, les bailleurs ont délivré le 22 novembre 2017 un commandement visant la clause résolutoire de payer un arriéré au titre de la régularisation de charges et de justifier d'une assurance contre les risques locatifs. Les locataires ont dès lors sollicité des délais de paiement conformément au second alinéa de l’article L. 145-41 du Code de commerce N° Lexbase : L1063KZE.

Étonnamment, le 12 janvier 2018, les bailleurs ont accepté, moyennant un loyer plus élevé, le principe du renouvellement du bail commercial demandé par les locataires le 12 octobre 2017. Or, deux mois et demi après avoir accepté le principe de renouvellement, le 28 mars 2018, les bailleurs ont demandé, à titre reconventionnel, la constatation de l'acquisition de la clause résolutoire ainsi que la condamnation des locataires au paiement de diverses provisions.

Par un arrêt confirmatif, la cour d’appel de Paris [1] a constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail, à la date du 22 décembre 2017, laquelle correspondait au délai imparti aux locataires pour justifier d’une assurance contre les risques locatifs. Elle a également ordonné, à défaut de restitution volontaire, l’expulsion desdits locataires ainsi que de celle de tout occupant de leur chef des lieux loués, et fixé l'indemnité d'occupation aux motifs que les locataires ne pouvaient valablement « soutenir que les bailleurs ont renoncé à se prévaloir du commandement du 22 novembre 2017, dès lors que le bail initialement conclu entre les parties a été résilié de plein droit le 22 décembre 2017, les bailleurs étant libres de consentir un nouveau contrat, les parties ne s'étant d'ailleurs manifestement pas encore entendues sur les termes d'une éventuelle nouvelle convention, et notamment sur le montant du loyer ».

L’argumentaire des juges du fond ne convainc pas la troisième chambre civile qui censure l’arrêt d’appel au visa de la combinaison des articles L. 145-10, alinéa 4, et L. 145-11 N° Lexbase : L5739AIE du Code commerce.

I. L’acceptation du principe de renouvellement par le bailleur

La cour régulatrice rappelle, au visa de l’article L. 145-10, alinéa 4, du Code de commerce, qu’au terme du délai de trois mois suivant la notification de la demande du locataire en renouvellement du bail commercial, lequel est un délai préfix, c'est-à-dire un délai de forclusion [2], le bailleur est en droit de refuser le renouvellement du bail. Dans cette hypothèse, il peut soit offrir une indemnité d’éviction [3], soit la refuser en motivant sa réponse. Il peut également ne pas répondre. Cependant, son silence n’est pas sans risque puisque, comme il a été précédemment énoncé, à défaut d’avoir fait connaître ses intentions dans le délai légal, le bailleur est réputé avoir accepté le principe du renouvellement du bail [4]. Ce n’est que le principe du renouvellement qui est accepté et non ses modalités [5], de sorte que la présomption d’acceptation ne porte pas sur le loyer du bail renouvelé.

Néanmoins, l’acceptation du principe du renouvellement « est provisoire, et ne fait pas obstacle à l'exercice ultérieur du droit d'option du bailleur qui refuse le renouvellement du bail en offrant le paiement d'une indemnité d'éviction » [6]. Le bailleur dispose également d’une faculté de rétractation lorsqu’il invoque des manquements inconnus à la date présumée d’acceptation du renouvellement ou nés après. En effet, il ne peut invoquer que des manquements contractuels antérieurs dont il n'avait pas connaissance ou des manquements postérieurs.

Aussi, et même si l'article L. 145-10 du Code de commerce ne l’envisage pas, l'article L. 145-11 du même Code prévoit que le bailleur peut accepter expressément le renouvellement et solliciter un nouveau loyer [7]. Il devra alors faire connaître dans sa réponse le loyer qu'il propose. De cette façon, le renouvellement du bail n'est pas subordonné à une fixation préalable d'un nouveau prix [8]. Le montant du nouveau loyer pourra être fixé ultérieurement à l'amiable ou à défaut d'accord, par la voie judiciaire. Le bail ne sera définitivement renouvelé qu’au jour où le loyer aura été fixé judiciairement ou amiablement.

Dans l’arrêt rapporté, le bail conclu le 1er février 2003 se trouvait en période de prolongation tacite lors de la demande de renouvellement notifiée le 12 octobre 2017. Deux mois après avoir délivré un commandement de payer visant la clause résolutoire, le 12 janvier 2018, les bailleurs ont accepté le principe du renouvellement du bail commercial demandé par les locataires. Il s’agit en l’espèce d’une acceptation expresse et non tacite, intervenue dans le délai légal des trois mois. À l’occasion de cette acceptation, les bailleurs ont, conformément aux dispositions précitées, proposé un loyer plus élevé.

Il en résulte de l’application conjuguée des deux articles susvisés que l’acceptation expresse par le bailleur du principe du renouvellement du bail, sous la seule réserve d’une éventuelle fixation judiciaire du loyer du bail renouvelé, manifeste sa volonté de renoncer à la résolution dudit bail en raison des manquements du locataire aux obligations en découlant et dénoncés antérieurement. Telle est la solution retenue par la Cour de cassation.

Cette solution est à rapprocher de celle retenue récemment dans l’arrêt du 1er février 2018, selon laquelle la cour régulatrice a considéré que le bailleur, qui ne s'est pas opposé à la demande de renouvellement du bail, ne peut invoquer des manquements contractuels commis lors du bail expiré pour obtenir la résiliation de celui-ci [9]. Autrement dit, la présomption d’acceptation du principe de renouvellement fait obstacle au bailleur de refuser le renouvellement du bail en invoquant des manquements du locataire antérieurs à la date où le bailleur est réputé avoir accepté le principe du renouvellement [10]. Le bailleur, qui a accepté tacitement le principe du renouvellement du bail, a renoncé à la résiliation judiciaire de celui-ci, de sorte que les manquements du locataire allégués antérieurement à la date présumée de cette acceptation ne peuvent plus être invoqués.

Ce principe posé par la Cour de cassation trouve à s’appliquer dès lors que la demande de renouvellement du locataire a été acceptée par le bailleur, tacitement ou expressément. À cette condition, le bailleur ne peut plus demander la résiliation du bail pour des manquements commis durant le bail expiré.

L’arrêt du 11 mai 2022 est l’occasion pour la troisième chambre civile d’affuter sa jurisprudence en précisant les critères de l’acte de renonciation.

II. La renonciation du bailleur à l’acquisition de la clause résolutoire

Il est ainsi de principe jurisprudentiel que l’acceptation, expresse ou tacite, du principe du renouvellement vaut renonciation du bailleur au bénéfice de la clause résolutoire.

En présence d’une clause résolutoire, lorsque le manquement du locataire est constaté, le bail commercial est résilié de plein droit par le seul effet de la clause. L'article L. 145-41 du Code de commerce prévoit toutefois que la clause résolutoire ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux, commandement qui doit mentionner, à peine de nullité, ce délai. Les effets de la clause résolutoire ne sont réellement acquis que s'ils ont été constatés judiciairement.

Bien qu’elle soit stipulée au profit du bailleur, ce dernier est en droit de renoncer à la clause résolutoire [11]. Du reste, le locataire peut, comme en témoigne l’arrêt rapporté, opposer au bailleur la renonciation de celui-ci à solliciter l'acquisition de la clause résolutoire, sous certaines conditions.

La renonciation est un acte juridique unilatéral qui « a pour seul effet d’éteindre un droit ou une obligation » [12]. Cet acte abdicatif, irrévocable et unilatéral, repose sur l'unique volonté du titulaire du droit abandonné [13]. La renonciation doit en conséquence s’interpréter restrictivement.

À cet égard, il est établi que la renonciation à un droit peut être expresse ou tacite [14], et qu’elle ne se présume pas. Elle doit être certaine [15] et résulter d'une manifestation de volonté non équivoque de renoncer [16].

C’est ce qu’a retenu la cour régulatrice dans l’arrêt rapporté lorsqu’elle énonce « qu'en notifiant aux locataires, le 12 janvier 2018, soit postérieurement au commandement du 22 novembre 2017 visant la clause résolutoire dont les effets n'avaient pas été constatés judiciairement, une acceptation du principe du renouvellement du bail, les bailleurs ont renoncé sans équivoque à se prévaloir des infractions dénoncées au commandement antérieur pour obtenir la résiliation du bail renouvelé ». Elle rappelle que la renonciation à un droit doit procéder d'actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer. Dit autrement, la Haute Cour exige des actes positifs manifestant une volonté non équivoque.

Ainsi, dans l’arrêt commenté, la Haute juridiction souligne le fait que les effets de la clause résolutoire n’ont pas été constatés judiciairement. Elle met également en exergue le fait que les bailleurs, en notifiant aux locataires l’acceptation du principe du renouvellement du bail postérieurement au commandement du 22 novembre 2017 demeuré infructueux, ont renoncé sans équivoque à se prévaloir de la résiliation du bail. Il en résulte, pour la Haute juridiction, que l’acceptation expresse du principe du renouvellement est un acte positif qui manifeste incontestablement une volonté non équivoque du bailleur de renoncer au bénéfice de la clause résolutoire. La cour d'appel n'a donc pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations. La cassation est logiquement prononcée.

La Cour de cassation avait déjà eu à statuer récemment en ce sens, dans un arrêt du 21 janvier 2021 [17]. Même si les faits diffèrent quelque peu, la solution rendue par la cour régulatrice est sensiblement identique. En effet, dans cette affaire, le juge du droit avait considéré que le bailleur, qui délivre un congé avec offre de renouvellement postérieurement à une ordonnance de référé ayant suspendu les effets de la clause résolutoire, laquelle a autorité de la force jugée au provisoire [18], est considéré comme ayant renoncé tacitement et sans équivoque à se prévaloir de la résiliation du bail commercial.

En revanche, l'absence de réponse du bailleur à la demande de renouvellement du bail du locataire ne vaut pas renonciation non équivoque à la poursuite d'une procédure en cours en résiliation du bail [19]. Cette solution résulte du fait que l'attitude du bailleur, qui n'a pas répondu à la demande de renouvellement du bail dans le délai légal de trois mois, ne manifeste pas de manière non équivoque une volonté de sa part de ne plus se prévaloir des manquements, dès lors que le bailleur poursuit devant le tribunal la procédure de résiliation du bail.

Cet arrêt est instructif. Le renouvellement d'un bail commercial n'est pas un acte anodin. Il importe au bailleur de faire preuve de vigilance face à une demande régulière de renouvellement notamment lorsqu’un commandement visant la clause résolutoire a été signifié, du fait que le bailleur qui accepte le principe du renouvellement ne pourra plus se prévaloir de l’acquisition de la clause résolutoire. Le bailleur devra également avoir à l’esprit les dangers encourus par l’absence de réponse de sa part dans le délai légal à une demande de renouvellement du locataire.

 

[1] CA Paris, 1-3, 16 janvier 2019, n° 18/14431 N° Lexbase : A2019YTX.

[2] Cass. civ. 3, 23 mars 2011, n° 06-20.488, FS-P+B N° Lexbase : A7581HIM, AJDI, 2011, p. 363, obs. J.-P. Blatter.

[3] Cass. com., 20 mars 1962, publié au bulletin n° 182 N° Lexbase : A8967AYR.

[4] Cass. civ. 3, 19 janvier 2010, n° 08-20.664, F-D N° Lexbase : A4647EQ8, Loyers et copr., 2010, n° 76, obs. E. Chavance – Cass. civ. 3, 7 septembre 2017, n° 16-17.174, FS-P+B+I N° Lexbase : A8444WQS, Loyers et copr., 2017, comm. 238, obs. E. Chavance.

[5] Cass. com., 14 décembre 1959, Bull. civ. III, n° 426 ; Cass. civ. 3, 4 mai 2011, n° 10-15.473, FS-P+B N° Lexbase : A2543HQA, D., 2011, p. 1345, obs. Y. Rouquet ; Loyers et copr., 2011, n° 218, obs. Ph.-H. Brault ; Administrer, 7/2011, 32, obs. D. Lipman-W. Boccara ; Gaz. Pal., 1er-2 juillet 2011, 26, obs. Ch.-É. Brault.

[6] Cass. civ. 3, 16 septembre 2015, n° 14-20.461, FS-P+B N° Lexbase : A3963NPH, D., 2015, p.1894, obs. Y. Rouquet ; JCP E, 2015, 1496, obs. B. Brignon ; Loyers et copr., 2016, n° 40, obs. Ph.-H Brault ; Administrer, 11/2015, 21, note J.-D. Barbier ; JCP E, 2016, p. 1273, n° 31, obs. J. Monéger.

[7] H. Kenfack, M.-P. Dumont, A. Astegiano-La Rizza et al., Droit et pratique des baux commerciaux, Dalloz Action, 2021/2022, n° 362.132.

[8] Cass. civ. 3, 20 mai 1992, n° 90-20.291, inédit N° Lexbase : A8363AYE, Rev. loyers, 1992, 325, note S. Duplan-Miellet ; Cass. civ. 3, 15 mai 1996, n° 94-16.407, publié au bulletin N° Lexbase : A9919ABY, Loyers et copr., 1996, n° 96.

[9] Cass. civ. 3, 1er février 2018, n° 16-29.054, F-D N° Lexbase : A4853XCQ, AJDI, 2018, p.595, obs. J.-P. Blatter.

[10] Rappr. avec Cass. civ. 3, 4 mai 1982, n° 80-16.305, publié au bulletin N° Lexbase : A7514AGE, Rev. loyers, 1983, 221 – Cass. civ. 3, 20 mai 2021, n° 19-26.021, FS-D N° Lexbase : A79564SH, Administrer, 6/2021, 31, note J.-D. Barbier ; JCP E, 2021, 1414, n° 37, comm. Ph.-H. Brault.

[11] Cass. civ. 3, 28 juin 2018, n° 17-15.247, F-D N° Lexbase : A5739XU4, Loyers et copr., 2018, comm. n° 213, note E. Chavance.

[12] D. Houtcieff, Rép. civ. 2021, V° Renonciation, n° 1 et 54.

[13] Ibid.

[14] Cass. civ. 3, 21 novembre 1995, n° 93-21.665, inédit N° Lexbase : A8648AGE.

[15] Cass. civ. 3, 18 janvier 2012, n° 11-10.389, FS-P+B N° Lexbase : A1370IBD, D., 2012, 353, obs. Y. Rouquet.

[16] Cass. civ. 3, 30 mai 2007, n° 06-12.853, F-D N° Lexbase : A5563DWX.

[17] Cass. civ. 3, 21 janvier 2021, n° 19-24.466, F-D N° Lexbase : A25214E4, AJDI, 2021, 281 ; Loyers et copr., 2021, comm. 58, obs. J. Monéger.

[19] CA Paris, 5-3, 23 octobre 2019, n° 17/10077 N° Lexbase : A3146ZSC, AJDI, 2020, p. 283.

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